Chapitre 1
— Espèce de peureuse !
Hiro jeta un caillou à Asami et la vue de la petite fille se brouilla.
— Laisse-moi tranquille ! pleurnicha-t-elle.
— Je ne t'entends pas, poltronne !
Le groupe de garnements ricana et ils continuèrent à lui lancer des pierres. Ils se moquaient si souvent d'elle qu'Asami ne savait plus quoi faire. Ce n'était pas de sa faute si elle avait peur de tomber dans la rizière quand ils passaient trop près d'elle. N'en pouvant plus, elle pleura à gros sanglots.
— Arrêtez ça tout de suite, bande de crétins ! intervint Asako.
— Onee-chan !
Asako se dressa entre Asami et les autres enfants. Elle les menaça d'un bâton ramassé sur le chemin et ils s'éparpillèrent en criant. La jeune fille se tourna vers sa petite sœur. De sa main poussiéreuse, elle essuya les larmes qui roulaient encore sur les joues d'Asami.
— C'est fini, là, arrête de pleurer.
— Mer... Merci Onee-chan.
— Asami, il faut que tu te défendes ou que tu les ignores. Je sais bien que tu as peur d'eux, mais ils continuent de t'embêter parce que tu réagis à leurs bêtises !
— Mais...
Le soupir fatigué de sa sœur stoppa Asami. Le visage crayeux d'Asako l'inquiéta.
— Viens, le soleil est près de l'horizon, il est temps de rentrer, s'exclama Asako. On doit aider Maman à préparer le repas.
Hochant la tête, la petite fille la suivit. Elle se rendait compte qu'à dix ans, elle ne devait plus pleurer comme ça, mais tout l'effrayait. Asami n'y pouvait rien, heureusement que sa grande sœur la protégeait. Cette dernière se mit soudain à tousser. Asako était peut-être forte, mais sa santé s'affaiblissait par moment. Asami serra la main de sa sœur. Si seulement elle pouvait devenir assez courageuse pour aider Asako.
Les grillons commençaient déjà leur sérénade lorsqu'elles approchèrent de l'entrée de Fushimi. Elles passèrent devant le chemin du temple, au pied de la colline. La vue des Torii rouges arracha un frisson à Asami. Il y en avait vraiment beaucoup. Des gens riches les avaient achetés pour qu'ils leur apportent prospérité et santé. Asami ne pouvait concevoir de posséder tant d'argent pour le dépenser ainsi. Sa famille avait à peine de quoi déposer une offrande chaque année au Dieu Inari.
Ce soir, les filles étaient payées, leurs salaires aidaient beaucoup leurs parents. Au repas, ils mangeraient peut-être de la bouillie de riz... chouette ! Asami avait hâte que les légumes du jardin mûrissent pour qu'ils puissent les déguster. Alors qu'elles approchaient de leur maison, un aboiement la fit sursauter.
— N'aie pas peur, la rabroua Asako. C'est sûrement un chien de passage, il va vite s'éloigner.
La petite fille se rapprocha imperceptiblement de sa sœur. Elle n'aimait pas du tout les chiens. Un nouveau soupir secoua les épaules d'Asako, ravivant sa toux rauque. Asami avait bien conscience qu'elle épuisait sa grande sœur, mais elle n'arrivait pas à maîtriser sa frayeur.
Asako ouvrit la porte d'entrée et elles pénétrèrent dans la pièce commune. Leur mère touillait la bouillie au-dessus du feu.
— Ah, vous tombez bien ! Asako, peux-tu décrocher la lessive, s'il te plaît ? Asami, il me manque de la sauce soja, tu veux bien aller chez les Ishima pour en acheter ?
Leur maman se redressa avec un grognement. Elle fouilla dans son tablier étiré sur son énorme ventre pour sortir un mon de sa poche, et elle le tendit à Asami. Cette dernière le prit en hésitant avant de jeter un coup d'œil à sa sœur.
— Tu es une grande fille, Asami, tu dois y aller seule, bougonna la femme. Tu ne peux pas te cacher derrière Asako à chaque fois.
— Mais...
— Il n'y a pas de mais, file ! la coupa-t-elle en la poussant dehors.
Asami se rattrapa de justesse. Elle se redressa, serra la pièce dans sa main et marcha précautionneusement jusqu'à la boutique de leurs amis. La lumière baissait peu à peu et les zones d'ombres s'agrandissaient. Asami frissonna. Qui savait ce qui se cachait derrière les sacs de grains et les caisses ?
Les gens du village rentraient des rizières en discutant de tout et de rien. L'échoppe du marchand de tissus faisait rêver Asami à chaque fois qu'elle passait devant. Les yukatas et les kimonos colorés attiraient l'œil. Elle soupira, c'était nul d'être pauvre.
Le bar attenant ne désemplissait pas d'hommes qui parlaient fort et buvaient trop. Ils se cherchaient bagarre, prenaient les passants à partie. La petite fille allongea le pas. Proche du perron des Ishima, elle aperçut Kenta, leur fils. Elle l'aimait bien, il était gentil avec elle, contrairement aux autres enfants de leur âge. Ils échangèrent un signe de tête et les dernières nouvelles. Comme sa mère n'arrivait pas, il cria :
— Maman ! Mamaaaaaan !
La dame apparut à la porte.
— Kenta ! rouspéta-t-elle. Je t'ai déjà dit de ne pas hurler ainsi !
— Bonsoir Madame, ma mère voudrait de la sauce soja, s'il vous plait.
— Bonsoir Asami, reste là, je vais t'en chercher.
La petite fille attendit. Le son des grillons s'intensifiait à mesure que le jour s'échappait. Un autre frisson courut le long de son dos. Un aboiement rauque vint troubler la sérénité du soir.
— Ce maudit clébard ! grogna la femme. Tiens, voilà ta sauce.
— Merci Madame, dit Asami en lui tendant l'argent.
— C'est tout bon. Fais attention à toi sur le retour !
Asami s'enfuit sans demander son reste. Un chien ? Elle détestait ces bestioles... ils étaient agressifs et apportaient des maladies.
Le chemin lui parut interminable. Tous les villageois étaient rentrés. Les échoppes fermaient, les derniers clients s'en retournaient chez eux. Avec la sensation que la peur la poussait dans le dos, elle frémit et se mit à courir.
Elle approchait de la maison lorsqu'une silhouette hirsute surgit devant elle. Laissant échapper un cri, elle bascula à terre. Le canidé se rapprocha d'elle. Haut sur pattes, il la contemplait d'un regard fou, la bave moussait à ses babines. Ses grognements firent se dresser les poils sur les bras d'Asami.
— À l'aide ! hurla la petite fille.
Onee-chan : Grande sœur en japonais
Torii : Arches à l'entrée des temples
Mon : Pièce de cuivre, monnaie du japon jusqu'en 1870.
Yukata : Kimono léger pour l'été.
Kimono : Vêtement traditionnel japonais.
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