20h18. Elle était en retard.
Elle avait fini par accepter, le RDV, juste une heure, un seul verre, mais elle était en retard. Comme souvent se dit-il pour se rassurer. Sur ce point au moins elle n'aurait pas changé.
Et si elle avait eu un éclair de lucidité ? Et si son instinct de survie lui aurait conseillé de rebrousser chemin ?
Aucun nouveau message sur son téléphone depuis cet après midi... Alors il l'attendait, sagement embusqué, en train de vider un paquet de clopes en guise de couverture.
Les minutes s'égrenaient dans sa tête au rythme de son cœur déchaîné. Plus que la nicotine, il tâchait d'expirer toute l'adrénaline qui lui montait au cerveau dangereusement. Ce n'était pas le moment de se laisser aller, pas encore. Il allait falloir être fort, rusé ; mauvais peut être. Focalisé sur son objectif, il passa outre les regards des passants posés sur lui. Il ignorait s'il s'agissait là de curiosité face à cet homme seul, fumant cigarette sur cigarette depuis maintenant 18 minutes, ou bien simplement de l'intérêt face à sa silhouette familière. Sûrement un peu des deux.
20h20. Son téléphone vibra dans la poche arrière de son jean.
« Bonsoir Giulian, je sors du métro. J'arrive ».
Putain. Elle arrivait. Elle.
Le supplice atteignait son apogée. Déjà, il pouvait imaginer son parfum. Elle avait toujours porté le même. Dans moins d'une minute elle serait à son niveau. Sa respiration s'emballait. Il sortit une nouvelle cigarette. A peine une minute plus tard et il eut un contact visuel. Elle marchait droit devant, les mains dans les poches de son trois quarts gris, suivie de ses longs cheveux noirs qui flottaient derrière elle.
Trente, vingt-neuf, vingt-huit, vingt-sept...
« Relax, tu la connais mieux que personne, c'est Sarah ».
... Quinze, quatorze, treize, douze...
Elle était belle, étonnamment confiante. Ses traits semblaient détendus et avenants. Il sentit ses mâchoires se détendre.
Quatre, trois, deux, un...
Et Giulian respira profondément, un dernier coup.
— Sa... bonsoir !
— Salut.
Il avait hésité à lui faire la bise, la serrer dans ses bras ou simplement la saluer. Il n'eut pas à réfléchir bien longtemps car elle lui déposa deux baisers de chaque côté des joues qu'il lui rendit, fidèle.
Elle sentait toujours aussi bon...
—On va se prendre un verre ? bredouilla-t-il tout en reprenant ses esprits.
Elle acquiesça, souriante.
— Tu es déjà venu par ici ? lui demanda-t-elle.
— Quelques fois oui, il y a un bar que j'aime beaucoup, juste là.
Il l'entraîna alors sur le trottoir d'en face.
Ce quartier était jalonné de passages insolites, de petites rues avec de nombreuses boutiques spécialisées dans la brocante. Une délicieuse ambiance mi-rétro mi-champêtre... en plein Paris.
Mais soudainement, Sarah sembla mal à l'aise, cela commençait mal.
—Pourquoi j'ai l'impression que tout le monde nous regarde ? lui lanca-t-elle alors.
—Surement par ce que c'est le cas.
— Génial... Comment tu fais ?
— Pour leur plaire autant ? répondit-il moqueur, espérant ainsi détendre l'atmosphère.
—Pour supporter ça ?
Echec.
—Comme presque tout, on s'y habitue.
— Presque ?
— Presque. Il y a certaines épreuves qui ne te laissent pas indemne, et tu n't'y fait jamais.
Il vit Sarah soutenir de son regard noir, deux jeunes femmes qui les dévisageaient en piaillant sans discrétion. Elle n'avait pas changé ! Toujours aussi bourrue. Sauvage.
— Et comment dois-je appeler notre célébrité internationale ? reprit-elle en changeant de sujet.
— Comme tu m'as toujours appelé.
— Alors, enchantée Giulian, moi, c'est Sarah, se déridait-elle enfin.
— Enchanté Sarah, c'est très original comme prénom.
— Désolée, je n'ai jamais été très surnom... se moqua-t-elle.
Ils prirent alors place à une haute table au fond d'un minuscule bar au style très Irlandais. Juste en dessous d'une cible de jeux de fléchettes. Il ne manquait plus que la pluie et le fish and chips pour s'y croire vraiment.
—Alors, qu'avons-nous là ; de la bière en pression, des cocktails apparemment préparés avec amour, un délicieux Prosecco... Allez va pour un Spritz.
Ne sachant que prendre, il choisit la même chose qu'elle.
— Alors, comment vas-tu ? lui demanda-t-il.
— Ça va. Et toi ?
— Je veux dire, comment vas-tu... pour de vrai ?
Le stress lui desséchait la bouche. Il envoya un coup d'œil au comptoir, histoire de croiser le regard du barman et de le speeder gentiment.
— Pour de vrai ? Et bien je dirais, comme une femme fraichement divorcée car elle a retrouvé son mari au lit avec une de ses collègues... Je te laisse imaginer la scène.
— Sans façon... Je suis persuadé que ce type ne te méritait pas. J'ai vu son profil Insta, il était loin d'être à ta hauteur.
Il sentit Sarah se raidir sur son grand tabouret. Elle esquissa un geste de recul mais se ravisa. La hauteur n'avait jamais été son fort.
—Tu as... Bref, ce... type... c'était mon mari, et aussi le père de mes filles. Ça fait mal Giulian. Crois-moi. Il a réussi à faire pire que toi.
A peine leur verres arrivés, il en descendit la moitié.
—Pardon, c'était déplacé de ma part, s'excusa t-il.
Sarah avala elle aussi la première partie de son Spritz.
— Je trouve ça plutôt flatteur, en fait, finit elle par lâcher.
Gêné, il baissa les yeux. Elle avait toujours ce don unique de le déstabiliser. Et sa descente était toujours aussi puissante que la sienne.
— Je vais me prendre une bière artisanale tout droit venue de la terre celte. T'es attendue ? Je peux t'offrir un autre verre ?
Elle s'empourpra, plus embarrassée et attirante que jamais.
— Évidemment, quel idiot je suis... tes enfants doivent t'attendre.
Il baissa de nouveau le regard au sol.
— Non, non, elles sont gardées. Personne ne m'attend, et puis... un autre verre me fera le plus grand bien !
— J'espère au moins que tu ne fais pas ça par pitié ? feinta-t-il.
— Pitié ? Loin de là, crois-moi !
—Me voilà rassuré alors, c'est que tu m'as filé plus de suée qu'une salle entière...
—Je t'impressionne à ce point ?
—Je dirais même, plus que jamais...
Il aurait aimé s'arrêter là mais comme souvent face à elle, les mots sortaient tous seuls, et pas forcément ceux qu'ils désiraient lui avouer.
— Sarah, tout à l'heure quand je t'ai vu sur le trottoir, j'ai senti un vrai électrochoc, ça m'a fait trop mal...
Encore une fois, il se confondit en excuses, choqué que ses pensées prennent le dessus face à elle.
— Je sais, pour moi c'est pareil. J'évite depuis des années tous les lieux où je suis susceptible de te croiser ou de t'entendre. Je n'écoute que des radios latino afin de pas tomber sur tes chansons. Je savais que si je t'entendais, ou si je revoyais ton visage... je serais foutue.
— Latino ? Sérieusement ? Ne me dit pas que tu t'es mise à la salsa ?
— Non.
—A la danse Cubaine ? Avoue ? Je te connais, tu finis toujours par danser sur la musique que t'écoute, alors... ?
—Ok tu as gagné, en vérité je fais de la Bachata, du Merengue et la Kizomba.
—Ah oui... Seulement... Tu sais quoi, je connais un roof top qui offre l'une des plus belles vues de Paris pas loin et qui passe des sons que tu devrais aimer. Ça te dit ?
— Va pour le roof top alors, je te suis. Mais ne rêve pas, tu ne me verras pas danser !
— C'est ce qu'on verra. Et au fait Sarah ? T'avais raison ?
— Pour ?
— Est ce que t'es foutue ?
Elle sourit et lui tourna le dos tout en remettant son manteau.
— L'avenir nous le diras assez vite... l'entendit il alors marmonner.
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