#9 Les crimes du père et du fils
x Chapitre 9 x
「Cinq ans plus tôt.」
L'autorisation écrite bien en main, c'est une occasion inespérée à l'approche de l'expédition. Que les Brigades spéciales aient cédé si facilement ne m'étonne pas. Être soutenu par Sa Majesté même, tout refus aurait été mal perçu par la population. Plus de mensonges, voilà la promesse de transparence de celle qu'elle a accepté de suivre. La corruption dans leurs rangs révélée au grand jour, toute la confiance dont ils ont joui jusqu'alors a été balancée aux oubliettes. À l'inverse, le Bataillon dispose maintenant d'une notoriété jamais égalée.
Erwin me scrute depuis son bureau.
— Tu es certain de vouloir t'y rendre, Livaï ? Rien ne garantit que ce que tu trouveras là-bas te plaira. Parfois, ne pas savoir est une bénédiction.
Cette fille a partagé la même pensée. Elle a préservé son entourage si longtemps de l'effroyable vérité sur notre monde en portant seule ce fardeau. Néanmoins, il le faut. Il n'y a que de cette façon que nous pourrons nous préparer efficacement à ce qui nous menace. Puisque les Titans ne sont pas nos réels ennemis, pas vrai ?
— Tu as réussi à nous dégoter cette opportunité, ce serait un gâchis de ne pas la saisir. Je veux en être.
Quelqu'un cogne à la porte, mais ne prend pas la peine d'attendre de réponse. La binoclarde apparaît en brandissant une pochette.
— Je l'ai ! Bien qu'il ait fallu encourager un peu ces chers messieurs à faire leur travail, j'ai enfin le rapport d'autopsie !
— Tu l'as lu ?
Au large sourire qui fend son visage en deux, elle n'a pas sagement patienté son retour pour l'ouvrir.
— Et tu ne devineras jamais ce qu'ils ont découvert !
— Du poison ?
Hansi arbore une mine déconfite, tandis qu'Erwin se replonge dans ses pensées.
— Je souhaitais simplement en avoir la confirmation, argué-je. Il était impossible à ce volatile de connaître d'avance les places auxquelles nous nous assiérions ni si nous les respections dans le cas où il aurait arrangé lui-même des écriteaux. Nous avons bu le même vin et goûté aux mêmes mets. L'explication la plus plausible...
— Est d'avoir disposé le poison dans tous, termine Hansi les yeux ronds. Liselotte von Rosenfried ne s'est donc pas pendue toute seule. Tout comme toi, Albrecht von Rosenfried prévoyait aussi de la tuer. Mais...
— Mais sans compter sur l'habilité de Waltraud.
Je lui dois une vie. Non, bien plus...
— Attends attends, Livaï ! Comment expliquer qu'elle y ait échappé ? Le duc a pu prendre l'antidote avant le dîner, mais elle ?
Oui, telle est la question. Comment as-tu pu survivre ? Savais-tu ce qu'il allait arriver ?
— Il y a plus inquiétant, soulève Erwin. Outre de déguiser la mort de sa femme en suicide, chaque étape a été minutieusement préparée. Ce n'est pas plus mal que vous fouillez. Qu'un homme, même de son envergure, réussisse à s'élever à la tête du pays... Je peine à croire qu'il n'y ait pas d'autres personnes impliquées.
Quitte à ne pouvoir venir seul, autant s'accompagner de toute la clique. Nous aurons après tout besoin de beaucoup de paires de bras pour extraire quelque chose.
La Roseraie se dresse aussi crayeuse que dans mon souvenir. Une des fenêtres a été condamnée avec un panneau en bois, celle brisée par l'emmerdeuse pour nous permettre de nous enfuir du guêpier. Dans la cour, ses éternelles fleurs rouges poignardent de leurs épines la peau du premier morveux qui s'en approche de trop près. L'autorisation présentée, les soldats des Brigades nous ouvrent en grand les portes sans rechigner. Ils ont perdu de leur zèle. Une fois dans le grand hall, les innombrables pièces sont partagées. Après avoir rappelé à l'ordre Jäger planté devant le portrait de famille, nous nous mettons rapidement tous au travail.
Au bout d'une heure de recherche, je commence déjà à perdre patience. Je suis venu avec l'espoir de trouver une piste, de comprendre, mais il se peut que nous rentrions bredouilles. Mon poing s'abat sur le bureau où je l'ai embrassé fiévreusement avant que le poison me coupe les jambes. Les souvenirs de cette soirée m'assaillent l'esprit, aussi frais que des événements d'hier. Pourtant, je dois me rappeler avec fureur que c'est arrivé il y a plus de deux mois. Déjà.
Nifa choisit son bon moment pour débouler pêle-mêle. La lueur sérieuse dans ses yeux jure avec son grand sourire confiant.
— J'ai trouvé quelque chose, caporal-chef !
Guidé par ses pas hâtifs, je découvre le lieu en question. Une penderie ? Je lui jette un regard inquisiteur, mais son expression ne trahit aucune plaisanterie mal calculée. Mes soupçons se dissipent très vite. La planche du fond sonne creux. En parcourant les pièces en « u », je remarque également autre chose. À l'endroit supposé, le pan s'épaissit. Quel mur fait deux mètres de large ? De retour dans la penderie, j'inspecte les reliures du bout des doigts et bute dans des jointures.
— Beau travail, Nifa. Va prévenir tout le monde.
— Qu'allez-vous...
Elle sursaute quand mon pied traverse le bois. Si serrure, nous n'avons plus besoin de chercher la clef. Le boucan suffit à alerter le reste de la troupe. La porte dissimulée cache un escalier étroit qui semble mener à un sous-sol. Nous ne nous attardons pas en bavardages et décidons de descendre à trois en reconnaissance. Nifa me tend une lanterne, suivie de la folle qui a insisté pour venir avec des yeux de merlan frit. Les marches sont raides avec une rambarde rendue visqueuse par l'humidité. Au bout, une seconde porte nous barre la route. Je lui accorde le même traitement que la première.
Éblouis par une lumière blanche, nous découvrons une salle de taille respectable et aménagée, loin de l'état de saleté suggéré par le trajet. La bigleuse s'affale vers la source, des sortes de cristaux qui brillent d'un éclat vif et perpétuel. Que sont-ils... ? Ma seconde examine le matériel médical rangé dans les étagères. Elle fronce les sourcils en même temps que moi à la vue de certains dispositifs inconnus.
— Un cabinet clandestin ? suggère-t-elle.
— Je pencherai plus pour un laboratoire.
— Qui ne s'est pas arrêté aux rats ! complète Quatre-Yeux en extase.
La forme des tables ne laisse en effet planer que peu de doutes sur la nature des sujets d'expérience. Et les sangles noircies de sang coagulé indiquent qu'ils n'étaient probablement pas consentants. Où sommes-nous tombés ?
À l'exception de deux restés pour garder l'entrée, nos jeunes recrues nous rejoignent pour fouiller. Alors que Hansi épluche les archives, les débris qui jonchent le sol au pied d'une étagère attirent aussitôt mon regard. Le liquide qu'ont contenu ces flacons s'est évaporé dans l'air, mais le rassemblement des morceaux d'une étiquette forme encore un mot lisible : « Armure ». Mon cœur bondit dans ma poitrine, tandis que je réalise à haute voix.
— Elle est venue ici.
— Livaï ?
Le ton de la bigleuse capte toute mon attention. Deux dossiers sous les bras, elle semble hésiter. Si l'intitulé en lettres capitales « HELOS » ne m'évoque rien, mes yeux s'écarquillent au second.
— Je ne me trompe pas, si ? Tu m'as bien dit que ton nom de famille était...
« ACKERMAN. »
「Aujourd'hui.」
L'ouïe m'est rendue avant la vue. À travers le sifflement, les cries m'assourdissent, omniprésents autour de moi. Des bruits d'explosions se mêlent au chaos, ainsi qu'un rugissement bestial et les détonations des canons. Puis, je retrouve le toucher. Gisante sur les pavés froids, mes membres tremblent. Dès que j'essaye de bouger, une douleur me foudroie tout le corps. Je ravale un cri. Elle se loge sur mon visage, mon cou et mes mains, déchire ma chair. Je ne dois pas être loin de la vérité.
— Wa-Dame Rosen !
Si je reconnais la voix de Lara, je ne peux pas la voir. Le souffle de l'explosion a fondu mes paupières. Entre deux salves qui m'abandonnent gémissante, je parviens à parler.
— Seringue... dans... sacoche.
Elle palpe frénétiquement ma ceinture pour trouver la bonne. Un goût de sang, une odeur de poudre et de fumées fictive. Je halète par la bouche, les sinus incendiés.
— Où je... ?
— L'épaule...
Je ne sens pas l'aiguille s'enfoncer, mais le liquide glacial qui irradie mes muscles me fait pousser un hurlement aussitôt étouffé dans la cacophonie ambiante. Des milliers d'insectes me dévorent de l'intérieur. Ils agissent comme l'acide sur mes lésions internes, remontent par les pores à la surface de ma peau pour grignoter mes chairs brûlées.
— Vos blessures... Elles...
Tirée des ténèbres, ma vue d'abord trouble se stabilise. Mes yeux clignent sur les corps difformes de mes hommes, puis sur son visage. Le vent de panique sur celui-ci disparaît pour laisser place à la sidération. Grimaçante, mon regard s'abaisse sur les cloques qui bourdonnent et crépitent sur l'épiderme de mes mains qui se reconstitue. Elles fument à l'instar des plaies de Lara qui se referment. À contrario, une de mes paumes plus touchée gardera des tissus cicatriciels, chacun ses limites.
— Ne posez pas de questions, grogné-je. J'y répondrai, mais nous devons avant rejoindre à tout prix un poste.
Elle hoche lentement la tête et m'aide à me relever. Je titube, le contrecoup d'une régénération inachevée. Avec un fin sourire conciliant, Lara me sert de béquille, tandis que j'indique la route à suivre. L'ennemi semble ignorer notre position exacte et vu l'état de l'évacuation, je n'ai pas dû perdre conscience plus que quelques minutes. En scrutant la place, j'aperçois Eren, ou plutôt le Titan assaillant, faire des ravages. De nouveaux corps, des civils, éparpillent leurs morceaux arrachés par la projection de débris à nos pieds. Certains, écrasés par les plus gros ou la foule en panique, sont figés dans des poses inhumaines. Des pleurs... Et toujours des cris confondus... Du blanc des yeux, je vois la mâchoire de Lara se crisper. Elle va céder à la provocation.
— Ne faites rien ! tonné-je. Ne le sous-estimez pas, il vous tuerait et le Marteau serait perdu.
Une fois encore, son regard s'arrondit. Afin de protéger l'unique survivante du clan Teyber et détentrice de son pouvoir, les autorités mahrs ont préféré faire croire à sa perte. Alors, il est légitime qu'elle se pose la question. Seuls le coupable de ce massacre et les quelques hauts placés sont au courant, ce que je n'étais pas à l'époque.
— Comment... ? L'information n'a jamais fuité, même après cette nuit...
— Vous n'êtes pas les seuls à transmettre la mémoire ancestrale de génération en génération.
La mine effarée, elle s'arrête.
— Vous savez...
Mes lèvres esquissent un faux sourire qui dissimule de nombreux sentiments contradictoires.
— Que le clan Teyber a trahi les leurs pour s'allier au sauveur de l'humanité et fierté du peuple Mahr ? Ou que cette belle famille, admirée de tous, est en réalité composée d'usurpateurs qui ont œuvré avec le roi Fritz ? Quelle version préférez-vous ?
Horrifiée, Lara vacille contre le mur. Je m'écarte d'elle pour lui laisser de l'air. Bravo, Wal. À faire des confessions, elle te ralentit maintenant.
— C'est pour cela qu'il a envoyé cet Égorgeur les assassiner, réalise-t-elle la voix chevrotante.
Incapable de la regarder en face, je soupire.
— Mon grand-père a jugé que vos privilèges et vos mensonges avaient assez duré.
Elle se tient la tête. Les épaules secouées de soubresauts, elle sanglote en silence.
— Pourquoi m'aider si vous connaissez la vérité... ? Comme mon frère Willy, j'ai maudit mes origines. J'aurais préféré ne pas naître... Alors, pourquoi... ?
Je ressens son désespoir traverser chaque fibre de mon être. Le regret me plombe la poitrine, mais je décide de ne rien en montrer. Cela aurait été hypocrite, abject. Aussi, j'enchaîne mon cœur dernière un masque. J'ai réussi à le porter pendant des années, ce n'est pas aujourd'hui qu'il va tomber.
— Je vous l'ai dit. Je veux œuvrer à une paix durable et internationale. Et puis... parce que contre toute attente je vous apprécie. Vous n'hésitez pas à vous exposer pour ce en quoi vous croyez. Malgré que vous ayez tout perdu, vous continuez de vous battre. Je respecte cela.
Des demi-vérités, comme toujours. Cependant, une personne attentive peut réussir à lire entre les lignes.
— L'empereur... Il a un moyen de pression sur vous.
Je me tends, sur mes gardes.
— C'est une déduction plausible, en effet.
— L'orphelinat... Votre enfant ?
Mes ongles lacèrent mes paumes.
— Je crains que nous devions reporter cette conversation un autre jour, regardez autour de vous, Dame Teyber ! Ce n'est plus l'heure de boire le thé.
Les lèvres pincées, Lara se résout à reprendre du poil de la bête et à se presser. Elle sait que j'ai raison, ce n'est guère le moment. Revelio est en feu. Juste au-dessus de nos têtes, les insulaires voltigent telles une nuée de chauves-souris. Mais derrière leurs allures sorties tout droit d'un cauchemar éveillé, j'ose encore espérer que le dialogue soit possible.
🕊 N.D.A.
Le titre de ce chapitre prendra tout son sens dans les suivants. Néanmoins, celui-ci apporte déjà des éléments, notamment sur des interrogations suscitées lors du tome 1 sur les capacités de Wal.
Dans le passé, Livaï enquête avec Hansi sur la famille de Wal et les affaires de son grand-père, Albrecht von Rosenfried ou Albrecht Rosen, l'empereur de Mahr. Pour rappel, Nifa n'est pas morte, puisque comme Kenny l'Égorgeur et d'autres, leurs destins ont été changés. Aussi ne vous étonnez pas, ce n'est pas un oubli de ma part, simplement une nécessité pour l'intrigue. 😖
Dans le présent et en très mauvaise posture, Wal s'administre le contenu d'une seringue dont certain(e)s se doutent peut-être déjà de la nature. Attention ! Il est possible qu'elle ne soit pas celle que vous croyez. 🤗
Prochainement, dans Five Years :
Acteurs et spectatrice.
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