#20 La nuit aux lucioles



x Chapitre 20 x





Livaï.


Le raclement du métal crispe ma mâchoire. À la lumière agitée d'une bougie, c'est toujours le même refrain. À l'heure de la becquée, je dois l'assister. Seconde après seconde, je le scrute dans la pénombre humide se remplir la panse comme un porc qu'on engraisse. Mais à défaut de ne pouvoir le saigner pour récolter les informations qu'il détient, il me faut patienter. Encore.

Des fourmillements dans les bras, mes mains raides et proches des gaines n'hésiteront pas à faire chanter les lames au moindre mouvement suspect. Derrière les barreaux de sa cage exiguë, ce singe ne m'offre pas ce plaisir, bien que lui prenne son pied à me provoquer. Il essuie sa moustache négligée avant de jeter dans son assiette sa serviette où la sauce l'imbibe. Dégueulasse.

— Nos dîners à la chandelle sont toujours aussi agréables, Livaï.

— Tu n'as pas encore goûté au plat principal, rétorqué-je en le dépeçant des yeux.

— Le meilleur pour la fin, non ?

Il me débecte et ça me rassure. Je n'aurai aucun mal à appliquer la sentence prononcée, me tarde d'y être. Chacune de ses respirations empoisonne l'air de sa présence. Qu'est-ce que Waltraud a vu en lui qui mérite qu'on s'y attache ? Aucune condamnation ne parviendra à laver tout ce sang qu'il a versé. Ignore-t-elle ce qu'il a fait ? La manipule-t-il ou a-t-elle fermé les yeux sur ses horreurs ?

Pourquoi l'as-tu choisi ?

Je ramasse les détritus, mais au moment de partir, la voix du singe résonne, prisonnière de ces murs sans fenêtre.

— Tu devrais abandonner l'idée qu'elle revienne vers toi.

— Elle a besoin de temps, jetté-je sans réelle conviction. Assez pour faire le ménage dans sa vie.

Tourné, je le fixe sans cacher son animosité.

— Elle ne te l'a pas dit, pas vrai ?

Mes sourcils se froncent. Cela suffit à fendre son visage crasseux d'un sourire.

— Oh... Elle ne te l'a pas dit, affirme-t-il.

— Quoi que ce soit, ça ne changera pas mes sentiments.

Le reflet vacillant de la lumière sur ses lunettes masque l'expression de ses yeux.

— Les personnes qu'on croit connaître ont cette tendance à nous surprendre, marmonne-t-il à lui-même.

La bougie consumée, je remonte des cachots et arpente le couloir. La rage bouillonne en moi et d'un coup, les couverts éventrent la fenêtre et disparaissent hors de ma vue. Mon regard s'abaisse sur les éclats de verre.

— Tch.

Où est le balai ?





Waltraud.


Cette nuit, je n'arrive pas à trouver le sommeil. Trop de pensées se bousculent dans ma tête. Une inquiétude palpable, mais pas pour le sort qui m'attend. Depuis le procès, je revois ses yeux. Il ne voulait pas que cela se sache. Pourquoi me l'avoir caché ? Que la répercussion de mes actes l'induirait également ? Pourquoi avoir pris ce risque pour une personne qu'il ne connaissait pas ? Pourquoi ne pas avoir brisé cet engagement après mon départ ?

Je gémis dans mes draps froids. Nauséeuse, je me redresse sur mes jambes engourdies. Debout, je cherche un peu de clarté. Ma main heurte la lampe à huile sur la table. Je tourne la mèche sur le bec en laiton et l'allume. Je replace la cheminée en verre sur la flamme et la verrouille pour la soulever. En simple chemise de nuit, je me dirige vers la porte et frappe à cette dernière. J'entends alors un cri.

AH !

Une clef se glisse précipitamment dans la serrure. Quand le battant s'ouvre, je me retrouve nez à nez avec ma nouvelle geôlière.

— Ben non, elle ne dormait pas !

— Hansi... ? soufflé-je surprise.

Une femme se cache derrière elle, un visage familier.

— Martine ?

Hansi ne me laisse pas le temps de comprendre la situation, et s'élance vers moi pour me serrer dans ses bras.

— Tu m'as manquée ! Désolée de n'avoir pu venir plutôt ! débite-t-elle. Ces chacals voulaient m'acheter et il a fallu que je leur donne une correction pour tentative de corruption ! Heureusement que le vieux papi Zackley est de notre côté, ils vont passés un beau séjour au sous-sol !

Le général est donc de mèche avec eux... ? Peut-être même que l'ajournement du procès était une mise en scène...

— Alors c'était un mensonge cette histoire ? marmonné-je encore sous le choc. Ce certificat ?

Hansi s'écarte, sa joie transparente.

— Non, ça, c'est bien la vérité !

Abasourdie, la migraine commence à refaire surface. L'esprit vaseux, cette confirmation n'est pas plaisante à entendre. Remarquant sans nul doute mon silence, le sourire de Hansi s'efface.

— Comment te sens-tu ?

— En vie.

Elle s'esclaffe. Je ne ris pas.

— Tu nous as fait une sacrée frayeur, tu sais ! Quand Livaï t'a ramené, nous...

— Livaï ? l'interrogé-je.

— Il ne te l'a pas dit ? C'est lui qui est parti à ta recherche et t'a ramenée.

Un nouveau marteau m'assomme et je recule pour me rasseoir sur le lit. La lampe me glisse des mains et est rattrapée in-extrémiste par Hansi.

— Ohlohloh !

Tu mens comme tu respires, est-ce si étonnant qu'il ne te dise pas tout ?

Des boucles brunes entrent dans mon champ de vision et me tirent de ma léthargie.

— Martine...

Ma tête vole sur le côté. La gifle est rude. Je porte ma main à ma joue brûlante.

— Imbécile ! Imbécile... !

Le visage fermé, Hansi n'ajoute rien. Elle a raison.

— Tu n'imagines pas... Tout le tumulte que ton départ a causé ! Une égoïste ! Et regarde dans quel état tu es aujourd'hui !

La brûlure se propage à mes yeux. Ceux verts et humides de Martine semblent ne pouvoir y croire, que je sois bien là, juste devant eux. Alors, elle s'accroupit et saisit mes mains pour les serrer dans les siennes. Contre son front, elle baisse la tête et je sens ses larmes mouiller mes genoux.

— Par les trois Déesses, merci... ! croasse-t-elle la respiration hachée. Merci... !

En apnée, j'inhale d'un coup l'air. Mes poumons sifflent sans pouvoir contenir mes mots.

— Je suis désolée. Je suis vraiment désolée, continué-je d'exhaler.

Mon souffle éclate et le plomb se déverse. La poitrine comprimée, je peine à inspirer.

— Je suis... vraiment... désolée.

Et les perles s'échappent, je ne parviens plus à les retenir. Elles roulent sur mes joues, m'inondent. Tout mon corps tremble de froid, de chaud, une maladie qui me gangrène. Assise à côté de moi, Hansi glisse ses bras autour de moi et m'enlace. Mon équilibre bascule et chavire sur son épaule où ma tête se niche.

— Ne nous mets plus jamais de côté, tu m'entends ? Nous te soutiendrons. Ne sommes-nous pas assez forts pour ça ? As-tu si peu confiance en nous ?

— Je ne veux plus... perdre aucun d'entre vous.

— Nous ne voulons pas te perdre non plus.

Mes muscles se tordent.

— Je ne le mérite pas...

— Quel mérite y a-t-il quand il est question d'aider une amie ?

À court d'arguments, ma poitrine se gonfle de regrets, de joie, de craintes. Toutes les émotions se mélangent, si bien que je ne parviens plus à les distinguer clairement. L'unique vérité à laquelle je m'attache est de vouloir profiter un peu de cet instant de répit avec elles.

Les prochaines heures, je les passe simplement à les écouter me narrer le quotidien, mais également les événements survenus ces dernières années. Elles me racontent la reconquête du mur Maria et le repeuplement de Shiganshina. Elles n'évoquent en revanche pas ce qu'ils ont trouvé là-bas, ni même les sacrifices nécessaires pour parvenir à cette victoire de « l'Humanité ».

Lorsque vient mon tour de parler, je reste muette, mes pensées avec vers lui. Comment a-t-il vécu ces dernières années ? Et Erwin... Je ne l'ai pas vu depuis mon retour. Donc, il est vraiment... ?

— Qui est mort ?

Hansi stoppe brusquement sa tirade.

— Et bien...

— Tu ne m'as pas non plus dit comment tu as perdu ton œil. Erwin... est mort ?

— Hum..., opine Hansi le visage sombre. Il est mort. J'assume à présent son rôle.

Cela explique des choses... notamment son intervention au procès.

— Qui d'autre ?

— Tu ne demandes pas les circonstances ? À moins que tu sois déjà au courant... Et que tu saches ce que Sieg, le frère d'Eren, a fait.

Son visage s'assombrit sur cette dernière phrase. J'entends son jugement, et je vois son œil qui me fixe dans l'attente d'une réponse.

— Les journaux ont relaté les événements, et il n'a pas démenti ses actes.

— Tu les cautionnes ?

Nous revenons encore à une question de loyauté. Ce débat m'épuise, n'a aucun sens pour moi.

— Je n'adhère pas à ses méthodes. Mais dans ce monde, nous sommes tous contraints, par les ordres ou nos idéaux, à revêtir la peau d'un monstre.

— Tu l'aimes ?

— Qui d'autre ? éludé-je. Qui d'autre est mort ?

Hansi soupire et énumère les noms, une liste interminable. Du blanc de l'œil, je vois le visage de Martine devenir livide. Elle s'excuse et sort pour ne pas se laisser submerger par un traumatisme auquel je n'ai pas assisté, mais devine.

Le bilan s'achève et les secondes s'allongent dans un silence funèbre. Le regard globuleux fixé dans le vide, ce cauchemar éveillé finit par faire craquer mes nerfs. Je pouffe, un rire amer et sans chaleur.

— Au final, mon départ n'a rien changé, constaté-je. Les personnes que je voulais protéger sont presque toutes enterrées.



https://youtu.be/fIDvKrUM1V0


Tout le bâtiment est cerné. Chaque ouverture, porte, fenêtre, cheminée est gardée. Aussi, quand j'ai exprimé le souhait de marcher, Hansi ne s'y est pas opposée. Martine est revenue et, le teint pâle, n'a pas objectée à ma demande de rester seule.

Une part au fond de moi sait que cela n'est pas raisonnable, mais le procès ajourné à demain ne m'effleure guère l'esprit. Chaque pas me fatigue, me replonge un peu plus dans mes cauchemars nocturnes. Est-ce sur de la pierre ou des corps que je marche ? Je comprends ce que vous avez dû ressentir, Erwin, Livaï... Je ne peux pas m'arrêter, n'est-ce pas ? Les visages se tournent, désarticulés de leur cou. Leurs yeux nous jugent d'en bas, de l'enfer dont nous ne réchapperons pas et qui nous condamne.

Je marque une pause devant une fenêtre brisée. Le souffle glacial s'engouffre sous mes vêtements. Insensible, mon corps ne réagit pas. Je pourrai rester là, jusqu'à ce que le froid m'endorme définitivement. C'est peut-être ce qu'il a de mieux à faire. Après tout, je l'ai tant de fois rêvé : que tout s'arrête. Peut-être que cette fois sera la bonne, peut-être que cette fois j'y parviendrais...

Un vêtement couvre soudain mes épaules. Minutieux, son propriétaire boutonne l'avant pour que sa chaleur m'enveloppe entièrement.

— Pourquoi es-tu là ? demandé-je mi-consciente.

Mon regard se porte derrière lui, à l'ustensile qui attend sagement contre le mur, puis aux morceaux de verre sous mes pieds. Évidemment.

— Tu ne restes jamais tranquille ? Tu n'en rates pas une.

Il claque sa langue de contrariété et sans prévenir, je suis soulevée du sol par la taille. Saucissonnée, je ne peux que protester de vive voix quand je suis jetée nonchalamment sur son épaule.

— Lâche-moi ! Je peux marcher !

— Avec ta maladresse ? Un estropié s'en sortirait mieux.

Un souvenir se ravive. Cette fois dans les souterrains, où il est aussi venu me chercher. Malgré notre situation, j'ai été si heureuse. Qu'au fond du trou, quelqu'un m'ait trouvée, qu'il y soit parvenu. Mais je veux arrêter de l'entraîner dans ma chute.

De retour à ma chambre, il me pose sur le lit. La lampe à huile est restée allumée. Focalisée sur sa flamme mourante, je compte malgré moi les secondes de son absence, avant qu'il revienne avec le nécessaire. Je frémis quand accroupi, sa main rugueuse saisit mon premier pied avec délicatesse. Je tente d'y échapper, mais il le retient, ferme.

— Je peux le faire, signifié-je.

Ses billes tranchantes m'intiment l'ordre de ne pas bouger. Leur gris s'attarde quelques secondes dans mes yeux, avant de commencer à retirer les bouts de verre enfoncés dans la plante. Sous cet angle, je peux voir ses trapèzes se contracter, bien dessinés. Ils disparaissent sous la chemise blanche de son uniforme militaire. Ses cheveux corbeau, un beau corbeau, toujours aussi beau. Rasés sur les côtés, il faut croire que d'autres choses ne changent pas. Ses cernes noirs et les récits m'ont en fin de compte induite en erreur. Il va bien. Tant mieux.

Je grimace quand l'extraction terminée, il désinfecte. Bien sûr, l'homme aux billes d'acier ne manque pas de le noter.

— Tu es devenue douillette, me nargue-t-il.

— C'est toi qui me rends ainsi.

Je regrette aussitôt mes mots. Livaï se fige et relève les yeux. Je détourne les miens avant que ma crainte se réalise. La mâchoire crispée, il poursuit son ouvrage. Je me surprends à ressentir une pointe de déception à l'absence de remarque sarcastique. À quoi songe-t-il ? Toujours des questions...

— Pourquoi ne me l'as-tu jamais dit ? demandé-je. Pour la tutelle ?

C'est lui à présent qui garde le silence. Une forme de vengeance ?

— Quand j'y repense, je ne me suis jamais interrogée du comment avait été financé les frais mon hospitalisation et les soins de suite. J'avais adhéré à l'idée que c'était l'Armée qui assurait mes besoins, mais j'étais loin de vérité... Pourquoi me l'avoir cachée ?

— Cette décision me regardait seul.

— J'étais une inconnue. Tu ne me connaissais pas.

— Cela m'en a donné l'occasion.

J'offrirai tout pour voir son visage. Pour comprendre à cet instant ce qu'il ressent. Lâche, je demeure passive. Cette main que je veux tendre vers lui, je la cloue à mon corps. Car si je cède, je sais que ce que je verrai balayerait le peu de conviction qui me reste. Je préfère m'accrocher à un mensonge, penser que cette perspective est vouée à l'échec, que d'accepter de m'abandonner encore à ses bras et tout oublier. Oublier qu'au bout de chemin, je ne pourrai lui promettre de rester à ses côtés.













🕊 N.D.A.


Je voulais publier hier, mais j'ai été appelée à manger à la dernière minute chez quelqu'un, alors changement de programme ! Je ne peux décidément pas refuser une invitation quand il est question de miam miam...👁v👁💧 Honte à moi !

Des secrets inavouables, des sentiments réprimés, des cœurs écorchés, et l'avenir qui semble bien sombre... Tous les acteurs de cette histoire n'auront pas une fin heureuse. Qui mourra ? Qui vivra et à quel prix ? Un avis ?


Prochainement, dans Five Years :

Rosen et Ackerman.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top