#2 Les tranchées en pâture
x Chapitre 2 x
「Cinq ans plus tard.」
Lorsque vous descendez d'un illustre héros, l'excellence ne suffit pas.
Les gens attendent de vous la perfection.
C'est une ligne de conduite dont on ne doit se soustraire ou bien assumer les conséquences...
« Dans l'attente d'un cœur laissé ouvert,
Par brises aigres, la neige blanchit la terre.
Le ciel encre est sans lueur aucune,
On croirait voir s'éteindre la lune.
Plus de belle campagne, de feuillage vert,
L'enfant des anges, hirondelle d'hiver
Chante au feu d'âtre où naguère a dansé,
Aux beaux jours de l'année, un songe d'été. »
— Hey, le castrat ! Mets-la en sourdine avant de fumer un volatile ! Quoique... Je mangerai même l'un de ces charognards.
À la façon d'un ricochet, le caillou rebondit sur un sac de sable pour buter plus loin contre les fils barbelés. Un nuage de plumes s'élève, puis replonge en piqué sur leur festin. De leurs becs crochus, ils dépècent la carcasse de Franz ou Eugen. Le second a éparpillé ses morceaux dans la boue, sa jambe fait le guet. Il faut croire que briser son miroir lui aura vraiment porté chance.
— Ils n'ont toujours pas fini de creuser à l'Ouest ? Ces ordures d'Eldiens, ça fait 8 heures ! Y'a personne pour leur niaquer le foiron ?
Un camarade pose sa main sur son épaule pour calmer le jeu.
— Patience, Josef. Les pluies diluviennes ont fragilisé le sol.
Son bras balaye l'idée de l'air. Qu'en a-t-il à faire des excuses ? Depuis son retour de permission juste avant le démarrage de la saison de chasse, son entrain a pris un sérieux coup. S'ajoute à cela l'incapacité de rejoindre la ligne de front pour fumer les dernières résistances. Nous stagnons depuis quinze jours. Il y a de quoi intenter un procès, carton rouge pour un spectateur mécontent.
Le lieutenant remonte sa ceinture sur son ventre rond. Après un raclement de gorge sonore, ses yeux de porcelets brillent d'une lueur maline.
— Mauvaise nuit, mon capitaine ? C'est sûr que la guerre, c'est pas pour les minettes.
Quand je me lève, la crosse de mon fusil griffe les planches pourries et les murmures cessent. D'un regard perçant, je sonde l'homme qui scelle aussitôt ses lèvres.
— Vous prenez le commandement, Josef.
Il déglutit lorsque mes pas m'arrêtent juste à côté de lui. Ne lui accordant plus aucune attention, mes yeux s'affaissent sur la boule recroquevillée entre deux caisses de munitions.
— Toi. Suis-moi.
Le soldat trébuche en se remettant à la hâte debout. Il a à peine le temps d'opiner que je tourne les talons. Au pas de course, nous bifurquons vers l'Ouest et au prochain carrefour, nous nous frayons un passage au travers de la masse difforme qui croupit dans la fange.
— Quel est ton nom ?
— Carl Schnabel, Votre Grâce.
— Arrête de m'appeler ainsi. Fonction ?
— Oui, mon capitaine. Agent de liaison, mon capitaine.
Je soupire.
— Pourquoi ne chantes-tu plus ?
Face à son silence, je tourne la tête tout en accélérant l'allure. Du blanc de l'œil, je cueille sa surprise.
— Pour ne pas vous casser les oreilles par mon piètre talent, mon capitaine...
Un rictus furtif étire les coins de mes lèvres.
— Moi je l'aime, ta chanson. S'il te plaît.
La voix un peu chevrotante, les premières notes timides d'un nouveau couplet masquent nos pas. Les secondes égouttées, les ballades s'enchaînent avec plus d'assurance. À l'once de joie qui les accompagne, ma poitrine étroite se dilate à la mesure qu'elle les accueille en son sein.
— Puis-je vous poser une question, mon capitaine ?
— Autorisation accordée.
— Pourquoi les laissez-vous dire ?
— C'est un problème ?
— Ils vous doivent le respect !
Son embrasement ne me fait ni chaud ni froid.
— Je n'ai rien fait pour le mériter.
Les averses répétées ont causé divers effondrements par défaut de renforcement. À délayer certains en journée, ils révèlent parfois un corps enseveli. En équilibre au sommet d'une montagne de bois et de sable mélangé à la terre meuble, je tends ma main à Carl qui n'hésite plus et l'empoigne. De l'autre côté, nous entamons les derniers kilomètres selon mes estimations. Cependant, elles sont vite dérangées par le regard insistant que je sens peser sur mon dos.
— Quoi ?
— J'ai une autre question, mon capitaine... Pourquoi avoir parié sur les Eldiens alors que vous êtes...
— Mahr ?
Il hoche ostensiblement la tête.
— Est-ce... à cause de votre long séjour parmi ces infâmes monstres du Paradis ?
— En partie, accordé-je, mais également par intérêts personnels.
— Nous ne vous répugnons pas... ? Malgré notre sang démoniaque ?
— Les péchés de vos ancêtres ne sont pas les vôtres.
Notre arrivée est remarquée. Je pousse le premier qui me barre la route. Carl me talonne. Lorsque mon visage est reconnu, les autres s'écartent en symbiose.
L'hygiène n'est aussi déplorable nulle part ailleurs. Des barbes semées de parasites, des rats qui pullulent... Et l'odeur d'urine ambiante. Ce que j'entrevois chez les blessés fronce mes sourcils. Les plaies infectées suintent de leurs bandages souillés. S'ils ne sont pas soignés correctement et vite, ce ne sera pas sous une pluie de balles ou d'obus qu'ils mourront, mais par la fièvre d'une septicémie.
— Quel est le souci ?! sommé-je la réponse.
— Vous avez quitté votre poste, capitaine Rosen.
L'homme d'âge moyen et au front barré de rides s'arrête à ma hauteur. D'apparence athlétique, ses cheveux noirs et rasés sur les côtés imposent la discipline. Quant à ses yeux clairs, leur froideur inspire le plus grand calme.
— Vous avez parfaitement raison, capitaine Magath. Je suis là où je dois être quand je juge nécessaire de rectifier le tir. C'est bien pour rappeler la puissance de l'empire que nous sommes ici, non ? Ou devons-nous encore retarder d'un an notre imminente victoire par votre incompétence ? Expliquez-moi.
Sa fine moustache se hérisse. Je peux déceler un éclat de colère au fond de son regard. Bien. Il nous invite à le suivre jusqu'à l'entrée d'un petit vestibule d'une ancienne mine. À l'intérieur, il étale sur la table une carte de la topographie des environs, depuis revisitée par l'artillerie lourde. Il pointe ensuite du doigt l'unique irrégularité qui a échappé à ses feux.
— Pour atteindre le port, il nous faut neutraliser la forteresse de Slava, je ne vous apprends rien. Seulement, des mitrailleuses sont embusquées dans des postes établis tous les vingt mètres. Une dizaine d'après nos éclaireurs, et il y a fort à parier qu'ils sont concentriques sur chaque flan.
Il trace la trajectoire où figurent les croix de leurs emplacements que j'avise.
— À la moindre tentative de manœuvre, le tir de barrage nous canarde. La moitié de mon régiment a été décimé.
— Et dehors moisit l'autre partie ?
Il ne relève pas ma pique. Malgré les moyens qui lui ont été fournis, son échec cuisant sonne le glas de ses ambitions. Cependant, il a la décence et la sagesse de le reconnaître. Il n'enverra pas sans scrupule et à une mort certaine le reste de ses hommes, Eldiens ou non. Une exception parmi ceux qu'il représente.
Mon doigt tapote le poste le plus proche de notre position actuelle, tandis que j'exprime haut mes pensées.
— Les canons anti-Titans sont encore fonctionnels, donc l'unité aérienne ne peut pas intervenir. La situation est... désastreuse. Il y a une limite à la banqueroute, vous savez ? Mais il faut croire que vous venez de prouver le contraire.
Il serre le poing, mais se contient.
— Je prends en charge la suite des opérations. Allez panser les blessures de vos soldats. Tenter un nouvel assaut finirait de les enterrer, inutile d'essuyer d'autres pertes. Pour ce qui est de notre problème, je m'en occupe. Schnabel, courez transmettre ce message au maréchal : « Préparation au largage dans 30 minutes ».
Ma décision sans appel, mon agent de liaison se hâte à l'extérieur. En sortant, je tombe nez à nez avec les Aspirants Guerriers. Leurs brassards jaunes bien ajustés, ils ont une meilleure allure que leurs semblables. La plus vive s'exclame l'air réjoui.
— Demoiselle Rosen !
J'ébouriffe la crinière brune de Gaby.
— Où est ton casque ?
Elle ouvre grand la bouche, mais une voix criarde la devance.
— Gaby ! Ton casque !
Le garçon titube sur les derniers mètres. Il perd l'haleine.
— Pff... Tu es déjà essoufflé à piquer un simple sprint, Falco ? Et tu oses prétendre au Titan cuirassé ?
Froissé par la moquerie de sa camarade, il s'envenime à lui faire la leçon jusqu'à noter ma présence.
— Mademoi-Capitaine Rosen ? Que faites-vous ici ?
Des enfants. J'époussette sa tenue mal coupée avant de saisir mon fusil et de vérifier le nombre de cartouches dans ma sacoche. Je glisse également un poignard dans un étui que je fixe à mon mollet. Mon geste suffit à la compréhension générale.
— Capitaine ! Vous ne pouvez pas ! Vous êtes notre-
— Seulement l'un d'entre vous, l'interromps-je. Un bon petit soldat qui va au travail sans rouspéter ou a maxima pendant que ses charretiers ont le dos tourné.
Kord, le plus âgé, n'ajoute rien. Sophia et Udo se taisent aussi, mais se pincent les lèvres. Gaby se les mord à pleines dents. Son regard déterminé refuse que je parte pour une mission en solo. Falco la retient difficilement par la taille. Il reçoit même plusieurs coups de coude qui manquent de l'assommer.
— Garde à vous !
À l'intervention du capitaine Magath, ils se tassent tous. Les ordres ne se discutent pas. Leurs vies ne sont pas les seules mises en jeu en cas d'insubordination. Les Eldiens ne connaissent pas l'égoïsme.
— Ne tirez pas cette tête, prié-je. Si cela se passe comme prévu, nous serons chez nous pour les fêtes.
— Vous êtes prête ?
Accroupie, je resserre les nœuds des lacets de mes godillots.
— Je n'appartiens plus à la bleusaille depuis longtemps, Sir Theo Magath.
Il soupire bruyamment.
— Vous possédez un don admirable pour mettre la hiérarchie en pagaille, Waltraud Rosen.
Debout, j'avise le mur et l'échelle.
— Je m'en excuse. Si nous gagnons, vous aurez au moins la consolation d'avoir pris la bonne décision.
Il ne conteste rien à cela.
— Ne me la faites pas regretter. Revenez entière.
— Comme toujours.
Avec un sourire narquois, j'inspire avant de m'élancer hors de la tranchée sur le chemin qui mène à ma tombe. Dans les suaires de brume qui suintent au ras du sol de ce cimetière défoncé, des râles appellent leurs mères, leurs femmes, leurs enfants, implorent qu'on les achève. Ce sont les condamnés, les mutilés qui rejoindront bientôt les cadavres noirâtres et verdâtres en décomposition. Je soulage ceux qui gisent sur mon aller simple pour l'enfer.
L'odeur de charnier me prend à la gorge et me soulève le cœur. Je devrais pourtant être habituée à un tel spectacle. Sur la distance que je parcours, il ne reste pas un brin d'herbe, mais une terre grise de poudre. Celle-ci retournée sans cesse par les tirs d'obus en enfilade, la roche émiettée et les troncs déchiquetés composent un tapis percé de cratères. Au fond se confondent des débris d'artillerie, de maçonnerie, des nouveaux corps aux membres arrachés ou crânes éclatés. Dans un trou, je trouve même la carcasse d'un cheval autour duquel bourdonne un essaim de mouches. Non loin, une flaque d'eau stagne, vaseuse et sale. Malgré la soif, je n'y touche pas.
Maribelle sera dévastée par ta mort, Franz. As-tu pensé à votre bébé ? Il ne connaîtra jamais son père, mais je lui dirai quel grand dadais tu étais, je te l'ai promis. Et toi, Eugen, quand arrêteras-tu d'inquiéter ta mère ? Elle te pleurera beaucoup, oubliera de prendre soin d'elle. Désolée, j'ai perdu ton journal. Pardon.
La peur lèche mon dos, parcourt une à une mes vertèbres. Assez de misère pour remplir une vie, elle me susurre. Je ne lui cède rien, alors elle s'attaque à mes boyaux. Ma bile éclabousse mon pantalon, mais je continue. Elle ne me dominera pas. Dangereusement proche du poste, je me fais canarder par une salve de tirs. Ils ont cependant détecté ma présence trop tard. Ma lame ficelle la gorge du premier soldat ennemi. J'éventre le second de ma baïonnette et tire sur le troisième qui s'enfuit. La cuisse perforée, il boite en implorant et chute. Je le poignarde dans le dos.
Après avoir explosé la mitrailleuse à l'aide d'une grenade, je me dirige en direction du poste suivant. Alarmés par les tirs voisins, ses artilleurs ouvrent le feu à l'aveugle. À terre, je rampe comme un insecte. Je ne m'en remets à aucun dieu. Lorsque je juge la distance suffisante, je me jette sur ceux qui seront bientôt mes deux prochaines victimes. Cinq. Huit. Douze. Au bout d'un moment, mon cerveau arrête de compter.
À court de munitions, j'ai abandonné mon fusil. Légère, la danse macabre poursuit sa route durant un temps qui semble suspendu. La herse de la forteresse s'élève dans un torrent de chaînes et le train blindé, équipé sur ses deux wagons avant et arrière de quatre canons anti-Titans, finit par apparaître. Alors je distingue au loin une silhouette familière.
— Gaby ?
Tout s'accélère dans la seconde qui suit. Une grosse détonation me percent les tympans, et je vois le train basculer de sa trajectoire. Cette tête de mule. Puis le Mâchoire et la Charrette entrent en scène pour soutenir la fin des opérations. Tandis que l'un arrache les rails, tout en assurant les arrières de l'Aspirante Guerrier qui se carapate, celui muni d'une tourelle détruit les derniers postes.
Exténuée, je m'écroule au sol puis m'allonge sur le dos pour observer le ciel. Le revers de ma main posé sur mon front, le soleil perce la brume. Mes yeux se ferment au passage du dirigeable. S'ensuivent le tonnerre, le sifflement des canons, les explosions, la sirène de notre victoire et enfin, le silence.
— Enfin...
Un rire convulsif secoue ma poitrine.
🕊 N.D.A.
Comme c'est le premier jet, l'éventuelle réécriture permettra d'apporter plus de détails et de rectifier les erreurs ou incohérences. Si chaque lancer était parfait, ce serait le comble du bonheur, mais pas dans ce monde. Il y a toujours un moyen de peaufiner. 😢
Pour le moment, je me concentre sur le portrait de Wal. Livaï sera pour ainsi dire absent pendant plusieurs chapitres, il va donc falloir vous armer d'un peu de patience. 😖
Sinon, le début de la partie deux de The Final Season est sortie !
https://youtu.be/2S4qGKmzBJE
J'aime beaucoup l'OP, par contre il spoile comme pas permis. 😂
Prochainement, dans Five Years :
Camp et honneurs.
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