#11 La rage au ventre
x Chapitre 11 x
「Cinq ans plus tôt.」
À peine le verrou de mes appartements tourné, un poing tambourine ma porte. Je l'ignore sciemment jusqu'à ce qu'un traître élève la voix.
— Ne repousse pas ton entourage quand tu en as besoin, Livaï !
Quatre-Yeux, Boucles-Brunes, Gros-Sourcils... Ils ont tous décidé de venir me faire chier. Lorsque je consens à ouvrir, seule la folle arrive contre toute attente à forcer le passage. Je ravale ma colère en me cousant la bouche. Je m'assois à mon bureau où j'ai épluché encore et encore le dossier comportant le nom du clan auquel j'appartiens, les Ackerman, des sous-produits de la science titanesque. Incommodé, je me relève après quelques secondes, incapable de chasser les mots que j'ai lus.
« Il n'y a sensiblement pas à ce jour d'autre lien aussi indéfectible que celui dont je m'évertuerai à prouver l'existence. »
Hansi m'approche prudemment. Je ne suis après tout pas si éloigné d'un fauve en cage en cet instant.
— N'y accorde pas trop de crédit, Livaï.
— À quoi ? Au fait que tout ce que j'ai ressenti pour cette fille était factice ? Que mes sentiments sont le résultat d'une expérience eldienne ?
« La décision de répondre aux désirs d'autrui n'a rien à voir avec cet aspect atavique. Ceci est un caractère inné, un instinct qui les pousse à agir dans l'intérêt de cet individu unique que nous appellerons lige. »
— Les recherches à ce sujet non pas abouties, tu l'as lu comme moi !
Mon poing percute le bureau qui se fend en deux. Haletant, je recule. Je pense à elle, je ne peux pas m'empêcher de penser à elle.
« Dans un certain sens, leur éveil à cette force prodigieuse qu'ils démontrent est la première manifestation du contrat de servitude qui les lie. »
— J'aurais préféré ne pas venir. Erwin avait une nouvelle fois raison. Savoir n'est pas toujours une bénédiction.
Puisque la bigleuse ne semble pas décidée à déguerpir de mon plancher, je suis le premier à claquer la porte. Je veux être seul. Je veux juste être seul sans être hanté par elle.
「Aujourd'hui.」
Carl ramasse le combiné et raccroche. La main suspendue en l'air, ma respiration en apnée reprend, sifflante. Elle comprime mes poumons en écrasant ma poitrine, la peur, je suis terrifiée.
J'inspire profondément par la bouche, l'esprit dans la vase.
— Je dois me rendre quelque part... Cependant, avant de décider si tu m'accompagnes... j'aurai besoin de savoir une chose.
— Oui, mon capitaine ?
— Qui sers-tu ?
Sans hésiter, il exécute le salut avec ardeur.
— La grandeur de l'empire Mahr, mon capitaine !
Je le scrute avec un rictus sardonique.
— Je te le demande encore, Carl. Qui sers-tu ?
Il écarquille les yeux d'incompréhension. Devant ma lassitude, un éclair de lucidité semble les traverser. Il rompt sa position.
— Ce... Ce n'était pas la première fois que je vous parlais, vous savez, bafouille-t-il avant de gagner en assurance, sur le champ de bataille. Vous ne vous en souvenez sans doute pas, mais nous nous sommes croisés au marché du camp Revelio il y a quelques années...
Effectivement, je garde une mémoire défaillante de cette période. L'hypothèse d'un stratagème non écartée, ce sont ses mots suivants qui me convainquent de ses bonnes intentions.
— J'étais heureux. J'en avais les larmes aux yeux. Je vous avais reconnue à l'étalage de fruits où vous discutiez avec la vendeuse d'un ton égal. Mahr et Eldien ! Je n'osais pas y croire... Alors, pour m'assurer que mon esprit ne me jouait pas un tour, je vous avais abordé. Après avoir échangé des banalités, nous nous étions cordialement serré la main avant de nous quitter. Ce fut une fois rentré chez moi que j'avais pleuré de tout mon soul. Je m'étais dit : « Ah ! Ce futur est donc possible. »
Son récit achevé, il recule d'un pas et enfin, il s'agenouille.
— Si par ma vie, je peux contribuer à la réalisation de ce rêve, alors prenez-la, Votre Grâce.
Ma main pousse la porte dont le verrou a été forcé. Elle grince en s'ouvrant sur un silence glacial. Je retrouve Gerhardt dans la cuisine avec Edda. Cette dernière sursaute à notre arrivée avant de reconnaître mon visage. Elle me reconsidère en uniforme.
— Violette, vous... êtes Mahr ?
J'acquiesce.
— Je le savais... Mais j'espérai que cela soit faux. Pourquoi... pourquoi vous acharnez-vous sur notre famille ? Nous avons toujours été fidèles à l'empire... Mes deux enfants... Vous avez même pris le petit... Et Sieg qui est sincère avec vous... L'avez-vous seulement aimé ? Impossible, n'est-ce pas... ? Nous sommes les engeances du démon... Rien ne pourra pardonner les actes de barbarie commis par nos ancêtres. Nous méritons notre sort.
— Vous êtes aussi humains.
Elle relève ses yeux humides.
— Nous sommes tous humains.
Edda s'écroule devant moi. Le dos avachi sous le poids des années de souffrance sourde, elle craque. Elle a dû supporter depuis sa naissance le rejet, la violence des mots et les regards haineux. Même lorsque son mari a été interné suite à la déportation de leur aîné et de leur belle-fille, elle s'est retenue. Mais à trop intérioriser, l'eau finit un jour par déborder du vase si ce dernier ne se fêle pas avant.
Dans la chambre d'enfant, je crie à m'arracher les cheveux. Je hurle à pleins poumons. Dans un élan de colère, mon bras balaye le bureau dans un grand bruit de fracas. La lampe se brise sur le sol suivi des livres. Je saisis la peluche pour la jeter à son tour, mais j'en suis incapable. Il l'adore. Mes yeux brûlent, je sanglote sans larmes en la serrant contre moi.
J'ai fait l'erreur d'ignorer sa mise en garde et elle risque de me coûter cher, bien plus que je peux consentir à céder. J'enfonce mes dents dans mon doigt pour contenir un nouveau cri. En représailles, il m'a enlevé l'unique chose qui compte réellement pour moi. Mais perdre le contrôle et laisser la bête se déchaîner, c'est aussi la perdre définitivement. Les bains de sang alimentent la haine et désignent des cibles à abattre. Comment l'a-t-il appris ? Sieg ? Non, impossible que ce soit lui. La fuite vient d'ailleurs. Peut-être même le sait-il depuis des années, et qu'il a gardé précieusement cette carte au chaud durant tout ce temps. À cette période, la personne qui est entrée à mon service...
Gerhardt m'aide à me relever. Je ne me suis pas sentie glisser à terre.
— Edda ?
— Le soldat Schnabel est resté à son chevet.
— Bien. Sieg est-il au courant ?
— Non, Votre Grâce.
— Ne l'en informez pas avant que j'aie réglé cette affaire.
Il opine.
— Si je puis me permettre, qu'est-ce qui a motivé le mouvement de Sa Majesté ?
Je toise mon ami avec un sombre regard.
— J'ai refusé une promotion. « Madame la Maréchale » ? Il ne cherchait qu'à me museler en agitant un os généreux. Cela manquait d'originalité. Il se croyait fin en pensant flatter mon égo. Il a oublié que nous ne sommes pas de la même souche...
— Une distinction fondée sur ses objectifs. Néanmoins, vous vous attendiez à une réaction de ce genre, non ?
Je pouffe d'amertume.
— La majorité veut me voir assumer le rôle du héros. Il y a un an, les derniers mots de Willy Teyber les ont galvanisés dans ce sens. « Nous avons besoin d'un guide, d'un symbole de puissance et de protection ».
— Il vous a incombé d'un noble fardeau... Malgré sa connaissance de la tragédie qui allait survenir la nuit même.
— D'un lourd fardeau, le corrigé-je. Et maintenant, l'évitement n'est plus une solution.
— Il semble que votre visite soit requise.
Un sourire carnassier orne mon visage.
— Oui, en effet... Je vais récompenser ses efforts.
À l'angle de la rue, je lorgne le palais impérial. D'où nous avons éteint le moteur, les gardes ne peuvent pas nous voir. Gerhardt m'ouvre la portière. Je vérifie ma sacoche à munitions, ainsi que la présence de mon arme fétiche. Mon pistolet chargé dans son étui, s'en servir serait un échec. La détonation sonnerait l'échec de mon infiltration.
— Merci, mon ami. Si tu n'avais pas été là, qui sait comment les choses auraient tourné ?
— Au vinaigre, je suppose.
Je lui rends son sourire avant de m'avancer doucement pour l'étreindre. Respectueux de sa position, il n'amorce aucun geste en retour. Pas même quand son souffle se coupe, tandis que ma lame s'enfonce sous ses côtes.
— J'ai évité le cœur, murmuré-je à son oreille. La prochaine fois que tu songeras à me trahir, n'y mêle pas mon fils.
Je retire ma lame et il chute d'un genou à terre. Essuyée et rengainée, j'ouvre le coffre de la voiture et jette la trousse de secours à ses pieds avant de partir.
Des murs hauts de quatre mètres surplombés de barbelés, les croire infranchissables est leur première erreur. Sur le toit d'une maison bourgeoise adjacente, je prends mon élan. La deuxième est de poster des gardes seulement au niveau des voies d'accès. Au bout de ma course, je saute en repliant mes jambes au maximum. Je passe par-dessus les fils de fer pour un atterrissage maîtrisé de l'autre côté. Je n'ai pas oublié mes leçons de manœuvre tridimensionnelle durement acquises. Je grimpe à l'étage et pénètre par une fenêtre en brisant le carreau.
À l'intérieur du palais, je ne m'attarde pas ici, le compte à rebours est lancé. Le bruit a pu attirer l'attention de gêneurs et alerté le vieux renard. Aussi, j'avance rapidement, mais avec le mutisme d'un mort. Les oreilles grandes ouvertes, je cloue ma respiration au moindre stimulus. Arrivée à la salle du trône, mon corps reste tout bonnement planté. Il est là.
— Je t'attendais. Tu as fait vite, je suis impressionné. Si j'avais su, j'aurais pris mes dispositions plus tôt.
J'aperçois avec effroi mon fils assis sur ses genoux, puis soupire de soulagement en constatant qu'il n'est pas blessé.
— Allons, ne reste pas cachée, laisse-moi te voir.
Je sors de l'ombre du pilier pour lui faire face. Devant l'empereur, le chargement de fusils m'intime de ne pas avancer plus. Sur les balcons, il a vraiment le sens de la fête pour préparer un tel comité d'accueil pour toi. Quelque chose ne va pas avec Mose. Il semble... dans les vapes.
— Pas de cet air-là avec moi, ma petite graine. J'ai seulement administré un calmant à ton rejeton. Pour l'instant. C'est que le lionceau a vite sorti les griffes.
— « Pour l'instant » ?
— Tu aimes te faire désirer. Tu m'as poussé bout... Ne m'en veux pas.
— Vous adorez rappeler que vous être le maître du jeu, pas vrai ? Alors même que le public a déjà oublié votre nom.
Si tu avais été plus avisée à ce moment-là, tu aurais évité de le provoquer. Si tu avais su les conséquences, tu te serais plié à ses conditions.
https://youtu.be/-kaRR9Or74g
Ses traits tordus par un sourire, Albrecht Rosen fait descendre mon fils de ses genoux. Dans un état second, ce dernier reste debout devant lui. Tandis que toute mon attention est braquée sur lui, je ne vois pas le renard chasser l'air de la seringue. Je réalise seulement ma terrible erreur quand il plaque sa main sur son crâne pour le maintenir et de l'autre plante l'aiguille dans son cou.
Les secondes qui ont suivi... Je ne suis pas sûre de me rappeler exactement ce qu'il s'est passé. Juste qu'au travers des cris confondus, j'ai réussi à arracher mon fils de ses griffes. Trop tard.
Assise avec Mose inconscient dans mes bras, je relève régulièrement ses constantes. Mon corps tremble de tous ses membres envahis par un froid polaire. Pourtant, mes yeux sont en feu. Ma poitrine écrasée hurle. Incapable de m'en éloigner, suspendue par son souffle, accrochée à son pouls, je préférerais échanger nos places. Je voudrais mourir, s'il...
— Prendras-tu le risque de rester ? Un cri du Bestial et c'est fini. Jusqu'où ira ton affection pour ton bâtard ? Abandonne et retrouve tes esprits. Avec nos avancées médicales actuelles, tu pourras avoir d'autres enfants.
— Vous pouviez... vous en prendre directement à moi. Pourquoi... que ce soit aujourd'hui ou il y a cinq ans, vous mêlez ceux que j'aime ?
— Voyons, la réponse est pourtant simple. Parce que tu es ma petite graine.
Tous crocs dehors, je me jette sur lui en brandissant mon couteau. Mais avant que j'aie pu l'atteindre, une vive douleur me traverse le mollet. Poussant un cri strident, je retombe près de Mose.
— Allons, tu as encore oublié. Plus robuste ne signifie pas plus fort ni plus rapide. Utilise ta tête.
— Que vous a fait le clan Ackerman pour que vous cherchiez à les exterminer à tout prix ? Vous êtes prêt à vous en prendre à votre propre famille !
— Les Ackerman sont des monstruosités à éradiquer.
— « Monstruosités » ? Vous ne vous êtes pourtant pas gêné à suivre les pas de votre père, l'illustre Helos, et à expérimenter leur sang à votre tour sur votre propre enfant ! Vous devriez être content d'accueillir de pures souches dans la famille !
Vraiment quelle situation délirante ! Je ris jaune, un éclair de lucidité.
— Mes parents avaient découvert que vous continuiez sur ma mère. C'est pour cela qu'ils ont quitté la capitale. Mon frère est né avec des yeux vairons, nul doute la preuve de votre échec. Et vous ne vous en êtes pas arrêté là... Même après avoir retrouvé votre petite-fille, vous avez poursuivi vos recherches sur elle à son insu.
Cinq années de calvaire. Pouvons-nous nous considérer encore comme humains à ce stade ? Nous sommes une famille de monstres.
— J'en suis profondément navré, j'ignorai que tu étais enceinte. Si je l'avais su, je t'aurais fait retirer cette chose de ton ventre avant.
— CETTE CHOSE EST MON FILS !
Une balle dans la poitrine ne lui a pas suffit ni lui limer la gorge d'après Kenny. Aucun poison ni le temps ne veulent en venir à bout. Un increvable. Que faut-il faire pour qu'il disparaisse enfin de nos vies ?! Arracher sa tête de son corps ? Cette dernière idée me ravit, accentue mon rire. À coup de hache, j'y consens, je la ferai sauter de ses épaules ! Je le tuerai, je le jure !!!
— M'man... ?
Je me tourne aussitôt vers mon cœur et me précipite sur lui pour le serrer dans mes bras.
— Ça va aller, Mose... Je suis là.
— Où étais-tu... ?
Il a tenu bon jusqu'ici, mais les larmes inondent maintenant son visage. Je suis fière, si fière de lui.
— En retard, je sais... !
J'embrasse son front, ses cheveux d'ébène. La bête gronde en moi, réclame un paiement par le sang. Mais je ne veux plus agir déraisonnablement tant que mon fils sera sous les feux. Enveloppé par mes bras protecteurs, je n'ai qu'une pensée : le mettre à l'abri. Loin, très loin, là où le Mal ne pourra plus le toucher.
Les canons de leurs fusils pointés sur nous, je dois cependant m'arrêter.
— Où crois-tu aller ? Tu veux retourner vers lui après ce que tu as fait ?
— Vous êtes le premier à avoir brisé le marché. Pensiez-vous que je n'apprendrai pas pour Shiganshina ?
— C'était nécessaire.
— Comme toutes les vies que j'ai volé à cette époque pour vous ? Vous m'avez obligé à me rouler dans la boue, à assassiner une famille entière, ainsi que l'oncle de l'homme que j'aime. Vous... m'avez tout pris. Vous m'avez utilisé tel un fruit que l'on presse jusqu'à la dernière goutte. Je... n'ai plus rien... à vous donner.
Il aurait pu en être autrement, mais il a préféré m'ajouter à l'échiquier. Il a sacrifié la relation que nous aurions pu avoir, celle d'un grand-père réuni avec sa petite-fille orpheline. Son obsession et son attachement au passé ont tout gâché. Il n'y a rien à sauver, alors restons deux étrangers.
Un signe et les canons s'abaissent. Je quitte le palais avec mon fils pour un autre enfer. Dans ce monde, il n'existe aucun vainqueur. Le Créateur nous a tous abandonnés.
🕊 N.D.A.
Pour ceux qui se demandaient pourquoi nous n'avions pas encore vu Kenny, vous avez maintenant la réponse. Les détails seront bien entendu racontés plus tard, comme pour les autres petites (ou grosses) révélations. 😉
Vous le savez, j'aime poster des chansons ou musiques d'ambiance qui font sens avec la situation dépeinte. La version écourtée de celle postée pour la dernière partie de ce chapitre ne déroge pas à la règle. Pour les paroles, en voici la traduction :
If I only could
Si seulement je pouvais
I'd make a deal with God
Je passerais un accord avec Dieu
And I'd get him to swap our places
Et je le persuaderais d'échanger nos places
Be running up that road
Je monterais cette route en courant
Be running up that hill
Je monterais cette colline en courant
With no problems
Sans problèmes
Si la chanson complète d'origine illustre un couple qui traverse une crise aiguë, elle évoque ici celle d'une famille brisée dont les membres restants sont incapables de se comprendre.
Prochainement, dans Five Years :
Amour et sacrifice.
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