#10 Les démons aux visages d'anges
x Chapitre 10 x
「Waltraud」
Lara laissée entre de bonnes mains, ma voix s'élève claire et distincte à peine pénétrée dans la pièce.
— Quel est l'état de la situation, capitaine Magath ?
— Ce n'est pas trop tôt, Rosen. Nous vous pensions morte...
Accroupi à l'ombre de la fenêtre, son regard se détache de ses jumelles. Il me jonche de la tête aux pieds, surtout mes vêtements brûlés en réalité. Je n'ai pas pris non plus le temps de me laver le visage. Pourquoi le gaspiller à garder les apparences quand tout autour de vous s'effondre ? Entre le sang et la suie, je dois avoir une sale mine.
— Et enterrée, termine-t-il.
— Pas cette nuit, vous devrez vous en satisfaire.
Malgré son attitude froide, il a du mal à cacher son soulagement. Certes, si elles sont efficaces, je conviens que mes initiatives peuvent parfois être trop téméraires. À force de côtoyer le champ de bataille, il devient impossible de feindre l'indifférence sur le sort d'un camarade. Il n'y a pas de place à l'animosité quand vous partagez le même objectif.
Il me tend une seconde paire. Je la saisis aussitôt pour m'enquérir moi-même de l'avancée de l'opération. Les fumées des multiples explosions m'empêchent de l'établir avec certitude. Cependant, le constat tombe comme le ciel sur la tête. Leur arsenal a évolué. Ces longs tuyaux de métal qu'ils lancent tels des javelots rugissent simultanément, dévastateurs. J'ai été trop optimiste. À ce stade, entamer un pourparler ? Ils visent les officiers sans distinguer les civils qui tentent d'évacuer dans le tumulte. Je n'y aurai pas cru sans le voir. Pourquoi recourir à de telles extrémités ? Ceux que j'ai connus ne l'auraient pas permis.
Un but commun, en occurrence, comment faire cesser cette pièce macabre ? Il n'est plus question de nations, de conflits ancestraux. Chaque minute écoulée est une vie qui s'éteint, qui endeuille une famille éplorée et pour quelle juste raison ? Réponds-moi, Eren. Je ne comprends pas.
— Inutile de vous dire que nous frôlons la catastrophe. La communication avec le quartier général a été coupée. Nous avons également perdu le contact avec les unités deux et trois. Le Charrette et le Mâchoire sont introuvables. Et malgré notre supériorité numérique, notre équipement n'est pas adapté à un combat aérien.
La gorge sèche, je déglutis difficilement.
— Les Titans charrette et mâchoire sont introuvables ? répété-je. N'êtes-vous pas le responsable de l'unité des Guerriers ? Ou allez-vous me répondre que vous n'avez rien fait, parce qu'ils ont soudain disparu par magie ?
Puisque le dialogue est impossible, les Guerriers sont notre meilleure force de frappe pour mettre à terme à ce massacre absurde, or ils restent « introuvables ». Je grince des dents. L'horizon est baigné par une mer de flammes qui inonde le port. Le rougeoiement onduleux livre une bataille acharnée avec la nuit noire avant d'être dévoré par elle. Au centre, la silhouette du Colossal poursuit sa marche funeste, tandis que l'espoir estompe peu à peu ses derniers éclats.
Soudain, une braise au visage familier le ravive. Carl surgit haletant et porteur de la précieuse nouvelle.
— Le Charrette et le Marteau ont été retrouvés ! Ils se dirigent vers la grande place pour arrêter l'Assaillant !
— Bien, me devance Magath. Que les unités quatre, cinq, six et sept se préparent à la riposte ! Eren Jäger est également le détenteur de l'Originel et donc un danger pour l'humanité. Il est notre cible absolue !
— Capitaine !
Un second messager a succédé.
— L'état-major a été décimé ! Le maréchal...
Derrière lui, Kord et Sieg apparaissent.
— Où sont les autres Aspirants Guerriers ?
Kord baisse les yeux avant d'opiner négativement.
— Sophia et Udo... sont morts. Gaby est sous le choc et Falco l'a poursuivi. Je... les ai perdus, j'assume l'entière responsabilité.
Mon sang se glace. Perdus ? Avant de le réaliser, sa tête part en arrière sous la force de mon poing. Il chute lourdement au sol. Ses doigts tremblent en effleurant sa joue meurtrie et il m'adresse ensuite un regard pantois. Personne à part Sieg ne m'a jamais vu, même une courte seconde, perdre le contrôle. Quel chienlit.
— Bravo... Tant d'années d'investies pour dégoter un incapable. Vraiment, quel gâchis.
Rien ne justifie la violence, même quand tolérée par plus d'un siècle de discrimination. Pourtant, j'éprouve une grande satisfaction à y recourir en cet instant. Ton cher Bataillon a troqué ses valeurs, accepte-le, Wal. En cinq ans, ils ont aussi changé.
Kord ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais se referme. Les excuses ne ramèneront pas ces enfants dont son frère, il le sait. De plus, cette correction publique dissuadera certains de lui créer de futurs problèmes de suite à son erreur. Il n'est pas stupide, il a après tout été choisi pour être le successeur du Bestial. Sieg m'adresse un petit hochement de tête.
— Ce n'est pas tout, continue le barbu. Reiner a été aperçu en fâcheuse posture sur la place. Il semble conscient, mais ne répond à aucun stimulus.
Témoin, Carl atteste aussitôt de l'exactitude de ses propos. La suite des opérations se dessine d'elle-même. Fusil en main, je m'apprête à repartir, mais un bras m'arrête.
— Vous y allez ?
— Pourquoi cette question ?
— Vous avez vécu à leurs côtés près de vingt ans.
« Leurs côtés », voilà une bien piètre allusion.
— Et donc ? Doutez-vous de ma loyauté ?
— Je m'interroge seulement sur vos intentions.
— Rassurez-vous, Sir Theo Magath. Si je voulais trahir ma patrie, je n'aurais pas attendu cinq ans ni livré des batailles pour elle. J'ai été agente médicale. Et à moins que vous ayez une autre idée pour éviter de perdre le Cuirassé, je vous suggère de m'oublier et de prendre les rênes.
Je sens le poids de tous les yeux peser sur moi.
— Pourquoi me regardez-vous ? Je ne suis plus votre supérieure.
Je désigne mon confrère qui, sous le coup de la surprise, a affaissé son bras. Ce n'est pas le seul. Déconcertés, des soldats froncent des sourcils, tandis que d'autres désapprouvent en silence en se mordant la lèvre.
— Cette position vous revient de droit. Dans l'ordre de la chaîne de commandement, vous-
— Et bien je vous la confère, le coupé-je. Votre ancienneté prévaut sur ma notoriété. Et puis, terminé-je en chuchotant, de vous à moi, nous savons tous deux qu'un homme divisera moins. C'est la triste réalité de notre société. Bien qu'elle tend à évoluer, c'est de stabilité dont nous avons besoin en urgence.
Il soupire d'exaspération.
— Soit, faites comme il vous plaira ! Inutile de s'épuiser à tenter de changer l'avis d'un esprit borné. Attendez juste que j'en informe l'empereur.
Nullement offensée, j'opine. Durant l'appel, Sieg se rapproche de moi.
— Waltraud, nous devons parler.
— Pas maintenant, réponds-je sèchement. Je suis en colère.
Sa main frôle la mienne et je m'écarte comme si elle m'a brûlée. Magath m'appelle et, l'air sérieux, me tend le téléphone. Le visage renfermé, je porte le combiné à mon oreille.
— Que fais-tu ?
Je frissonne. La voix au bout du fil réveille mon plus bas instinct de survie et je maudis mon corps de trembler.
— Rien de plus de ce qui vous a été annoncé.
Une chose tape en rythme régulier, semblable à un métronome ou à l'aiguille d'une horloge qui tourne.
— Accepte ta nomination. C'est une chance à saisir.
Ce vieux renard... Est-il impliqué d'une quelconque façon dans la mort du maréchal ? Cela ressemble bien à ses méthodes, profiter du chaos pour tirer son épingle. Il n'a rien appris, ta vie est toujours un jeu pour lui.
— Entendons-nous bien, je ne veux aucun de vos cadeaux.
— Ce n'est pas une question. Tu comprends, ma petite graine ?
— Je ne veux rien avoir à faire avec vous, réitéré-je. Continuons à nous ignorer et restons tels que nous sommes, deux étrangers.
Le long silence est comblé par une respiration lente et profonde.
— Les choix ont des conséquences. Et les tiens apporteront la destruction.
— Vous avez raison... Je suis la mieux placée pour le savoir.
Sans politesse, je raccroche brusquement. J'inspire un grand bol d'air avant de me tourner vers Magath.
— Félicitations, Sa Majesté Impériale approuve votre nomination. Sur ce, j'aurai besoin de quelqu'un pour me guider jusqu'à notre prétendu malade.
J'élude la présence de Sieg pour porter mon attention sur l'heureux élu.
— Soldat Schnabel, nous y allons.
— Oui, mon capitaine !
« C'est une chance à saisir. » Carl prend ses affaires et nous sortons de la pièce au pas de course. Dehors, des explosions et volées de balles s'entendent, toutes proches. Nous rasons les pans des bâtiments sinistrés et essayons dès que possible de rester à couvert. En chemin pour la grande place, Carl me lance plusieurs regards insistants.
— Vous allez bien, mon capitaine ? Vous êtes pâle...
Je presse le pas. « Tu comprends, ma petite graine ? »
— ATTENTION !
Un coup de feu perce mes oreilles et le corps s'écrase à mes pieds, un insulaire. Le souffle coupé, je ne discerne pas son visage. Quand Carl me bouche la vue pour s'enquérir de ma santé, je ne le reconnais pas, je ne les vois plus. « Les choix ont des conséquences. » Oui, je le sais très bien.
Cet homme au tempérament doux vient d'abattre devant moi une personne. Malgré ses actes répréhensibles, ce n'était pas un démon, pas plus un ange, et certainement pas une bête ou un monstre. Légitime défense, il l'a fait pour me protéger, c'est ce que mon esprit répète. Seigneur...
— Dame Rosen !
Mes genoux cèdent. Prise d'un spasme, mon dos se cambre et à quatre pattes, je vomis ma bile. Carl a écarté juste à temps mes cheveux.
— Votre Grâce !
— Laisse-moi une seconde...
De cette hauteur, je discerne enfin le visage de l'insulaire, celui d'un inconnu. Ce n'est pas l'un d'eux. Ce n'est pas lui. À nouveau lucide, je me remets tant bien que mal debout.
— Devons-nous faire demi-tour ?
— Non, continuons.
Carl n'a pas fait de commentaires sur ma crise et je lui en suis reconnaissante. Certaines choses n'ont pas besoin d'être exprimées pour être comprises. Arrivés sur la grande place, nous apercevons le Mâchoire aux prises avec l'Assaillant. Sur les toits, le Charrette équipé de ses tourelles ouvre le feu à chaque intervalle. Avec toute cette agitation, les insulaires en support d'Eren ne remarquent pas notre présence, mais nous devons faire vite.
Sur les talons de Carl, nous escaladons les gravats.
— Je ne connais pas les détails. Mais le Cuirassé était à priori avec l'un des aspirants. Au moment de l'assaut, il l'a protégé de l'effondrement du bâtiment.
Littéralement au fond d'un trou, nous trouvons mon patient. Et dans quel état. Je dévale la pente. Obéissant à mon ordre, Carl reste en arrière. Je parviens à me glisser par la jointure dans le bourgeon formé par des mains titanesques. Face à face avec son cœur bouillonnant, je note d'abord l'absence de ses membres inférieurs. La jambe sectionnée près de l'entrée est sûrement l'une d'elles. Plus intéressant, je constate qu'aucune vapeur ne se dégage de son corps difforme. La transformation s'est interrompue. Pourquoi ?
D'après mes connaissances, il existe deux explications à la survenue de ce problème. La première est qu'il n'a pas récupéré des précédentes. Mais elle est aussitôt écartée. La seconde... relève de la tête.
— Tu as mal choisi l'endroit pour dormir Reiner Braun.
Je plante mon couteau dans son épaule. Pour mon déplaisir, il ne sourcille même pas. Alors, j'opte pour une autre méthode.
— Dis, Reiner... Que va-t-il arriver à Gaby si tu l'abandonnes ? Tu me l'offres ?
Il croit que tu n'as pas vu son air inquiet à chaque fois que tu t'approches d'elle ? Quel sot ! Je remue mon couteau dans la plaie. Ses chairs s'y accrochent, il réagit. D'une voix dépourvue de chaleur, je poursuis.
— Je sais que tu m'entends. Si tu ne me réponds pas, je vais prendre cela pour un oui. Quelqu'un doit payer pour tes crimes, pas vrai ? Ta cousine est un bon choix. Si passionnée... Si déterminée.
Ses yeux à présent rivés sur mon visage, je peux y lire la peur.
— S-S'il te plaît, tu pourrais... Je sais que tu me détestes, mais elle est innocente.
« Innocence ». Quel mot d'une naïveté affligeante ! Prolonger un peu ce petit jeu me paraît soudain être une idée succulente.
— De quoi te plains-tu ? Ne veux-tu pas aussi la sauver du sort qui l'attend si elle suit tes pas ?
— J'ai... J'ai fauté. Elle n'y est pour rien. Shiganshina... La destruction du mur Maria il y a dix ans... Je suis l'unique responsable. Je voulais... rentrer en héros, que ma mère soit fière de moi. J'ai poussé les autres à continuer...
Ressasser le passé après tant d'années me retourne l'estomac. Les anciennes blessures se ravivent. Depuis tout ce temps, je me mens à moi-même. Comment oublier ceux partis trop tôt dans la douleur et l'injustice ? Les survivants sont condamnés à porter ce poids toute leur vie.
Je voudrais retirer mon couteau puis le replanter encore et encore dans sa chair, la trouer de pores. Je voudrais qu'il ressente aussi la souffrance de désirer mourir tout en étant incapable, mais n'est-ce pas déjà le cas ? Quand je l'ai retrouvé il y a cinq ans, je me suis jurée de prendre sa vie. Au final, ma chance a été de retarder ce moment, car l'observer aujourd'hui partir en loque est infiniment plus satisfaisant. Oh non, je ne suis pas non plus un ange, je ne soulagerai pas sa conscience. Qu'il vive ! Ceci est sa punition.
J'extirpe ma lame et l'essuie avant de la rengainer. Nous entendons l'éclat du hurlement d'une bête. Il semble que Sieg ait rejoint la partie dehors.
— En quoi me venger ramènera-t-il tous ceux que j'ai aimés à la vie ? Ta mort les fera revenir ?
Il baisse honteusement le regard, tandis que de la vapeur se dégage de son corps qui se régénère. Le non-orthodoxe paie. Mon souffle caresse l'épiderme de ses oreilles épurées.
— Je suis curieuse, Reiner... Il y a deux hommes et un pistolet chargé. Le premier homme saisit le pistolet et tire. La balle atteint le deuxième homme et il décède de suite à sa blessure. Qui est responsable de sa mort ? La balle ? L'arme ? Celui qui a pressé la détente ? Éclaire-moi.
— Toi... Eren... Vous avez eu tous les deux l'occasion... Pourquoi m'épargner ?
Je m'écarte et le dévisage, puis finis par pouffer.
— T'épargner ?! Ah... Tu te trompes. J'ai juste monnayé ma place pour être aux premières loges de ta Passation. Je veux graver ces secondes dans ma mémoire. Je ne veux surtout pas... rater une miette du moment où tous tes espoirs de rédemption s'envoleront.
À l'extérieur, nous retrouvons Carl. Je m'apprête à esquisser un sourire. Cependant, je remarque sa mine préoccupée. Il coupe sa radio pour s'adresser à moi.
— Votre majordome cherche à vous joindre. Il insiste que c'est important.
De retour au poste le plus proche, on me transmet l'appel.
— Votre Grâce ?
— Margarete ? Où est Gerhardt ? Que se passe-t-il ?
— Pour tout vous avouer, une certaine Edda a appelé. Elle a dit qu'une « Violette » lui a confié ce numéro en cas d'urgence. Je n'ai pas pu lui répondre que c'était un faux, elle avait l'air si bouleversée... Elle n'a pas arrêté de crier « Ils l'ont pris ! Ils l'ont emmené ! ». Je crois bien qu'elle était en pleurs.
Le combiné me glisse des doigts. Le sang a quitté mon visage. Livide, je vacille. Il a osé... Albrecht Rosen... !
« Les choix ont des conséquences. »
🕊 N.D.A.
Avec les vacances, je vais essayer de publier plus régulièrement, soit toutes les 2 semaines, le mercredi, sauf impératif. 😌
Par moments, Wal peut vraiment se montrer sous un jour effrayant et la suite n'annonce rien de bon... Pour rappel, si Reiner a participé à la destruction du Mur Maria, il a également livré Jurian, ancien détenteur du Titan colossal et premier amour de Wal, à Bertolt. Elle a donc toutes les raisons de le haïr, à la différence qu'elle n'a pas opté pour la voie de la vengeance (pour changer un peu haha).
Il y a beaucoup de personnages dans cette histoire, notamment des OC. Si je ne peux pas tous les traiter avec la même profondeur, je mets aussi en avant des canon à l'œuvre originale dont certains sont à mon sens très intéressants, bien que secondaires/tertiaires.
Prochainement, dans Five Years :
Désillusions et décision.
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