#3 Le retour au bercail
x Chapitre 3 x
「Waltraud」
L'euphorie suscitée par notre victoire s'est emparée des cœurs et esprits des soldats. Les éclats de rire dans le wagon réservé aux aspirants et à une partie de leurs camarades vont en crescendo. Si je n'ai rien contre un peu d'animation, les débordements ne plaisent pas à tous. Si en face de moi, Magath porte un verre de whisky à ses lèvres, à l'ilot dans son dos, les commentaires ne tardent pas.
— Des singes incapables de bien de se tenir.
— Bon sang, pire que des chiards.
Sous le regard réprobateur de mon partenaire de table, je bois au goulot. Dommage pour lui, il n'a qu'à s'humecter les amygdales plus vite. En bouche, mes lampées sont crémeuses. Un mirage de chaleur remonte dans ma poitrine pour se muer en un soupir exhalé. Bouteille vide, je la porte quelques secondes supplémentaires à mon nez pour m'enivrer du parfum fruité d'agrumes confits. Mes yeux dérivent sur la table adjacente. Ils survolent plusieurs brassards rouges des réceptacles pour plonger sans gène dans un océan immobile. En apparence, cet homme blond et barbu semble bien sage en cette nuit festive. Pourtant, lorsqu'il réajuste du majeur ses lunettes, c'est bien la houle qui s'agite derrière. Un sourire satisfait souligne mes lèvres quand je me lève pour quitter le wagon sans un mot.
Suite à sa démonstration de courage, Gaby a été sacrée déesse de la soirée. Sur les épaules de Kord, sa tête domine toutes les autres. Ses camarades l'acclament, sauf quelques-uns qui s'inquiètent de la voir tomber ou des conséquences à court terme du raffut. Fidèle à ses sentiments pour la jeune fille, Falco s'agite aux pieds du plus grand des aspirants, mais bousculé par la cohue, il finit par se faire une raison. La foule le recrache devant la paroi coulissante. Il s'y plaque pour éviter un nouveau coup malencontreux, la mine défaite. Ah là là... Il faut qu'il s'endurcisse s'il veut les lui avouer... Alors que je m'apprête à la rejoindre, je m'arrête en apercevant Reiner s'approcher de lui.
— Pauv'tarée, va ! s'écrie soudain Kord les joues rougies d'ivresse. Vous l'savez ?! Elle a risqué sa vie pour nous ! Pour tout l'régiment des Eldiens !
— Gaby !
— Gabyyy !
— Gaby ! Gaby !
— GABY !
— CAPITAINE ?!
D'un coup, toutes les têtes se tournent vers moi. Je dois dire que je dénote avec mon uniforme blanc lavé et repassé. Eux n'ont eu le droit qu'à l'eau de mer après notre entrée triomphante dans le port conquis pour se rincer le visage et les mains. Je me sens presque coupable de mettre prélassée dans un bain mousseux avant de monter dans le train de nuit.
Repérée, je me moque grivoise de leur retard avant de lancer une bouteille que Kord réceptionne maladroitement. Gaby toujours cramponnée à sa tête, ils manquent tous les deux de s'aplatir le nez quand elle descend sans prévenir.
— La compagnie est meilleure ici, m'excusé-je de mon intrusion. Alors j'ai apporté de quoi étancher les soifs.
Le visage de l'aspirant guerrier blanchit considérablement à sa lecture assidue de l'étiquette.
— C'est un grand cru mahr ! Vous êtes vraiment devenue folle, cette fois, capitaine ?!
Je porte mon doigt à mes lèvres où un sourire malicieux se dessine.
— Je compte sur vous pour ne rien dire.
Le silence précède les rires. L'atmosphère à nouveau encline à la fête, les avis fusent, unanimes.
— Croix de bois, croix de fer ! jure une voix.
— Vous êtes la meilleure ! s'extasie une autre proche de celle aussi enjouée de Carl.
Ce dernier essaye de se frayer un passage dans l'espace exigu. Accompagné d'une note générale, le bouchon saute et il est emporté par la marée montante. Les bras se lèvent, dansent avec une énergie débordante. J'observe le spectacle, glousse parfois de la bêtise des heureux qui parviennent à gratter une goutte renversée en pêchant à la bouche ouverte.
Une main me tire de ma contemplation en même temps que le bout de ma veste. Ma petite brune me fixe avec des yeux pétillants.
— Vous avez été superbe, Demoiselle Rosen ! Ils le pensent tous, vous savez ! On vous a vu vous élancer puis il y a eu les coups de feu, j'ai bien cru que mon cœur allait exploser ! Mais vous les avez fumés ! Ils n'ont rien vu venir, les idiots !
Je caresse machinalement ses cheveux.
— Merci, Gaby.
— Face aux infâmes monstres de l'île, ils n'auraient eu aucune chance ! Ces ignobles démons sanguinaires n'ont qu'à bien se tenir !
Une chose me gratte la gorge. Je la contiens, mais pouffe néanmoins, sincèrement amusée.
— Quoi ? Qu'y a-t-il de drôle ?
— Tu parles de démons sans jamais en avoir vu.
La jeune fille me dévisage à présent les yeux ronds, partagée entre le rire et la gène de son incompréhension de mes propos. En relevant un peu le menton, je croise le regard oblique de Reiner. Son tressaut n'échappe pas à mon attention. Mon sourire s'élargit. J'ébouriffe la crinière de Gaby avant de m'éclipser d'un pas discret alors que la fête bat son plein.
De retour dans le wagon des officiers supérieurs, je remarque la place vide.
— Vous n'étiez pas présente à la réunion de cet après-midi.
— Je vous ai tant manqué ?
Même sans m'adresser un regard, Magath m'inspire un certain respect. Sa droiture ? Ses convictions ? Malgré ses erreurs, il reste l'un des hommes les plus expérimentés que je connaisse. Aussi, au mépris de ma réponse narquoise face à son accusation, je sais qu'elle n'est pas gratuite. À sa façon, je crois qu'il m'apprécie.
— Et vous encouragez maintenant les troupes à l'indiscipline... Que devons-nous traduire de vos agissements ?
— Je n'ai pas à me justifier.
L'air soudain glacé alourdit si bien l'atmosphère que les autres capitaines n'osent guère me contredire. Lui n'a pas dit son dernier mot.
— N'oubliez pas vos responsabilités. Tous les projecteurs sont tournés sur vous. Un pas de travers peut réduire tous vos efforts au néant.
Je me mords la langue pour ne pas répliquer aussitôt. Cela, tu ne le sais que trop bien... Allons bon, les excuses sont toutes faites. J'inspire profondément.
— Voyez cela comme une manœuvre d'évitement contre les éventuelles contestations que suscitera votre campagne de « reproduction ». Comment voulez-vous adopter de telles mesures, si vous ne consolidez pas les liens ? Au lieu de traiter les Eldiens comme des bêtes, souvenez-vous qu'ils sont à l'origine humains. Pour ce qui est de la réunion... J'ai lu le compte-rendu détaillé. Ma présence n'était pas nécessaire, j'ai mieux pour occuper mon temps en exerçant par exemple ma seconde qualité de médecin. Dois-je remettre mon jugement en question, capitaine Magath ? Ou accepter d'être encore accablée par vos recommandations ?
— Non. Encore une fois, vous prouvez votre grande capacité à la réflexion qui nous dépasse tous. Cependant, vous ne vous en sortirez pas toujours avec brio, capitaine Rosen, ou si vous me le permettez, Votre Grâce. Malgré vos compétences exceptionnelles et l'assaut héroïque que vous avez mené, n'oubliez pas que vous demeurez vous aussi mortelle. Autorisez-moi donc à vous servir au mieux et pardonnez ma nature honnête.
Je regarde autour de moi. Les autres capitaines Mahr se rangent tous par leur silence de son côté. Quant aux réceptacles, leurs avis, sans détenir le droit de l'exprimer, ne diffèrent pas par leur posture. Je suis prise au piège comme une souris en cage.
— Seigneur... Faites comme bon vous semble.
Je traverse le wagon et fuis cet air empoisonné. Dans le couloir du compartiment suivant, je respire enfin. Tout va bien, Wal... Reprends ton souffle. J'enfonce mes ongles dans ma chair. Au bout d'un moment, les tremblements s'estompent. Je poursuis ma route et m'arrête devant une porte à laquelle je toque. Une voix ne tarde pas à m'inviter à entrer.
La cabine n'est pas très grande, mais suffisamment pour circuler entre les bagages et le lit simple. Assis sur ce dernier, Sieg m'observe dans un premier temps puis ouvre la bouche, mais attend que je parle, subjugué par mon silence inhabituel. S'il a gardé son pantalon et ses chaussures, je l'ai visiblement interrompu dans sa toilette. Mon regard glisse des muscles saillants de son torse à son visage. Derrière ses lunettes, une étincelle l'anime.
— Il y a à priori une pénurie de cabines. J'ai laissé la mienne à Magath.
— C'est gentil de ta part.
Bien entendu, il joue le jeu. Cet homme sait déceler mieux que quiconque mes mensonges. Que c'est fâcheux...
— Je peux ? demandé-je mine de rien.
L'étincelle embrase ses yeux. Il se décale bientôt puis tapote la place à côté de lui.
— Je t'en prie.
Mais je reste immobile, continue de le dévisager. Il me sourit, l'air innocent.
— Il y a un souci ? Mon postérieur est trop gros ?
— Tu saignes du nez.
— Ah.
Sa main se lève, mais je lui attrape le poignet à temps. Je soupire et lui ordonne de basculer la tête en arrière. Sage, il obéit et ne bronche pas quand je m'assois à califourchon sur ses genoux. Mon index sous son menton l'élève un peu plus. Après avoir déchiré un mouchoir et disposé un bouchon dans chaque narine, je me penche sans quitter ses jambes pour saisir le gant qui flotte dans la bassine. Son bras vient naturellement enlacer ma taille pour m'éviter une chute grossière.
— Tu ne lirais pas des trucs cochons dans mon dos, par hasard ? le charrié-je en me redressant.
— Non, j'ai tout appris sur le tard.
J'éponge méticuleusement sa moustache et sa barbe, puis ses lèvres entre deux réponses pour garder le meilleur pour la fin.
— Oh ? Cette serveuse Eldienne ?
— Elle m'a fait une remise.
— Wouah. Tu as vraiment dû lui taper dans l'œil.
— Ou mon brassard, je n'ai jamais su. Elle s'est mariée l'été dernier.
— Tu es triste ?
J'entame son cou hâlé, ne m'y attarde pas. Ma main gantée descend plus bas, sur le dessin contrasté de ses pectoraux. Je sens son torse se soulever à chaque inspiration profonde. Mon ventre se réchauffe. L'enflement dur sous mes fesses m'annonce sa défaite. Pourtant, il ne s'avoue pas encore vaincu. Il resserre son étreinte et ma poitrine heurte sa peau brûlante. Ses épis de blé chatouillent mon cou jusqu'à provoquer des petits frissons en chaîne quand ses lèvres l'effleurent.
— J'ai appris pour Eugen et Franz. Je suis désolé.
Aaaaaah~ Il choisit toujours bien ses moments, lui... La gorge sèche, je balaye les images qui s'imposent à mon esprit et sa braguette ouverte, j'empoigne fermement son érection dans ma main. Ma petite vengeance est plutôt bien accueillie, puisque je me retrouve la seconde suivante épinglée sur le lit.
— Quoi ? L'empathie ne te ressemble pas.
Je le nargue, étouffe un rire. Ce sont les bouchons. S'il voyait sa tête !
Avec précaution, je retire ses lunettes et les dépose sur le chevet. Je connais leur valeur à ses yeux. Il me gratifie d'un baiser simple et savoureux, avant d'oser l'approfondir avec plus d'appétit. Je profite d'avoir le dos arqué pour ôter ma veste. Il m'aide ensuite à déboutonner ma chemise et plonge sitôt la tâche accomplie sur ma poitrine pour la combler d'une myriade de douceurs. L'une de ses mains m'enveloppe un sein et caresse du bout des doigts le tissu de l'armature. Je parviens tant bien que mal à dégrafer l'attache. Ma féminité à nue, il savoure cette vision. J'en profite pour basculer nos corps et reprendre le dessus.
— La guerre, ce n'est pas beau à voir, souffle-t-il contre mes lèvres.
— À qui le dis-tu ? renvoyé-je d'une voix blanche.
Pour s'excuser, il approfondit une nouvelle fois le baiser. Langoureux, je perds presque la tête lorsque nos derniers vêtements éparpillés sur le sol, il pénètre mes chairs sans plus attendre.
— Au moins, nous rentrons enfin chez nous.
— Seigneur, arrête de parler..., le prié-je en commençant à bouger.
Les heures ont filé à une vitesse effrénée et bientôt, les rayons du soleil percent les rideaux. Debout, je finis de me rhabiller. Dans mon dos, Sieg a le visage enfoncé dans l'oreiller. Ce nounours est un grand dormeur. Je lui assigne une tape sur le haut de la tête pour le réveiller. Il râle, mais se décide à ouvrir les yeux.
— Nous arrivons à Revelio. Active-toi.
— Ma douce fleur printanière, sais-tu que...
Je l'interromps tout de suite par une seconde et une troisième tape sur le crâne. Il vaut mieux trois que deux avec lui.
— Il n'y a pas de fleur qui tient. Remue-toi ou je te tire du lit par les parties.
— Si tu les aimes tant que ça, aies un peu pitié d'elles...
Je grimace et secoue la tête avant de quitter lasse sa cabine. Si quelques-uns des passagers du train sont au courant de la vraie teneur de nos rapports triviaux, les mentalités ne sont pas encore assez évoluées pour que je me permette de l'étaler au grand jour. D'habitude, je suis plus prudente, mais il faut avouer que j'ai eu besoin d'évacuer ma frustration. D'ailleurs, cela m'étonne que Sieg ne m'en ait pas dissuadé. Ce barbu... il y a réellement pris goût.
Malgré moi, un sourire idiot parasite mon visage. Il ne disparaît que quand, par une fenêtre, je discerne au loin les hauts murs en béton armé du camp.
🕊 N.D.A.
Les différents nœuds se mettent tranquillement en place. Si certaines sont sincères, d'autres relations entretenues par Wal sont loin d'être désintéressées. Qui sont ses alliés et ses ennemis ? Ment-elle sur ses intentions ?
Quant au cas de Sieg... Pour l'instant, je peux seulement vous dire qu'il jouera un rôle important dans les futurs événements. Ce serait dommage de vous spoiler le dénouement, non ?
Le tome 1 a dépassé les 80 K ! Un grand merci à tous, je n'imaginais pas au départ que cette histoire irait aussi loin. (⩾﹏⩽)<3
Prochainement, dans Five Years :
Invitation et confrontation.
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