#18 L'eau a coulé sous les ponts



x Chapitre 18 x





Quatre ans plus tôt.


Debout à côté du lit, je me tiens immobile. Mon regard couvre le corps qui l'occupe. Un an a suffi à ce que la pourriture rende son visage méconnaissable. Desséché, une odeur nauséabonde s'en dégage. Il n'a jamais particulièrement senti la rose, mais là c'est une infection. Lui en vouloir serait néanmoins un blasphème. Les mouches bourdonnent au-dessus de lui. Ces saloperies n'ont pas tardé à pondre leurs œufs. Au moins, elles lui ont tenu compagnie.

— Désolé de t'avoir fait attendre, Erwin...

Les bras le long du corps, le ton grave de ma voix exprime tous mes regrets. Si je t'avais injecté ce fichu produit à la place du morveux, tu serais encore en vie. Tu aurais réalisé tes ambitions en apprenant la vérité. Tu aurais pu être fier, car tu avais raison. Nous ne sommes pas le dernier berceau de l'humanité. Ton père a bien été assassiné pour avoir soulevé l'hypothèse. Cependant, il était temps pour toi de te reposer. Tu en avais suffisamment fait.

— Tu m'en veux ?

Mon poing se serre. Je l'accepterai. Mon choix était loin d'être objectif. Même si le monde, malgré les doutes, semble maintenant croire que j'ai pris la meilleure décision en sauvant ce petit génie, tu resteras un homme plus grand. Tellement qu'il se cognait parfois dans le haut des embrasures de portes, quel benêt.

Ma main cachant mes yeux humides se crispe. Finalement, le comble de l'ironie a voulu que je devienne ton bourreau. Au nom de tous les défunts et de tous nos camarades tombés au combat, je ne peux pas encore te remercier d'avoir revêtu la parure d'un démon pour nous guider. Notre but est loin d'être atteint. La menace qui plane sur nos têtes est en réalité bien plus sérieuse que ce que nous imaginions.

— Caporal-chef !

La jeune femme en uniforme militaire apparaît. Elle se tient droite comme la raie qui barre ses cheveux roux. Elle me rappelle parfois un de mes Hommes, une soldate également disparue. Celle-ci semble également avoir un balai coincé dans le train.

— J'ai pourtant précisé de ne pas vouloir être dérangé, Nifa.

— Oui, mon Caporal ! Mais il faut que vous voyiez ça !

— Attend dehors, j'arrive.

Elle effectue le salut et obéit. De nouveau seul avec la carcasse d'un ami, mon regard s'y attarde une dernière fois avant de l'envelopper dans un drap. Malgré la longueur de celui-ci, les pieds dépassent.

— Tch. Une perche.

Puis je le soulève pour l'emmener et ainsi tenir ma promesse, celle de le ramener pour lui offrir une sépulture décente. L'image de cette femme apparaît devant moi. Dans ce souvenir des premières semaines qui ont suivi notre rencontre, elle portait aussi la dépouille d'un mort. Je comprends alors ce qu'elle a dû ressentir. Que, contrairement au poids qui plombe mon cœur et obstrue mes veines en cet instant, celui que je transporte...

— ... Je ne l'imaginais pas si léger.



https://youtu.be/m7C2SOc5juM



Après une année de reconquête des territoires perdus, nous sommes enfin parvenus à éradiquer la présence des Titans au sein du Mur Maria. Connaître la vérité sur leur nature n'a guère rendu la tâche plus facile. L'hésitation a coûté le prix d'autres vies inutilement sacrifiées.

Étonnamment, si Trois-Yeux a d'abord commandé la capture des plus petits gabarits dans l'espoir que les recherches de son équipe puissent trouver un remède, elle a au final décrété que tous devaient être abattus. Cela en disait long sur les résultats. Certains toutefois furent épargnés, ceux qui, de par leurs membres atrophiés, étaient inoffensifs pour peu de garder une distance raisonnable de leur bouche.

Je marche parmi les décombres. Notre retour à Shiganshina après l'hécatombe de la Bataille survenue il y a un an a initié d'autres découvertes. La surprise de ne noter aucun reste humain jonchant les rues a trouvé une explication en trouvant les tombes.

Des survivants, comme toi, s'étaient organisés dans cet enfer terrestre. Nous avons également découvert votre asile, le seul endroit où des corps ont été déterrés. Des rats d'égout, c'était ce que vous étiez. Une communauté de moins de cent individus qui se sont évertués à s'en sortir. Les analyses ont démontré que vous étiez parvenu à tenir bon plus de deux ans. Peut-être attendiez-vous une aide qui n'est jamais venue. Ou bien peut-être prépariez-vous un plan pour vous échapper. Tout cela a été enseveli le jour où votre oasis rudimentaire s'est effondrée sur vous.

Tu étais l'unique survivante. Tu as tout perdu en un instant. Tout ce que tu t'étais évertué à reconstruire et maintenir. Et je n'ose imaginer le désespoir que tu as dû alors ressentir.

Ma promesse accomplie, Nifa me guide sur les lieux en question. Sur le pas de l'entrée, mes pieds ne vont pas plus loin.

— Un bar ? suggère la soldate.

Dans le passé, sans doute. Mais aujourd'hui, son rôle se révèle tout autre.

— Un mémorial, corrigé-je.

Partout où mes yeux se posent, des inscriptions sont gravées. Des noms inconnus. Il y a bien plus qu'une centaine. Combien en as-tu vu mourir ? Combien en as-tu enterré... ?

Je m'engouffre dans la pièce, puis m'accroupis pour en toucher un. Nifa m'imite.

— Ils... Ils n'ont pas été inscrits avec une pierre ! remarque-t-elle. Avec quoi... ?

— Des ongles.

Une punition, il n'y a pas d'autres mots. Tu te l'infligeais volontairement. Tu t'en voulais, te détestais sûrement... Peut-être même les jalousais-tu au fond de toi.

Nifa se relève et explore. Elle s'arrête devant des éclats de bois d'un panneau. Je la vois froncer des sourcils avant de s'atteler à les remettre en ordre.

— « Friedlicher Traum » ? s'interroge-t-elle.

— Rêve paisible, traduis-je en me rapprochant pour mieux lire. « Nagaka », un conte pour enfants.

— Pourquoi est-ce brisé... ?

— Sans doute que cette personne s'est retrouvée acculée à un point où tout l'espoir qu'elle nourrissait s'est brutalement évaporé, suggéré-je.

Soudain, une traînée noire attire mon attention. Nifa suit mon regard. Ses doigts l'effleurent.

— De la suie, affirme-t-elle.

— Quelque chose a brûlé.

Elle hoche négativement la tête.

— Non... Cela n'a pas de sens, le sol dessous est intact. Cela a été nettoyé ?

— Qui se soucie de l'hygiène dans une situation aussi pourrie ?

Elle se retient de répondre et elle fait bien, son regard parle pour elle.

— Elle rampait, déclaré-je plutôt.

— Cette personne ?

Je me mue dans le silence. Je ne veux pas comprendre, et pourtant... De nouvelles pièces du puzzle s'emboîtent. La brûlure sur ton dos... C'est pire que tout ce que j'ai pu imaginer avec le peu d'indices que tu m'as laissé.

— Merde..., soufflé-je tout bas. Personne ne devrait avoir à vivre ça, et pourquoi ?

Au bout de ta route, là où tu croyais enfin être libérée de toute cette souffrance, tu as gravé un dernier nom.

— « Jurian », lis-je à voix haute.

Il y avait quelqu'un d'autre qui avait réchappé de la tragédie avec toi. Ce Jurian... Est-ce ce quelqu'un que tu as parfois évoqué sans le nommer avec mélancolie ? À l'évidence, il ne s'en était pas non plus tiré à la fin. Tu t'étais à nouveau retrouvée seule, après avoir perdu la personne qui comptait le plus à tes yeux. Tu as dû l'inscrire comme les autres. Waltraud... Ton nom est le seul qui ne figure pas dans cette pièce.

Tu étais partie sans rien ni personne à tes côtés, avec pour unique bagage cette valise qui contenait le corps de ton frère, le vestige d'une vie heureuse qui t'avait été arrachée.





Aujourd'hui.


Hansi m'a tanné pour que j'aille me reposer et résultat : elle s'est réveillée tandis que je n'étais pas là. Cela devrait me réjouir, mais je suis maintenant incapable d'entrer dans sa chambre. Partagé entre impatiente et crainte, je continue de poireauter en face de sa porte.

— Vous allez bien, Caporal ?

— Je n'ai pas besoin d'être couvé, retournes-y, Nifa.

— Vous n'allez pas aider la major à la défense ?

Mes bras croisés retombent quand mon dos se décolle du mur.

— Ce n'est pas mon terrain, je ne lui servirai à rien, sauf s'il est question d'interrogatoire.

Ou d'enlèvement et de séquestration.

— Très bien... Ne traînez pas !

Elle me salue avant de s'éclipser. Je soupire et lève mon poing. Je toque à la porte, mais aucune réponse. Je décide malgré tout d'abaisser la poignée puis de pousser le battant.

Ses cicatrices ne la rendent nullement hideuse. Au contraire, les années l'ont embellie. Elle est toujours magnifique. Si je la contemple d'un regard froid pour ne rien laisser paraître du tournis qu'elle me flanque, ce n'est rien à côté du sien. Il est glacial. Une beauté de glace. Aucune émotion n'en filtre lorsqu'ils se posent sur moi, avant de me survoler. L'extérieur semble éveiller plus son intérêt que ma présence et cela me fiche en rogne. À quel jeu elle joue ? Va-t-elle vraiment feindre l'indifférence ? Ou bien est-ce la vérité... ? Un frisson désagréable me parcourt l'échine à cette idée. Je l'entends encore me traiter de crétin, mais dans ce souvenir, elle était blottie nue dans mes bras. Oui, tu raison, je dois être un con de continuer d'espérer, même après cinq ans.

— Retourne dans ton lit.

— ...

— Ce n'est pas une demande, mais un ordre.

Ses yeux hypnotiques tournés vers moi, ces derniers me jugent de haut. Je n'aime pas ce regard. Elle me tape déjà sur les nerfs.

— Où est mon fils ? demande-t-elle simplement.

J'aborde une attitude nonchalante.

— Voyons voir... Peut-être que si tu retournes au lit, la mémoire me reviendrait.

— Du chantage ?

Je souhaiterais ne pas en arriver là. Toutefois, elle a beau bien le cacher, elle douille assurément. Être familier à la douleur ne signifie pas y être immunisé. Son mollet, son abdomen, son visage... Cherche-t-elle à établir un nouveau record ? N'a-t-elle déjà pas assez de cicatrices ?

— Pour une criminelle, je suis plutôt bien logis, constate-t-elle sans bouger.

En effet, aucun barreau à la fenêtre devant laquelle elle siège, un mobilier bien garni, la chambre peut être qualifiée de coquette. Mais ce n'est rien j'imagine à côté de ce qu'elle a pu connaître sur l'autre versant de la mer.

— C'est le minimum pour une Altesse Impériale.

Elle ne relève pas.

— Si vous cherchiez à éviter un accident diplomatique, vous auriez dû me laisser.

— Tu n'aurais pas été l'unique motif. Tes adorateurs nous auraient de toute façon lynchés, puisque nous détenons Sieg Jäger.

Cette fois, elle réagit à mes mots, à l'énonciation de ce singe. Ses yeux s'écarquillent et trahissent sa surprise. Néanmoins, son expression se referme bientôt. Les tics ou détails inexistants me jettent à nouveau dans l'incompréhension de ce qu'elle ressent ou de ce qu'elle pense. Toujours une emmerdeuse...

— Pourquoi être venus me chercher ?

L'ignores-tu vraiment... ?

— La responsabilité me revient. Te laisser crever n'aurait servi personne.

— Quelle justification pragmatique...

Est-ce tout ce que tu trouves à dire ? Je serre les dents.

— C'est ce que tu préfères entendre, non ?

Elle ne se risque pas à poursuivre cette discussion et se mue dans le mutisme. Une sale habitude dont elle ne s'est pas débarrassée. Je m'accroche à ce trait reconnaissable. Le reste n'a plus grand-chose de commun. Son masque est parfait, sans aucune fêlure, si bien que j'ai cette impression de faire face à une étrangère.

Je n'ai pas la présomption de penser que tout redeviendra comme avant. Les années se sont écoulées, nous ont changées. Cinq ans, ce n'est pas rien. J'ai tant de choses à lui dire. Mais maintenant que l'occasion se présente, j'en suis incapable, comme si elles s'étaient soudain envolées. Par lâcheté ? Oui, je l'avoue, elle me fiche la trouille. Car malgré cette longue séparation, elle exerce toujours ce contrôle sur moi. Mon esprit est empli par sa présence, si bien que je suis dans l'incapacité de détourner les yeux. Parce que contrairement à elle, il semble qu'il me soit impossible de tourner la page.

Je pousse un râle exaspéré.

— Très bien, si tu refuses de dormir et de parler...

Je m'avance vers elle. Elle ne recule pas et m'observe. Cependant, à portée de son souffle, une brève lueur chancelle dans ses ambres. Elle détourne aussitôt la tête en pinçant les lèvres et un mince sourire étire les miennes. Il disparaît néanmoins quand je lui saisis le poignet puis le second pour la mettre aux fers.

Tout en fuyant mon contact, elle murmure.

— Est-ce nécessaire ? Je ne compte pas m'enfuir.

Je m'en doute bien. Si elle est revenue vers nous, ce n'est pas pour elle ni en souvenir de ses amis, mais pour cet enfant dont elle réclame la présence. Le garder dans un lieu inconnu nous avantage, car cela nous garantit sa bonne coopération. Qu'importe la morale, temps qu'elle ne l'aura pas retrouvé, elle ne partira pas. Toutefois... Nous assurer de la faire changer d'avis risque d'être une tâche corsée. Nous avons après tout affaire avec la plus grande entêtée que j'ai été amené à rencontrer.

— J'ai aussi reçu des ordres. Endure-le.

— Où allons-nous ?

— À ton procès.













🕊 N.D.A.


Je n'arriverai jamais à être régulière avec ce tome 2 ! Les planètes se sont toutes alignées contre moi ou quoi ? 😭 Enfin, le chapitre 18 est là et mes vacances débutent dans 3 semaines, il y a de l'espoir !

Un chapitre 100 % du point de vue Livaï ! Sur le devant de la scène, nous commençons par un flashback qui relate son retour à Shiganshina après la bataille qui a coûté la vie à beaucoup dont Erwin. Il y découvre notamment une partie du passé de Waltraud. S'il se doutait de la dureté des épreuves qu'elle a vécues, en être témoin est une autre histoire.

Dans le présent, Livaï et Waltraud se retrouvent enfin ! (Comme Waltraud n'était pas consciente au moment de son sauvetage, cela compte pour du beurre.) Et quelle douche glacée ! Waltraud se ferme à la conversation. Parviendront-ils à communiquer et à rattacher les wagons ? N'oublions pas Sieg !


Même si elle n'appartient pas à l'univers de SNK, j'aime énormément la musique d'ambiance partagée. Son sens s'adapte à l'histoire de Waltraud et de la perte de son frère, ainsi que du reste de sa (ses) famille(s) et de son (ses) foyer(s). Pour les plus curieux, je vous invite à découvrir sa traduction à partir du lien en commentaire. 😉


Prochainement, dans Five Years :

Addition et verdict.

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