#1 Le conte des chants perdus
x Chapitre 1 x
「Décembre 850.」
Le col relevé sur mon souffle tiède, je me musse derrière la porte quand cette dernière s'ouvre. Furtivement, je me déplace d'un pas feutré pour me fondre dans le dos massif de l'homme. Debout devant son bureau, il se tient immobile avant de se retourner. Le verrou grince, puis son unique bras s'affaisse.
— Je te pensais partie... ou morte.
Mes pieds restent cloués au sol lorsque son regard lucide se pose sur moi.
— Tu fais pâle figure.
Je m'autorise un faible sourire.
— Tu as égaré le droit lors de ta dernière promenade ?
Il caresse sa manche vide, un air satisfait collé sur le visage. Pour un mutilé, il a plutôt bonne mine.
— Comme le dirait un certain concerné de façon peu subtile, il n'a emporté que le petit morceau.
Mon sourire s'élargit. Oui, ce genre de réflexion lui ressemble bien...
— Tu t'es introduite au nez et à la barbe de tout un corps d'armée dans le bureau du commandant. Dois-je en conclure que ton avis de recherche ne sera pas levé ?
Si je songe à l'aider, je constate qu'il parvient sans mal à se dévêtir de son manteau. Il s'adapte avec souplesse à son handicap physique, et cela me rassure autant que cela m'inquiète. Il ne rendra pas les armes, pas avant qu'un autre Titan se propose pour ingurgiter le reste.
— Je ne reviendrai pas.
Ma posture ne dément pas cette déclaration lourde de sens. Je me tiens droite quand son regard la considère sans démontrer la moindre émotion. Aucune surprise, désappointement ou amertume. Erwin Smith n'appartient pas à ceux qui en sont friands. Pourtant, comme lui, il n'en est pas dépourvu. Aussi, en fine observatrice, je note la légère tension dans ses muscles lorsqu'il contourne son bureau pour s'y assoir. Si le grand bazar qui a suivi son arrestation a fait partie de son plan, des aléas imprévisibles sont survenus.
— C'est... fâcheux, avoue-t-il la mâchoire crispée.
Sa main enveloppe le petit boitier disposé devant lui et qui attise sa curiosité.
— Qu'est-ce ?
— Un cadeau d'adieu.
Il l'ouvre et découvre son contenu. Subjugué, je devine que les théories affluent dans son esprit vif.
— Bien que je présume le fonctionnement, ceci devrait vous permettre de vous emparer du pouvoir du Colossal. Et si vous vous y prenez bien, du Cuirassé également. Une fois le produit injecté, le sujet se transforme et doit dévorer l'ancien détenteur.
— Sous sa forme humaine, je suppose ?
J'opine.
— Comment te l'es-tu procuré ?
Les lèvres scellées, je garde le silence sur ce point. Il n'insiste pas, respecte ma décision. Intuitivement, il comprend ce que j'encoure à apparaître pour lui confier une chance de protéger leur havre de paix, bien qu'illusoire. La vérité, ils l'obtiendront bien assez tôt en se rendant à Shiganshina. C'est un chemin que, même avec les meilleurs arguments, je ne pourrai les dissuader d'emprunter. Qu'il en soit ainsi, nos routes se séparent ici...
Il referme avec précaution l'étui et me sonde. Contrairement à beaucoup, je crains ce que ces yeux décèlent au travers de la muraille que j'ai érigé. Ma poitrine se serre. Le calme précède toujours la tempête et sans rames, je peine à atteindre le rivage. Aussi je fuis la réalité, alors que je me suis juré de l'affronter.
Lâche.
— Puis-je te conter une histoire ?
Je relève la tête.
— Ai-je l'air d'être une petite fille ?
Ses yeux demeurent d'un bleu limpide, tandis que je détaille les traits sérieux de son visage. À mi-sourire, j'accepte l'invitation et m'installe confortablement dans le canapé inoccupé. Assise de travers et le bas du dos appuyé contre l'accoudoir, le conteur improvisé débute son récit.
— Il était une fois...
— Au moins, cela commence dans les règles de l'art...
Il me lance un regard réprobateur qui secoue ma poitrine d'un gloussement. Sage, j'enroule mes genoux de mes bras, l'oreille attentive.
— Il était une fois un couple de passereaux qui avait installé leur nid à l'orée d'un bois vert. À la belle saison, les œufs éclos agrandirent la famille de deux oisillons en bonne santé. Mais... La forêt bordait un village et un jour, un bucheron sectionna le tronc de l'arbre qui les abritait. Brutalement, ils perdirent leurs parents, leur foyer. L'un d'eux ne survécut pas à la chute. Une sombre et longue période durant, le survivant erra au sol, en proie aux prédateurs embusqués. Malgré sa faiblesse apparente, il se défendit bec et griffes, finit par en oublier sa vraie nature. Alors qu'il entrevit sa fin, un faisan le sauva. L'oisillon en admiration voulut le suivre, mais il était déjà loin, aussi il chanta et retrouva sa voix. Cependant, le faisan refusait toujours la compagnie de celui qu'il entrevit comme un fardeau. Il le blessa à maintes reprises. L'oisillon n'abandonna pas et son obstination à demeurer à ses côtés parvint à le toucher. Son désir était si fort, que quand le faisan ouvrit ses ailes pour écarter le danger, il déploya également les siennes. Oui, il s'était rappelé qu'il était lui aussi capable de voler. Ils défièrent ensemble l'adversité et parvinrent à s'enfuir. Néanmoins, l'aile brisée à la suite à ses blessures, le faisan était condamné. L'oisillon prit alors seul la décision d'attirer le prédateur loin de la forêt, au-delà du village, là où nul animal ne s'était risqué avant lui. Ainsi, le faisan eut la vie sauve, mais erra depuis le cœur asséché, car jamais il ne revit l'oisillon.
Les dernières notes du conte restent suspendues dans l'air. Il a fallu que mes doigts effleurent ma joue pour que je réalise. Les larmes affluent bouillonnantes de mes yeux. Ma peau brûlée, un couteau s'enfonce et remue, prisonnier sous mes côtes.
— Je ne veux pas... Je ne veux pas, Erwin ! s'élève ma voix chevrotante. Mais mon choix est déjà fait, je peux plus faire marche arrière. Je dois honorer ma part du marché, penser aux conséquences !
Il m'a complètement percé à jour. C'est infiniment douloureux... et dangereux. Car si je recule maintenant, retourne ma veste, les représailles seront terribles. Cela ne doit pas arriver.
— Je suis si égoïste, si tu savais ! En réalité, bien que l'oisillon avait peur, il était si heureux de faire ce sacrifice. Parce qu'il avait repris goût au bonheur ! Parce que le faisan le regardait enfin, il avait pu se nicher une place dans son cœur !
J'éclate en sanglots, plaque ma main sur ma bouche pour les étouffer. J'entends le versement d'un liquide, puis des pas. Quand la tasse se présente devant mes yeux, son image s'impose à moi. Je veux le voir. Je veux tellement le voir !
Erwin repose sa délicate attention refusée sur la table basse.
— Tu as une si piètre estime de toi-même, souffle-t-il.
— Et toi ? rétorqué-je en reniflant. Cela ne te dérange pas d'être traité de démon ?
— Je le mérite. Je ne suis décidément pas un saint. Tu n'es pas la plus à blâmer, Waltraud.
Je ris jaune. Il me connaît mal. Te comprends-tu toi-même ?
Un élan me relève. Le colis a été livré, m'attarder ici est donc inutile. Le cliquetis du verrou se tourne. Ma main sur la poignée, je suspends mon départ précipité.
— Merci d'avoir pris soin de moi, alors même que je ne me souvenais pas de toi.
— Non... Merci à toi. Pour tout.
Au moment de partir, je m'arrête une seconde fois.
— Tu es certaine de ne pas vouloir attendre que les chutes cessent ?
— Ils m'ont donné la nuit. Je souhaite passer le temps qu'il me reste avec lui.
— Waltraud.
— ...
— Quoi qu'il advienne, bats-toi.
— Il se pourrait que vous le regrettiez un jour, commandant.
Je tourne la tête. Son regard inchangé malgré mon avertissement, il croise le mien et s'y agrippe farouchement pour me dédier son unique prière.
— N'abandonne jamais.
https://youtu.be/5JKLX-cw9Sw
Mon souffle vaporeux s'estompe aussitôt dans l'air. Je resserre plus étroitement ma cape autour de mon corps gelé. Ce sera la dernière fois que je les arbore, les Ailes de la Liberté. Une fois ôtées, elles me seront en définitive arrachées. Les yeux tournés vers le ciel noir, ils s'accrochent à la faible lueur qui brille à une fenêtre. Il n'écoute donc jamais...
Je reste longtemps plantée là, suspendue au maigre espoir de l'apercevoir, les pieds enfoncés dans la boue. La neige finit par me couvrir d'un fin manteau qui traverse mes vêtements. Je ne grelotte pas, insensible au froid. Seule cette lumière occupe toutes mes pensées, me retient captive d'un désir à assouvir, simplement le voir, même pour quelques secondes. Je souhaite juste figer son image dans le temps pour que ce souvenir demeure intact.
— Quel crétin... Il n'a pas oublié de manger, au moins ?
Mon murmure est étouffé par un fracas. Les battants de la fenêtre violemment ouverts par une bourrasque, les ténèbres ont assailli la pièce. Mon sang pulse dans mes tempes quand je saisis le lierre qui grimpe l'enceinte. Lorsque j'atteins le rebord et entrevois cette silhouette dans la pénombre, mon cœur se décroche. Mes jambes ne me maintiennent debout que par miracle. Ses orbes métalliques où une guerre des sentiments s'engage... Son petit, mais corps robuste entièrement tourné vers moi, à mon attention... Ses lèvres... Ses cheveux de jais dans lesquels je voudrais replonger mes doigts et ma conscience pour oublier le monde... Le monstre que je deviens en a-t-il encore le droit ?
Je me suis noyée. Étreinte par ses bras dociles et aimants, ma muraille abattue a déversé tout ce qu'elle cache. Les vagues ont déferlé et j'ai cru mourir une seconde fois. À la différence que cette fois, je ne suis pas seule. Il les a défiés, m'a maintenu la tête hors de l'eau.
Seigneur, est-il possible d'aimer autant une personne ? Au point de pouvoir offrir sa vie ? Même une trouillarde ? Je l'aime. Je l'aime. C'est l'unique vérité que je parviens à prononcer. J'aime cet homme à en crever...
Le feu crépite dans l'âtre de la cheminée. Ses artifices dansent sur sa peau immaculée. Je croirai voir un ange endormi. Des extrémités de mes doigts, je caresse son épaule, y dessine des cercles parfaits. Un sourire béat orne mon visage quand mon corbeau se trémousse dans son sommeil en grognant. Son bras passé autour de ma taille me ramène contre lui. La tête posée contre son torse, je sens sa respiration paisible. Ses battements réguliers me bercent et me transportent. J'imagine une maison perdue au milieu d'un champ de fleurs. Là-bas, dans notre foyer, j'entends les rires des enfants qui jouent dans le salon. Lui se tient devant la fenêtre baignée de lumière, occupé à la préparation d'un thé fumant dont les effluves embaument cette oasis interdite.
Nous n'avons jamais évoqué l'avenir. Et aujourd'hui, il est trop tard pour réparer ce tort. Tandis que je me rhabille, je juge que cela n'est pas grave. Ma chance a été de vivre suffisamment longtemps pour le rencontrer... De quoi me plains-je ? Vraiment, quelle égoïste. Mes derniers mots couchés sur une simple page, je les accompagne d'un flacon. Avec, le Bataillon évitera sûrement une énième hécatombe.
Mes lèvres pressent dans un ultime baiser celles de celui à qui je confie mon cœur. Là où je vais, je n'en ai pas besoin. Il sera en colère, me haïra sans doute, mais pourvu qu'il vive, j'y consens avec joie. Je ne supplierai pas le ciel de m'accorder son pardon. Ainsi, je quitte sa chambre sans un regard en arrière. Si je me retourne maintenant, je sais que ma volonté risque de s'effriter. Cela me disloque de l'intérieur. Ma bouche tordue hurle sans bruit. En bas, l'ombre d'un homme se détache du mur. Son chapeau rabattu sur son visage, il a la délicatesse chevaleresque de ne pas enfoncer plus le couteau dans la plaie béante. Pour l'instant, il se contente de mener la marche.
Aux côtés de l'Égorgeur, comme un rêve, je disparais pour de bon avant l'aube d'un nouveau jour, trois mots en tête :
« N'abandonne jamais. »
🕊 N.D.A.
Nous commençons donc ce second tome par un flashback de la nuit qui conclut le 1, mais à travers cette fois des yeux de Waltraud. Il apporte des indices supplémentaires sur ce qu'il est advenu après, mais introduit surtout des éléments primordiaux pour la suite.
Gardez des mouchoirs en réserve, car si mon cœur fragile refuse un Bad Ending, il conçoit que le Happy doit se mériter. Attendez-vous aussi à des larmes et du sang pour ce tome 2, avec tout de même quelques accalmies saupoudrées de joie...
Prochainement, dans Five Years :
Canons et assaut.
Bonne année ! ヽ(>∀<☆)ノ
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