3 ans plus tôt...

Point de vue de Sasha

Les antidouleurs ne fonctionnent qu'à moitié et sincèrement, ça craint. J'ai l'impression que même mes drogues d'avant me procuraient plus d'effet. Je suis sortie de désintoxication il n'y a pas si longtemps que ça. Et bien que je réussisse maintenant à m'en passer, je ressens encore le manque, quelques fois. Finalement, je me demande si je ne ressens que ce manque. 

Pour l'instant, je suis des cours à domicile avec un professeur qui me fait les cours. Mes parents ont décidé (avec l'aide des médecins) que pour la première partie de l'année, ce serait peut-être mieux que je reste dans un espace qui m'est familier. De toute façon, je ne sors pas vraiment de chez moi depuis ma sortie de l'hôpital. Je sais très bien que ma vie ne sera plus jamais la même. 

Aujourd'hui, on est samedi, je suis en train de faire certains devoirs pour me changer les idées. J'ai réussi rapidement à me replonger dans le bassin scolaire et à remonter mes notes. En même temps, il faut admettre que quand c'est la seule chose que je fais de mes journées, ça aide. 

Je suis en train de terminer la fiche d'un chapitre du roman L'attrape-cœurs de Salinger quand j'entends ma mère m'appeler en bas. Je range la fiche et ma copie du roman et descends.

-Ouais? 

Je m'arrête en voyant qui se trouve là. Isabella. Je ne l'ai pas vue depuis des mois. Elle n'a pas du tout changé, elle. 

-Oh mon Dieu, Sasha... Souffle-t-elle.

-Vous avez plusieurs choses à vous dire, je crois. Vous devriez aller dans ta chambre. Me dit ma mère.

Je hoche la tête et indique à Isabella de me suivre, bien qu'elle connaisse le chemin. Quand nous sommes dans ma chambre, je referme la porte et elle prend place sur mon lit, comme avant. Ça ne me gêne qu'à moitié. 

-Je suis désolée. Dit-elle finalement.

Je fronce les sourcils, non sans crisser sous la douleur soudaine du mouvement.

-Désolée? Mais pourquoi? Tu n'as rien fait.

-Bien sûr que si. Je t'ai abandonnée alors que j'aurais dû te soutenir. Tu étais au plus mal et moi... Et moi... 

Elle s'arrête. 

-Isa, vraiment, je ne peux que me blâmer moi. J'aurais dû vous écouter, toi et les filles... Si je suis comme ça, c'est de ma faute parce que j'ai été trop bête pour...

-Non, vraiment, tu n'y es pour rien dans tout ça! Si ça avait été moi ou n'importe qui, on se serait toutes fait avoir par lui... Au fait, tu le vis pas trop difficilement, son procès?

Je secoue la tête.

-Je n'irai pas témoigner. C'est... C'est trop difficile. De toute façon, les policiers l'ont vu, donc... Ce n'est plus vraiment nécessaire. 

-Mais... Ça veut dire qu'il sera juste puni pour cette agression! Pas... Pas pour tout le reste!

-Ça m'est égal, je veux juste pouvoir passer à autre chose... Je veux me renouveler, d'une certaine façon. 

-Je comprends... Tu fais bien, de vouloir! Mais... J'aimerais savoir quelque chose, c'est pour ça que je suis venue. 

-Oui?

-Est-ce qu'on est toujours amies? Je sais qu'avant ton accident je t'ignorais avec Carmen et Piper et que je ne t'ai pas adressé la parole depuis des mois en plus de ne pas être venue te voir à l'hôpital, mais...

-Bien sûr que tu es encore mon amie, Isa! Si tu veux toujours être la mienne, par contre...

Elle hoche la tête et se lève. Elle me prend dans ses bras et je la sers contre moi, fort. Elle m'avait tellement manquée. J'essaie de retenir mes larmes pour ne pas mouiller mon bandage. Elle, par contre, ne se retient pas, je l'entends. 

-Carmen et Piper, elles?

Elle souffle. Elle se détache de moi et secoue la tête.

-Elles... Elles ne pensent pas que tout ça peut justifier le fait que tu as mal agi avec elles. Et puis même si ça ne vaut plus beaucoup, tu as quand même déshonoré le pacte... 

Je hoche la tête.

-Je les comprends. Elles n'ont pas tout à fait tort... Je pourrais facilement saisir le fait qu'elles ne veuillent plus me parler. 

Un silence se fait. J'ai une idée.

-Puisque tu es là, tu pourrais me confirmer quelque chose. 

-Bien sûr. Quoi?

Je réfléchis un peu avant de lui parler. Puis, je me décide à le faire. C'est une idée qui me trotte dans la tête depuis un moment maintenant. Si je veux qu'elle devienne réalité, il faudrait qu'au moins une personne soit au courant, pour commencer.

-J'aimerais changer de prénom. Légalement.

Elle est surprise, je le vois sur son visage.

-Mais... Pourquoi?

-Déjà, il faut savoir que je n'aime pas mon prénom. Je le trouve moche, ça ne me correspond pas.

-Mais c'est joli, Sasha!

-Isa, est-ce qu'il faut vraiment que je m'appelle Gertrude pour trouver que mon prénom est moche? Moi, je ne l'aime pas. Je trouve que ça fait un peu trop innocent et "fillette qui se déguise en pâquerette pour Halloween".

-Ouais, d'accord. Mais tu sais que ce n'est pas une raison suffisante pour changer ton prénom.

-Bah déjà j'ai deux raisons : celle que je le déteste et qu'il ne me correspond pas. Je veux quelque chose qui puisse me représenter et auquel je puisse vraiment m'identifier! En plus, je sais que je suis mineure et que la presse ne va pas dire mon nom en parlant du procès pour me protéger... Mais je ne veux pas qu'il puisse me retrouver s'il sort de prison. Je veux pouvoir repartir sur une nouvelle base! Et je pense qu'avoir un nouveau prénom pourra y contribuer. Je ne sais pas si tu comprends bien ce que je veux dire...

-Oui, oui. Je comprends. Mais en es-tu bien sûre?

-Très. Ça fait un moment que j'y réfléchis, comme je te l'ai dit.

-Je vois... Mais comment tu vas convaincre tes parents? Tu n'as pas encore 18 ans, alors ils doivent donner leur accord.

Je souris un peu en retenant la grimace de douleur. Foutue cicatrice. Foutu antidouleur qui ne fait pas son effet!

-Je vais le demander comme cadeau pour mon seizième anniversaire. Après tout, le procédé coûte moins cher qu'une voiture et ils me le doivent bien, de toute façon. C'est de leur faute si je vais garder cette cicatrice à vie...

-Comment ça? Ce n'est pas eux, qui te l'ont faite.

Je ris un peu.

-Non. C'est vrai. Mais je les ai entendus parler avec le médecin quand ça ne faisait pas si longtemps que j'étais hospitalisée. Ils avaient l'option de me faire une greffe pour me rendre un visage un peu plus normal, et l'autre de simplement recoudre et de laisser la plaie se refermer. Ils ont choisi cette option parce que ça coûtait moins cher! Ils... Ils auraient pu me faire devenir comme avant! Personne n'aurait pensé que j'ai vécu un accident comme ça! Et maintenant... Je suis leur fille, soi-disant! Et bien on dirait pas. Donc oui, s'ils peuvent faire au moins une chose, c'est bien d'accepter de me faire changer de prénom.

Elle hoche la tête.

-Et donc, tu as pensé à quelque chose ou pas encore?

-J'ai déjà fait mon choix, même.

-Vraiment? C'est quoi?

-Scarlett. Affirmais-je.

Elle me regarde un moment.

-C'est logique en plus! Ma couleur préférée, c'est le rouge, comme tu sais. Et puis... Comme ça on pourra m'appeler Scar...

-S... Ne me dis pas que tu l'as choisi que pour ça! Tu es bien plus que cette cicatrice!

-Oui, mais je vais quand même l'avoir pour le restant de mes jours. Je veux pouvoir l'assumer. Et puis, comme ça j'aurais un rappel quotidien de ce que je suis.

-Après tout, c'est ton nom, donc ton choix. Mais dans l'ensemble, c'est vrai que c'est un beau prénom. Ça fait... Puissant. C'est fougueux, aussi!

-Je sais, hein? Merci d'approuver!

-De rien. Mais juste une chose. Ne compte pas sur moi pour t'appeler "Scar". Pour moi, ce sera toujours S.

-Ça marche aussi.

Une fois cette discussion terminée, on fait un rattrapage de nos vies respectives, pour savoir ce qui s'est passé de nos deux côtés ces derniers mois.

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