Chapitre Trente-Cinq
35.
Point de vue de River
-Voici votre commande, monsieur.
-Parfait, merci!
Je prends les deux boissons : soit un café noir et un jus. Je vais à la table où est assise Scarlett qui garde les bras croisés et les yeux rivés sur la table. Elle m'a raconté tout ce qu'il s'est passé et je sais qu'elle a beaucoup de peine. Pas que la soirée ait mal tourné, mais qu'elle se soit embrouillée avec Austin. De ce que j'ai compris, c'était plutôt moche.
-Tiens, voilà ton café.
-Merci.
Elle en boit une petite portion, question d'éviter de se brûler la langue. Elle pose la tasse et ferme les yeux de nouveau.
-Écoute, si tu veux que ça se règle avec ton frère, tu sais que c'est faisable...
-Ça, j'en doute.
-Pourquoi ça?
-Parce que tout ce qu'il m'a dit était... Enfin, EST vrai! Il a bien raison de tout me reprocher...
-D'accord... Et il n'y a vraiment aucun moyen de changer tout ça sans que tu tentes de réintégrer tes géniteurs dans ta vie?
-Honnêtement, je ne vois pas trop...
Je souffle et finis mon jus d'un seul coup.
-Écoute, Scar. Ton frère a simplement fini par exploser.
-Oui, à cause de moi. Je sais, j'étais là.
-Non, pas à cause de toi! Enfin, pas complètement. Écoute, étant moi-même un grand frère, je sais qu'il y a beaucoup de pression. J'adore ma sœur et je ne peux m'empêcher de me faire du souci pour elle. C'est pas que ça, il y a énormément de choses qui se rajoutent à tout ça et ça devient comme... Une goutte d'eau.
-Comme une goutte d'eau? Qui remplit un vase, genre? Demande-t-elle.
-Pas exactement. Imagine une goutte d'eau qui te tombe au-dessus de la tête, tout au centre. Continuellement. Au début, ça va, ce n'est qu'une goutte d'eau. Mais plus le temps passe, plus ça devient énervant. Tu vois ce que je veux dire?
-Oui... Donc, c'est moi, la goutte d'eau...
-Non, non! Tu n'es pas LA goutte! Tu es l'une d'entre elles, le reste étant toute la pression qu'il peut ressentir quant à une foule d'autres choses. Essentiellement, il a extériorisé tout ça sur toi.
-Peut-être, mais je l'ai un peu mérité, quand même. Il ne voudra plus jamais me parler, c'est clair!
-Écoute, même s'il est un peu en colère, il t'aime quand même. Je le sais. Il arrivera à passer au travers de ça.
-Des excuses ne seront pas suffisantes...
-Évidemment. Tu dois faire quelque chose. Il faut que tu lui rendes la pareille. À ta manière. Vous n'êtes plus des enfants, à présent. Vous savez tous les deux qu'il faut beaucoup plus que des paroles.
Elle hoche la tête en prenant une nouvelle gorgée de son café.
-Dis, je peux savoir quelque chose? Demandais-je.
-Mouais, vas-y.
-Pourquoi c'est moi que tu as appelé?
Elle hausse un sourcil.
-Il y a un problème avec ça?
-Non. C'est juste que... Pourquoi moi et... Pas Miles?
-C'est simple. J'avais besoin de l'avis d'un ami.
-Et celui de Miles n'était pas valable parce que..?
-Miles est vraiment super, ne te méprends pas. Le truc, c'est qu'il m'aurait dit ce que j'aurais voulu entendre. Il est très bon pour réconforter les gens... Mais je voulais un avis honnête.
-Honnête? Même après...
-Ne me le rappelle pas, River. J'ai encore envie de t'arracher la tête pour ça.
-Ouais, OK. Désolé.
Elle sourit.
-Et puis... Tu pars très bientôt pendant presque deux mois, je trouvais que c'était une raison valable pour te faire venir toi. Je parlerai à Miles demain. D'ailleurs, je vais lui dire.
Elle sort son portable et tape rapidement un message. Ensuite, elle boit son café et je suis surpris de voir qu'elle l'a déjà terminé.
-Écoute... Puisqu'on est ensemble, en ce moment. Je pense qu'il faudrait qu'on parle de... La dernière fois.
Je déglutis. Je sais ce qu'elle veut dire. Et j'ai peur de la tournure que cette conversation va prendre.
-C'est juste parce qu'avec mes parents qui débarquent sans prévenir, on a jamais vraiment eu l'occasion de terminer cette conversation et...
-Oui, je saisis l'idée. Mais il n'y a pas quelque chose à rajouter, je pense que tout a été dit.
Elle secoue la tête.
-Dis-moi que si tu pars ce n'est pas à cause de moi.
-Bien sûr que non! Enfin, pas entièrement. La vérité, c'est que ça fait vraiment longtemps que je veux faire au moins un voyage dans ce type. Ça fait partie de ma liste de choses à faire. Donc tout ça, c'est juste un petit prétexte pour partir. Aider des personnes en besoin va me permettre de me ressourcer.
Elle souffle. J'imagine qu'elle avait un poids sur les épaules par cette pensée et d'un côté, c'est bien de l'avoir aidée à s'alléger. À présent, elle me pose des questions sur le voyage et ce que nous allons y faire. Je lui raconte ce qui est prévu : nous allons notamment aider à faire construire quelques maisons, aller passer des journées avec des orphelins et aider certaines communautés dans le besoin. Bien entendu, il y aura sûrement plus, mais c'est essentiellement ce qu'on fera là-bas. Ce n'est pas du tourisme traditionnel qui sera fait, en Birmanie.
-Je sais que tu y vas pour aider des gens, mais j'espère vraiment que tu vas t'amuser, là-bas.
Je souris.
-T'en fais pas, j'y compte bien! Je vais aussi en profiter pour aller visiter le coin un minimum. En plus, y'a la Thaïlande juste à côté. Les jours où on ne fait rien, je peux facilement m'y rendre.
-Mais dis, c'est pas un régime de dictature, là-bas?
-Oui, mais tant et aussi longtemps qu'on ne s'implique pas trop dans ce qui est politique, il ne peut rien nous arriver. Je veux dire, nous ne sommes qu'une bande d'étudiants du Wisconsin qui aident les pauvres. Nous avons reçu des informations très claires à ce sujet. On ne nous empêchera pas de visiter et de faire nos trucs habituels tant que nous ne nous impliquons pas.
-En gros, vous devez pratiquer une certaine censure quand vous serez là-bas.
-C'est ça, mais pour quelques semaines, ça ne pose pas vraiment problème, je crois. De toute façon, ce n'est pas comme en Corée du Nord, alors je ne risque pas vraiment de croiser des soldats tous les jours!
-En tout cas, j'espère pour toi que tu ne vas pas t'attirer de problèmes, ce serait moche si tu ne revenais pas.
-Tu t'ennuyerais de moi? Demandais-je de façon narquoise.
-Honnêtement? Oui. Ça va me faire bizarre de plus te voir pendant six semaines alors que tu es présent toutes les autres fois.
-Tu sais? Ça doit être l'une des choses les plus gentilles que tu m'aies dite depuis qu'on se connaît.
-Quoi? N'importe quoi!
-Si, si!
-Excusez-moi, vous avez terminé?
Je relève la tête et je vois un employé.
-Euh... Oui?
-Alors dehors. Nous avons d'autres clients qui attendent!
-Que...
-Dehors!
-OK! Ça va... De toute façon, le café est dégueulasse, ici. Capitule Scarlett.
Nous sortons tous les deux de la boutique en nous demandant à quel point cette personne avait le droit de nous jeter dehors. Bien sûr, on discutait, mais nous ne crions pas, donc on ne dérangeait personne! On se contentait simplement d'occuper une table...
-Je crois que j'ai fait une gaffe. Dit soudainement Scarlett.
-Quoi, à cause du café?
Elle secoue la tête.
-Je leur ai montré mes bras.
-Oh.
-Ouais.
Je hoche la tête.
-Jusqu'à aujourd'hui, t'étais le seul à le savoir. Austin l'a plutôt mal pris... Il m'a reproché le fait que je ne lui en ai pas parlé.
-Qu'est-ce qu'il t'a dit, exactement?
-Il n'était pas content de savoir que tu étais au courant et pas lui... Il a aussi soulevé le fait que j'aurais pu me tuer par accident.
-Ouais, mais j'étais pas censé le savoir, je l'ai découvert par accident...
-Je sais, je lui ai dit. Mais... Je sais pas... Il avait l'air... Je ne sais pas comment le décrire.
-Déçu? Tentais-je.
-Mouais, ça doit être ça... Je suis vraiment un boulet... J'ai réussi à décevoir mon propre frère et à lui faire perdre confiance en moi! Finalement, je suis peut-être réellement qu'une incapable...
-Mais non, ne dis pas ça! Tu vaux beaucoup plus que ça. Il faudrait vraiment que tu ailles plus confiance en toi.
-On me le dit toujours, mais... Et si je restais en froid avec Austin de façon permanente?
-Vous allez régler ça, j'en suis certain. Je veux dire... Ça ne doit pas être la première fois que vous vous embrouillez, non?
-Évidemment que non! Seulement, ça n'avait jamais été aussi intense... Je ne l'avais encore jamais vu de cette façon.
-Écoute, comme je te l'ai dit tout à l'heure, tu dois te racheter auprès de lui. Il n'y a pas de solution miracle, mais pour tout type de relation, des efforts doivent être fournis des deux côtés.
Elle ne répond pas et nous marchons en silence pendant un long moment. Je me rends compte assez vite que nous marchons jusqu'à chez elle, mais je ne dis rien. Après tout, où aller d'autre? En plus, elle ne semble pas être dérangée par ma présence à sa droite alors je continue de marcher à ses côtés en gardant mes mains dans mes poches. De toute façon, je sais que dès que nous allons être devant son immeuble, elle rentrera chez elle retrouver sa colocataire pour lui raconter son "aventure" au restaurant.
-River? Finit par me demander Scarlett.
-Oui?
-Je suis désolée.
Je fronce les sourcils. Pourquoi est-ce qu'elle dit ça?
-Désolée pour quoi? Demandais-je à mon tour.
-Tu le sais bien...
-En ce moment, je suis plus perdu qu'autre chose, Scar... Et avec ces mots, tu ne m'éclaires pas du tout.
-Je suis désolée de ne pas être amoureuse de toi, voilà.
J'arrête de marcher. Elle entend que mes pas ne se posent plus sur le trottoir l'un après l'autre et s'arrête à son tour avant de se tourner vers moi.
-Tu es vraiment quelqu'un de super, River... Je suis sincère quand je te dis ça. Je regrette vraiment de pas t'aimer comme tu le fais avec moi.
-Mais c'est pas de ta faute, tu n'as pas à t'excuser pour ça...
-Ouais, bah je me sens quand même mal. Tu mériterais vraiment d'avoir ce que tu veux.
-Scar... Tu rends la situation plus gênante qu'autre chose, présentement. Je ne sais vraiment pas ce que tu veux que je te dise...
-Je ne le sais pas non plus... Mais ça devait sortir. Crois-moi, si j'avais pu choisir... Je l'aurais fait.
-Écoute, ça me touche... Mais je ne t'en veux pas pour ça. Je te l'ai déjà dit, je peux m'en remettre. Et quand ce sera fait, ce n'est pas ce qui va m'empêcher de me soucier de toi ou même de vouloir passer du temps en ta compagnie. Et puis, si on en est à présenter nos excuses, moi, je suis désolé d'avoir cherché des informations sur toi et de m'être introduit dans ta vie privée sans en avoir ton autorisation.
Elle hoche la tête.
-Tu pars quand, déjà?
-Dans trois jours.
Elle me prend dans ses bras et je reste un moment sans réagir. Ça doit être la première fois qu'elle se montre si ouverte avec moi.
-Tu vas vraiment me manquer, River.
Je la resserre contre moi.
-Toi aussi, Scarlett.
Comme d'habitude, elle est la première à se détacher et je vois une larme rouler sur sa joue. Elle l'essuie rapidement.
-Bon... Et bien... Salut. Et merci d'être venu me chercher... Me dit-elle.
-Ouais... Y'a pas de quoi... À plus tard... Répondis-je.
Une fois qu'elle est rentrée dans son immeuble, je reste devant l'entrée encore quelques minutes avant de me diriger vers chez moi, à mon tour.
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PLUS QUE QUELQUES CHAPITRES AVANT LA FIN!
J'espère que celui-ci vous aura plu, en attendant!
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