Chapitre Six
6.
Point de vue de Scarlett
Présentement, je suis à l'épicerie avec Isabella. Nous faisons nos courses de la semaine toutes les deux. Je pousse le panier tandis qu'elle met tout ce qu'il nous faut à l'intérieur. Puisqu'elle est un peu plus grande que moi, elle atteint les produits placés en hauteur avec plus de facilité que moi.
Dans ma famille, je suis la plus petite. Ma mère mesure 1m70 et mon père 1m82. Austin le dépasse de deux centimètres. Avec mon 1m57, je me demande vraiment si j'ai un quelconque rapport avec eux. Toute famille a son mouton noir. Dans la mienne, c'est moi. Je le sais très bien, il est complètement inutile de le cacher. Au fond de moi, je l'ai toujours su, même si j'essayais de me convaincre du contraire pendant les premières quatorze années de ma vie.
Avec le panier, je finis par foncer dans une pile de boîte de céréales, la renversant par le même coup. Étant donné qu'Isabella était un peu concentrée à sélectionner quel paquet de farine serait le plus approprié, elle n'a rien vu jusqu'à ce qu'elle n'entende le bruit de l'impact des boîtes sur le sol.
-Merde, S! Regarde un peu où tu vas!
-Je vais bien, merci de le demander. Ironisais-je.
Elle souffle.
-Sois un peu plus attentive, bon sang! Tu dors, maintenant, tu ne devrais pas avoir à ne pas porter attention à ce qui se trouve autour de toi.
C'est vrai, maintenant, je dors, quand il fait nuit. C'est grâce aux somnifères que j'ai reçus. D'un côté, c'est bien parce qu'à présent, je peux me reposer et que je ne suis pas en train de tituber quand je marche. Mais d'un autre, c'est nul parce que ça me prouve que je ne peux pas m'endormir par moi-même, qu'il faut absolument que je drogue mon système pour y arriver. Je n'aime pas avoir à dépendre d'une substance. Je ne veux plus avoir à dépendre d'une substance. Qu'elle soit légale ou non.
-Bon, allez, on va ranger un peu. Me dit-elle.
Je laisse le panier en plan et vais l'aider à remettre un peu l'ordre dans la pile que j'avais renversé. Lorsqu'un employé nous dit qu'il va s'en charger, on retourne à nos emplettes. Je dois dire que j'aurais dû éprouver une certaine honte, mais ce n'est pas le cas. Je ne suis pas le genre de personne qui a honte, désormais.
Avant d'arriver aux caisses, je récite le contenu de la liste pendant qu'Isabella vérifie qu'il ne manque plus rien. Quand tout est bon, nous nous mettons en file avant de faire scanner nos achats et de payer ensemble. On transporte ensuite nos sacs jusqu'à notre appartement. Les poignes de plastique me taillent les paumes, mais je ne m'arrête pas. Je les déposerai chez moi.
Sur place, on dépose les sacs dans la cuisine avant de tout ranger: dans le réfrigérateur ou le garde-manger.
-Bon, maintenant, qu'est-ce qu'on fait? Me demande Isabella.
-Qu'est-ce que tu veux dire?
-Bah, on a nos journées de libre! On peut donc profiter, tu sais, comme avant le déménagement? On pourrait aller faire les boutiques?
Je grimace.
-J'aime pas faire les magasins, tu le sais, Isa...
-Alors on va au parc!
-Pour y faire quoi?
-Roh, tu m'aides pas du tout, là! T'as une meilleure idée?
-Bah... On pourrait...
Je reste silencieuse. Ça fait tellement longtemps que je n'ai pas passé la journée avec elle que je ne sais plus ce qu'on faisait, avant. La situation que j'ai vécue il y a trois ans a rendu tout beaucoup plus difficile. Je me suis renfermée sur moi-même, je le sais très bien. Je ne comprends toujours pas comment Isabella fait pour toujours tenir à moi. Elle ne m'a pas abandonné. Je ne comprends pas pourquoi elle ne l'a pas fait. À une époque, nous étions les deux côtés d'une même pièce de monnaie. Aujourd'hui, je ne peux plus dire la même chose.
-Pour une fois que nous avons du temps toutes les deux... Je ne veux pas qu'on le perde en restant clouées ici.
-Bah j'aimerais bien aussi... Mais qu'est-ce qu'on pourrait faire? Elle est là, la vraie question.
Elle souffle.
-Dis-moi pas que nous sommes déjà ennuyeuses? On a même pas encore 25 ans!
-Sympa de savoir que c'est à 25 ans qu'on devient chiantes. Crois-moi, c'est Austin qui va être ravi de l'entendre. Dis-je puisque celui-ci aura bientôt 30 ans.
-Roh, mais je plaisante! Lui dis pas ça, s'il te plaît.
-Je suis pas une rapporteuse.
Une idée finit par me venir en tête.
-On pourrait aller au cinéma! Y'avait pas un film que tu voulais aller voir?
-Oui, mais c'est le genre de film qui ne te plait pas... Mais va pour le ciné! On choisira un film sur place.
-Attends, les heures de diffusion peuvent varier. Moi je propose qu'on regarde d'abord en ligne ce qui est à l'affiche et à quelle heure.
-Pas bête.
Nous nous asseyons toutes les deux pendant qu'elle sort son portable. Je reconnais tout de suite le film qu'elle voulait voir, mettant en vedette Reese Witherspoon. En lisant le synopsis, je réalise qu'effectivement, c'est le genre de films que je n'aime pas. Je risque de trouver ça beaucoup trop cliché pour réellement apprécier ce qui s'y passe. Autrement, il y a plusieurs films d'horreur et quelques films pour enfants, dont un qui met en vedette des emojis (est-ce qu'un tel film peut réellement être bon?).
Une fois qu'on a choisi quelque chose, on regarde les heures de diffusion.
-Bon, le film commence à 15h45. Si on part dans dix minutes, on a le temps de s'y rendre et d'acheter de quoi manger et boire.
-Euh, t'étais pas sur une diète? Demandais-je.
-Si, pour mon boulot je dois être en bonne forme physique, c'est pour ça que je m'entraîne et que je mange santé. Mais rien ne m'empêche de manger du pop-corn une fois de temps en temps. De toute façon, je ne crois pas qu'un sachet de pop-corn qu'on se partagera à deux pourra vraiment changer ma silhouette.
-Ouais, sûrement.
-OK, attends un peu, je vais aller prendre mon sac à main!
Je hoche la tête pendant qu'elle va le chercher. De mon côté, je me contente de glisser ce qu'il me faut dans les poches de mon jean rouge. Je n'aime pas me déplacer avec trop de choses pour rien. Je ne vais pas traîner un sac que dans le but d'avoir mon porte-feuille à portée de main. Pour le coup, on ne va que dans un cinéma. Tout ce qu'il me faut, c'est de l'argent.
-Bon, je suis prête! Tu ne prends rien d'autre avec toi? Me demande Isabella en me voyant.
-Non, j'ai tout sur moi. On y va?
-Si tu dis qu'il ne te manque rien, oui!
On quitte l'appartement et nous attendons le bus toutes les deux. Je m'efforce, comme lorsque je suis exposée au monde, à garder la tête baissée. Je ne veux pas qu'on commence à me dévisager bizarrement.
-S, dans le pire des cas, mets ta capuche! Tu niques complètement ta posture en restant penchée comme ça.
-C'est pas une capuche qui va empêcher au monde de voir mon visage.
-Et puis après? Qu'est-ce que ça peut bien foutre qu'ils te voient ou pas? En attendant, si tu restes comme ça, plus tard tu auras des problèmes de dos, c'est moi qui te le dis!
Je souffle puis me mets droite. Je sais qu'Isabella sourit, fière de m'avoir convaincue. L'autobus arrive bientôt et puisque tous les sièges sont pris, nous restons debout et nous nous tenons à une barre métallique en discutant. Seulement, mon attention est détournée quand je me sens fixée. Je tourne la tête un instant et je vois un petit garçon qui m'observe. Il ne doit pas avoir plus de six ans.
-Maman, elle a quoi sur le visage, la madame? Demande-t-il en me pointant du doigt.
-Ce ne sont pas tes affaires, mon chéri. Et on ne pointe pas du doigt les gens, c'est impoli!
Je soupire. Je savais que j'aurais dû garder la tête baissée.
-Ignore-le, S. Ce n'est qu'un gamin stupide. Me dit Isabella.
Je hoche la tête sans pourtant la croire complètement. J'ai toujours aimé les enfants. Ils sont innocents et très francs et c'est quelque chose que j'apprécie. Je voulais en avoir, mais plus maintenant. Après tout, je ne veux pas qu'on se moque d'un enfant que parce que sa mère est défigurée. De toute façon, je ne pense pas avoir ce qu'il faut pour élever un enfant.
-Oh, on y est! M'annonce Isabella en appuyant sur le bouton pour annoncer notre intention de descendre.
Une fois à l'extérieur du bus, on marche vers le cinéma. Nous faisons d'abord la queue pour acheter nos places puis de nouveau pour la nourriture. Par la suite, nous nous plaçons dans la salle, tout au fond à ma demande. Je sais que les meilleures places sont au milieu, mais derrière, c'est plus discret. Je plonge ma main dans le pop-corn pour en manger un peu.
-Mais faut en garder pour le film, tu fais quoi?
-Bah, je déguste. Relaxe, on ne finit jamais le pop-corn de toute façon. Je voulais seulement savoir ce que ça goûte. Il aurait juste fallu un peu de beurre...
-Tu sais bien que le beurre, c'est gras. Je peux manger du pop-corn, mais il ne faut pas de beurre dessus.
-Je sais, je ne te blâme pas pour ça. Juste que d'après mes goûts personnels, il en aurait fallu plus. Mais c'est quand même bon, alors je vais m'en contenter!
-Super. J'espère qu'on a fait un bon choix de film!
-Le synopsis était bien... Je ne verrai pas pourquoi ça serait nul.
-Je sais, mais on avait dit pareil pour The 5th Wave... Et bon...
-Bon, d'accord. Mais on pouvait pas le savoir!
Nous parlons toutes les deux jusqu'au début des publicités, où nous demeurons silencieuses jusqu'à la fin du film. Heureusement pour nous, le film n'était pas pourri. On quitte la salle en jetant nos affaires et puis, nous passons devant une arcade.
-S, on doit faire le jeu de danse! Me dit mon amie.
-Isa...
-Allez, s'il te plaît! Comme avant!
-D'accord.
Nous payons puis nous nous installons sur les plateformes. Après que la chanson ait été choisie, je suis l'écran pour savoir sur quelle flèche mettre les pieds et à quel moment. Je vois mon score exploser tandis que je sens qu'Isabella galère à maintenir le rythme. Au final, je gagne la partie.
-Explique-moi comment tu arrives à faire tout ça!
-Bah, c'est comme ça... C'est tout.
-Arrête, tu danses bien naturellement. Ça a toujours été comme ça. Tu as une grâce naturelle.
-Ne ramène pas ça, Isa. C'est du passé, maintenant.
Elle souffle.
-Tu aurais tellement pu te rendre loin... Tu sais, c'est une des choses les plus dommages que j'ai trouvée, dans ma vie.
-Y'a absolument rien qui peut changer, maintenant. C'est trop tard.
-Je sais... C'est justement ça que je trouve dommage.
-J'aime pas qu'on parle de tout ça, tu le sais. Surtout dans un lieu public.
Elle hoche la tête, comprenant que le sujet est clos et qu'elle ne peut rien rajouter qui puisse me faire changer d'avis. On continue à se promener puis on passe à côté d'une murale. C'est un oiseau. Je ne sais pas si c'est un aigle ou un faucon. Ses ailes s'étendent sur le mur.
-C'est tellement beau! S'exclame Isabella.
-Tu veux que je te prenne en photo?
-Ça te dérange pas?
-Bien sûr que non. Allez, donne-moi ton portable. Va faire ta petite pose de mannequin!
Elle me lance un regard ironique puis me tend son portable. J'attends qu'elle se place avant de prendre plusieurs photos. Éloignées comme rapprochées. Isabella est magnifique, tout simplement. Chose qui ne m'étonne pas.
-Viens voir! Lui dis-je.
Elle se rapproche puis regarde toutes ses photos.
-Ouaaaaais! Pas mal! Pas mal du tout! Allez, à ton tour.
-Comment ça, à mon tour? Je veux pas de photo, moi.
-Tu es sûre? La murale est jolie. Tu pourrais être aussi sublime que moi!
-Et tu penses faire gober ça à qui? Pas de photo.
Elle souffle.
-Comme tu veux.
Après ça, on rentre à l'appartement. Elle ne me fera jamais changer d'avis. Peu importe ce qui arrive. Je suis hideuse. C'est tout. Il n'y a plus rien à ajouter.
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En média, vous avez la murale décrite!
J'espère que le chapitre vous a plu!
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