Chapitre Quatre
4.
Point de vue de Scarlett
Hier soir, pendant le concert, j'ai dû demander une pause en urgence à Eldon pour aller m'acheter un café. J'étais pratiquement en train de m'endormir sur place et je me sentais mal. J'ai failli vomir. J'ai failli m'évanouir. Pour cette raison, j'ai reçu une sanction de sa part: je ne peux pas retourner au travail pour la prochaine semaine. Et je ne serai pas payée. Maintenant, ça craint. Non seulement je ne recevrai pas de salaire, mais maintenant, tout le monde s'inquiète pour moi.
Isabella a donc appelé mon frère pour lui demander de me traîner jusqu'à la clinique. Chose qu'il a bien évidemment accepté, dès qu'il a compris la gravité de la situation.
-Scarlett Hyland? Docteur Bartkowski est prêt à vous recevoir.
Je me lève en soufflant, puis Austin, mon frère, me reconduit jusqu'à son bureau.
-Tu veux que je t'accompagne? Me demande-t-il quand nous sommes devant la porte.
Je me contente de secouer la tête.
-OK, je t'attends dans la salle d'attente. On ira manger ensemble après, c'est bon?
Je hoche la tête, en évitant son regard. J'ai honte, en réalité. J'ai honte qu'il me voit comme ça et j'ai honte du fait qu'il soit obligé de m'aider parce que j'ai des problèmes de sommeil. M'avoir comme sœur n'est pas un cadeau. Je le sais très bien.
Je rentre dans le bureau et vois mon médecin de famille.
-Bonjour, comment ça va? Asseyez-vous, s'il vous plait.
Je prends place sur la chaise et souffle.
-Pas très bien... Je ne dors pas assez, selon mes proches...
-Expliquez-moi tout ça.
Je lui parle donc de mon désir de dormir sans y arriver les 95% du temps. Je lui passe à peu près tous les détails.
-D'accord. J'aurai quelques questions à vous poser, en lien avec ça. Vous devez répondre le plus précisément possible si vous voulez qu'on trouve une solution efficace, vous comprenez bien?
-Oui.
-À quand remonte votre dernière nuit de sommeil complète?
-C'est combien en heures?
-Entre sept et huit heures.
Je réfléchis quelques instants.
-Peut-être il y a dix jours...
-Avez-vous réussi à dormir un minimum de quatre heures entre-temps?
-Sans doute... Mais jamais de suite.
Il griffonne ce que je lui dis sur un papier. Il me pose un nombre interminable de questions et puisque je suis fatiguée, il m'arrive de ne pas bien comprendre: ce qui m'oblige à lui demander de répéter ce qu'il vient de dire. Il me pose entre autres des questions sur ma vie personnelle, mon alimentation... Ce genre de chose.
-Avez-vous essayé des moyens traditionnels?
-J'ai essayé la camomille.
-Vous trouvez-vous dans des conditions propices au sommeil? C'est à dire une bonne température, un endroit calme et assez sombre offrant du confort?
-Oui.
-Si vous avez réussi à vous endormir, vous êtes-vous réveillée subitement suite à un événement inattendu comme c'est le cas d'un cauchemar, par exemple?
-Pas à ma connaissance.
Il finit de tout noter.
-Je vais vérifier votre état de santé. Ne vous forcez pas trop, faites du mieux que possible.
Je hoche la tête. Il vérifie d'abord mes réflexes en appuyant sur mes deux genoux, puis me met une lumière devant les yeux en me demandant de suivre sa trajectoire du regard. Il fait aussi passer un test de vue en me demandant de lire les lettres sur un panneau fixé au mur. Il regarde aussi dans ma gorge et dans mes oreilles.
-Bon, je vais vérifier votre fréquence cardiaque. Enlevez votre veste, s'il vous plaît.
Je me crispe.
-Je suis obligée?
-Il faut le moins de couches de vêtements sur vous si on veut que ça soit efficace. C'est important, s'il vous plaît.
J'hésite un moment, puis retire ma veste lentement avant de la placer sur mes jambes. Il fixe maintenant mes bras et je suis gênée.
-Hum. Bon, mettez-vous sur le côté.
Je me place et j'attends qu'il place la plaque du stéthoscope sur mon dos. Il me demande d'inspirer puis d'expirer. Quand c'est fait, nous passons ensuite au test de tension artérielle. Il me place un brassard gonflable autour du bras et appuie pour le remplir d'air et serrer mon bras. Après quelques instants, il relâche tout.
-D'accord. Voici ce que je vous donne. Je vais vous donner une prescription pour des somnifères. Mais attention, ce n'est qu'un temporaire. Après vous avoir examinée, j'en viens à la conclusion que c'est peut-être un problème d'ordre mental qui vous empêche de dormir.
-Vous sous-entendez que je suis folle?
-Non, parfois il se peut qu'une partie d'une personne empêche celle-ci de dormir. C'est pour ça que je vous recommande fortement de prendre rendez-vous avec un psychiatre. Je vous remets ici la carte du Docteur Reynolds. Il saura mieux que moi vous aider.
-Ça... Ça va coûter cher?
-C'est à vous de voir avec lui. Mais sincèrement, investir pour votre santé, c'est la meilleure décision possible.
Je hoche la tête en prenant ma feuille de prescription.
-Alors, c'est tout?
-Oui. Passez à la réception avant de partir, s'il vous plaît. Passez une bonne fin de journée.
Je remets vite ma veste et quitte son bureau. Je repère Austin des yeux et il se lève quand il me voit me rendre à la réception. Austin règle la facture, puis je monte avec lui dans sa voiture en route vers la pharmacie.
-Qu'a dit le docteur? Me demande-t-il.
-Rien d'important.
-Chat... Je te rappelle que je viens de payer pour un rendez-vous qui a duré un peu plus de trente minutes. J'aimerais au moins savoir ce qui s'est passé et ce qu'il t'a dit.
-Il m'a recommandé d'aller consulter un psychiatre.
-C'est aussi sérieux que ça?
-Oui. Il pense qu'il y a peut-être une raison mentale qui m'empêche de dormir comme je le veux.
-OK, on va chercher ta prescription et on va prendre rendez-vous.
-Austin... J'ai pas envie de...
-Tu vas lentement te tuer si tu ne règles pas ce problème de sommeil. Ça ne me dérange pas de payer, OK? C'est ta santé qui compte, ici. Donc on prend rendez-vous et crois-moi, tu vas t'y rendre que tu le veuilles ou non.
Je souffle. C'est ce qui m'a toujours énervé, chez mon grand frère. Il ne peut pas se mêler de ses affaires, quand il est au courant d'une situation. Je l'aime, bien entendu. J'ai vécu une enfance merveilleuse avec lui (même s'il a 12 ans de plus que moi). Il était toujours aux petits soins avec moi et il m'a beaucoup appris. Par contre, il est trop protecteur avec moi. Et ce, sur plusieurs points.
Quand on quitte la pharmacie, nous allons manger comme prévu (il me paye même le repas) et il reste à côté de moi pendant que j'appelle chez le foutu psychiatre.
-Le rendez-vous est fixé pour dans deux semaines.
-Très bien. Je vais t'accompagner ce jour-là.
-Je peux aussi y aller toute seule, je suis assez grande. Je sais que tu fais ça juste pour tout dire aux parents.
-Si tu ne veux pas qu'ils le sachent, je ne leur dirai rien. Je ne comprends pas pourquoi, mais ils ne sont plus obligés de le savoir. Je m'inquiète pour toi, Chat.
-Un peu trop. Je ne suis plus une petite fille. J'ai pas besoin de protection et de maternage intensif.
-C'est pas ce que je sous-entends. Tu te renfermes sur toi-même. L'isolation n'est jamais la solution.
-Et quoi? Maintenant tu vas me prescrire un psychologue aussi pour que je puisse "parler"? Je sais très bien ce que je fais, et tu sais très bien que de toute façon, que je m'isole ou non, ça ne changera rien à la réalité des choses.
Je tourne la tête vers lui et je le vois secouer la sienne de gauche à droite. Il semble exaspéré.
-Tu n'as encore jamais eu l'occasion de voir que beaucoup de personnes ne s'arrêtent pas à l'apparence. Si je m'étais fié à ma première impression dès le départ, rien de tout ça ne serait en train d'arriver.
-Ramène-moi chez moi, s'il te plaît. Me contentais-je de dire.
Il souffle.
-Comme tu veux.
Quand nous faisons face à mon immeuble, je prends le sac contenant mes somnifères et m'apprête à quitter la voiture quand Austin m'attrape le bras, me faisant grimacer sous la douleur. Mes nouvelles cicatrices sont récentes.
-Fais attention à toi. D'accord? Tu m'appelles si y'a quoi que ce soit.
-Oui, bien sûr. Tu lâches mon bras, maintenant?
Je vois ses sourcils se froncer, m'indiquant de la même façon qu'il soupçonne quelque chose. Pourtant, il se ravise et me lâches le bras.
-Essaie d'aller dormir maintenant, OK? Mais n'utilises pas de somnifère, garde ça pour le soir.
-Oui. Je vais essayer.
Encore.
Il hoche la tête et je descends finalement de sa voiture. Je monte à l'appartement. Je joue un peu avec mon trousseau de clés quand je suis devant la porte pour prendre ma clé et débarrer. Je rentre et je vois Isabella dans le salon. Elle passe l'aspirateur.
Je referme la porte, puis elle arrête l'aspirateur.
-Alors?
-Alors quoi? Demandais-je.
-Tu te fous de moi? Qu'est-ce que le docteur a dit?
-Il m'a donné des somnifères.
-Attends, c'est tout? Aucun diagnostic? Rien de rien? Juste des somnifères?
-Non, il ne peut pas déterminer la cause précise de mon problème parce qu'il est généraliste. Austin m'a fait prendre rendez-vous avec un psychiatre sous les recommandations du médecin. J'y vais dans deux semaines.
-Un psychiatre? Attends, depuis quand...
-Écoute, j'ai pas trop envie d'en parler, sincèrement. Tout ce que je peux te dire c'est que le docteur pense qu'il y a une raison psychologique derrière tout ça.
-Tu penses pas que ce serait à cause de ce qu'il s'est passé il y a trois ans?
Je pouffe.
-T'es sérieuse? J'ai tourné la page. J'ai appris à accepter ce qui s'est passé.
-T'en es bien sûre? Parce que y'a quand même une multitude de choses qui ont changé chez toi depuis tout ça...
-Puisque je te le dis! La personne qui me connaît le mieux ici, c'est moi. Mais bon... Tu en étais rendue où, dans le ménage? Je peux faire le reste.
-Tu n'es pas forcée, je peux le terminer moi-même...
-Dis, t'avais pas un cours en plus, là?
-Bien sûr que si, mais...
Je l'arrête en levant ma main de sorte qu'elle puisse voir ma paume.
-Tu ne vas pas manquer un de tes cours pour nettoyer l'appartement. Allez, vas-y, je gère.
-Non, mais vraiment, S, je peux m'en occuper. Ça ne me dérange pas de...
-Je peux aussi m'en occuper. Allez, vas-y. Je te connais, tu détestes manquer des cours. Je vais dormir plus tard, t'en fais pas.
-T'es sûre que tu peux t'en occuper sans problème?
-Mais oui! Allez, faut pas que tu manques plus de temps que ça!
-Bon... D'accord. Merci!
-Pas de quoi.
Elle me laisse l'appartement quelques minutes plus tard et, comme promis, je termine de nettoyer. Je bâille. Je suis tellement fatiguée. J'ai mal partout et mes yeux brûlent. Je ne comprends pas comment j'arrive à vivre de cette façon, mais je le fais.
Je regarde l'heure et je décide que j'ai un peu de temps devant moi. Je me rends dans la salle de bain et j'attrape une nouvelle lame de rasoir avant de me déshabiller. Étant donné que mon bras droit s'est un peu plus rétabli, je prends la lame avec ma main gauche avant de commencer mes entailles. Ça fait mal, ça me brûle, mais ça me soulage. Je me calme et pour une fois, je suis optimiste.
Quand j'ai terminé, comme d'habitude, je nettoie d'abord mon bras pour enlever le sang en trop puis j'applique de l'alcool à friction dessus. Je manque de crier sous la brûlure, mais me retiens. De toute façon, personne ne peut m'entendre. Je le sais, je l'ai vécu. Ensuite, je prends une douche et j'enroule mon bras dans un bandage après m'être séchée. Je remets mes vêtements et en regardant mon reflet dans le miroir, je m'assure du fait qu'on ne peut pas remarquer quoi que ce soit avant de quitter la salle de bain et de tout jeter. Je couvre mes déchets de sorte à ce qu'Isabella ne voit pas. Si elle apprenait ce que je faisais, elle entrerait dans un stade de panique totale et je veux éviter ça.
Puisqu'il est assez tard, je décide d'aller dormir. Je me mets en pyjama et lis les instructions pour prendre correctement mon somnifère. Je m'installe dans mon lit et avale un comprimé avant de m'étendre.
Maintenant, il faut attendre.
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