Chapitre Quatorze
14.
Point de vue de Scarlett
Je me réveille et pousse un bâillement avant de m'étirer. Je cligne des yeux. Je ne pense pas avoir aussi bien dormi depuis un moment, même si je prends des somnifères. D'ailleurs... Est-ce que j'en ai pris hier soir? Je ne m'en souviens pas.
Puisque ma porte est ouverte, je sens une odeur plutôt bonne. Je fronce les sourcils, me demandant ce que c'est. En sortant du lit, j'enfile une veste pour couvrir mes bras et quitte finalement ma chambre en suivant l'odeur. Je sursaute en voyant River dans la cuisine. Mais qu'est-ce qu'il fait là?
-Oh, bon matin! Prends place, j'ai presque fini! Me dit-il dès qu'il me voit.
Toujours un peu incertaine, je m'installe sur une chaise et le regarde faire. Il est en train de faire des crêpes.
-Pourquoi tu fais à manger?
-Parce que c'est le matin et qu'il faut bien reprendre des forces. Et... C'est le seul déjeuner que je sais préparer.
-J'aurais pu m'en charger.
-En toute franchise, je me suis réveillé avant toi et quand je suis venu te voir, tu avais l'air de bien dormir alors je ne voulais pas te déranger. Mais j'avais faim et je me suis dit que ce serait sûrement ton cas à ton réveil. D'ailleurs, je pense que c'est bon! Y'a du sirop et des fruits, ici?
-Oui, les fruits dans le frigo et le sirop dans le garde-manger.
-OK! Je vais placer la table.
-Non, tu es chez moi, c'est donc à moi qu'il revient de te servir.
-Bah j'ai déjà fait la bouffe, je peux bien m'occuper du reste.
-Oui, merci, mais tu en as assez fait. Allez, va t'asseoir.
-D'accord, c'est toi qui vois. Me dit-il en plaçant la pile des crêpes au milieu de la table.
Je me lève et nous sert deux assiettes, des fourchettes et des couteaux. Je sors ensuite quelques fruits: bananes, fraises, bleuets. Finalement, je pose le sirop et me sers une crêpe. Je la garnis de bananes, la roule avant de verser le sirop et de commencer à la manger.
-C'est pas mal. Lui dis-je en faisant référence à ses crêpes.
-J'espère bien, comme je te l'ai dit, c'est une des seules choses que je sais préparer.
-Vraiment? C'est simple, de cuisiner, pourtant.
-Sûrement, mais dans mon cas, j'ai tendance à oublier si le processus est trop long. Des crêpes, ça se fait rapidement alors...
Je secoue la tête. Je comprends que certaines recettes peuvent être plus longues à préparer que d'autres, mais c'est quand même quelque chose qui nous permet de vivre (ou même de survivre). Pour le coup, je me demande ce qu'il pourrait bien faire quand il vivra tout seul et que personne ne lui préparera à manger pour lui.
Quand nous avons terminé de manger, nous lavons la vaisselle.
-Au fait, ta coloc, elle est où, déjà? Me demande-t-il en essuyant une assiette.
-Brésil.
-Wah, c'est exotique! Pourquoi?
-Elle a eu un contrat là-bas, une super opportunité.
-De travail? En quoi?
-Elle est mannequin. C'est son premier gros contrat.
-C'est quoi son nom? Peut-être que je l'ai déjà vue sans le savoir.
Je tourne la tête vers lui et le dévisage longuement. Ou plutôt, je le juge intérieurement.
-Est-ce que tu viens vraiment de me demander comment elle s'appelle juste dans le but de la chercher sur internet et de la MATER?
-Quoi? Euh, non! Non!
-River...
-Je te jure que c'était pas mon intention! Je... Je me remets encore d'une rupture plutôt difficile, si on veut. J'ai pas envie de me "consoler" de cette façon. J'étais simplement curieux.
Je reste silencieuse un moment. Une vague de question me vient en tête. Qu'est-ce qu'il s'est passé? Qui a laissé qui?
-Tu veux savoir ce qui s'est passé, pas vrai? Comment est-ce qu'on peut laisser un dieu vivant tel que moi.
-Et bien, je crois que j'ai ma réponse...
-Je rigole. Non, en fait. Elle m'a trompée.
J'écarquille les yeux. Je ressens un peu de peine pour lui. Je sais à quel point ce genre de chose peut faire mal. Je sais encore plus à quel point ça peut nous détruire intérieurement. Petit à petit. En pensant que le coupable, c'est nous. Qu'on était pas assez bien.
-Je comprends. Désolée.
-T'as pas à être désolée. C'est elle qui perd, pas moi! S'exclame-t-il.
Je hausse un sourcil.
-Tu veux savoir? Pour quelqu'un qui se remet d'une rupture, tu m'as l'air de t'en remettre assez vite et plutôt bien.
-Ah? Vraiment? Me demande-t-il en souriant.
-Bah, disons que je connais des gens pour qui ce processus a duré plus longtemps.
-Ça dépend toujours de la personne qu'on est, du temps de la relation et surtout du contexte. C'est normal que certaines personnes n'arrivent pas à passer à autre chose rapidement, mais l'important, c'est d'y arriver au final.
-Oui, c'est vrai.
Nous continuons de nettoyer la vaisselle jusqu'à ce que tout soit propre. River finit par attirer mon attention et je le vois hésiter un long moment avant de lâcher sa bombe.
-J'aimerais qu'on reparle de hier soir.
À mon tour, je baisse les yeux. Ce que je fais, je le fais quand je me sens tellement coupable avec moi-même que je dois m'apaiser. Surtout, je m'assure d'être bel et bien seule pour aller dans la salle de bain. Je m'étais promis que personne de mon entourage le saurait. Maintenant, c'est encore pire: il est aussi l'un de mes collègues de travail.
-Je ne sais pas ce que tu veux que je te dise. Lui dis-je en toute franchise.
-Scarlett... Pourquoi as-tu fait ça? Non, pourquoi tu FAIS ça?
-River, je ne pense pas que ce soit de tes affaires.
-Ça l'est devenu dès que je t'ai vue te faire des entailles volontairement à cause de moi.
-Si je faisais ça, ce n'était pas à cause de toi. C'est à cause de ce qui est arrivé.
-Ça revient pratiquement au même si tu veux mon avis...
-Pas du tout! M'exclamais-je.
Il recule d'un pas, surpris. Je réalise trop tard que j'ai crié. Je prends une inspiration et reprends, plus calmement cette fois.
-Écoute. Tout ça, c'est de ma faute. C'est moi qui m'ennuyais et c'est moi qui ai pensé que c'était une bonne idée de te prendre comme bouche-trou. Si tu t'es énervé hier soir, c'était de ma faute. Et tu avais bien raison de t'énerver... C'est pour ça que c'est arrivé. D'ailleurs, tu n'aurais jamais dû voir ça...
Il me regarde sans parler. J'ai l'impression qu'il cherche quoi répondre. Je sais très bien qu'il ne saura pas me convaincre du fait que je ne suis pas responsable de ce qui est arrivé. Je fais de très nombreuses gaffes et bien souvent, ce n'est qu'à moi que je pense.
-Depuis quand tu penses comme ça?
-Hein? Demandais-je.
-Depuis quand tu penses que c'est de ta faute? Depuis quand tu te fais ça?
-J'ai pas trop envie d'en parler, River...
-Scar... Tu ne peux pas continuer à garder ça pour toi. Tu te fais du mal! Tu peux nuire à ta santé!
-J'ai surtout pas envie que tu me fasses la morale.
-Alors pourquoi tu fais ça?
-Je...
Je garde le silence. Je sens les larmes me monter aux yeux. Ce n'est pas à cause du ton qu'il emploie ou de la vérité de ses propos. C'est à cause de tout le reste et je m'en veux tellement de lui donner encore autant de pouvoir sur moi. Devant mon silence, River reprend la parole.
-À part moi... Qui d'autre le sait?
-Personne. Enfin, sauf si tu comptes mon médecin et mon psychiatre...
-Ta coloc ne sait rien? Ta famille non plus?
-Comme si je voulais qu'ils le sachent! Ils m'auraient fait internée!
Il reste silencieux.
-Toi aussi, tu penses que je suis folle, pas vrai?
-Non! Pas du tout!
-Tu ne comprends pas ce que je vis, River. Tu ne pourras jamais me comprendre.
-Non, peut-être pas. Mais j'en comprends assez pour savoir que tu ne vas pas bien, Scarlett. Je ne veux pas être celui qui t'explique de quelle façon de vivre, mais je ne vais pas non plus être celui qui ferme les yeux sur ce qui se passe. Je t'ai vue. Et maintenant, j'ai un rôle à jouer. Que tu le veuilles ou non. Je suis impliqué, désormais.
Je hoche la tête. Il a raison. Il est trop tard, maintenant. On ne peut plus faire marche arrière. Il a vu me scarifier. Je ne peux pas lui demander de faire comme si de rien n'était. Encore une fois, c'est de ma faute. J'aurais dû barrer la porte dès qu'il est parti, hier soir. Heureusement pour moi, j'ai encore mon mot à dire.
-D'accord. Mais je vais te demander deux choses.
-Vas-y.
-Je ne veux pas que tu me poses de question à ce sujet. Jamais.
-OK... Je te promets rien, mais je vais essayer. Et la deuxième?
-Tu gardes cette connaissance pour toi. Je ne veux pas que ça se sache.
-Attends, quoi? Tu sais bien que je ne peux pas faire ça! Cette pratique te nuit plus qu'elle ne te fait du bien!
-River, s'il te plaît. Que tu le saches... C'est déjà trop. Je veux pas qu'on me voit comme étant masochiste ou peu importe. J'aimerais garder un minimum de dignité aux yeux des autres.
Il souffle et se passe la main dans le visage.
-Je ne suis pas entièrement d'accord avec ces conditions... Mais je comprends. Je vais donc les respecter. Mais, je veux quelque chose en échange.
-Pas de l'argent, s'il te plaît, j'ai déjà à peine pour me payer de quoi bouffer...
-Non, non. Tu penses que je suis quel genre de personne? Non, ce que je vais te demander, c'est une promesse de ta part.
-J'écoute. Dis-je en soufflant.
-Je ne veux plus que tu t'infliges ça. Je ne sais pas ce que tu traverses, mais peu importe ce que c'est, cette méthode n'en vaut pas le coup une seule seconde. Il existe une foule d'autres solutions.
-River... Tu ne peux pas me demander d'arrêter du jour au lendemain! Même les fumeurs qui veulent arrêter ont le droit à une période de transition...
-Je sais, mais dans ton cas, la moindre entaille pourrait déclencher une rechute. Laisse-toi guérir, s'il te plaît.
Je râle, mais je hoche la tête. Je lui demande deux choses tandis qu'il m'en demande qu'une seule. Je le vois sourire.
-Et bien, on va commencer tout de suite! On va jeter le contenu de ta poubelle de la salle de bain dans la benne derrière ton immeuble. Est-ce que tu as d'autres lames que celles que tu as utilisé hier soir?
-Tu veux dire... Qui ont déjà servi&
-Non, le contraire. Je sais que tu jettes celle qui t'as servie. C'est pas le genre de truc que tu réutilises. Enfin, je crois? Rassure-moi?
Je pouffe.
-Allez, je vais te montrer ma réserve...
Je lui indique le chemin jusqu'à ma chambre et fouille un peu dans mon placard avant d'en sortir une boîte. Je la lui donne.
-Merci de me faire confiance comme ça, Scarlett.
Il me sourit et je lui retourne en faisant un semblant de sourire qui, d'après moi, devrait plutôt ressembler à une grimace.
-Merci à toi d'être là.
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Salut, salut!
Désolée pour l'attente, je vis une période assez difficile en ce moment et je dois avouer qu'écrire n'est pas ma priorité numéro un pour le moment. Mais bon, j'ai quand même pu vous faire quelque chose!
Quoi qu'il en soit, j'espère que ce chapitre vous a plu!
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