#24,5 - L'étourdie et l'arrogant
« Je ne vois pas ce que tu détestes chez toi. »
Bibliothèque de la cité royale. Trois ans plus tôt.
Cent-vingt-trois, cent-vingt-deux, cent-vingt-et-un,...
Leo ne veut vraiment pas me laisser tranquille. S'il veut tant devenir chevalier-mage, il n'a pas besoin de m'embraquer à chaque fois dans ses entraînements. Il n'y a pas moyen de lire tranquille au château.
C'est horrible d'être obligée de quitter son chez-soi pour avoir la paix.
Cent, quatre-vingt-dix-neuf, quatre-vingt-dix-huit,...
J'ai perdu une heure dans la cité avant de retrouver le chemin de la bibliothèque. Il n'y aurait pas un moyen pour améliorer mon sens de l'orientation ? C'est comme si je ne pouvais jamais me rendre librement là où je voudrai aller.
La bibliothèque étant énorme et le plan du bâtiment incompréhensible, je décide de demander mon chemin à l'une des bibliothécaires.
— Pour les romans, c'est au premier étage, deux fois à droite et une fois à gauche.
C'est facile à retenir.
Quatre-vingt, soixante-dix-neuf, soixante-dix-huit,...
Je ne sais plus à quel moment j'ai commencé à me perdre. Deux fois à droite et une fois à gauche. J'ai bien suivi les instructions. Alors pourquoi suis-je dans le rayon livres historiques ?
Pendant encore une demi-heure, je fais le tour de la bibliothèque pour essayer de retrouver mon chemin. Hors de question de demander à quelqu'un. Ce sera humiliant pour quelqu'un de mon rang si on savait que je n'avais aucun sens de l'orientation.
— Je peux savoir ce que tu fais ?
Un garçon d'à peu près mon âge m'adresse soudain la parole, tranquillement installé sur un bureau couvert de livres. Il porte la cape de la compagnie de l'Aube d'Or. Si c'est un chevalier-mage, il est forcément plus âgé que moi. Il est si petit pourtant.
— Je cherche un livre.
L'ignorant, je poursuis mon chemin sans savoir où je vais. Les étagères remplis de livres n'aident pas non-plus à se repérer. On se croirait dans un labyrinthe.
Au bout d'un moment, je ressors encore dans le coin des livres d'études... Devant le même garçon que tout à l'heure. Il se met à sourire aimablement en inclinant la tête sur le côté.
— Ça fait six fois que tu passes devant moi, à la recherche de ton livre. M'informe-t-il sur un ton ironique. Pourquoi ne demandes-tu pas tout simplement ton chemin à quelqu'un ?
Si j'arrive à compter jusqu'à six sans qu'il ne me coupe, je trouverai mon rayon !
Six, cinq-
— Je t'ai posé une question !
Il m'a coupé...
De toute façon, il sait déjà que je n'ai aucun sens de l'orientation. Inutile de chercher d'autres excuses. Ce sera moins humiliant de cette façon.
— Même si je demandais à quelqu'un de m'indiquer la bonne direction, je suis capable de me perdre à nouveau.
Le mage referme le livre dans sa main et se lève de sa chaise. En passant, il récupère tous les livres qui étaient devant lui avant de s'approcher de moi.
— Dans ce cas, laisse-moi te guider. Par politesse et par respect pour une jeune demoiselle en détresse.
Je le déteste.
Il a l'air gentil avec son sourire de convenance. Je sens bien toute la pointe d'ironie dans son intonation. Je sais qu'il se moque de moi.
Ne voulant pas perdre plus de temps, je décide quand même de compter sur lui. Gentiment, il me guide vers les livres que je recherche. C'était vraiment deux fois à droite et une fois à gauche. Comment ça se fait que lorsque c'est moi ça ne marche jamais ?
Je retrouve facilement le livre que je recherchais, mais une série d'autres livres à côté attire mon attention.
Je n'ai pas pu contenir ma joie.
— La série complète du « Mage détective Black Mask », je ne savais qu'il y avait eu une suite après le huitième tome !
— Eh... Alors tu aimes cette histoire ?
— Evidemment ! Ce mage résout les enquêtes les plus difficiles comme si ce n'était rien ! Les autres personnages sont tous aussi incroyables et les méchants sont tous charismatiques. Mon personnage préféré est de loin le comte Lightwidge ! Il parvient à suivre les déductions de Black Mask. Je suis sûre qu'en fait c'est lui qui est derrière l'identité secrète de Black Mask.
— Le comte Lightwidge ? Ne me fais pas rire. Ce n'est qu'un homme du peuple qui, pour fuir la dure réalité qu'est son existence, a décidé de se déguiser en justicier masqué pour résoudre des crimes. Parce qu'il sait que les gens ne l'auraient jamais accepté s'ils découvraient ses origines pathétiques.
Ce garçon...
Je le hais.
— Pourquoi tu me regardes comme si tu voulais me tuer ? Tu parais mignonne au premier abord, mais en réalité tu ressembles presque à la chasseuse de prime Molly du tome six. Une démone dans un corps de petite fille.
— C'est toi le démon ! Je t'avais dit que c'était une simple hypothèse que le comte Lightwidge était peut-être Black Mask ! D'où tu oses me révéler, sans aucun tact en plus, que c'était bien lui qui se cachait sous le masque ? Rends-moi toute la joie que j'ai perdue à cause de tes critiques négatives inintéressantes !
— Quoi ? Tu n'avais qu'à terminer les livres si tu adorais tant que ça cette histoire !
Il range ses livres dans les étagères et s'en va en soupirant.
Je ne veux plus jamais le revoir.
***
Les jours d'après, j'ai continué à venir à la bibliothèque. Au bout d'une semaine, je n'avais plus besoin qu'on m'indique mon chemin. Je dévorais chaque polar qui me tombait sous la main, mais aucun n'était réellement intéressant.
— Tiens !
Une pile de livres se fait déposer devant moi par le même garçon de la dernière fois.
— C'est quoi tout ça ?
— Si tu aimes les histoires dans le genre de Black Mask alors tu devrais apprécier ceux-là. J'en connais encore d'autres dans le même genre si tu as besoin de conseils.
— Pourquoi ?
— C'est pour m'excuser pour la dernière fois. Soupire-t-il en détournant son regard. Je n'aurai pas dû te dévoiler des informations que tu n'as pas encore lues. Moi aussi je déteste ça. Pardon.
Il n'est pas si mauvais que ça finalement.
— Tu me conseilles lequel pour commencer ?
On a rapidement sympathisé. Automatiquement, on se retrouvait toujours, une fois par semaine, au même endroit et à la même heure. On ne parlait que de livres, d'auteurs et partager nos avis. On ignorait tout de la vie privée de l'un et de l'autre. On était juste deux personnes aimant les mêmes genres littéraires. Parfois on se lançait ensemble sur la découverte d'un autre genre. De temps en temps on découvrait des perles et dès fois c'était nul.
Mais on s'amusait bien.
Une fois par semaine, on s'évadait chacun de nos vies respectives pour passer un bon moment autour d'un bon livre.
Après quelques mois passés de cette façon, je suis surprise de tomber sur lui un jour où d'habitude on ne se croisait jamais. Sur le coup, ça me fais plaisir de le retrouver. Seulement, il agit bizarrement. Il me paraît soucieux.
Je ne voulais pas lui demander ce qu'il n'allait pas. Ça ne me regardait pas et on n'a jamais parlé d'autres choses en dehors des livres.
Mais ça m'intrigue.
— C'est inhabituel de te retrouver ici un jour comme celui-ci. Les chevaliers-mages ont plus de temps libre que ce que je pensais.
— Je voulais te voir.
Quelque chose ne vas pas chez lui. Peut-être que c'était une mauvaise idée finalement. Mieux vaut ne pas s'immiscer dans ses problèmes. Ça ne me concerne pas.
— La dernière fois, tu avais deviné comment le roman allait se terminer alors que je m'étais trompé. C'était juste un coup de chance, ça ne se reproduira pas parce que je suis beaucoup plus doué que toi pour prédire les scénarios !
Quel mauvais perdant...
— Ce n'est pas comme si je le faisais pour te prouver quoi que ce soit ! Je lis par pur plaisir. Et comme tu l'as dit ce n'est arrivé qu'une fois. Vu le nombre de fois où tu as réussi à deviner la fin, je ne pourrai jamais te rattraper. Est-ce qu'il y a un intérêt à gagner à chaque fois ? Je ne te connais pas si bien que ça, mais ça fini toujours en compétition avec toi. Je ne sais pas pourquoi tu veux tout le temps gagner, mais moi je ne suis pas en compétition avec toi !
— Tout le monde nous respecte lorsqu'on gagne. Les gens ne se moqueront pas de toi lorsque tu leur as prouvé que tu te tiens au-dessus d'eux.
— Moi je te respecte bien, pourtant je ne me sens en aucun cas inférieure à toi.
La discussion devient bizarre. Comment on-est-on arrivé là ? Ah oui... C'est moi avec mes questions...
— Si ce n'est pas parce que je te suis supérieur alors pourquoi ?
— Parce que tu es intéressant. Je n'aime pas ta façon de parler, mais j'aime bien ta façon d'analyser chaque livre qu'on lit. Chaque fois, tu m'en apprends toujours un peu plus. Je reconnais tu en sais plus que moi, tu es même plus âgé que moi, mais je te respecte surtout parce que je te trouve intéressant !
— Intéressant ? Ce n'est pas suffisant comme raison. On ne dirait pas que tu es une fille de livres. Pourquoi n'utilises-tu pas plus de vocabulaires ? Je suis plus âgé que toi ? J'aurai plutôt dis qu'on avait à peu près le même âge.
J'aurai dû me taire.
— C'est assez tard je le reconnais, mais c'est frustrant de na pas savoir comment je dois t'appeler. Je suis Langris Vaude et j'ai dix-sept ans.
Il est encore plus âgé que ce que je pensais...
— Et toi ? Comment je dois t'appeler ?
J'imagine que ce serait impolis de ma part de ne pas me présenter...
— Fleon Vermillion. Douze ans...
Son visage est resté bloqué pendant quelques secondes sur son sourire aimable.
— Mais tu n'es encore qu'une gamine ! Se met-il à hurler. Pourquoi t'es aussi grande pour ton âge ?
— C'est ce qu'on appelle avoir une poussée de croissance ! Je suis plus grande que les autres filles de mon âge je le reconnais, mais avoue que tu es plus petit que les adolescents de ton âge !
D'un air outré, il se met à soupirer en se passant la main sur son visage.
— Tu es donc une princesse en fait. Une Vermillion. Comment ai-je fais pour ne pas le remarquer plus tôt ? Tu ressembles trait pour trait au capitaine Fuegoleon.
— Excuse-moi d'avoir dit que tu étais petit. C'était impoli de ma part. Je peux aussi arrêter de te tutoyer si ça te dérange.
— Ce serait bizarre depuis tout ce temps. Tu es plutôt intelligente pour ton âge.
Un silence malaisant suit notre conversation. Le connaissant, il doit être dépité d'avoir pris une fille de douze ans pour une personne de son âge. Moi qui pensais qu'il avait juste quinze ans...
— Lorsque tu auras ton grimoire. Vas-tu rejoindre la compagnie du Lion Flamboyant comme ton frère et ta sœur ?
— Je n'ai pas l'intention de devenir chevalier-mage. Mais je sais que ma famille ne me le permettra pas.
— Tu ne voudrais pas rejoindre l'Aube d'Or ? Je ne vais plus pouvoir passer à la bibliothèque à partir d'aujourd'hui. Je vais bientôt devenir vice-capitaine de la compagnie. Je n'aurai plus autant de temps libre comme tu l'as dit.
Toutes les meilleures choses ont une fin comme on dit.
Comment je vais bien pouvoir passer le temps maintenant...
— Fleon ?
— J'ai encore du temps devant moi avant de décider quelle compagnie intégrer.
— Je te proposais juste ça au cas où tu t'ennuierais de nos séances de lectures et débats. On se retrouvera donc sur le champ de bataille d'ici quelques années.
— Bon courage pour le poste de Vice-capitaine.
Je ne l'ai plus revu depuis ce jour-là.
J'ai aussi cessé de venir à la bibliothèque.
J'ignore pourquoi, mais j'ai perdu l'envie d'y retourner.
https://youtu.be/9zYw45Bw1z8
NDA :
C'était un petit chapitre tranquille montrant la relation qu'avait Fleon et Langris trois ans plus tôt, avant de se retrouver à nouveau sur le champ de bataille.
A très vite pour le début de l'assaut du repaire de l'œil du crépuscule.
🌟Hoshi_steph🌟
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