Prologue
Gucci
Si ma vie ne devait être contenue que dans un seul instant, ce serait celui-ci, sans hésiter.
Violence, armes, feu, sang, désespoir, vengeance et trahison. Mon existence se résume en sept mots, autant que de péchés capitaux.
Je devrais mourir pour ça, mourir tout court.
Tel est le destin de ceux qui, alors que la providence leur a attribué la carte de la fatalité, s'accrochent à une survie qui n'est qu'une échéance, un sursis avant de sauter. Et là, j'attends que ma tête saute, proprement. Ou pas.
Aujourd'hui, c'est une belle journée, les criquets et les cigales s'accordent à le dire, le peuple de l'herbe s'égosille sous le soleil de plomb de l'Italie. Même les cloches qui sonnent à la chapelle voisine ne parviennent pas à couvrir tout ce vacarme.
Si l'on devait m'accorder une oraison funèbre, ce serait celle-là, le plan parfait pour un western au héros maudit face à face avec son ennemi juré, en pleine discussion avec le diable qui le tire par les pieds.
Un vent maritime léger se lève et, malgré l'opulente chaleur qui se forme sur la campagne calabraise, me fait frissonner. Ou alors est-ce ce massacre abject mais nécessaire que je m'apprête à commettre ?
Un peu plus loin à ma droite, apparaît une silhouette familière, longiligne, noire tout de noir vêtue : une fourmi, laborieuse ouvrière, fidèle alliée. L.K est ma meilleure associée, ma première gâchette. Je m'assieds en tailleur pour contempler le tableau depuis mon promontoire, sors une cigarette de mon paquet en la regardant approcher.
— Alors, le pyromane ? Prêt ? m'interpelle-t-elle.
— Plus que jamais ! C'est surtout à toi qu'il faut le demander.
— La poudre est dans le bénitier, le reste dans l'encens. Ils ne sentiront rien venir. C'est tout de même une grâce que tu leur accordes !
— De quoi, la mort ? Ah ! Tu trouves... craché-je, cynique.
Je soupire, avant d'allumer ma clope.
— Va falloir y aller, c'est l'heure.
— T'as deux minutes, tu sais, plaide-t-elle.
— Parce que tu crois que j'ai vraiment envie d'ajourner tout ce bordel ?
Ça me colle une affreuse envie de gerber et le pire, c'est que c'est moi qui me dégoûte le plus dans l'histoire. Je tremble de manière fugace, alors je serre mon poing pour le masquer. La jeune femme, sentant que j'ai besoin de me poser avant de sauter le pas, s'assied à mes côtés.
— Y a pas de victimes chez ces gens-là, tu le sais. Peu importe le sexe, la religion ou l'âge, si tu veux sauver ta peau et la sienne, tu devras passer à l'acte.
Je me retourne vivement vers elle, subitement inquiet :
— Où est-ce qu'elle est ?
— Quelque part en approche.
— Je t'avais dit de ne pas la quitter !
Cette fois je ne cache pas mes tremblements, ils sont impossibles à maîtriser.
— Tu avais davantage besoin de moi. J'ai veillé sur elle de près sans qu'elle ne me voie ni me repère. J'ai assuré sa sécurité au millimètre. Hier encore elle était avec le Baron, mais il fallait qu'elle te retrouve, qu'elle vienne jusqu'ici. Alors, puisqu'on va se retrouver ensemble au même endroit de toute manière, autant te prêter main forte, non ?
— Je pouvais me démerder seul.
— C'est faux, tu le sais. Nul ne me connait ici, tu ne peux pas en dire autant !
Elle a raison, je n'aurais jamais pu me montrer sans risquer de me faire abattre. Mon regard se perd sur l'horizon clair, j'écoute le bruissement des feuilles et le chant des insectes. Face à moi, la petite chapelle de pierres me nargue et semble me tancer.
Il est encore temps de racheter ton âme, renonce !
Je ris sans un souffle. Renoncer, jamais, depuis l'âge de sept ans que j'attends mon heure. Elle a enfin sonné. Je tire sur ma cigarette presque comme un forcené, à croire que la nicotine m'apportera du courage.
Pfff ! Tu parles...
Lorsque je l'écrase sur une pierre large qui affleure sur la terre pauvre et pâle, L.K. pose une main sur mon avant-bras :
— Cette fois, il faut qu'on y aille.
Je hoche gravement la tête.
— Tu as raison.
Je me relève, elle me suit. Debout, sous le porche, je marque un temps d'arrêt, juste assez pour que mes yeux s'habituent à l'obscurité. C'est là, dans les ténèbres fraiches du petit édifice séculaire que je les découvre, tous endormis.
Comme je l'étais cette nuit-là.
Je suis saisi d'un haut le cœur, ou d'un sanglot, je ne sais plus trop. J'avance dans l'allée, un mouchoir sur la bouche et le nez, touche le cercueil dressé devant l'allée.
— Bon voyage, padrino. Lucifero ha la tua anima(1).
Je ressors, comme je suis entré. L.K m'attend à la porte qu'elle m'aide à refermer. Elle fait le tour avec moi, vérifie que toutes les issues sont condamnées, ramasse au sol un ours en peluche qu'elle considère avec un rictus avant de le jeter dans les fourrés. Tout près des buissons, se trouve une voiture. Le chauffeur a été abattu d'une balle dans la tête, comme les gardes du corps qui attendaient à l'extérieur du bâtiment.
Plus personne, il ne reste absolument personne.
— C'est bon, mec, on a fait le job ! souffle mon lieutenant, satisfaite de sa besogne.
— Essaie de la retrouver avant que ce ne soit elle, qui me retrouve. Veux-tu ? Je voudrais pas qu'elle assiste à ce qui va se passer.
— Et si je reviens trop tard, si tu as oublié quelqu'un ?
— Tu l'as vu, ils sont tous là ! m'exclamé-je.
— On ne sait jamais, tu sais ! Pour les cérémonies, il y a toujours des retardataires...
— Alors file vite, et essaie de ne pas être à la bourre.
Mon associée hoche la tête, elle s'éloigne, je maugrée :
— Et puis, je voudrais qu'on me laisse seul à présent.
Je contourne l'édifice pour revenir sur le parvis. Je laisse passer quelques minutes de recueillement, puis je dépose sur le pavement une photo, un chapelet, et une veilleuse que j'allume. Elle tient, malgré la brise. Je ferme les yeux un instant, pas de prière pour ce Dieu qui m'a abandonné. Puis je murmure :
— Per te, mamma. Per noi.(2)
Je serre les dents de toutes mes forces, crispes mes paupières qui chassent une larme traitresse, puis je tourne les talons. Un peu plus loin, droit, solennel je prends une petite télécommande entre mes doigts et presse le bouton.
Dans un souffle extraordinaire, le feu prend dans la bâtisse de calcaire au crépis fatigué, offrant à mon regard avide un spectacle macabre de toute beauté. Les flammes, bien orchestrées, envahissent aussitôt tout l'espace.
WOOOOF !
Il me faut quelques secondes pour prendre conscience des réalités, puis, sans crier gare, tout me tombe dessus. C'est fini, tout est terminé. Je m'effondre à genoux en sanglotant, un hurlement m'échappe et je crie, je crie en pleurs à m'en briser la voix.
— GIUSTIZIA ! Giustizia per noi, mamma !
----------------------------------------------------
(1) Lucifer ait ton âme
(2) Pour toi, maman, pour nous.
-----------------------------------------------
Hello à tous et à toutes ! <3
Vous avez été nombreu(x)ses à réclamer un prologue... le voici !
Je vais aussi publier les chapitres retravaillés après réécriture.
En tout cas, le roman final est devenu un bon gros bébé et c'est à vous que je le dois alors... merci ! <3
N'hésitez pas à voter et à donner votre avis en commentaire !
Bizzzz
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top