Out of the blue
Gucci
Elle est épuisée, moi aussi, c'était brutal, fort, intense. J'ai l'impression d'avoir subi à la fois un massage cardiaque, une décharge de défibrillateur et une injection d'héroïne.
En même temps.
Ivre, j'ai la tête qui tourne et tiens tout juste sur mes jambes. À moins que ce soit à cause d'autre chose. Je ne sais même plus où je suis, j'ai le cerveau complètement retourné.
— On ne peut pas rester là, murmuré-je à son oreille.
Elle acquiesce et je prends sur moi pour la porter jusqu'au canapé, impossible de faire mieux. Je m'y affale avec elle en me retirant, encore raide, mais c'était trop fort pour que mon érection retombe aussitôt. Je parie même que dans mon esprit, ce Fabrice-là gardera la trique à vie.
— Putain, qu'est-ce qu'on a fait ! s'affole-t-elle en se cachant dans mon cou.
— Tu veux que je te fasse un dessin ? m'esclaffé-je.
— Je ne parle pas de ça, espèce d'abruti ! T'as même pas mis de préservatif, tu fais comment si je tombe en cloque ? Si je cohabite avec une colonie de chlamydiae ou si je suis séropositive ?
Je me redresse légèrement pour l'observer, amusé, un bras replié sous ma tête.
— T'as une boîte de trois plaquettes de contraceptifs dans un petit panier en osier, posé sur une étagère de la salle de bains. Par ailleurs, ne m'en veux pas d'avoir fouillé, mais je me suis coupé en me rasant : dans le tiroir du meuble qui se trouve à côté du lavabo, où tu ranges tes pansements et tes ordonnances, j'ai vu un courrier avec tes analyses de labo : elles disent que tu n'es ni enceinte ni séropositive.
La blonde reste là, immobile, sans dire un mot. Ses joues rosies par l'orgasme ont pali, c'est bien dommage.
— Allez... reprends-toi, tout va bien !
Je la secoue doucement, je jurerais presque qu'elle a l'air paniqué.
— Et toi ?
Je hausse les sourcils, comment te dire... Je saisis sa main que je fais glisser en travers de mon torse, jusqu'à mon épaule gauche. Là, se trouve une cicatrice ronde aux contours irréguliers.
— Qu'est-ce que c'est ? s'enquiert-elle.
— Blessure par balle, il y a six mois. J'ai subi une transfusion suivie d'un contrôle de principe.
— Ah...
Comme Laura semble se détendre, je me permets de la chambrer :
— Par contre, pour les chlamydiae ?
— Désolée de te décevoir, mon gars. Si tu en veux, tu devras aller les chercher ailleurs !
Elle se tend pour attraper quelques mouchoirs en papier dans la boîte qui trône sur la table basse, puis s'essuie aussi discrètement que possible entre les cuisses. Là, ça y est, je débande. J'étouffe un éclat de rire. Elle me fusille du regard.
— Tu crois que chez moi, je laisse mes invités s'asseoir sur de vieilles traces de fluides corporels ?
— Euh... non...
Je tente de contenir mon hilarité tant bien que mal, mais c'est dur. Elle se débarrasse de ses kleenex usagés au sol, avant de s'étirer pour en saisir d'autres qu'elle me donne.
— T'es pas sérieuse là ?
— Hors de question de faire Jojo l'escargot sur la banquette !
— Putain, bonjour le romantisme...
C'est la plus belle partie de baise de toute mon existence, le pied le plus gigantesque avec la meuf la plus sexy, bandante que j'ai jamais vue. Orgasme XXL, endorphines au taquet, moins de trois minutes après, je m'essuie la queue au Moltonel de table. Vive les contrastes !
Je me débarrasse des mouchoirs usagés du bout des doigts avec un rictus dégoûté qui l'amuse, son rire de gorge rauque, sensuel, me rappelle immédiatement ce que je fous là : je suis en crush. Elle chope le plaid qui dort plié sur un guéridon pour nous recouvrir, frissonne et se blottit tout contre moi, sous mon bras. Je me tourne vers elle et ne résiste pas à la tentation de respirer son parfum avant d'embrasser son front. Avec une tendresse inédite, je dois bien l'avouer. Non pas que je sois un goujat, ce que je viens de faire n'est pas une première, mais ce sont les sensations qu'il y a derrière qui sont nouvelles. Je n'ai fondu qu'une fois comme ça dans ma vie, et c'était dans un tout autre contexte. Laura est donc la première fille que j'ai envie de cajoler, même si paradoxalement, c'est aussi celle qui m'irrite le plus : un caractère bien trempé que j'admire presque autant qu'il m'agace, une détermination appuyée par une répartie cinglante, une sensibilité exacerbée cachée derrière des attitudes de grande dame. Tout ce qu'il faut pour attirer mon attention avec, en plus, un visage d'ange et un corps de rêve.
La réalité nous rattrapera bientôt, mais cette nuit, j'ai envie de jouer la comédie, de m'inventer une vie normale. J'imagine que je suis encore l'associé de mon meilleur ami dans une entreprise du BTP. En vacances dans la capitale, je viendrais de rencontrer une fille à part avec qui je partagerais du bon temps sans me poser de questions.
Je sors un bras de sous la couverture pour parcourir les lignes de son tatouage du bout de l'index : il part de l'avant-bras, remonte et se déploie sur son épaule, jusqu'à l'omoplate. Ce n'est pas le même genre que celui de Salomé, on n'est pas dans les vrilles ou les oiseaux ; c'est une sorte de dentelle très fine faite de résille et de fleurs. Un travail old school extrêmement minutieux.
Laura se tourne vers moi et se dégage ; peut-être qu'à force, je la chatouille... Ses paupières papillonnent sur ses yeux, son mascara rehausse leur teinte noisette nuancée de vert. Elle est belle, comme une starlette, une muse de peintre, une icône de mode, c'est la première fois que j'approche une telle femme de si près. J'ai bien fréquenté quelques cagoles qui pratiquent le mode on/off : dès qu'elles sont passées sous la douche, tu as le sentiment d'avoir été arnaqué, plus rien ne tient et tout se casse la gueule — à commencer par leur paire de miches. Mais des beautés naturelles comme ça, jamais.
— Elle existe, tu sais ? susurre-t-elle.
J'ignore de quoi elle parle. La femme idéale ? Ouais, je sais, je crois qu'elle est là, au creux de mon bras. Vaut mieux que je me taise sur ce point, alors je me contente de demander des précisions :
— Qui ?
Elle glousse, charmant...
— La dentelle ! Elle existe. C'est une pièce conservée au Musée des Beaux-arts d'Alençon qui date du XVIIIe siècle.
Je siffle, admiratif, puis je l'embrasse. Sa bouche est délicieuse, son goût est unique, une vraie gourmandise. Quand je m'arrête, elle en profite pour me questionner :
— Et toi, tes tatouages, ils veulent dire quoi ?
De mon bas-ventre, montent des flammes jusqu'à mes pecs. Dans ce décor infernal, se mêlent des armes ensanglantées, une tête de mort et une devise en latin. Je trouvais que ça représentait bien le bordel qui régente mon quotidien, ça me semblait flippant, même. Les meufs, elles, trouvent ça viril, je ne les comprends pas. La valeur d'un homme ne se juge pas aux crimes qu'il a commis, mais à son degré de loyauté, à son honneur. Et moi, je ne vaux rien.
Je soupire, bien emmerdé, parce que d'habitude, le regard des autres, je m'en tamponne. Or, avec elle, ça me fait chier de me griller, alors, l'espace d'un instant, je me dis que je pourrais essayer d'être sincère — au moins sur ce point.
— Ça veut dire... que je suis un sinistre enfoiré privé de conscience, déclaré-je en l'enlaçant.
En m'agrippant à elle comme à mon salut, j'ai l'impression qu'elle va m'empêcher de sombrer, même si c'est foutu. Parce que c'est trop tard pour me sauver, je le sais.
Elle me surprend en saisissant mon menton de ses deux doigts, puis tourne ma tête vers elle, pour que je la regarde. Nos yeux s'accrochent, je plonge dans ses pupilles qui lentement se dilatent, comme mon cœur... et je n'ai plus envie de voir s'écouler le temps.
— Je ne suis pas un ange, tu sais ! Un jour, il faudra que je te raconte, susurre-t-elle à voix basse.
— Ne fais pas ça, dis-je en secouant doucement la tête.
— Quoi ?
— Me faire croire que je ne suis pas seul, que je suis un mec bien, que je m'en sortirai, qu'il y aura un avenir, un après, et qu'au bout du tunnel, tu m'attendras.
Elle se dégage de mon étreinte pour me chevaucher : je l'admire, sublime, sa poitrine abondante, sa taille resserrée, ses hanches pleines sur lesquelles se posent mes mains, ferventes de l'honorer.
— J't'aime bien, bandit ! Parce que si tu penses que tu es pire que les autres, c'est que tu as encore foi en l'Homme. Mais cette lueur d'espoir, si elle survit, c'est en nous deux !
Je nie. Au lieu de batailler, d'argumenter, elle se penche pour m'embrasser. Le bout de ses seins frôle mon torse, ça m'excite, j'ai envie d'elle à nouveau.
Alors, elle s'interrompt pour prendre appui sur ma poitrine et se relève pour s'abaisser lentement sur mon membre. Je renverse la tête en arrière de plaisir, par abandon aussi, parce que je lâche prise, enfin. Ses mouvements sont lents, appuyés, comme un balancier, une caresse, un ballet lancinant. Ses prunelles se lient aux miennes, dans ce regard passent mille déclarations éphémères, silencieuses, alors que nos deux corps s'enchaînent, s'arriment avec exigence.
J'arque mon bassin pour briser le rythme, accentuer le contact, tandis que ses doigts descendent le long de mes abdominaux qu'elle redessine d'une pulpe douce. Puis elle se courbe, telle une herbe souple et la pointe de sa langue trace des volutes imaginaires sur ma peau humide qui se couvre de frissons.
Un gémissement m'échappe, je me cambre, elle se redresse, geint et ferme les yeux. Au creux de son ventre chaud, je goûte les délices d'un paradis que je croyais connaître et que pourtant, je redécouvre. J'y pousse mon sexe plus profondément encore, comme si j'essayais d'ancrer en elle tout ce qui me reste de passion.
J'empoigne ses fesses pour accélérer la cadence, pour emplir mes mains de promesses : celles d'honorer son corps de déesse, comme on prie face au soleil en attendant le jour. Je fais le vœu de garder cette étreinte gravée en moi à jamais, jusqu'à mon dernier souffle.
Enfin, quand mes bras ne font plus qu'accompagner l'allure de ses délicieuses oscillations, lorsque mon sang bout, que le monde tangue et vacille, qu'un cri ténu lui échappe et qu'à nouveau, je la sens qui bascule, j'explose à mon tour.
Je me recroqueville en moi-même, et pourtant je m'envole, me délecte d'un absolu nectar, d'un plaisir fou : un orgasme parfait.
Lorsqu'elle s'effondre, elle aussi épuisée, ravagée par l'incendie ultime, je viens enfouir mon visage dans la profondeur parfumée de sa chevelure.
C'était différent.
Pas meilleur que la première fois, non, différent, tout simplement. Mais je sais pourquoi : parce qu'après m'avoir extrait des ténèbres, après m'avoir ranimé de ce coma dans lequel je me noie depuis des années, elle a poursuivi son œuvre.
Et on a fait l'amour.
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