Magnétique
Laura
En voyant entrer ce splendide spécimen masculin dans le hall des arrivées, je n'avais pas pu m'empêcher de réprimer un gémissement admiratif. Mahira m'avait montré la photo de son David : il était beau, incontestablement, mais cet homme-là n'avait rien à voir. Sa classe, sa prestance le rendaient magnétique. Il n'était pas seulement séduisant, il était irrésistible. Tout en lui inspirait la classe et le pouvoir : sa carrure, sa démarche, son regard droit, sa tête haute. Ce type tenait le destin en laisse. L'idée de l'approcher de plus près couvrait mon échine de frissons aussi évocateurs que délicieux.
Pourtant, Mahira me l'avait décrit rapidement, « pas mon genre, mais pas mal ». Je savais qu'il était assez grand, plutôt baraqué, blond, les yeux bleus... Et, je ne sais pas pourquoi, je m'attendais à un type plus trapu et, en tout cas, plus âgé, bien moins glamour que celui qui venait de débarquer. L'effet de surprise avait accentué le charme de la découverte.
Nous voici à présent en vase clos dans mon petit appartement. La situation, tendue mais grisante, ne manque pas de saveur. Je suis sur mon territoire, il est en planque et j'ai du temps devant moi. C'est curieux, ce contexte inédit, inhabituel, change tous les codes sociaux homme / femme. D'abord, parce que Gucci comme on l'appelle, n'est pas monsieur Tout-le-monde, mais un malfrat hors-la-loi de haut vol. Ça pourrait m'effrayer, mais ce n'est pas le cas. Étrangement, il me fascine comme un territoire inconnu, le combo gagnant de l'étranger insaisissable, beau, dangereux, enveloppé de mystère et d'une puissance énigmatique. Pourtant, Mahira m'a prévenue :
« Ne te laisse pas avoir trop facilement, tu verras, il est très charismatique, il le sait et il en joue. N'oublie pas que c'est un braqueur : s'imposer, captiver, il sait faire. Alors, garde tes distances. »
Garder mes distances, plus facile à dire qu'à faire ! Et puis, qu'est-ce que je risque à profiter un peu de ce charmant pensionnaire ? D'autant plus que je brûle d'en savoir davantage, même si l'homme qui se trouve dans mon salon n'est pas facile à cerner. Je finis de préparer mes affaires et reviens au salon où il s'est installé. Il est assis dans le canapé et semble plutôt mal à l'aise.
— Bon, ben... je suis prête, je vais y aller.
Il relève le regard vers moi, sa jambe droite tressautant nerveusement.
— Bien, merci encore de m'héberger.
Il se lève et frotte ses mains l'une contre l'autre, embarrassé.
— Je peux fumer chez toi ? s'enquiert-il.
Ah ! Une bonne excuse pour gagner du temps. Je sors un paquet de cigarettes de mon sac et lui en offre une qu'il accepte.
— Allez, une dernière pour la route, déclaré-je en plaisantant.
Il tend son briquet pour allumer la mienne et je le remercie d'un signe de tête.
— Qu'est-ce que tu fais dans la vie ? demandé-je.
— Vraiment ?
— Oui ! Tu m'as posé la question, alors je te la retourne.
Il s'éclaircit la voix et effectue quelques pas avant de s'appuyer contre le radiateur sous la fenêtre, en contre-jour. La vision en contraste, assez désagréable, me fait baisser les yeux.
— J'ai fait des études de commerce et de management. On a collaboré dans la même boîte pendant un temps avec Smith.
— Smith ?
— Ouais, David, c'est le surnom du mec de Mahira. Tu sais pourquoi on l'appelle comme ça ?
— Non.
Il prend le temps de prendre une bouffée et de recracher tranquillement la fumée avant de répondre.
— Il portait tout le temps les mêmes godasses. Des Stan Smith.
Bon, rien d'extraordinaire en somme...
— OK. Et Mahira, pourquoi tu l'appelles Salomé ?
— C'est pas moi qui l'ai baptisée comme ça, c'est une copine. Si je me fie à la légende, c'est une danseuse plutôt dangereuse, un brin manipulatrice.
Je m'insurge :
— Mahira n'est pas manipulatrice !
— Si tu le dis...
Il cherche un cendrier du regard et le lui tends, j'en profite pour me rapprocher, pendant qu'il fait tomber la cendre.
— Et toi, jolie Laura, es-tu manipulatrice ? ajoute-t-il.
J'arque un sourcil de surprise face à sa question, mais je ne me démonte pas :
— Évidemment ! Qui ne manipule personne en ce bas monde ? reconnaît-elle en haussant les épaules. On a même trouvé un terme anglo-saxon tout propre pour faire bien : on appelle ça le management. C'est pas ce que tu as fait comme études ?
Il éclate de rire en rejetant la tête en arrière.
— Absolument, tu as tout compris. En fait, je pense que tu es encore plus dangereuse que ta copine : tu es beaucoup plus perspicace. Je ferais mieux de me méfier, tiens !
— Tu ne sais pas à quel point ! commenté-je avec un brin de malice. Et du coup, t'es en cavale, ça je sais, mais pourquoi ?
— Secret-défense.
Ah ! Dommage, bien essayé... Je poursuis donc sur un terrain moins sensible.
— Pourquoi on t'appelle Gucci, au fait ?
Il réfléchit un instant et j'anticipe :
— Laisse-moi deviner : secret-défense ?
— Un peu, se marre-t-il.
Il a un sourire superbe et le coin de ses yeux se marque de petites ridules charmeuses. Il a la beauté du diable, celle des hommes à qui on ne refuse rien.
— Et toi, tu as un petit sobriquet ?
— Non, en dehors du traditionnel Lolo, rien de particulier. Il faut croire que je n'inspire personne, déclaré-je en prenant un air contrit.
Le plaisir courbe discrètement ses lèvres et ses yeux s'écarquillent, bleus, profonds, envoûtants. Il se penche vers moi et je profite de son parfum.
— Ça, permets-moi d'en douter, murmure-t-il à mon oreille.
Il me surprend, je manque de m'étouffer avec la fumée de ma cigarette. En toussant, je me recule, il rigole. La distance lui permet de se départir : il s'écarte en embarquant le cendrier dans lequel il écrase sa clope.
— Tu ne devrais pas traîner, Lolo ! déclare-t-il avec désinvolture.
Je me rembrunis :
— C'est bon, arrête d'essayer de me virer de chez moi, je ne suis attendue par personne.
— Ça, c'est bien triste. Ceci dit, je vais te faire une confidence : moi non plus, mais j'ai peu dormi la nuit dernière et je rêve de prendre une bonne douche. Même si l'envie te prenait de me sauter dessus, mon état te dissuaderait aussitôt. Alors on va devoir mettre fin à ce petit entretien fort sympathique. Par ailleurs...
Il suspend ses propos et s'approche de moi avec assurance pour poser deux larges mains chaudes sur ma taille. Pas l'ombre d'une hésitation dans son geste, il doit être habitué à faire tomber les filles sans difficulté.
— ... je te rappelle que je ne suis pas un homme fréquentable, poursuit-il d'une voix rauque. Moins tu me côtoies, mieux tu te portes. Tiens-t'en à cette règle, c'est préférable, crois-moi.
Il se détourne, enlève ses chaussures sous mon regard médusé et entreprend d'en faire autant avec sa chemise, avant de suspendre son geste.
— Au fait ! Tu ne m'as pas fait visiter l'appartement ! Je peux dormir où ?
Pas faux.
— On est à Paris ici, à moins d'être Liliane Bettencourt(1), t'auras vite fait le tour du propriétaire.
— De la propriétaire, en revanche... s'amuse-t-il.
— Oh ! Ça va... Bon, ici, tu as la cuisine.
Je désigne la kitchenette d'un geste, puis je l'invite à me suivre. L'appartement est un peu vieillot, mais déjà plus grand que la plupart des cagibis parisiens que les gens occupent à 80 % et les loyers du quartier sont abordables. Enfin, selon la norme parisienne, toujours. N'importe quel provincial trouverait ça indécent, je pense. Dans le couloir, je me retourne et il me rentre dedans.
— Oups ! Pardon...
Je souris, mais ne bouge pas. Sa respiration se fait plus profonde. Évidemment : obscurité, promiscuité, attirance, comment ne pas susciter d'ambiguïté ? Je tends le bras et pousse la porte de la chambre.
— Tu pourras dormir dans mon lit.
Malgré la pénombre, je peux distinguer que son expression s'illumine, cette perspective l'enchante.
— Parfait ! Les draps sont propres ?
Je manque de m'étouffer.
— Bien sûr, pourquoi ?
— Dommage, susurre-t-il en rajustant derrière mon oreille une mèche qui s'est échappée de mon chignon. J'adore ton parfum.
Mon cœur marque un temps d'arrêt, ma bouche se dessèche. Je passe la langue sur mes lèvres et je sens le feu me monter aux joues.
— Merci.
— Alors, demande-t-il avec un signe du menton, la suite ?
— Ah ! Euh... Hum, pardon.
Je tourne les talons et je l'entends qui ricane dans mon dos. Connard. Je suis sûre qu'il m'allume.
— Ici, ce sont les toilettes et là, au bout, tu as la salle de bains.
— Spacieuse, c'est chouette !
Il entre, puis se retourne pour me faire face, dos à la fenêtre. Toujours cette situation de contre-jour inconfortable ! Comme je plisse les paupières, il s'avance et m'oblige à reculer dans le corridor. Puis il commence à déboutonner sa chemise, lentement, trop lentement. Je suis immobile, incapable de bouger, mes yeux font des allers-retours entre son torse, sa bouche, son regard... Adieu ma culotte ! L'excitation envoie des vagues de chaleur indécentes un peu partout aux endroits stratégiques de mon anatomie. Est-ce qu'il est vraiment en train de faire... ça ?
Tout sourire, il se baisse et embrasse longuement mon front avant de murmurer :
— Passons aux choses sérieuses !
Mais à l'instant où une de mes mains se pose sur son bras, il fait volte-face et ferme la porte de la salle de bains qu'il verrouille derrière lui. Je reste plantée là, médusée.
— Merci pour la visite ! Je peux t'emprunter une serviette ? lance-t-il de l'autre côté.
— Euh... ben... oui.
— Merci ! Ça va me faire du bien ! Envoie-moi un texto si tu repasses !
— D'accord, soupiré-je.
Je ne peux pas le croire, il ne m'a pas fait ce coup-là ?
L'eau se met à couler : eh ben, si !
Frustrée – et un tantinet vexée –, je regagne le salon et récupère les clés de l'appart de Marie, mes bagages, puis je sors en claquant la porte.
Ah, tu veux jouer à ça...
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(1) Liliane Bettencourt, née Liliane Schueller le 21 octobre 1922 dans le 7e arrondissement de Paris et morte le 21 septembre 2017 à Neuilly-sur-Seine, est une femme d'affaires française, fille unique et héritière d'Eugène Schueller, fondateur — entre autres — de la Société française de teintures inoffensives pour cheveux devenue depuis le groupe L'Oréal, et de Louise Doncieux, femme d'affaires. Veuve de l'ancien ministre André Bettencourt, elle est la première actionnaire du groupe L'Oréal. Elle est en 2016, d'après le magazine Forbes, la femme la plus fortunée du monde, et la 11e personne la plus riche du monde1 avec une fortune estimée à 36,1 milliards de dollars.
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