Formidable attraction
Gucci, quatre mois plus tôt
En débarquant à la gare, j'ai eu l'agréable surprise d'être accueilli par une jolie jeune femme. Très apprêtée, ni sophistiquée ni vulgaire, elle porte une paire de lunettes de soleil qui lui mange le visage et une robe tulipe qui met en valeur une taille marquée par des hanches assez larges, mais harmonieuses. Son style, résolument rétro, lui convient à merveille. À l'exception du faux sac Hermès qu'elle porte à son bras. Je secoue discrètement la tête de dépit : si cette meuf a un mec, c'est le roi des abrutis. Elle a du chien, ce n'est pas le genre de gonzesse qu'on laisse sortir avec un fake.
Elle s'avance vers moi et se présente à demi-voix, mais avenante :
— Bonjour, je suis Laura.
— Gucci, enchanté.
— Mahira m'a dit que tu avais besoin d'être...
— Planqué, précisé-je.
— Euh... ouais, c'est ça.
— Je préfère que tu sois au courant et que tu renonces, plutôt que de t'attirer des ennuis. Je trouverai bien un endroit discret pour me mettre au vert avant de quitter le territoire.
— Non, non, pas du tout ! déclare-t-elle comme si de rien n'était.
Je suis plutôt étonné, je m'étais dit qu'on lui aurait caché une partie de la vérité pour s'assurer qu'elle me rende service, mais non. Apparemment, Laura en sait beaucoup, et le pire, c'est que ça ne semble pas lui poser de problème. C'est surprenant, parce que mon dossier est plutôt lourd : après de multiples trafics, braquages, et autres magouilles, je me suis fait de nombreux ennemis, ma tête de most wanted s'est retrouvée mise à prix. J'étais à deux doigts de me faire dessouder quand Mahira, sa meilleure amie, m'a fait une fleur : je l'avais sortie d'un très mauvais pas, elle m'était redevable et s'est proposée d'organiser mon évasion.
Ainsi, me voilà à Paris. J'aurais pu me présenter de la façon la moins fréquentable qui soit, que ça n'aurait même pas perturbée la jolie blonde :
« Salut, c'est moi, le taré qui se cache de la police et de la mafia, ça va ? »
« Ouais, et toi ? T'as fait bon voyage ? »
Les gens ne cesseront jamais de me surprendre...
Sur le parvis, elle attrape un Uber qu'elle avait sans doute commandé en m'attendant. Elle rappelle son adresse au chauffeur qui charge mes bagages, puis elle vient prendre place à l'arrière, à mes côtés. Dans l'habitacle confiné, son parfum s'élève. Des senteurs musquées, mais fraîches, avec une note de tête capiteuse et très agréable, apaisant la nervosité qui ne m'a pas quitté depuis mon départ de Marseille. Elle dépose son sac au sol, m'offrant la vision de sa nuque où quatre grains de beauté dessinent un chemin de son épaule au lobe de son oreille.
Elle se garde bien de me poser des questions jusqu'à ce que nous arrivions et se contente de satisfaire la curiosité de principe du conducteur en ponctuant son discours de petites touches d'humour. Par la fenêtre, j'observe les immeubles d'affaires, puis les bâtiments haussmanniens qui peu à peu les remplacent.
— T'es dans le vingtième ? demandé-je pour ouvrir la conversation.
— Belleville, c'est ça !
Le trajet ne doit pas être bien long, mais j'ai l'impression qu'il se passe un truc. Comme si j'avais envie de mettre le film de ma vie sur pause, alors que tout se met à aller trop vite. Il y a des femmes qui parviennent à attirer votre attention par leur présence : soit elles vous interpellent, vous amusent, soit elles vous agacent. Puis il y a celles dont la personnalité vous est égale, tant leur beauté vous touche. Cette fille a les deux, j'en suis persuadé.
Lorsque le chauffeur s'arrête devant son immeuble, je descends précipitamment dans l'espoir de lui ouvrir la portière, mais elle ne m'en laisse pas le temps. Elle devine mon intention et ses lèvres écarlates se retroussent sur ses dents d'une blancheur remarquable. Je la suis dans les couloirs de la bâtisse qui regroupe plusieurs appartements. Le sien est au rez-de-chaussée. La lourde porte cochère claque derrière nous, tandis qu'elle glisse la clé dans la serrure et m'invite à entrer.
— Je vais finir de préparer mes affaires, je te laisse prendre tes aises ? Fais comme chez toi !
— Je peux me foutre à poil ? plaisanté-je.
Elle se marre.
— Allez, d'accord !
— Tu serais bien mal à l'aise si je te prenais au mot.
Loin de s'effaroucher, elle promène son regard sur moi de façon tout juste discrète, puis commente avec légèreté :
— Pas sûr.
J'apprécie le compliment, lui adresse un sourire en remerciement. Elle met un peu de musique et nous sert deux verres d'eau. Je bois sans la quitter des yeux. Elle a viré ses lunettes et j'observe son visage avec fascination. Je ne suis pas expert en esthétique, mais je la trouve parfaite, rien ne détonne : joli nez aquilin, belle bouche, sourire éclatant, pommettes relevées, front large mais pas trop : le genre de fille qu'on remarque immédiatement.
— Vous êtes amies depuis longtemps avec Salomé ?
— Qui ?
Mince, j'avais oublié qu'elle n'était peut-être pas au courant de tout. Car si sa copine est une connaissance commune, c'est avant tout la petite amie de mon meilleur pote : un bandit d'envergure dont elle ne fait pas que partager le lit, ce qui lui a valu un « titre », un surnom dans le milieu, on l'appelle Salomé. Manifestement la jeune femme ne le sait pas, alors je me reprends :
— Euh... Mahira. Ça fait longtemps que tu la connais ?
Elle finit son verre et me répond à la cantonade en quittant la pièce :
— Oh oui ! On a fait nos études ensemble et puis j'ai fini par la faire embaucher là où je bosse. Elle avait fait le conservatoire, mais elle voulait se perfectionner dans un autre domaine qui la passionnait tout autant, alors elle s'est formée à la couture, au stylisme. C'est un petit génie dans son genre, tu sais ? Je crois qu'elle pourrait s'adapter à n'importe quelle situation et apprendre n'importe quoi sur le tas.
— J'ai vu ça, oui, ironisé-je.
J'avoue que son don m'a quelque peu sauvé la mise. Par ailleurs, loin de me foutre dans la galère, je dois bien reconnaître que la situation est plutôt agréable. Amusé par cette très jolie demoiselle, je la suis discrètement vers sa chambre où elle danse sur les notes des chansons compilées sur sa clé USB. Elle minaude, se trémousse, et de profil je distingue ses lèvres : elle chantonne. C'est le genre de scène intime idéale pour enlacer sa nana par-derrière et embrasser sa nuque. J'ai très envie de jouer le jeu, mais j'ignore si elle se laisserait approcher...
Je dois être célibataire depuis trop longtemps pour penser à ces conneries.
Quand elle se retourne, un tee-shirt à la main, je devine que je vais obtenir mes réponses. Pris en flag, je ne trouve rien à dire pour me défendre. Elle se fige, interdite, puis se met à rougir. Charmant...
— Ne te gêne surtout pas pour moi ! déclaré-je tout sourire, enchanté d'assister à ce spectacle.
— Oh non ! Je ne suis pas embarrassée ! se récrie-t-elle.
Elle fait mine de se reprendre, mais je la sens tout de même gênée. Est-ce la situation qui l'a mise mal à l'aise ou moi, tout simplement ? Difficile à savoir, mais plus je l'observe, plus elle éveille en moi quelque chose que je ne parviens pas à saisir. Alors, pour ne pas montrer qu'elle me trouble un peu trop elle aussi, je poursuis mon petit interrogatoire, l'air de rien :
— Tu es danseuse aussi, comme ta copine ?
— Non, moi je suis juste habilleuse. Mais ça ne veut pas dire que je n'en suis pas capable, il faut se méfier des apparences ! répond-elle avec un clin d'œil.
À vrai dire, depuis qu'elle est venue me récupérer à la gare, je n'ai pas cessé de la détailler dans tous les sens, passant au crible sa silhouette et ses manières pour essayer de deviner à qui je peux bien avoir affaire. Je regrette de ne pas pouvoir profiter plus longuement de sa présence pour parler davantage et faire plus ample connaissance : elle est touchante, ces attitudes de petite fille qu'elle cache derrière une façade effrontée lui donnent un petit côté Lolita. Un peu comme sa copine que je connais déjà, mais en plus candide, rafraîchissante, plus naturelle. Et ça me plaît, je ne m'en cache pas :
— Oh ! Mais, loin de moi l'idée de vous mettre en compétition ! D'ailleurs, il me semble deviner que Mahira et toi êtes plutôt différentes.
— Comme David et toi, je suppose...
— Pas du tout ! m'esclaffé-je. Cet imbécile est certainement la vermine dont le sens moral limité s'approche le plus du mien.
— Eh ben, ça promet... me morigène-t-elle.
Elle n'a pas tort, à vrai dire. C'est bien pour ça que je cultive la solitude comme d'autres font du maïs - ou de la beuh. Elle traverse la pièce avec un petit air réprobateur qui m'excite furieusement et je jette un œil expert à sa poitrine : un joli 90 D ou C peut-être ? Encore une tricheuse qui abuse du push up, j'en suis presque convaincu.
— C'est classe de mater les meufs de façon si ostensible ! s'exclame-t-elle avec sarcasme.
Je me marre et m'étrangle avec ma propre salive.
— Pas du tout, tu te fourvoies !
— Ben voyons ! Et la bosse dans ton pantalon ? C'est tes clés de bagnole ?
Cette fois, je suis fait comme un rat. Ne reste plus qu'à minimiser la situation avec un peu d'humour pour me tirer de ce mauvais pas.
— Rho la la... tout de suite, on monte sur ses grands chevaux ! Et alors ? Tu me plais, j'avoue : comme ça, ce sera plus un mystère, d'accord ?
Elle s'avance vers moi pour me défier du regard et je me repais de la vision délicieuse qui me fait face : son nez aquilin, ses lèvres rondes pour une petite bouche, des pommettes hautes et roses, de grands yeux noisette frangés de longs cils dorés, comme ses cheveux. Une vraie blonde, donc. Pas courant, c'est plutôt sympa, ça ! Mais ce qui me déstabilise, c'est son parfum. Une femme, c'est comme la bouffe : même si l'assiette est bien composée, si ça sent mauvais, t'iras pas y goûter. Et elle, elle a tout pour me mettre en appétit. Pas étonnant que mon sexe au garde-à-vous m'ait trahi ! Je cherche en vain comment détourner la conversation et retrouver mon self contrôle, mais je n'ai qu'une envie, c'est de fondre sur sa peau laiteuse pour m'en rassasier comme un rapace.
— Si tu crois que tu vas me mettre dans ton lit comme ça, tu te mets le doigt dans l'œil.
Je pouffe quand une réplique tordue me passe par la tête. À vrai dire, mon doigt, j'aimerais mieux le mettre ailleurs. Je préfère taire mes fantasmes déplacés, alors je ne rétorque rien. Elle n'a pas tort, on ne s'offre pas une partie de jambes en l'air avec un bandit recherché par la police et la mafia italienne comme ça. C'est le bordel partout dans ma vie, même une seule nuit dans mes bras, c'est déjà prendre des risques. Il faut qu'elle finisse de préparer ses affaires et surtout, surtout ! Qu'elle s'en aille, et vite. Je suis déjà assez surpris qu'elle ait accepté de me prêter son appart avec mon pedigree.
Au lieu de ça, elle reste là, tranquille, bien campée sur ses deux pieds. Je m'éclaircis la voix et tente de briser la situation plus qu'embarrassante qui se prolonge.
— Tu sais, Laura, tu devrais pas traîner, l'heure tourne.
Je m'écarte d'un pas et désigne ma montre d'un geste parlant. Sa paupière inférieure se crispe légèrement et, à ce signe à peine perceptible, je devine qu'elle est contrariée.
— Je sais, merci de jouer les horloges parlantes !
Je réprime un sourire amusé face à sa maigre répartie et la regarde s'éloigner. Le verso et le recto sont aussi plaisants l'un que l'autre. Ses hanches plutôt voluptueuses font concurrence à un fessier ultra-rebondi qui m'arrache une exclamation déplacée.
— Wow !
— Pardon ? demande-t-elle en se retournant.
Dans l'air s'élève une chanson d'Aznavour qui me permet de changer de sujet :
— Rien ! J'aime beaucoup ce morceau.
— Oh ! C'est vrai ? se radoucit-elle.
For me formidable.
Le destin s'est ligué contre moi pour me soumettre à toutes les tentations. Qu'à cela ne tienne ! Je cède.
— Tu parlais de danser ? Donne-moi la main !
J'esquisse un geste vers elle, tandis que ses doigts touchent les miens. J'essaie assez laborieusement de me rappeler de mes bonnes manières, puis j'esquisse un pas en arrière, chaloupé et souple. La jeune femme en face de moi sourit, ce qui fait ressortir deux fossettes, avant d'effectuer un premier pas bien plus assuré que le mien. Je soupire discrètement pour essayer de me détendre. Après tout, c'est juste une danse, qu'est-ce que je risque ?
Elle s'enroule dans mes bras, puis se recule jusqu'à ce que je me retrouve en extension. Je la fais virevolter et ses cheveux se soulèvent, faisant s'élever dans l'air cette senteur indéfinissable qui me grise. Quand je la rattrape par les hanches, je réprime de toutes mes forces l'envie que j'ai de la coller à moi. Jusqu'à présent, je tiens bon. Elle se débrouille très bien, en effet, je peine à suivre ! Dos à moi, mon nez frôle sa crinière d'or et le musc délicat de sa fragrance vient flatter mes narines charmées par sa senteur. Cependant, pas moyen d'identifier le nom de son parfum, et pourtant je m'y connais en luxe, c'est pas pour rien qu'on me surnomme Gucci.
« Toi, tes eyes, ton nose, tes lips adorables
Tu n'as pas compris
Tant pis, ne t'en fais pas et
Viens-t'en dans mes bras » (1)
Je l'attire à moi avant de la relancer à nouveau et de la rattraper, une fois encore. La chanson fait écho à la situation un peu atypique dans laquelle je me trouve, ce qui n'arrange rien. C'est vrai qu'elle est adorable, et puis je lui suis redevable de m'héberger dans de telles circonstances. Ces dernières semaines, j'ai baigné dans l'incertitude, la brutalité, la haine, le contraste avec cette bulle sensuelle est violent, mais salutaire. Aussi, lorsque le morceau tire à sa fin, j'ai oublié menaces et emmerdes pour me laisser porter par cet agréable jeu de séduction.
Quel dommage que cela me soit interdit ! Je mène une vie d'ascète et ne soulage mes pulsions que dans des étreintes rares, mécaniques, toujours éphémères. Il y a un but à mon existence, et le plaisir n'en fait pas partie. Je suis ce qu'on serait tenté d'appeler un vrai bandit, je cours davantage après les casses qu'après les coups, et pour toute finalité, je ne rêve pas d'une retraite paisible ou d'une famille, mais de vengeance. Ça fait toute la différence.
Je m'écarte, mets de la distance avec la jeune femme que je soupçonne de vouloir m'ensorceler. Quelle inconsciente... J'aimerais bien pouvoir céder, pourtant. J'envie sa légèreté, sa gaieté, tout ce qui fait d'elle une oasis positive qui m'attire comme un aimant, comme une île au sable doré en plein Pacifique, lorsqu'on subit un quotidien pluvieux, morne et froid depuis trop – beaucoup trop – longtemps.
— Tu écoutes souvent des trucs comme ça ? demandé-je.
— Des... trucs ? C'est-à-dire ? De la variété française ?
J'acquiesce et d'un bras autour de la taille, je la plaque à moi, un peu trop fermement.
— Oui ! me répond-elle, et toi ?
Je passe une main sur ma nuque, descends entre mes omoplates.
— Moi ? Tu sais... j'suis pas un mec marrant.
Son visage s'illumine aux premières notes de la piste suivante. Je m'immobilise, surpris de ce revirement de situation, avant de comprendre.
— Tu es bien dur avec toi-même ! se marre-t-elle avec insouciance. Je parie... que je pourrais te démontrer le contraire.
Elle s'avance jusqu'à toucher ma poitrine avec un air conspirateur. Je lui accorde cette dernière danse, tandis qu'elle se blottit contre mon torse, puis fredonne les paroles avec une voix suave et profonde qui me donne des frissons :
« Mon histoire c'est l'histoire d'un amour,
Ma complainte c'est la plainte de deux cœurs.
Un roman comme tant d'autres, qui pourrait être le vôtre,
Gens d'ici ou bien d'ailleurs...
C'est la flamme qui enflamme sans brûler,
C'est le rêve que l'on rêve sans dormir,
Un grand arbre qui se dresse, plein de forces et de tendresse,
Vers le jour qui va venir. » (2)
Sa voix est aussi voluptueuse et grave que celle de la diva, j'en ai des frissons jusqu'à des endroits improbables... Suspendu à ses lèvres, je sens peu à peu la volonté m'abandonner et ma main glisse imperceptiblement sur la chute de ses reins. Son regard pétille, je retiens mon souffle.
Elle ne doit plus jamais recommencer un truc pareil.
Je perds subitement pied. Bordel, elle est vraiment adorable. Il faut que cet échange cesse ou je vais craquer et fondre sur sa bouche sans retenue. Je me fais l'effet d'un fauve enfermé depuis des jours dans l'obscurité, qu'on relâche dans une arène écrasée par un soleil aveuglant, face à un gladiateur cruel armé d'une arme fatale.
— Tu devrais finir de te préparer, murmuré-je.
Je m'écarte brusquement, le souffle court, tandis qu'elle se redresse, fière et mutine.
— J'ai gagné ! fanfaronne-t-elle.
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(1)For me formidable - Charles Aznavour / Jacques Plante
(2)Histoire d'un amour - Carlos Eleta Almaran / Francis Blanche
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Bonsoir à toutes et à tous !! <3
Et voici, ma nouvelle histoire ! Cette fois, je quitte le fantastique pour revenir au contemporain ! J'espère que vous aimerez ce nouveau roman qui a déjà bien pris forme dans ma tête ...
Il y aura de l'illégalité, de l'action, de la testostérone et... un peu de fluff aussi, si vous êtes sages...
Vous aimez les histoires de criminels badass ? La casa de papel ou Good girls ? Foncez ! Cette histoire est pour vous.
Alors, ce premier chapitre, vous en pensez quoi ?
Bisettes....
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