Laura

"Je me suis isolée sous la douche un instant, j'avais besoin de recul, de souffler, de respirer. Les révélations de Fabrice, alliées à mes aveux, m'ont fait étrangement autant de bien que de mal. C'est libérateur et anxiogène à la fois, c'est un passage vers l'autre côté, dans un monde différent. Tout se mélange dans ma tête, le bien, le mal, la culpabilité, le pardon.

Je me noie sous le jet de manière débilitante, jusqu'à ce que le flot bourdonnant de mes pensées se confonde avec le bruit des gouttes brûlantes qui s'écrasent contre les parois de la cabine et sur la flaque à mes pieds. Un rythme lancinant, régulier, un bruit blanc et neutre pour me permettre de reprendre mon équilibre émotionnel.

Les multiples facettes de mon amant me tiraillent, me déstabilisent. Fabrice, tout à tour enfant, dévasté, papa, braqueur, brisé par la soif de vengeance. Fabrice amoureux, aussi. De moi, surtout, qui n'aurais jamais pensé être la candidate idéale.

« Je ne me suis jamais autant reconnu en quelqu'un. »

Moi, je ne me suis jamais reconnue en personne avant tout ça. Faut-il donc que la vie vous broie, vous façonne à sa manière pour faire naître une âme sœur du néant ? Nos souffrances sont-elles l'argile de nos alter-egos ?

Tandis que je sors de mon refuge de vapeur et d'eau, je l'entends qui discute au téléphone, une discussion houleuse à nouveau. En français, en italien, puis en anglais. Je suis subjuguée par son aisance, admirative. Il se déplace dans son bureau, marche de long en large et parlemente en langue étrangère à grand renforts de gestes. Son ton est sec, précis, mais cordial. J'ai le sentiment d'être hébergée à l'Elysée, dans les appartements d'un chef d'État qu'engloutissent les rapports diplomatiques et les relations internationales.

Un président sans garde du corps, avec tout autant de snipers prêts à le descendre. Autant le dire tout de suite : je n'ai pas l'étoffe de Jackie Kennedy, ramasser les éclats de sa boîte crânienne sur les sièges arrière d'une berline de luxe ne sont pas dans mes projets d'avenir. Tandis que je l'observe, charismatique, autoritaire, je me demande ce que je serai prête à faire pour lui, afin de sauver sa peau. Jusqu'où irai-je pour un bout de paradis ? Je n'ai pas la réponse, mais l'infinité des options me fait tourner la tête. Rien ne m'effraie, je suis prête : pas seulement à le suivre docilement, mais à tout. Absolument tout.

L'espace d'un bref instant, il pivote, nos regards se croisent. Et en quelques secondes, j'entre dans la peau d'une victime de braquage interceptant un regard sous sa cagoule, son masque. Ma respiration s'amplifie, ma poitrine se soulève sous l'impulsion de l'air qui entre brusquement, puis se bloque lorsqu'il m'adresse un clin d'œil, avant de reprendre ses palabres sous mon regard captivé.

Je tuerai de mes mains pour lui, je donnerai tout de ma vie."