After the storm

Gucci

La planque.

Étape obligatoire en cavale. C'est déjà bien compliqué avec les poulets au cul, c'est encore pire quand on est dans le collimateur de ses associés et de la mafia. Il faut être trois fois plus prudent, trois fois plus invisible. Résultat, voilà deux jours que je me terre chez la copine – ironie du sort – de la petite amie de cet associé qui cherche justement à me buter.

Deux jours que je fume clope sur clope, tourne en rond, m'explose les yeux à regarder toutes les séries possibles et imaginables. Si j'attaque Les feux de l'amour, promis, je me taille les veines avec le rasoir Bic de la blonde. J'ai fini le pastis, le whisky, le pinard et la binouze, j'attaque le rhum. En fouinant dans sa réserve, je tombe sur une bouteille de Guignolet : je suis en joie. Avec un peu d'imagination – beaucoup, même – je pourrais me croire au printemps, en pleine campagne, dans le sud de la France.

J'en suis au troisième verre quand la porte cochère de l'immeuble claque et qu'une clé se glisse dans la serrure. Je dégaine mon arme pour viser l'encadrement. On ouvre, je ne vois pas encore l'intrus, mais j'espère que c'est ma logeuse, ou on est bon pour un bain de sang.

Et je serai probablement de ceux qui boiront la tasse.

C'est son parfum qui m'informe sur l'identité de mon visiteur, avant même que je ne le découvre. Une fragrance de musc blanc allégée de notes florales, profonde comme un lit de roses... des roses de Grasse. Plus ça va, plus j'identifie chaque composant de cette odeur délicieuse. Je rengaine, satisfait et soulagé, dans un bruit métallique qui fait sursauter ma starlette.

— Ben dis donc, c'est qu'on est bien accueilli ici !

— Tu ne m'en voudras pas, bébé, mais en ce moment, je reçois rarement des visites de courtoisie. Les gens se pointent plus souvent avec des grenades qu'avec des oranges, si tu vois ce que je veux dire.

Elle pose son sac à main et me jette un regard farouche rempli de remontrances.

— Tu m'épargneras les surnoms ridicules, s'il te plaît ?

Un rictus discret courbe mes lèvres. Pourtant, ça lui irait très bien, BB.

— On t'a déjà dit que tu avais de faux airs de Bardot ?

— On t'a déjà dit que tu abusais du bordeaux ?

Je ricane :

— Pour être honnête, il faut bien que j'améliore mon ordinaire en confinement ! Non ?

— Si t'es là, c'est que tu l'as un peu cherché, non ?

Je reconnais qu'elle a de la répartie, et son air bougon égaye incontestablement ma journée. Qu'est-ce que j'ai dit déjà ? Ah, oui ! Que j'allais me la taper vite fait avant de me faire sauter la cervelle par procuration. Mais le mérite-t-elle ? Le supportera-t-elle ? En serai-je seulement capable ? Elle m'a offert un toit, un endroit sûr, et c'est une gentille fille par ailleurs.

— D'ailleurs... ajoute-t-elle en se redressant, de l'autre côté du comptoir de la cuisine, t'as un peu entamé mes réserves, on dirait ! Tu comptes me dédommager ou bien...

Je retiens un éclat de rire : pas trop gentille quand même. Je respire profondément pour répondre avec flegme.

— Un jour oui, si je m'en tire vivant, c'est possible.

— On va faire ce qu'il faut, raconte pas de conneries.

Je hausse les sourcils : « On va faire ce qu'il faut ». Entre sa copine apprentie voleuse et elle, j'hallucine. C'est qui, ces meufs ? Thelma et Louise ?

— T'as l'air bien sûre de toi...

— Parce que je sais ce que je fais.

Elle s'active dans la cuisine, puis dépose devant moi une tasse de thé avec des biscuits.

— C'est quoi, ça ?

— Tu vas pas passer tes journées à biberonner du Balantines ?

— Ben à vrai dire...

— Pour ressembler à cet abruti de David ? s'indigne-t-elle.

Je sens poindre la migraine...

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il a fait, encore ?

— Mahira vient de rentrer. Il s'est comporté comme le dernier des enfoirés.

— Ah...

Je m'appuie au dossier du canapé, prêt à entendre le petit potin du jour. Vu que je me fais chier comme un rat mort, ça tombe à pic : il ne manque plus que le popcorn pour illuminer ma journée.

— Ah ? C'est tout ce que tu trouves à dire ?

— Oh ! Jeanine ! T'as fini de m'engueuler comme si on était un vieux couple plein de névroses ? Je suis cloîtré ici depuis quarante-huit heures sans portable ni PC, tu te souviens ? Alors, les conneries de mon vieux pote, elles me passent là, si tu vois ce que je veux dire, d'autant plus qu'on est légèrement fâché, au cas où tu l'auras oublié !

Elle se fige, les traits tirés, les lèvres crispées. Merde, j'y suis peut-être allé un peu fort... Elle inspire longuement, puis se redresse, carre les épaules et se rengorge l'air fier.

— Dans ce cas, Marcel, avale ton petit dej' pendant que je prends une douche. J'ai l'intention de manger ce midi !

— Parce que tu vas faire la bouffe ? Je croyais que tu devais te tenir à l'écart ! m'étranglé-je.

Alors qu'elle s'éloignait du living, elle fait volte-face, les mains posées sur les hanches.

— Je suis ici chez moi ! crache-t-elle comme un petit chat en colère, avant de déguerpir.

Bon, ça suffit.

Je me lève pour la suivre vers la salle de bains où elle farfouille dans un tiroir. Elle porte un top de satin noir dont je rêve de faire tomber la bretelle. Tandis qu'elle défait son chignon et que son opulente chevelure blonde retombe en cascade sur ses épaules, je m'approche. Encore. À quelques centimètres, je la frôle et nos regards se croisent dans le miroir. Belle, indomptable, voluptueuse, capiteuse... Le désir que je lui voue crépite entre nos deux corps trop proches. Je me penche vers son oreille dont la conque de porcelaine est cachée par la pluie d'or de ses mèches au parfum d'envie.

— On est peut-être partis du mauvais pied, toi et moi ?

Un sourire fleurit sur ses lèvres purpurines, mon palpitant s'emballe dangereusement. Elle se décale, mutine :

— Vraiment ?

— Mmhh...

Elle esquisse un léger recul et applique sur mon torse deux paumes qui me brûlent, pour me pousser avec délicatesse. Ses hanches chaloupent à l'esquisse d'un premier pas, puis d'un deuxième, mon cœur vacille, mon âme prend l'eau. Deux pas de plus et elle retire un de ses escarpins, puis envoie valser l'autre, tandis que mes mains, fébriles, impatientes, effleurent ses épaules pour faire glisser la bretelle du débardeur, telle une plume de soie sur un toboggan de velours : celui de sa peau d'opale.

Soudain, elle s'arrache à mon contact pour me repousser, prend un peu de distance, puis relève le vêtement délicat qu'elle abandonne un peu plus loin au sol, d'une main tendue. Son ventre impeccable vallonne le paysage de ses courbes souples, dominé par une poitrine généreuse contenue dans un soutien-gorge sage. Je suis subjugué par l'appétissante friandise qui se dresse devant moi, tentatrice, à tel point que je n'ose même pas bouger, de peur qu'un instant fugace de ce sublime spectacle ne m'échappe.

Elle recule, j'exulte : elle va me faire un signe du doigt pour que la suite logique de sa parade se déroule sous le jet de sa douche. Finalement, peut-être reprendrons-nous les choses là où nous les avons laissées en suspens ?

Pourtant, lorsque je saisis à mon tour le bas de mon tee-shirt, elle secoue la tête.

— Ttt- tt-tt...

— Ah ! Tu préf...

Elle ne me laisse pas finir ma phrase : de la pointe du pied, elle repousse la porte qui claque, avant de la verrouiller dans la foulée.

J'éclate de rire. Ça, mon gars, il fallait t'y attendre !

J'avance jusqu'à appuyer mon front sur le bois, hilare.

— D'accord, je m'excuse ! Je me suis comporté comme un goujat ! Allez, BB, ouvre...

— Oh ! J'ouvrirai bien un jour, chéri, mais pas pour toi ! me nargue-t-elle.

— Méfie-toi... je suis patient !

Pas de réponse, hormis le bruit de l'eau. OK : va te faire foutre, message reçu cinq sur cinq. Après un détour par le salon, je pars m'asseoir sur un fauteuil crapaud qui orne un coin de sa chambre, face au lit. Candauliste ? Voyeuse ? Intéressant... Lorsque j'entends le verrou de la salle de bains qui saute, je rajuste ma position pour être installé bien confortablement. Elle s'immobilise sur le pas de la porte, puis hausse les épaules.

— Tu pensais me surprendre ?

— Même pas. Je peux fumer ?

Elle se tourne vers moi, sourcil levé.

— Ouais, ouvre la fenêtre, s'il te plaît.

Je m'exécute en pestant contre la gâche ancienne qui fait de la résistance. Quand je me retourne, elle s'est habillée et ajuste une petite culotte sous sa robe. Et merde, raté !

Elle s'arrête net devant la table de chevet où j'ai posé mon Desert eagle.

— Ah ouais ! Quand même...

— Tu n'as pas compris ce que je suis, clarifié-je. Je suis un voyou, un vrai.

Elle se jette sur le lit pour adopter une position langoureuse qui me fait lever les yeux au ciel.

— Tu as déjà tué un homme ?

Elle me questionne, le visage appuyé dans ses paumes, avec une candeur décalée. On parle de quoi là, de sport ou d'homicide ?

— Non.

— Tiens ! Je croyais, pourtant. L'arme, c'est pour l'intimidation, en fait !

Mon visage doit se décomposer ostensiblement.

— Du tout. Je ne suis pas un bad boy à la petite semaine qui révise ses positions parce que son caractère le lui permet, mais je ne suis pas un enculé non plus. Je sais me montrer courtois, agréable et parfois même sensible. Seulement, je ne joue les psys de comptoir avec les emmerdeurs. Et puis, je dois préserver mes arrières, alors je ne réfléchis pas : en cas de menace, je tire.

— Je croyais que tu n'avais jamais buté personne ?

Elle m'agace autant qu'elle m'amuse.

— J'ai dit que je n'avais jamais tué un homme, la taquiné-je. Plusieurs, oui. De plein de façons différentes, d'ailleurs. Tu sais, je suis un mec dangereux, on ne va pas se mentir. Si le Smith a mis les formes avec Mahira, c'est qu'il comptait certainement se la taper pour la garder ensuite. Son opinion lui importait, mais en ce qui me concerne, le point de vue des filles m'est bien égal. Je vais être clair et dissiper tout éventuel malentendu : si tu as envie qu'on baise, volontiers ! Mais entre nous, ce sera à sec et sans préliminaires, à tout point de vue.

Elle me surprend en éclatant de rire de manière exubérante et contagieuse, même si je me sens tout de même un peu vexé.

— Je te remercie d'arrondir les angles ! ironise-t-elle. Je ne me laisse baiser comme tu dis, que si je suis dûment excitée, ce qui devrait éviter une éventuelle « sécheresse » et, pour le reste, méfie-toi de ton assurance. Tu as déjà pris un doigt dans le cul ? C'est excellent pour la jouissance, ta prostate me remerciera, tu veux qu'on essaie ?

Je lui dis non, ma queue dit oui : non pas que sa proposition rectale me tente, mais ce soudain changement de registre me déstabilise. Elle me dévoile une autre facette de sa personnalité, au-delà de son côté sensible et candide. Laura sait se montrer mordante, sa répartie la rend d'autant plus séduisante. Entre les deux, elle se balance dans une étrange escarpolette de sensualité. Un coup je t'approche, un coup je m'éloigne. Un cirque fascinant.

Je ne la mérite pas...

Non, je la désire de manière presque violente, obsessionnelle, mais je la respecte trop pour être brusque ou trivial. Les souvenir de la nuit dernière s'invite dans mon esprit et tout se mélange : mon passé, ma douleur, ma colère, et cette délicate Baby doll à qui je dois la condition sine qua non à ma survie.

Je ne dois pas la toucher, je dois la protéger...

— Enfin bref, ajoute-t-elle face à mon manque de répartie, si tu ne comptes pas m'épouser j'en ferai pas une maladie, rassure-toi. En revanche, si tu tiens à faire de moi ton plan cul, démerde-toi pour assurer. Histoire que je ne perde pas mon temps.

— Je rêve ou c'est un défi ? m'indigné-je.

Mais Dieu que ça va être dur, si en plus elle me cherche !

Elle se lève et s'éloigne pour rejoindre la cuisine en lançant par-dessus son épaule :

— Du tout, juste du bon sens. Si je n'ai que mon pied à prendre, j'espère bien ne pas être déçue.

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