Eryn sentait une douce chaleur émaner derrière elle. Elle se colla un peu plus sur la source chaude et remarqua qu'elle augmenta progressivement jusqu'à l'envelopper agréablement. Elle ne savait pas pourquoi, mais cette sensation la fit se sentir en sécurité, comme protégée de tous les dangers extérieurs.

Soudain, des lèvres brûlantes se posèrent sur sa nuque dégagée. Souriante, les yeux papillonnants, Eryn se réveilla en douceur, se remémorant les événements de la veille. Elle fut heureuse de constater qu'il ne s'agissait pas d'un rêve.

La jeune fille de glace s'était étendue sur son flanc gauche, laissant son dos reposer contre le torse de Killian. Ce dernier frotta le bout de son nez contre le cou de sa jeune soigneuse et inspira profondément pour remplir ses poumons de cette odeur enivrante. Il caressa tendrement la cuisse d'Eryn avec le dos de ses doigts, les remontant petit à petit vers le creux que formait sa taille fine.

Il commença à faire glisser sa main délicieusement chaude sur le ventre plat de la jeune fille de glace avec l'intention de descendre plus bas mais il se figea d'un seul coup. La pensée qui venait de le traverser lui fit l'effet d'une douche froide. Il n'arrivait pas à croire qu'il avait pu être aussi stupide. Comment avait-il pu céder à ses pulsions sans se soucier des conséquences ?

Il ne savait pas si cela était possible pour lui de mettre la jeune fille enceinte. Après tout, ils n'étaient pas vraiment de la même espèce, mais il y avait toujours un risque. Ils se ressemblaient tellement sur divers aspects qu'il y avait de grandes chances pour qu'ils soient compatibles à ce niveau-là aussi.

Eryn sentit le jeune homme s'immobiliser assez abruptement alors qu'elle s'abandonnait à ses caresses. Elle ne voulait pas qu'il cesse de la toucher. Elle posa alors sa main fraîche sur celle de Killian pour l'encourager à continuer mais il la retira immédiatement.

— Qu'est-ce qui te prend ? l'interrogea-t-elle tout en se retournant pour lui faire face.

Elle pouvait percevoir que le jeune homme de feu était gêné mais surtout paniqué. Il était devenu blafard en un rien de temps. Le sang avait déserté son visage, le laissant blanc comme un linge.

Killian ne savait vraiment pas comment aborder ce sujet avec elle. Avant de devenir soldat, lorsqu'il résidait encore dans son village, il avait pour habitude de fréquenter intimement l'une de ses amies. Sa seule amie en réalité. Mais à chaque fois, il s'était assuré qu'elle prenne ses précautions.

Il était dur de se procurer des contraceptifs médicaux là où il vivait. La politique au sein des villages de feu était devenue très stricte. Empêcher les femmes de tomber enceinte nuisait à la société. Chaque naissance était un futur soldat potentiel, c'est pourquoi les solutions contraceptives étaient presque impossibles d'accès depuis quelques années. Cependant, des alternatives à base de plantes faisaient également l'affaire. Heureusement pour Killian, son amie Aurore, avec qui il s'était laissé aller un certain nombre de fois, savait concocter ces tisanes prévenant les grossesses. Il avait pu expérimenter leur efficacité à plusieurs reprises sans jamais que ces mixtures ne fassent défaut.

— Je... Tu..., bafouilla-t-il, plus embarrassé que jamais.

— Killian ! le pressa Eryn.

— On peut pas recommencer. C'est trop risqué. Imagine que tu... Enfin tu vois, fit-il en levant le menton vers son ventre.

Il n'arrivait même pas à le formuler à voix haute. Si ce qu'il redoutait tant venait à se produire, les répercussions seraient dramatiques.

— Oh, réagit-elle en laissant échapper un petit rire cristallin.

— Je crois que tu te rends pas compte là.

— Mais calme-toi, poursuivit-elle sans parvenir à se retenir de rire. Voir le jeune homme de feu aussi stressé et frustré en même temps était un spectacle très divertissant pour elle. Il avait la tête d'un enfant à qui l'on venait de dire qu'il n'aurait plus jamais le droit de manger sa friandise préférée. J'ai un implant contraceptif, le rassura-t-elle enfin.

Eryn s'était fait poser ce dispositif lorsqu'elle avait commencé à fréquenter Luke de façon plus sérieuse. Sa mère l'avait fortement encouragée à se protéger, sachant très bien que sa fille finirait par être intime avec son petit-ami. La jeune fille de glace n'avait eu aucun mal à se le procurer. Contrairement aux lois des êtres de feu, chez le peuple froid, il n'était pas interdit d'utiliser ces méthodes préventives. De plus, étant donné qu'Eryn effectuait sa formation de soigneuse, elle avait facilement pu y avoir accès dans le centre médical où elle étudiait à l'époque.

Afin de clore la discussion, la jeune fille de glace se couvrit avec la couverture et entreprit de se lever pour s'habiller. Elle fouilla dans son sac pour en sortir de nouveaux sous-vêtements, un short en jean noir cendré taille haute ainsi qu'un crop top prune à col rond.

Alors qu'elle terminait de nouer les lacets de ses baskets blanches, elle n'aperçut pas le sourire en coin du jeune homme de feu. Ce dernier venait de réaliser qu'il pouvait recommencer ce qu'ils avaient fait la veille sans se préoccuper des conséquences, et il comptait bien en profiter. Un rictus pervers naquit sur ses lèvres alors qu'il imaginait tout ce qu'il pourrait encore faire avec Eryn.

Le duo de choc avait continué leur avancée vers les montagnes en douceur. Aucun d'eux n'était pressé d'atteindre la destination et de se séparer pour de bon. Tous deux avaient conscience que cela était inévitable mais pourtant, ils n'abordaient jamais ce sujet tabou.

Ils choisirent tacitement de s'attarder aux abords des petits villages et de profiter des quelques jours qu'ils leur restaient ensemble. Ils s'étaient d'ailleurs réinstallés à proximité d'un village de pêcheurs nommé Kouayalï. Cette commune avait été très appauvrie par le conflit opposant le feu et la glace. Beaucoup de familles avaient perdu leurs hommes. Pour subvenir à leurs besoins, les femmes se tuaient à la tâche et leurs enfants mettaient également la main à la pâte. Kouayalï faisait partie de ces lieux saignés à blanc par la guerre. Presque toutes les ressources humaines, matérielles et alimentaires disponibles étaient redirigées vers le front et la capitale de glace, laissant les habitants patauger dans la misère et la pauvreté.

Eryn et Killian n'avaient jamais voulu traverser ces petits villages depuis leur arrêt à Lusco qui avait couté la vie à Mélodie. Ils préféraient rester à l'abri du danger en séjournant dans l'immense forêt, restant tout de même à quelques kilomètres des habitations pour se repérer.

Au fond, ils n'étaient pas mécontents d'être isolés. Cela permettait à Killian de rester lui-même, sans avoir à craindre d'être démasqué. Ils se découvraient un peu plus chaque jour et s'installaient dans une routine qui leur était propre.

— Tu fais à manger ? lui demanda le jeune homme avec une mine angélique.

— Pourquoi ça serait encore à moi de faire le repas ?

— Parce que moi j'occupe d'allumer le feu.

— T'as juste à claquer des doigts pour ça, se plaignit Eryn.

— C'est pas comme si c'était compliqué d'ouvrir les bocaux et de les verser dans la casserole, argumenta Killian, savourant l'expression hargneuse que lui renvoyait sa jeune soigneuse.

Eryn plissa dangereusement les yeux avant de lui répondre.

— Très bien. Je m'en charge. Encore. Mais c'est toi qui fera la vaisselle dans ce cas.

— Hors de question. C'est moi qui l'ai fait la fois d'avant. J'ai pas env..., rétorqua le jeune homme de feu avant d'être réduit au silence de la façon la plus agréable qui soit.

Eryn le fit taire en pressant ses lèvres fraîches sur les siennes. Il ne fallut pas moins d'une demie seconde pour que Killian réponde à son baiser. Il n'arrivait pas à rester impassible au contact de la jeune fille, son corps réagissait instantanément.

Avant qu'il ne puisse approfondir leur échange sensuel, Eryn le repoussa gentiment vers l'arrière en posant sa main à plat sur son torse. Cela arracha un grognement de protestation au jeune homme qui aurait bien continué sur cette voie.

— C'est ça ou tu te couches tout seul ce soir, conclut-elle avec un sourire satisfait.

Elle partit avant que Killian n'ait pu accepter sa proposition, sachant pertinemment qu'il ne pourrait pas la refuser.

Le jeune soldat de feu savait qu'il s'était bien fait avoir par sa jeune soigneuse, mais il appréciait ces fausses disputes. Eryn s'amusait de plus en plus à le provoquer ou à lui tendre des pièges afin de l'obliger à faire plus de tâches ménagères qu'elle mais le jeune homme en faisait de même. Ils prenaient tous deux plaisir à ces petits jeux inoffensifs. Killian finissait souvent par obtempérer aux demandes de la jeune fille de glace car il appréciait fortement la façon dont elle le récompensait.

Après le repas, Eryn et Killian étaient restés assis près du feu crépitant allumé fièrement par ce dernier. Alors que le regard du jeune homme s'était perdu au milieu des flammes dansantes, la jeune soigneuse fouilla son sac à la recherche d'un précieux souvenir. Elle ressentait le besoin de regarder la photo de ses amis qu'elle avait emportée avec elle avant le grand départ. Elle n'arrêtait pas de penser à sa meilleure amie décédée.

Comparé aux premiers jours ayant suivi le drame, l'humeur d'Eryn était légèrement moins sombre et ce, grâce à la présence du jeune homme de feu. Pourtant, une culpabilité ne cessait de la ronger. Une nuit, elle s'était réveillée complètement affolée en se souvenant qu'elle avait abandonné le corps de Mélodie à Lusco. Elle était devenue hystérique, répétant en boucle qu'à cause d'elle, sa meilleure amie n'aurait pas la Stelluna à laquelle elle avait droit.

Killian l'avait immédiatement rassurée en lui disant que la gérante de l'auberge Rose-Marie, qu'ils avaient tous les trois rencontrée, connaissait l'identité de Mélodie et qu'elle ferait obligatoirement le nécessaire pour faire parvenir son corps à ses proches. La jeune fille avait alors commencé à penser aux parents de sa meilleure amie et elle s'était progressivement convaincue que son décès était entièrement de sa faute.

— Ils ne me pardonneront jamais. J'ai tué leur fille unique. Si elle est venue, c'est à cause de moi, craqua Eryn.

— Non, elle est venue pour toi, parce que tu étais son amie, c'était son choix. Tu peux pas continuer à te blâmer pour une chose sur laquelle tu n'avais aucun contrôle et te rendre responsable de sa mort. Tu pouvais pas prévoir ce qui allait se passer.

— Je te remercie d'essayer de me remonter le moral mais je ne peux pas m'empêcher de me sentir coupable, lui dit-elle en contemplant la photo de ses amis avec nostalgie.

Killian la vit passer un doigt sur la tête de Mélodie puis sur celle de Nathan.

Force est de constater que le jeune homme n'avait fait que causer des ennuis à Eryn. En lui sauvant la vie, elle avait perdu sa meilleure amie, elle était devenue une tueuse et elle s'était isolée des siens dans l'unique but de le ramener chez lui. Il ne lui avait rien apporté de bon, il savait que c'était égoïste d'accepter son aide. Il savait aussi qu'il ne la méritait pas, pas après ce qu'il avait fait. Il aurait dû mourir sur ce champ de bataille. Il n'était pas censé être encore en vie. Si il était là aujourd'hui, c'était uniquement grâce à elle. La voir se sentir coupable était trop dur à supporter. Il était le véritable coupable. Pas elle. Il était l'élément déclencheur qui avait ruiné sa vie.

— Si y'a une personne qui doit se sentir coupable ici c'est pas toi.

Il baissa les yeux et prit une grande inspiration pour se donner du courage. Il devait lui dire. Il ne pouvait plus continuer à agir lâchement en lui dissimulant la vérité.

— Je... je suis vraiment désolé. J'ai pas été honnête avec toi, avoua difficilement le jeune soldat de feu. Toujours incapable de la regarder dans les yeux, il continua, J'ai... C'est moi qui ai tué ton ami.

— Mais de quoi tu parles ? C'est Ivan qui a tué Mélodie. Je l'ai vu, répondit Eryn, se remémorant ce terrible souvenir.

Elle était confuse par les propos que lui rapportait Killian mais également inquiète. Jamais elle n'avait vu le jeune homme se comporter de la sorte.

— Je ne parle pas de Mélodie, dit-il en relevant enfin la tête pour affronter ses yeux bleu ciel qui le scrutaient intensément.

Eryn devint livide. Elle ne voulait pas comprendre ce qu'il était en train de lui avouer. Elle sentit son estomac se contracter douloureusement et une furieuse nausée l'envahir. Elle n'osa pas bouger le moindre muscle ou prononcer un son. Elle laissa Killian lui prendre délicatement la photo de ses amis qu'elle tenait fébrilement dans sa main droite.

— Ton ami Nathan. C'est moi..., débuta honteusement le jeune homme sans parvenir à terminer sa phrase.

Eryn ne pouvait pas se méprendre. Elle avait parfaitement assimilé ce qu'il était en train de lui dire. Elle le fixait toujours avec un regard indescriptible. Ses yeux commencèrent à lui piquer et des perles d'eau salée s'y agglutinèrent. Il n'y avait pas pire moment pour une telle révélation. Elle était toujours au fond du trou depuis la mort de Mélodie et désormais, elle avait la preuve que son ami Nathan avait également perdu la vie.

— Je suis désolé Eryn. Je voulais pas.

Une puissante vague de dégoût s'empara de la jeune soigneuse. Elle se sentit malade à l'idée d'avoir aidé le meurtrier de son ami Nathan tout ce temps. Elle plaça son bras autour de son ventre pour contenir le spasme de ses nausées. Elle se releva précipitamment, une main plaquée sur la bouche, mais à peine eut elle le temps de faire quelques pas qu'elle sentit un liquide acide remonter le long de sa trachée. Elle se plia en deux et régurgita le contenu de son estomac.

Elle n'arrivait pas à croire qu'il avait pu lui mentir et même coucher avec elle en sachant ce qu'il avait fait. Elle se sentait toujours mal pour lui avoir caché l'identité du meurtrier de sa mère. Elle avait compris sa colère et ses reproches quand il l'avait finalement découvert mais là, maintenant, c'était elle qui se sentait trahie.

— Je suis désolé, lui répéta Killian en s'approchant.

— TAIS-TOI ! hurla-t-elle, s'essuyant la bouche avec le revers de la main.

— Eryn, s'il te plaît, laisse-moi t'expliquer, lui dit-il, ne prenant pas compte de sa mise en garde.

Il tenta de placer l'une de ses mains sur le dos de sa soigneuse mais elle l'en dissuada violemment.

— NON. NE ME TOUCHE PAS !

Elle s'écarta vivement de celui qui venait de lui planter un couteau dans le dos avec ses aveux. Elle ne supportait plus le contact de sa peau sur la sienne ou même de le voir dans son champ de vision. Elle ne pouvait plus rester près de lui. Elle avait besoin de s'éloigner, de partir.

Sans vraiment réfléchir, elle fonça vers le camion médical et le démarra à toute vitesse, essayant de faire abstraction des nombreux appels de Killian qui la suppliait de lui pardonner. Elle poursuivit sa route à toute allure, la vue complètement brouillée par les larmes.

Entre la mort de Mélodie et la révélation de Killian, ses nerfs avaient définitivement lâchés. La situation ne faisait qu'empirer. Une spirale infernale vers l'enfer, voilà ce que c'était. Elle n'arrivait plus à penser de façon cohérente. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était prendre la fuite, échapper à tout ça. Elle ne pouvait plus rester près de lui. Elle avait l'impression de s'être fait manipulée. Tout ce temps, il n'avait fait que lui mentir. Elle se fit la réflexion qu'elle ne savait pas du tout qui il était et de ce dont il était capable. Elle pensait avoir appris à la connaître mais ceci était une grossière erreur. Il n'était rien de plus qu'en menteur et un meurtrier sans valeurs.

Une plaque de verglas se forma subitement sur le chemin de terre sur lequel elle roulait. Elle perdit le contrôle du camion et heurta un arbre de plein fouet. C'est le côté conducteur où se trouvait Eryn qui encaissa l'impact du choc. La vitre de la portière se brisa, éparpillant plusieurs éclats de verre qui éraflèrent le visage de la jeune fille. Elle se retrouva avec de légères entailles au front ainsi que sur la joue gauche.

La vitesse avec laquelle le camion avait dérapé contre cet arbre robuste avait engendré un choc assez important. La jeune soigneuse s'était retrouvée violemment projetée contre la paroi interne du véhicule, lui foulant le poignet au passage et lui assénant un puissant coup sur la tempe gauche.

Eryn était tombée dans l'embuscade tendue par les trois figures tapies dans l'ombre. Le cognement de sa tête contre la portière avait fait sombrer la jeune fille dans l'inconscience, la laissant ainsi à la merci de ses agresseurs.

❄️ Fin du chapitre 29. ❄️