17 ~ The More the Merrier
Lorsqu'Eryn se réveilla, elle eut la sensation d'être encore plus fatiguée que la veille. Elle avait passé la nuit à essayer de trouver une position confortable.
Avant d'aller se coucher, Killian et elle s'étaient enlacés durant de longues minutes. Puis, toujours sans prononcer un mot, ils s'étaient séparés en gardant le silence. Ils avaient tous les deux été gênés et n'avaient pas su quoi dire suite à cette démonstration d'affection mutuelle.
Pour couper court à ce moment inconfortable, la jeune fille de glace s'était réfugiée dans sa salle de bain pour faire sa toilette avant d'aller dormir. Lorsqu'elle en était sortie, les lumières de la chambre étaient éteintes et Killian occupait le côté droit du lit. Il s'était tourné sur le côté de façon à ce que la jeune fille ne puisse seulement apercevoir son dos.
Eryn était presque sûre qu'il n'avait pas pu s'endormir en si peu de temps et qu'il restait immobile pour éviter toute discussion. Elle avait envisagé de le rejoindre dans le lit, mais elle s'était ravisée. À la place, elle s'était rabattue sur sa méridienne.
Elle avait passé toute la nuit à essayer de trouver la bonne position. Celle qui lui permettrait de trouver le sommeil, mais en vain. Elle s'était assoupie moins d'une heure avant le lever du soleil.
Elle fut réveillée par la luminosité de ce dernier. Sa méridienne était disposée juste sous sa fenêtre, ce qui avait pour conséquence de la placer dans la ligne de mire des rayons matinaux. Mais de toute façon, elle ne pouvait pas se permettre de traîner au lit. Elle devait accompagner ses parents à la Stelluna de Robert.
C'est donc courbaturée et avec d'imposants cernes sous les yeux qu'elle se leva. Elle prit une douche bien fraîche afin d'essayer de dissiper la fatigue, ce qui n'eut que très peu d'effet.
Avant de sortir de sa chambre, elle laissa un mot sur l'oreiller qui n'était pas utilisé par Killian pour que cela soit la première chose qu'il voit en se réveillant. Dans cette note, elle lui indiquait qu'elle serait absente pour la journée tout en évitant de mentionner la Stelluna à laquelle elle allait assister. Elle lui indiquait également qu'il pourrait trouver de quoi manger dans la cuisine et profiter de la maison à sa guise jusqu'en fin d'après-midi.
Elle s'attarda quelques instants pour scruter son visage endormi. Cette scène avait quelque chose de captivant. Le jeune soldat au visage habituellement méprisant ou reflétant de la colère était pour la première fois, complètement détendu. Killian avait l'air serein, en paix. Il n'avait plus ce froncement de sourcil permanent.
Eryn avait eu du mal à détourner le regard de ce spectacle si rare.
En arrivant dans la cuisine pour prendre son petit déjeuner, elle constata que ses parents étaient déjà debout eux aussi.
— Il te reste des œufs brouillés dans la poêle mon cœur. On ne va pas tarder à y aller, dit Maude avant de souffler sur sa tasse de thé noir fumante.
— Merci maman, lui répondit Eryn en étudiant les traits de ses parents qui semblaient indiquer qu'eux aussi avaient l'air d'avoir mal dormi.
Sa mère avait également des cernes marqués sous les yeux. Malgré sa tentative pour les dissimuler, ils restaient bien visibles. Son père quant à lui avait le teint blafard et le regard perdu, comme si son esprit était parti vagabonder ailleurs et qu'il ne restait plus que son enveloppe corporelle. Une sorte de coquille vide. Dans un sens, c'était sûrement le cas.
Allan n'était pas une personne extravertie. Il était plutôt de nature discrète mais Eryn n'avait jamais vu son père dans un état pareil. Robert était son plus vieil ami. Il était normal qu'il soit touché par sa disparition, même si cette dernière était prévisible depuis son recrutement en tant que soldat de glace. Il se renfermait sur lui-même en fuyant les tentatives de discussion de sa femme et de sa fille. Il n'était tout simplement pas prêt à discuter de la mort de Robert. Cela rendait la chose encore plus réelle. L'attitude fuyante et le mutisme étaient devenus ses armes afin de lutter contre les émotions qu'il n'était pas en mesure de gérer pour le moment.
Eryn savait que ses parents seraient abattus par cette perte mais les voir dans cet état lui faisait redouter son départ imminent avec Killian et Mélodie. La jeune fille s'en voulait de devoir partir plusieurs semaines alors que ses parents étaient en deuil. Elle avait le sentiment de les abandonner. Elle commençait même à envisager de reporter le grand départ de plusieurs jours afin de rester le plus longtemps possible auprès d'eux en cette période sombre. Malheureusement, cacher Killian dans sa chambre devait être une situation temporaire et plus les jours passaient, plus les risques d'être découverts augmentaient.
Cependant, cette cohabitation d'infortune n'était pas aussi inconvenante que ce qu'elle s'était imaginée. Cela ne faisait que deux nuits mais elle commençait à s'habituer à la présence du jeune soldat de feu. Elle en venait même à apprécier le fait de le retrouver à chaque fois qu'elle passait sa porte. Elle commençait à prendre ses marques avec lui.
Elle ne considérait plus qu'héberger Killian était une contrainte. Le seul aspect problématique était le manque de son matelas moelleux. Après sa terrible nuit sur la méridienne, Eryn regrettait son lit plus que tout. Contrairement à sa première nuit paradisiaque contre le torse chaud du jeune homme, sa seconde nuit avait tout simplement été un cauchemar.
Durant toute la Stelluna de l'ami de son père, Eryn était restée assise à ses côtés en gardant sa main par-dessus la sienne pour lui signifier qu'elle était là pour lui. Allan ne parlait pas mais sa fille comprit qu'il avait besoin de ce contact. Il luttait de toutes ses forces pour ne pas s'effondrer.
Son père restait de marbre. Il n'avait pas dit un mot depuis le dîner de la veille. Il restait assis sur l'un des bancs de pierres grises disposés autour de la surface rocheuse où reposait le corps de son ami décédé. Incapable de regarder le corps sans vie de Robert, il fixait le sol en écoutant vaguement la voix du vieil homme chauve qui conduisait la cérémonie.
— C'est ici que s'arrête ton combat. Puisse ton âme rejoindre celle de tes frères tombés dans l'éternelle voie lactée. Là où tu vas, tu n'as plus peur, tu n'es plus triste. Tu brilleras à jamais dans le ciel entouré de tes frères et de tes sœurs.
Suite à ce discours, tous ceux qui étaient présents orientèrent leur attention sur la femme et la fille de Robert. Toutes deux s'avancèrent pour placer leurs mains sur son corps inerte. La dépouille se transforma petit à petit en un bloc de glace et se brisa en milliers de cristaux gelés qui s'élevèrent ensuite dans le ciel en tourbillonnant.
Lorsque que cette émouvante cérémonie prit fin, les parents d'Eryn préférèrent aller travailler plutôt que de retourner chez eux se morfondre. Ils avaient besoin de s'occuper l'esprit.
La jeune fille en profita donc pour se rendre chez Mélodie dans l'espoir qu'elle accepte de lui parler. À cette heure, Mélodie devait être seule chez elle. Ses parents devaient être au travail depuis un bon moment.
Il était midi passé lorsqu'elle toqua timidement à la porte en bois peinte en verte de sa meilleure amie. Après avoir attendu quelques instants, elle n'entendait toujours aucun signe de vie provenir de l'intérieur. Elle réitéra son geste de manière plus affirmée mais comme la première fois, aucun bruit ne se fit entendre. Perdant patience, elle décida de sonner en maintenant son doigt appuyé sur la sonnette pour enfin voir apparaître celle qu'elle était venue voir ouvrir sa porte, les yeux mi-clos.
Décidément, il n'y avait aucune personne qui avait réussi à passer une bonne nuit. En ce début d'après-midi, Mélodie était toujours dans un vieux jogging qu'elle utilisait généralement pour dormir et ses cheveux n'étaient pas coiffés. La jeune fille avait l'impression de l'avoir tirée du lit en sonnant. Comme pour confirmer son intuition, Mélodie se mit à bailler de façon peu gracieuse en étudiant Eryn de la tête aux pieds.
— Tu as une mine affreuse, annonça Mélodie avec un sourire espiègle.
Eryn rit avant de lui répondre.
— Je te renvoie le compliment.
— Allez entre, lui dit-elle plus sérieusement en se décalant pour la laisser passer.
Eryn s'engouffra à l'intérieur, soulagée de voir que sa meilleure amie semblait disposée à avoir une conversation.
Mélodie saisit sa cafetière pour déverser le précieux liquide noir dans deux mugs qu'elle déposa ensuite sur la petite table de sa cuisine où les deux amies s'installèrent. Comme à son habitude, elle rajouta une quantité de sucre astronomique dans son café sous les yeux effarés d'Eryn. Elle avait l'habitude de voir sa meilleure amie verser tout ce sucre dans sa boisson mais pourtant, à chaque fois elle se demandait comment un être vivant pouvait en consommer autant.
Mélodie s'avachit sur sa chaise en étirant ses jambes pour finalement les poser sur la chaise d'à côté afin d'être à demi allongée. Elle tourna mollement sa cuillère dans sa tasse avant de boire sa première gorgée pour tenter de se sortir de cet état comateux.
Eryn attaqua d'entrée :
— J'aurais pensé que tu serais reposée étant donné que tu n'es pas venue bosser au centre hier.
Elle voulait comprendre ce que sa meilleure amie avait bien pu fabriquer la veille. Mélodie n'avait jamais manqué un seul jour de sa formation. Eryn l'avait déjà vu venir travailler dans les pires états qui soient.
Une drôle d'expression que la jeune fille ne parvint pas à identifier déforma les traits de Mélodie durant une demi seconde. Elle fronça les sourcils et ancra son regard dans celui d'Eryn.
— Bizarrement j'avais besoin de réfléchir. C'est pas tous les jours qu'on apprend que sa meilleure amie s'occupe d'une espèce de monstre assoiffé de sang, rétorqua t-elle sur la défensive.
Eryn devait bien avouer que les circonstances étaient atténuantes. Mais pourtant, quelque chose ne lui semblait pas normal. Elle avait la désagréable sensation que Mélodie avait à son tour une chose à lui cacher.
— Killian n'est pas un monstre... Il est juste un peu caractériel, c'est tout.
Devant l'attitude désinvolte de sa meilleure amie, Mélodie se pinça l'arête du nez avant de souffler bruyamment.
— C'est de la folie. Tu peux pas continuer à t'occuper de lui. Ça va mal finir Eryn.
Mélodie était avachie sur sa chaise en sirotant tranquillement son café. Elle restait impassible, presque détendue. Elle semblait épuisée mais c'était tout. Contrairement à ce qu'Eryn attendait, sa meilleure amie n'était pas en pleine crise d'angoisse. Non. Au lieu de réagir comme n'importe qui suite à la révélation d'un secret pareil, Mélodie faisait des grasses matinées et elle buvait calmement son café face à Eryn. Elle venait tout juste de lui dire que toute cette situation allait mal finir mais elle l'avait fait de la même façon que si elle lui avait annoncé qu'il risquait de pleuvoir demain. Son ton ne s'accordait pas à la gravité de la situation. Son attitude était complètement incohérente. Être calme ne lui ressemblait pas.
— J'ai plein de choses à te dire, souffla Eryn qui voulait entrer dans le vif du sujet.
— Oh ! C'est vrai ? répondit ironiquement Mélodie du tac au tac avec un ton plus cassant qu'elle ne l'avait voulu.
— Écoute, je suis désolée de t'avoir menti mais tu aurais fait quoi à ma place ? dit Eryn en réalisant que l'attitude sereine de sa meilleure amie n'était en réalité qu'une façade.
Mélodie ferma les yeux pour se contrôler. Chose complètement inutile. La question de sa meilleure amie dont la réponse était plus qu'évidente eut le don de raviver la colère qu'elle avait tenté d'apaiser depuis qu'elle avait découvert qu'Eryn cachait un maudit démon.
— Qu'est-ce que j'aurais fait ? commença Mélodie en parlant très rapidement. JE N'AURAIS PAS AIDÉ CE MONSTRE ! Elle prit une grande inspiration pour reprendre contenance et retrouver son calme. Je ne vais pas m'énerver. Ce qui est fait est fait. Maintenant on ne peut plus reculer. C'est trop tard. On va devoir faire dégager cette chose de nos vies et le plus rapidement possible.
Afin d'éviter de rajouter de l'huile sur le feu, Eryn ne rebondit pas sur les propos haineux de sa meilleure amie et alla à l'essentiel. Moins elle parlerait et moins elle risquerait d'énerver Mélodie.
— Justement je suis venue pour t'expliquer ce que j'envisage pour la suite. Comme Mélodie ne réagissait pas, elle poursuivit. Arrêter ma formation et partir faire la tournée des villages pour procurer des soins est une couverture. Je vais profiter de cette situation pour amener Killian aux montagnes. Là-bas il aura une chance de contourner le champ de bataille et de retourner chez lui.
— Oui, ça je l'avais plus ou moins compris. Mais tu comptais quand même pas partir faire un road trip sans moi ?
Eryn aurait dû s'en douter. Mélodie ne l'avait jamais lâchée, pas une seule fois. Elle l'avait toujours suivie, même dans ses choix les plus fous. C'est vrai, elle s'était également engagée dans la formation de soigneuse où elle risquait sa vie un soir sur deux sur le champ de bataille pour récupérer les blessés. Contrairement à Eryn, ce choix n'avait rien à voir avec ce besoin agaçant de vouloir sauver tout le monde. Si elle était prête à risquer sa vie, c'était pour être avec sa seule et véritable amie.
Eryn avait été stupide de s'imaginer que Mélodie ne ferait pas une fois de plus, le choix de la suivre dans cette nouvelle aventure.
— Ça tombe bien que tu dises ça. En fait, ta présence est plus ou moins obligatoire. Le superviseur t'as incrustée dans ce voyage sans me demander mon avis, lui répondit Eryn en souriant tout en se sentant mal à l'aise à l'idée de l'avoir enrôlée dans ce voyage.
— Ça ne m'étonne pas de lui. C'était l'occasion ou jamais pour se débarrasser de nous. Il perd vite son sang-froid quand il nous parle. T'as jamais remarqué la petite veine sur son front qui se gonfle quand on va lui poser des questions ou qu'on le contredit ? À chaque fois j'ai l'impression qu'elle va exploser.
Eryn se mit à rire tout en acquiesçant. Elle aussi avait remarqué que son superviseur devenait rapidement irritable lorsque l'une d'elles s'adressait à lui.
Entre une je-sais-tout qui tenait absolument à avoir le dernier mot et une cynique invétérée, le superviseur se maudissait d'être tombé sur ces deux élèves. Brillantes certes, mais incroyablement chiantes. Il avait sauté sur l'occasion de les envoyer toutes les deux sillonner les villages. Après tout, elles continueraient à développer leurs capacités ainsi que leurs connaissances sur le terrain et il espérait secrètement que cette expérience les ferait mûrir et que ses élèves reviendraient changées. Il ne pouvait même pas s'imaginer à quel point son souhait allait se réaliser. Rien ne serait plus comme avant. Tout allait changer. Absolument tout.
❄️ Fin du chapitre 17. ❄️
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