Rome II

Celui que les prisonniers surnommaient « l'étranger » passait de bien mauvais moments dans ses nouveaux quartiers. Le sénateur, après l'avoir fait brutaliser à plusieurs reprises, l'avait comme promis vendu à des esclavagistes pour alimenter les jeux du Colisée. Zeus possédant une musculature impressionnante, bien plus que la plupart des autres gladiateurs ramassés dans les taudis ou prisonniers de guerre depuis des semaines, le sénateur Gaius en avait obtenu un bon prix. Pour une raison que même le chef des dieux ne pouvait expliquer, la faim, la fatigue, le froid, les coups et la vermine n'entamaient en rien son optimisme. Malgré la dureté des conditions et de la vie de mortel en général, il réalisa que cela le rendait presque heureux, car jamais auparavant il ne s'était senti autant vivant. Il ne pouvait concevoir sa propre mort, lui qui avait toujours été au dessus de la vie elle-même, et si un tel malheur venait à se produire, il savait que son propre frère régnait sur les Enfers et arrangerait la situation. Comment les choses pouvaient-elles mal tourner ?

Les Romains, à la différence des Grecs, appréciaient les grands jeux. Cela permettait au pouvoir de se galvaniser auprès du petit peuple – du pain et des jeux - chose cruciale en ces jours de déclins de l'Empire. Ce soir-là à l'affiche, une mêlée générale tout à fait classique, avec la liberté pour le seul survivant de la mêlée. Un spectacle qui était suffisamment rare pour en faire un événement attendu : le résultat se soldait à des dizaines de morts, il fallait du temps pour rassembler les combattants, même pour l'Empire. Celui qui se faisait appeler Jupiter en ces contrées, ne doutait pas un seul instant de sa victoire, lui qui avait une constitution robuste et des siècles de combats à son actif.

Même le plus vaillant d'entre eux ne pourra rien face à moi, je n'aurai qu'à être prudent. Quelle tristesse d'avoir à tuer des hommes. Je demanderais à Hadès de les traiter avec tous les honneurs.

Par chance pour lui, les organisateurs prenaient soin des combattants durant les derniers instants, et il récupéra bon gré mal gré des mauvais traitements infligés par les sbires du sénateur et des privations liées à sa condition. De leur cellule, les gladiateurs entendaient le Colisée se remplir peu à peu au fil du temps qui passait. Le bourdonnement de la foule s'amplifiait en continu, et on pouvait sentir dans les hommes l'excitation qui montait, cette adrénaline qui précédait la bataille, qui arrivait même à surplomber l'angoisse. Un détail l'avait interpellé ces derniers jours : beaucoup d'entre eux arboraient une tunique ornée d'un poisson, comme ceux qui l'avaient attrapé cette nuit-là. Pire : alors qu'il s'attendait à voir les dernières prières des condamnés être destinées à son encontre, ou au moins envers un membre de l'Olympe, ces derniers organisaient des rituels qu'il ne comprenait pas. Les fidèles se mettaient à genoux, les mains jointes, et marmonnaient les yeux fermés. Puis, à plusieurs moments, ils réalisaient un signe de croix sur leur torse. Zeus n'était peut-être pas le plus intelligent de sa famille, mais il avait assez de vivacité d'esprit pour comprendre qu'un autre culte que le sien se répandait à Rome. Ces hommes et ces femmes abandonnaient la religion de leurs ancêtres pour se tourner vers un dogme plus sobre dans bien des aspects. Cette nouveauté, plus que le Colisée et ce qui l'y attendait, le perturba grandement.

Au moment où les gradins devaient être remplis, les esclavagistes et les gardes vinrent chercher les combattants. L'étranger suivit le mouvement, mi- amusé, mi- intrigué. Surtout, l'appel du combat, de la guerre, réveillait en lui une sensation  qu'il avait oublié depuis trop longtemps : son sang de dieu commençait à bouillir d'impatience. Dans l'Olympe, il n'avait qu'avec Ares et Poséidon avec qui s'entraîner, mais ce dernier n'était pas souvent présent, et Ares bien que doué, n'osait jamais se donner à fond contre lui, son père. 

La colonne sortit des souterrains du bâtiment, et arriva sur une place faite de sable, plombée par un soleil chaud et éclatant. Tout autour d'eux, s'élevant vers le ciel, des gradins remplis à craquer par la plèbe de la cité. Quelques-uns des combattants venant des coins les plus reculés de l'Empire ne purent retenir des cris d'exclamation devant une telle grandeur. Le dieu décela le reflet de la peur dans la plupart des yeux qui l'entouraient, mais aussi parfois, une forte volonté de survivre. Cela s'annonçait palpitant. 

Le Colisée de Rome était le seul bâtiment des mortels qui pouvaient s'approcher de la magnificence du Purgatoire. Zeus ne put que féliciter l'ingéniosité des humains en son for intérieur. Il avait souvent mis les pieds dans ce monument, une fois même dans la loge d'honneur au côté d'un empereur mort depuis longtemps, mais jamais de ce côté-là de l'action. Le héraut, aristocrate à la robe rouge, s'avança au centre de l'arène. Il attendit le silence complet de la part de la foule et lança d'une voix puissante :

« Bienvenue au grand Colisée, peuple de Rome ! Aujourd'hui, l'empereur vous propose un spectacle hors du commun ! Des barbares venus de contrées lointaines et hostiles, des rebelles à l'Empire aussi fourbes que malins, des impies qui ont osé renier les dieux, vont s'étriper sous vos yeux ébahis tout au long de la journée ! »

Des impies qui nous ont reniés ? Ainsi, ils sont plus nombreux que ce que je pensais si les autorités comment à prendre des mesures contre eux, devina Zeus.

« Comme vous le savez sans doute, ceux qui sont font appeler « chrétiens » rejettent les cultes immémoriaux de nos aïeuls. Pour eux, nul salut, les survivants seront jetés à nos lions affamés avant la fin des jeux ! »

La foule ovationna longuement le crieur, qui alla rejoindre les autres sénateurs dans l'estrade de l'empereur, tandis que du pain fut jeté dans les gradins. Malgré l'annonce de leur funeste destin, les chrétiens ne montraient aucune peur. Zeus connaissait cette expression, qu'il voyait sur chaque visage destiné au sacrifice lors des fêtes religieuses : le visage du fanatisme.

Finalement, les combattants furent placés en ligne devant la loge impériale.

« Avé Caesar, morituri te salutan ! » lancèrent les gladiateurs à l'adresse de l'empereur, Zeus y compris, qui se prêtait au jeu.

L'empereur Hadrien Sévère répondit d'un vague geste de la main et reprit sa conversation avec ses convives. Les organisateurs leurs distribuèrent des armes au hasard. Le dieu hérita d'une longue lance de fer d'assez bonne qualité : elle semblait solide et bien équilibrée. Il avait plus que l'habitude de lancer la foudre sur les mortels, tel un javelot, quand il s'ennuyait : la lance pourrait être pour ainsi dire son arme de prédilection. Cela semblait presque trop facile pour lui. Les combattants prirent place tout autour de l'arène, séparés entre eux par plusieurs mètres. Au centre, on avait déposé un tas de boucliers en cuivre pour ceux qui le souhaitaient, et surtout dans l'optique de favoriser les rencontres entre les combattants. Dans leur dos, sur les premiers gradins, des archers attendaient ceux qui essaieraient de s'enfuir.

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