Le Purgatoire

Chaque monde divin existe à part, dans sa propre sphère.

Une multitude de royaumes naquirent d'une multitude de croyances et de cultes.
À l'aube des temps, quand les menaces se comptaient par centaines pour les mortels, ces dieux que tout opposait devaient se réunir pour parlementer, trouver des solutions communes, faire la paix. Ils se rendaient alors dans le Purgatoire, ce lieu hors de l'espace et du temps, lieu sacré de jonction entre les sphères.

En ces temps de crise, Héra, Poséidon et Déméter décidèrent d'aller quérir leurs homologues pour des solutions, événement qui n'avait pas eu lieu depuis des siècles. La porte du Purgatoire se dressait à part du reste des bâtiments dans l'Olympe. Centrée dans une plaine herbeuse, faite de marbre, elle n'était accolée à rien. Elle se tenait là, nue et isolée, insensible au temps qui s'écoulait. Bien que grands, les dieux étaient dépassés par l'édifice, et de loin. Des gravures typiquement grecques recouvraient sa surface, tandis que des ondes dorées brillaient dessus par intermittence.

Héra sortit une clé en or des recoins de sa toge, et la plaça dans la serrure apparente. La clé se tourna d'elle même, introduisant un long cliquetis, puis l'entrée s'ouvrit lentement. Au-delà, un portail vers une autre dimension que les dieux franchirent sans hésitation.

Le Purgatoire ressemblait à un vaste Colisée aux milliers de places disponibles. Du sable argenté recouvrait le sol, qui s'étendait de la même façon tout autour de l'arène, à perte de vue. Un ciel étoilé les surplombait, aux constellations inconnues, parcouru d'aurores vertes et argentées. Au centre de l'arène, à même le sable, se trouvait une table aux centaines de couverts, dressait en l'attente de ces visiteurs qui ne venaient quasiment jamais. Sur un des pans du Colisée, une Corne d'Abondance gigantesque débordait de victuailles en tout genre. Héra se rappela le jour où les dieux s'étaient unis pour aménager l'ensemble – la table et la Corne étaient de leur fait - la première fois que l'appel avait retenti et qu'il s'étaient rencontrés. Aucun d'entre eux, pourtant, ne savait qui avait érigé le bâtiment qui les abritait aujourd'hui, quels étaient les spectacles et qui étaient les spectateurs. Ils avaient arrêtés de chercher réponse depuis longtemps déjà, et Héra soupçonnait qu'il s'agissait d'entité plus anciennes que les Titans eux-mêmes. Cette simple pensée lui faisait à chaque fois froid dans le dos.

Tout autour de l'enceinte, des portes semblables à la leur attendaient d'être ouvertes, et arboraient toutes un style unique. L'une d'entre elles arboraient des têtes d'animaux exotiques comme des crocodiles ou des hippopotames, une autre était recouverte de bois et de feuilles, une autre encore présentait la figure d'un immense serpent. Toutes, en revanche, exaltaient une certaine magnificence.

Les trois olympiens s'installèrent à un bout de table. Ils se tinrent par les mains et commencèrent à chanter. Lentement, la musique s'éleva peu à peu des différentes portes, qui s'ouvrèrent à leur tour. Toutes sortes de personnages en sortirent, chantant eux aussi. Les voix s'ajoutèrent, se mêlèrent, enchantèrent la mélopée. Au bout d'un moment, quand les ajouts de voix se tarirent, la musique alla decrescendo jusqu'à s'éteindre complètement, laissant un vide d'autant plus poignant. Beaucoup avait répondu présent : un appel venant des autres sphères ne s'organisait toujours que pour d'excellentes raisons. Les panthéons prirent place à la table, chacun par groupe. Une fois tous installé, la Corne d'Abondance vibra, et propulsa les victuailles préférées de chacun dans leurs assiettes respectives. On aurait dit une pluie de nourriture : les denrées faisaient mouche dans les plats, et les boissons atterrissaient pile dans les verres et calices.

Les olympiens virent des visages qu'ils n'avaient pas vu depuis longtemps, mais ils leur semblaient que l'assemblée paraissait moins nombreuse que la dernière fois. La plupart arborait une apparence typiquement humaine, dont l'apparence et l'accoutrement variées suivant le lieux d'où ils venaient. D'autres étaient des hybrides animaux, tandis que quelques-uns étaient des êtres bien différents. Ils commencèrent à manger.

« Anciens, amis, nous venons vers vous aujourd'hui car notre famille souffre d'une épreuve qui nous dépasse et devant laquelle nous n'avons pas de solutions. Nous espérons que certains d'entre vous auront des réponses à nous fournir, déclara Poséidon sans plus attendre.

- De quoi s'agit-il ? interrogea Shiva, déesse des Indes aux multiples bras.

- Notre frère et roi, Zeus, s'est rendu dans le plan mortel, poursuivit le dieu des océans, comme il aime souvent le faire. Mais cette fois-ci, il fut resté prisonnier, sans possibilités de nous revenir.

- Une bien fâcheuse posture pour ce bon vieux Zeus, railla Odin, roi borgne des dieux nordiques, je parie qu'il ne tiendra pas deux minutes.

- Le monde des hommes est effectivement dangereux, ajouta Déméter, et notre frère semble être déjà dans les ennuis jusqu'au cou. Il est doué pour cela.

- Déméter a raison, c'est pourquoi nous nous tournons vers vous aujourd'hui. Peut-être les plus anciens d'entre vous ont-t-ils connu un précédent. Serpent Arc-en-Ciel, Grand Esprit ? demanda Héra."

Ces dieux millénaires, plus spirituels que fait de chairs, répondirent par la négation. Les kamis d'Orient déclarèrent par la voix d'Amaterasu, dieu du feu, qu'ils n'avaient eux non plus jamais connu ce cas de figure. La réponse vint de Râ, le roi des pharaons à tête de faucon.

« Je me souviens il y a longtemps, des dieux qui venaient de contrées proches de la nôtre nous disaient se trouver en grand malheur, l'un d'entre eux s'appelait Uruk. Il nous disait... »

Un temps passa pendant lequel il réfléchissait. Finalement, ce fut Horus, dieu solaire, à tête de faucon lui aussi, qui répondit.

« Oui je me rappelle aussi, il disait que ses sujets cessaient de croire en eux, que cela les mènerait à leur fin, que cela altérait leur essence. Nous n'y pensions plus, mais il semble qu'il avait raison : Uruk et ses enfants ne sont pas des nôtres aujourd'hui.

- La mémoire me revient maintenant, c'est pour maintenir notre culte vivace que nous avions introduit des représentants divins dans le monde des mortels, ajouta Râ, les pharaons se déclarent de nous-mêmes, et le peuple continue ainsi de nous vénérer. D'ailleurs, nous devons surveiller la situation, les romains sont en train de mettre une sacré pagaille...

- Nous avons une stratégie similaire, expliqua Thor, dieu nordique du tonnerre, accompagné de son marteau, mais pour des raisons différentes. De temps en temps, nous apparaissons à nos guerriers pour qu'ils restent forts et courageux. Les plus valeureux nous rejoignent ensuite au Valhalla. Nous aurons besoin d'eux pour lutter durant le Ragnarök.

- Vos mœurs à tous sont bien étranges, clama Mawu, le plus importants des dieux vaudous, voilé dans une cape si bien qu'on ne distinguait pas ses traits, nous préférons intervenir le moins possible envers les mortels. Ils savent que sommes là pour eux, c'est bien suffisant.

- Très bien, je pense que nous avons compris le problème. Il semblerait que quelqu'un d'autre empiète aujourd'hui sur nos terres, détermina Héra. À nous d'y mettre un terme !

- Êtes vous sur de ce que vous annoncez là ? Vos peuples et leurs croyances empiètent sur nos terres depuis bien trop longtemps, olympiens, s'exclama Epona, déesse celte du cheval. Si ce qui est dit aujourd'hui est vrai, allez-vous donc nous conduire à notre fin nous aussi?

- Il ne s'agit pas de nous, mais des romains, eux encore, qui n'en font qu'à leur tête. Que voulez-vous, ils nous ont adoptés. Il faudrait voir avec Romulus, et non pas avec nous, coupa Héra.

- Vous résisteriez mieux si vos druides acceptaient enfin de cesser cette tradition orale ridicule, marmonna Poséidon. 

- Nos secrets ancestraux ne doivent pas tomber entre les mains de n'importe qui ! s'emporta Epona.»

Sur ces mots, les représentants du panthéon celte se levèrent et partirent, outrés. Les dieux grecs eurent ainsi une idée de ce qu'ils avaient à chercher, et s'en retournèrent dans leur plan après leur repas, non sans saluer les représentants des autres panthéons, qu'ils ne reverraient probablement pas avant des siècles. De retour sur le Mont Olympe, les dieux majeurs expliquèrent à leurs confrères les résultats de la réunion. 

Est-ce nous, les divins, qui avons créé les humains, ou en réalité, est-ce l'inverse?  Se demanda Héra. 

Elle seule semblait prendre cette question vraiment au sérieux, et elle ne parla pas aux autres de ses interrogations. Enrichis de leurs nouvelles connaissances, Arès et Athéna descendirent sur Terre afin de porter assistance à leur père, tandis que les autres entamèrent de réfléchir à la manière de résoudre cette tragédie.

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