5. Conflit

[I'm into you - Chet Faker ]

✘ ✘ ✘

   

Une chaleur insoutenable m'enveloppait tandis que je discernais les battements effrénés de mon cœur s'emballer. Une multitude d'images parcourait mon esprit embrumé. Je pouvais encore sentir les mains de l'homme autour de ma gorge, intensifiant sa prise à chaque seconde qui passait. Quand il lâcha enfin mon corps affaibli glissant au sol, j'éprouvai le besoin de hurler à pleins poumons mais aucun son ne se matérialisa. J'avais beau me déchaîner, ma voix ne suivait pas. La seconde d'après je me retrouvais quelques mois en arrière, à cette fameuse soirée. Le couloir bondé qui s'offrait à moi me terrifiait. Je pris mon courage en main et commençai à parcourir la distance qui me séparait de mon but. Je ne percevais aucun son mis à part un assourdissant bip dans mon oreille gauche. Les étudiants se retournaient et m'observaient sur mon passage comme une bête de foire. Je me frayai un chemin difficilement, sous les regards curieux. Le temps ralentissait, ma tête se mit à tourner et je fus prise d'un vertige.

Les lumières de couleur vives en provenance des néons s'alternaient à tour de rôle et je luttais pour ne pas flancher. Au bout, Liam m'attendait, une main tendue et son sourire familier collé aux lèvres. Mes doigts frôlèrent les siens et j'entremêla nos mains avec un sentiment de protection qui m'envahit aussitôt. Ces iris bleues que j'avais tant contemplé, m'apportaient toute la confiance dont je manifestais le besoin et soudain, sa main effleura mon visage, le long de ma joue, dans une caresse qui me procura un million de frissons. Tout cela semblait tellement réel. Lui, moi, notre amour...

Son touché me fit légèrement ouvrir les yeux. La vision de Liam s'effaça progressivement et je perçu le noir de ma chambre. Encore dans les vapes, je ne portai pas attention à la main dérivant à présent vers ma tempe et ne fus pas non plus surprise lorsque des lèvres se posèrent sur la peau de mon front avec délicatesse. Elles laissèrent une trace humide et bientôt, je replongeai dans le royaume des songes.

J'épiais avec nervosité Zayn depuis cinq bonnes minutes, ne sachant pas s'il paraissait l'avoir remarqué. Il releva la tête de son téléphone et m'interrogea du regard. Il le posa ensuite et se décala dans ma direction, attendant que les mots sortent de ma bouche. Je réfléchissais à une manière de lui dire ça, avec tact. En toute franchise, je n'avais jamais rien eu à reprocher à Zayn, depuis les quelques mois qu'il habitait ici. Il travaillait, versait sa part du loyer, s'occupait même des tâches ménagères lorsque c'était son tour et demeurait plutôt agréable à vivre. Le colocataire parfait. De plus, c'était une personne de confiance qui se souciait d'autrui. Je devais alors trouver une raison convaincante pour expliquer ce que je m'apprêtais à faire contre mon gré.

- Je vois bien que tu me fixes depuis un quart d'heure, ronchonna-t-il avec exaspération. Crache le morceau, Allison.

Je pris une grande inspiration, puis me lançai quand je me sentis prête.

- Tu sais que je te trouve formidable...

Il émit un faible rire, juste adorable, et me regarda de ses yeux pétillants.

- Si tu essaies de me faire passer un message, je comprends totalement que j'ai pu te faire de l'effet. C'est souvent ce qu'il se passe avec les filles...

Je ris à mon tour puis repris mon sérieux quand je me rendis compte que la conversation se détournait du sujet que je voulais aborder.

- Non, c'est pas ça, continuai-je. En fait j'aimerais te parler d'une chose, d'une décision que j'ai prise récemment.

Il parut inquiet et se grata nerveusement le menton recouvert de sa fine barbe blonde.

- Quel genre de décision ?

C'était le moment ou jamais. Une fois encore, j'allais obéir à contre-coeur à cet homme que je ne connaissais pas et dont j'ignorais les intentions, simplement par peur des représailles car aucune autre issue ne s'offrait à moi. Je demeurais dans une impasse et le mieux restait d'exécuter ses ordres pour éviter tout dérapement. Il m'avait bien fait comprendre ce dont il était capable, et jusqu'où il était prêt à aller. Pour être honnête, son comportement violent me terrifiait.

- Une décision qui te concerne. Je suis désolé mais tu ne vas pas pouvoir rester vivre ici plus longtemps, lâchai-je comme une bombe dans le silence.

Il se tut un instant, probablement stupéfait par ce subit retournement de situation. Quand il eut l'air d'assimiler mes paroles, son visage devint rouge de colère. Il avança à grands pas vers moi et son visage se figea à quelques centimètres du mien...

- Tu n'es pas sérieuse j'espère ! Depuis quand tu envisages ça ?

- Zayn... soufflai-je pour tenter de le calmer.

- Tu ne vas pas me dire que ça t'est venu tout d'un coup quand même ! Qu'est-ce que j'ai fais de mal, hein ?

Je ne pensais pas qu'il puisse aussi mal le prendre mais je comprenais ses agissements dû au fait qu'il ne possédait pas assez d'argent pour se payer un loyer complet. Je ne m'attendais pas à une réaction positive mais je n'aurais jamais pu imaginer que cela puisse autant l'énerver. Son comportement me surprenait, moi qui ne l'avais jamais vu agir avec violence. Sa présence me rassurait au quotidien, d'autant plus avec les récents évènements et pour rien au monde je n'aurais désiré qu'il en soit ainsi.

- Tu n'as rien fait de mal.

Ma réponse le déconcerta et la déception sembla le gagner. Je voyais bien l'incompréhension sur son visage mais je ne pouvais pas lui en révéler la vraie raison.

- Alors pourquoi ?

Sa voix devenue cassante accompagnée de sa posture menaçante me le reprochait avec véhémence. Il tapa du poing sur la table et se retourna dos à moi, avec frustration. Je n'osais plus bouger, face à cet élan d'impulsivité me rappelant vaguement celle de l'homme capuché.

- Il faudrait que tu sois parti à la fin de la semaine, dans la mesure du possible, répétai-je sèchement.

Il tourna en rond dans la cuisine, en tentant de calmer ses nerfs à vifs.

- La fin de la semaine ? Tu te fous de moi Allison, c'est ça ? s'emporta-t-il. D'abord tu m'annonces cette nouvelle tombée du ciel sans raison et ensuite tu veux que je fiche le camp d'ici quatre jours ?

Son rire nerveux me prit de court.

- Tu sais au moins que mes revenus au garage ne me permettent pas de louer un autre appartement et que, à Paris, c'est galère de trouver un nouveau logement ? Tu vas vraiment me faire ça ? Parut-il supplier.

Mon coeur se brisa mais je gardai une expression froide et détachée, pour qu'il ne remarque pas que cette idée ne découlait pas de ma volonté. J'eus la soudaine envie de tout lui dire mais me rétractai aussitôt.

- Laisse-moi au moins une semaine de plus, le temps de trouver quelque chose d'autre.

J'acquiesçai difficilement face à cette négociation. Je supposais que l'homme mystère ne m'en voudrait pas de lui accorder quelques jours de plus – enfin j'espérais... Zayn quitta la pièce sans un mot de plus et s'enferma dans sa chambre, dont j'entendis la porte claquer. Tout cette situation ne pouvait pas continuer. J'avais longuement réfléchi à un plan pour me débarrasser de cet homme. Si jamais je me rendais au poste, il le saurait avant même que j'y sois. C'était ce qu'il m'avait confié, et peut-être même qu'en ce moment il me surveillait, pour s'assurer que je fasse bien ce qu'il me demandait.

Mon plan consistait à simuler un rapprochement, pour qu'il ait confiance. Assez pour me dévoiler son visage et son identité et que je puisse ensuite retourner voir l'officier Richard, avec un élément concret cette fois-ci. Tout ce que j'avais à faire, c'était prétendre avoir des sentiments à son égard et consentir à tout ce qu'il me dictera. Sur le papier, cela semblait facile mais j'ignorais si je m'en sentais capable.

L'heure sur mon téléphone m'indiqua qu'il était temps pour moi d'aller au lycée. Je pris mon sac, mes clés et quittai l'appartement avec précipitation. Sur le chemin, j'eus tout le loisir de me perdre dans mes pensées. Comment se faisait-il que Zayn ait réagit de cette façon alors qu'il n'avait jamais fait preuve d'impulsivité auparavant ? Son comportement de ce matin se rapprochait de celui de cet individu, et cela me foutait sacrément les jetons. Pourquoi cet homme semblait tant me désirer, moi ? Qu'avais-je de plus qu'une autre fille ? La réponse était : rien. Je me qualifiais même d'ennuyante. Il me restait plus que deux options : espérer que cet homme se lasse de moi et finisse par harceler une autre fille ( bien que je ne souhaitais ça à personne ) ou bien me débarrasser de lui.

Devant la salle de chimie, je retrouvai Jade en pleine conversation téléphonique. Lorsqu'elle m'aperçut, elle coupa court à son appel et me pris dans ses bras. Après une brève étreinte, nous rentrâmes dans la salle de classe. Quand je passai dans le rang pour rejoindre ma place, Evan ne me lança même pas un regard. Il m'ignora totalement pour une raison qui m'échappait. Depuis la dernière fois, il paraissait contrarié ou bien fâché. Il nous avait quitté l'autre matin sans adresser un mot de plus et quelque part, je comprenais que ce froid possédait un rapport avec moi. Malheureusement, j'avais beau me retourner le cerveau, je ne comprenais pas en quoi.

Je m'assis alors sur ma chaise en silence et sortis mon bouquin. Le professeur débuta son cours et je tentai de mon concentrer sur ses paroles uniquement. Très vite, mes yeux n'arrêtaient pas de dériver vers la chevelure blonde d'Evan qui continuait de faire comme si je n'existais pas. Je déchirai le coin de ma feuille et écrivis un simple mot : « tu vas bien ? » avant de le froisser et de le lui lancer. La petite boule de papier atterrit sur sa table et il se retourna, les sourcils froncés. Quand il vit que j'en étais l'auteure, l'expression de son visage se contracta.

Il déroula tout de même le bout de papier et en lut l'inscription. Je le vis se munir de son stylo et y écrire à son tour. Le mot me parvint à nouveau et je m'empressai de découvrir sa réponse. Un banal « oui » qui me prouva tout le contraire alors je griffonnai sur un nouveau papier un second mot pour lui demander ce que j'avais fait de travers. Cette fois-ci mon meilleur ami ne prit pas la peine de le lire et se focalisa sur l'expérience à réaliser que donna l'enseignant. Enzo croisa mon regard et me questionna d'un sourcil interrogateur auquel je répondis d'un haussement d'épaules.

Je finis par lâcher l'affaire et lorsque la cloche retentit pour marquer la fin du cours, mon meilleur ami ramassa son sac à dos et s'empressa de partir. Jade me rejoignit en compagnie d'Enzo et nous prîmes le chemin du gymnase pour notre prochain cours.

- Vous ne trouvez pas qu'Evan agit bizarrement en ce moment ? remarquai-je avec inquiétude.

Jade se retourna vers moi et confirma d'un hochement de tête. C'était bien ce que je pensais, je n'étais pas folle. Enzo passa un bras autour de mes épaules et me serra contre lui.

- Ne t'en fais pas, me rassura-t-il. C'est probablement rien de grave.

Il me pinça la joue ce qui me provoqua un éclat de rire. Heureusement qu'il me restait au moins un de mes amis qui ne me faisait pas la tête pour une raison que j'ignorais complètement.

- Vous lui avez parlé récemment ? Il ne veut plus m'adresser la parole, et je n'en connais pas la raison.

- Oui, assura Jade. Pas plus tôt que tout à l'heure.

- Pareil.

Donc le problème venait bel et bien de moi. En presque dix ans d'amitié, nous nous étions rarement disputés. Mais le pire restait qu'à chaque fois il y avait une raison à cette querelle – tellement futile le plus souvent que nous finissions réconciliés dans l'heure qui suivait. Par contre cette fois-ci, j'avais l'air de l'avoir blessé sans le vouloir.

Enzo poussa la double porte bleu foncé et nos chemins se séparèrent lorsqu'il se dirigea vers le vestiaire masculin. Je poussai la porte d'en face et rentrai dans la pièce bondée de filles. Je regagnai mon casier duquel j'en extirpai ma tenue de sport. Un simple short bleu et un t-shirt gris. Je retirai mon haut laissant apparaître mon soutien-gorge que je remplaçai par une brassière de sport. Jade vint s'asseoir sur le banc derrière moi dont elle posa le pied dessus, et ramena son genou à son menton pour nouer les lacets de ses chaussures. Je lui souris devant la glace du miroir accroché sur la porte de mon casier et je la vis dans mon dos me le rendre.

- Tu as réfléchi pour la fête de ce soir ? questionna mon amie d'un ton innocent.

Les dernières filles présentes quittèrent la pièce. Je fis volte-face et lui répondis :

- Oui et je ne compte toujours pas venir, l'informai-je avec certitude.

Elle se leva d'un bond, balançant sa chevelure rousse en l'air pour venir se poster devant moi, les mains sur les hanches.

- Qu'est-ce qui t'en empêche ?

Je soufflai d'agacement.

- Premièrement : une soirée en milieu de semaine n'est pas ce qu'il y a de plus raisonnable, lui fis-je remarquer. Puis deuxièmement : j'en ai juste pas envie.

Ce fut à son tour de souffler.

- Tu sais que tu peux vraiment être barbante quand tu veux, Allison Moreau ! Tu n'habites pas avec tes parents, alors profites-en, dit-elle avec lassitude.

Je claquai la porte de mon casier et roulai les yeux. Elle m'offrit une petite tape sur l'épaule et nous rejoignîmes le gymnase pour notre cours d'éducation physique. Les autres élèves étaient déjà positionnés par groupes, de part et d'autre du filet de volley. J'intégrai celui d'Enzo avec Jade, Elena et deux autres jeunes que je reconnaissais être en cours d'histoire avec moi. Après quelques passes, le coach souffla dans son sifflet et le match débuta. Mon équipe contre celle d'Evan. Pour la première fois, je ne jouais pas avec lui mais contre lui.

Ma légendaire aptitude en sport fit que je manquai plusieurs balles, chose qui fit grogner Enzo. Je savais pertinemment que s'il me prenait dans son équipe, c'était bien car nous étions potes. Mon meilleur ami, lui, se démena pour nous faire perdre. Il ne nous adressa pas un mot, ni un regard, et se contenta de marquer de l'autre côté du filet. Je ne saisissais pas pourquoi il jouait au con avec moi aujourd'hui. Quand il marqua un énième but, il se retourna et tchéqua la main à son coéquipier. J'attrapai la balle tombée à mes pieds quelques secondes plus tôt et la jetai de toute mes forces. Elle heurta l'arrière de sa tête et il se stoppa net. Il fit demi-tour et je lus de l'agacement dans ses yeux.

- Je peux savoir c'est quoi ton problème, au juste ? beugla-t-il en s'approchant du filet.

Je l'imitai et me retrouvai face à lui, le nez presque collé au sien, un faible tissu de fils seulement nous séparant.

- Et moi je peux savoir pourquoi tu te comportes comme un vrai connard, ripostai-je avec férocité.

Les abrutis de services derrière lui huèrent pour envenimer la situation. Enzo s'approcha de moi et me tira par le bras en retrait de sorte à calmer le jeu. La mâchoire d'Evan se crispa, signe qu'il se retenait de s'emporter. Je ne me laissai pas faire pour autant et lui crachai au visage :

- Je ne sais pas ce que j'ai bien pu faire, Evan. Mais t'es qu'un abruti de m'ignorer !

Le coach siffla à plusieurs reprises pour nous ordonner de cesser ce raffut. Les joues rouges de colère, je lui tournai le dos pour m'en aller. Je n'avais aucune envie de rester ici plus longtemps. Je m'arrêtai au niveau de Jade et changeai d'avis malgré les menaces de l'homme.

- On se retrouve ce soir, à la fête.

Puis je repartis les bras croisés et récupérai mes affaires au vestiaire. J'en avais marre qu'on me dicte quoi faire.

Au Diable ce foutu stalker !


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