37. Suspect

[ Sum 41 - With me ]

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— Allison ! m'appela ma sœur de l'étage inférieur.

Postée sur mon lit, un livre à la main, je cornai l'angle de ma page avant de quitter mon antre. Je descendis les escaliers en marbre et foulai le sol froid sous mes pieds jusqu'au séjour. Mon corps s'immobilisa sous la surprise lorsque je retrouvai l'inspectrice Meyer, ficelée dans un costume beige, une expression bienveillante placardée sur le visage.

— Bonsoir Allison, articula-t-elle poliment avec une poignée de main.

Face à son allure soignée, le rouge me monta aux joues. Je considérai ma tenue qui, en comparaison à la sienne, en devenait ridicule. Mon short de pyjama gris, mon débardeur blanc ainsi que ma chemise à carreau bordeaux ressemblaient de très près à un pyjama. En proie à cette gêne, je vacillai nerveusement sans trop savoir sur quel pied danser.

— Il est assez tard et je m'excuse de passer sans prévenir dans de telles circonstances, débuta-t-elle pour faire référence à ma tenue inadaptée à cette visite imprévue. Mais je tenais à vous mettre au courant par moi-même de l'avancée de l'affaire, avant que les médias ne s'en chargent.

Le fait qu'elle prenait la peine de se déplacer si tard au sujet de l'affaire, dans le but de me dire ces choses à haute voix me terrorisaient légèrement. Je fus prise de panique. Qu'avait-elle à m'annoncer d'aussi important ? Un tas de scénarios se déroulèrent dans mon esprit pendant que nous nous installions autour de la grande table. La chaise grinça quand je la tirai pour m'y asseoir, ce qui ajouta une pression supplémentaire à ce silence inquiétant.

— Comment vous sentez-vous ces derniers jours ? Avec les médias, penser à autre chose ne doit pas être facile.

Elle ne se doutait sûrement pas que quelques heures plus tôt, j'écrivais une lettre à l'intention de cet homme qui m'avait détruite ou encore qu'une horde de journalistes se pressaient contre le grillage de la maison jusqu'au coucher du soleil pour en apprendre davantage sur la pauvre fille qui obsédait un criminel pervers et détraqué.

— C'est sûr qu'avoir constamment des journalistes postés en bas de la maison est épuisant, reconnus-je avec un trait d'humour pour ne pas me démoraliser encore plus, mais ce qui est surtout dur c'est de savoir que cet homme se trouve toujours en liberté.

L'inspectrice saisit son sac en cuir d'où elle en sortit un dossier et me le tendit en le faisant glisser sur la surface de la table. Mes yeux débordant de curiosité se posèrent sur la chemise en carton pour revenir à son visage. Meyer semblait partagée entre la réjouissance et la délicatesse que contenaient ces papiers.

— J'ai à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle à vous informer, déclara-t-elle ses mains jointes sur la table.

Nous nous fixâmes quelques secondes, durant lesquelles mon cœur menaçait de bondir de ma poitrine.

— Nous avons bien un suspect numéro un dans cette affaire, qui d'après moi est celui qu'on recherche, confia l'inspectrice avec prudence.

— Mais...

Elle m'intima d'un signe de tête d'ouvrir le dossier et ce que je découvris me laissa sans voix ; des photos de mon ancien colocataire se trouvaient en première page, ainsi qu'un bon nombre d'informations sur son identité.

— Notre trace semble nous mener jusqu'à lui, révéla Meyer en m'indiquant de tourner les pages du dossier, constatez par vous-même ce que nous avons trouvé à son domicile suite à une perquisition.

Les clichés suivants affichaient des pièces à conviction, comme mon foulard dont je savais la présence dans son sac de sport, lors de notre dernière soirée à ce bar. Sauf que ce qui m'interpella le plus fut l'objet sur la prochaine photo. Ma caméra noire figurait parmi l'une d'elles, celle que je pensais avoir perdu et dont je soupçonnais le vol de la part de l'homme. Je reconnaissais nettement mes affaires et mon estomac se retourna plusieurs fois quand je saisis les images pour les inspecter de plus près.

— Pouvez-vous me confirmer que ces affaires vous appartiennent ?

— Elles sont à moi... soufflai-je encore ébahie par la réalité qui s'offrait à moi.

Cette hypothèse se construisait dans mon esprit depuis quelques semaines mais détenir des preuves concrètes me gratifiait d'une prise de conscience d'autant plus flagrante. Je comparais le visage innocent de Zayn à l'attitude impitoyable de l'homme et me rendais compte qu'on ne savait pas vraiment qui se cachait derrière chaque masque. Mon ancien colocataire avait pourtant toujours eu l'air pur et empreint de gentillesse alors qu'en réalité, il était probablement le monstre sous cette capuche. Des frissons de dégoût recouvrirent l'intégralité de mon corps lorsque je songeais à la façon dont ce menteur s'en été pris pour me tromper et me pousser à m'abandonner à lui corps et âme.

— La bande vidéo ne figurait plus dans la caméra, toutefois ces objets que nous avons trouvé en sa possession sont suffisant pour le traiter comme suspect.

La première des motivations qui m'avait incité à entrer dans le jeu de l'homme demeurait seulement le fait de trouver son identité. J'avais alors feint un rapprochement, par lequel il fut obligé de retirer sa capuche, cette scène enregistrée par ma caméra. À mon réveil malheureusement, cette pièce maîtresse de mon plan avait disparu et ma stratégie tomba à l'eau ce jour-là. Encore aujourd'hui, cette bande vidéo aurait pu m'éclairer sur la vérité et ainsi me libérer de cette ombre qui me cachait des rayons de la lumière.

— Vous l'avez arrêté ? prononçai-je difficilement happée par une forme de colère amère mélangée à de la culpabilité.

— Seulement inculpé provisoirement, répondit-elle en faisant preuve de sang-froid pour ne pas guider ses intuitions trop rapidement. Durant les prochains jours, nous lui feront subir des interrogatoires et il restera enfermé temporairement, le temps que son avocat réunisse des éléments jusqu'à preuve du contraire.

— Vous êtes sûr qu'il est bien coupable ?

— Pour l'instant, toutes nos pistes semblent pencher en sa défaveur.

L'hypothèse de l'homme détraqué qui entretenait une attirance obsessionnelle envers sa colocataire tenait la route. Toutes les fois où Zayn me réconfortait et cherchait à savoir ce qu'il s'était passé, suite à mon agression contre cet arbre lors d'une soirée, me revenaient en mémoire et me soufflaient que ses comportements n'étaient en fait que pur mensonge. À travers l'identité secrète de l'homme, il avait réussi à me manipuler, panser mes blessures pour mieux obtenir de moi ce qu'il désirait mais ce n'était pas tout. Sous la forme de sa deuxième identité, il me réconfortait et apparaissait comme un homme vertueux à qui je pouvais me confier.

Parmi cette marée noire de trahison, il substituait encore une question ; si ces deux hommes étaient la même personne, pourquoi le stalker m'avait demandé de virer Zayn de l'appartement ? Quel était son but ?

— Que risque-t-il, si c'est bien lui le coupable ?

— L'auteur de ces crimes serait puni de deux ans d'emprisonnement pour harcèlement, six mois pour les menaces à votre encontre, cinq ans de plus pour l'agression sexuelle dont vous avez été victime et pour finir, cinq ans de prison pour avoir couché avec une mineure. Sans oublier les plusieurs centaines de milliers d'euros qu'engendreront ces peines.

Toutes ces lourdes conséquences me donnaient le tournis et je me surpris à éprouver de la peine et de la compassion envers Zayn. Il m'avait gâché ma vie et réduit en miettes mon estime de moi, et je ressentais toujours de la culpabilité pour ce monstre. Mes doigts se serrèrent autour de ce dossier, dont je consumais l'envie de le déchirer et le réduire en cendres.

— Il y a encore la possibilité de mettre l'accent sur la pression psychologique qu'il a exercé sur vous, ainsi que l'usage de son ascendant pour arriver à ses fins et obtenir une peine d'autant plus grande.

Les seules fois où j'avais exploré ma sexualité, ce fut avec cet homme répugnant qui se révélait maintenant être mon colocataire. Je l'imaginais la tête plongée entre mes cuisses, ses lèvres déposant des baisers à l'intérieur de celles-ci, sa bouche sur la mienne, ses doigts gratifiant mon corps d'une pluie de caresses... et la bile me monta à la gorge.

L'inspectrice me détacha le dossier des mains et le referma pour le ranger dans son sac. Elle se racla nerveusement la gorge, ce qui présageait un sujet sérieux.

— Nous avons également interrogé Evan Perrin et il a fini par avouer son agression de la part de cet homme, dont la description correspond à la vôtre. Sous nos conseils, il a déposé plainte et des peines seront envisagées pour le dédommager, continua-t-elle de m'expliquer. Le coupable risque une peine maximale de trois ans d'emprisonnement, dans le cadre où il a laissé votre ami presque inconscient et dans un état grave.

Le souvenir de mon meilleur ami défiguré et anéanti psychologiquement m'attribua une seconde gifle, comme le revers de mon égoïsme par mon refus de dénoncer ce criminel pour me protéger moi, mais aussi mes proches.

— Evan nous a confirmé que la carrure de cet homme correspondait beaucoup à celle de Zayn Guerrier, pensez-vous la même chose ?

— Elles sont assez similaires, oui... confiai-je finalement en comparant les deux silhouettes dans ma tête, mais les corps masculins sont susceptibles de se ressembler.

L'inspectrice Meyer hocha frénétiquement la tête puis piocha dans son sac une seconde chemise en papier.

— Allison, débuta-t-elle d'un ton hésitant, j'aimerais vous montrer quelque chose mais seulement avec votre accord.

— Qu'est-ce que c'est ? demandai-je avec réticence et le cœur battant à mille à l'heure.

— Le dossier de votre mère, plus précisément celui de sa mort.

Mes dents grincèrent lorsqu'elle évoqua ce sujet dont j'avais pourtant émis le refus d'aborder lors de notre dernier entretient. Un tourbillon de colère naquît en moi et menaçait d'exploser. Personne ne possédait le droit de parler de sa mort. Avant que je ne puisse riposter, elle détailla ses intentions.

— Mon but n'est pas de donner naissance à un traumatisme chez vous, avança-t-elle avec douceur, mais seulement de comprendre certaines choses. C'est pour cela que vous détenez le choix d'ouvrir ou non ce dossier, et d'y connaître les détails pour peut-être nous éclairer sur cette piste.

La curiosité prenait le pas sur ma résistance émise contre cette possibilité. À l'hôpital, le médecin nous avait simplement spécifié en quelques mots que ma mère s'était ouverte la tête suite à une chute dans les escaliers mais j'ignorais tous des détails de sa mort. La chance d'en connaître plus se trouvait juste sous mes yeux et je ne pouvais pas la laisser filer.

Mes doigts se dirigèrent lentement jusqu'à ce dossier dont le nom de ma mère était gravé sur la couverture en carton. Mon courage en mains, je l'ouvrai et mon cœur faillit s'arrêter. Sur la première page se référaient des informations sur elle et la cause de sa mort, dont l'autopsie du spécialiste.

« Nom, Prénom : Moreau Katherine

Date de naissance : 23/12/1978

Lieu de naissance : Birmingham, Angleterre

Nationalités : Anglaise - Française

Profession : Secrétaire en cabinet médical

Domicile : *** (Paris) »

Une photo d'elle était accrochée à l'aide d'un trombone dans le coin de la page et j'observai son visage qui me manquait horriblement. Ses cheveux blonds, ses yeux bruns, ses pommettes rosées, ce visage maternel plein de vie, pour lequel je donnerais tout juste pour l'apercevoir encore une fois. La seconde page m'intrigua et je commençai à lire son contenu de l'enquête sur le décès.

« Date : 17/05/2020

Lieu : Domicile

Description des faits : Victime trouvée allongée, vêtue d'une serviette, inconsciente, dans une mare de sang en bas de ses escaliers.

Cause de la mort : Fracture crânienne qui a entraîné un hématome épidural. La victime est morte sous le coup.

Autres éléments : Aucun signe de lutte, ni d'acte criminel »

Sur ces documents ne figuraient que les informations déjà en ma possession, à savoir les explications de sa mort. Néanmoins, Meyer me fit signe de tourner les prochaines pages et je regrettai aussitôt mon geste.

Ma mère se trouvait allongée sur le sol, son visage dévié vers la droite et les cheveux humides, collés contre celui-ci. Ses yeux grands ouverts perdus dans le néant se gravèrent dans mon esprit comme les abysses des ténèbres. Elle semblait avoir vu l'effroi en personne. Mes mains tremblèrent sous le choc. Du sang. Du sang partout. Une marée de liquide rouge dans laquelle sa tête baignait. Sur les autres clichés, sa silhouette étendue sur son lit de mort, seulement vêtue d'une serviette blanche souillée de ce liquide et retroussée jusqu'à ses hanches. Son anatomie découverte par cette posture indécente me terrifia. Ma respiration s'accéléra, s'entremêla à mes tremblements, et un bruit sourd me déchira les tympans.

— Allison...

— NON ! criai-je à pleins poumons en envoyant valser ces photos à travers la pièce.

Meyer bondit de son siège sous la surprise et tenta de m'agripper par le bras pour me calmer.

— Ne me touchez pas !

Elle afficha une mine compréhensive et leva les mains devant sa poitrine pour signifier qu'elle ne ferait rien d'autre. Les larmes roulaient à présent le long de mes joues et je me rassis au fond de ma chaise pendant que l'inspectrice allait rassembler les pièces du dossier.

— C'était une mauvaise idée, conclut-elle tout en s'excusant.

Une atmosphère pesante et tendue régnait maintenant entre nous, chose à laquelle je désirais mettre fin. La femme en face de moi ne parut pas si désolée que ce qu'elle prétendait de me voir dans cet état. Je compris alors que c'était le but recherché. Elle voulait provoquer en moi ces émotions que je refoulais, me brusquer pour me faire prendre conscience de la réalité. Mes doigts se crispèrent autour des accoudoirs de ma chaise et je m'enterrai dans un mutisme.

— Vous comprenez pourquoi vous ne devez plus le protéger, Allison ? Cet homme est un monstre et je suis persuadée qu'il détient un lien avec la mort de votre mère, d'une manière ou d'une autre. Si vous ne souhaitez pas y croire, c'est votre choix. Mais je ne peux pas ignorer cette piste et j'espère que si vous savez quelque chose à propos de son implication dans cet acte, vous me le confirez.

Je ne répondis rien à cela et elle comprit que l'entretient prenait fin. Certes elle m'avait laissé le choix de regarder ce dossier, mais avec cette intention de me choquer. Je ne m'attendais pas à voir ces photographies cinglantes et maintenant, je ne réussissais plus à les effacer de ma mémoire. Je devrais vivre chaque jour de ma vie avec ces images à l'esprit, comme dernier souvenir de ma mère.

— Le coupable encoure la prison à perpétuité pour meurtre avec préméditation, annonça-t-elle en remballant ses affaires. Pour l'instant nous tenons Zayn et je suis convaincue qu'il finira par avouer ses crimes. Si ce n'est pas le cas, il sera bientôt relâché. C'est pour cela que je vous soumets la proposition de comparaître devant un tribunal. Avec toutes les preuves que nous avons réunis, il suffirait de plaider contre lui et d'énoncer tous les faits que nous retenons contre ce suspect. Dans le meilleur des cas, nous pourrons obtenir une incarcération provisoire.

Les yeux toujours fixés droit devant moi, sans lui lancer un seul regard, elle se dirigea vers la porte d'entrée mais s'arrêta dans ses mouvements pour m'informer d'une dernière chose.

- La patrouille de police ne pourra pas rester indéfiniment, j'espère que vous le savez. Alors réfléchissez-y.

Enfin j'entendis la porte claquer au loin et je soufflai de soulagement. Le vide m'aspira et m'écrasa de tout son poids. Je ne pouvais pas décrire ce sentiment qui m'animait ; je demeurais à la fois soulagée de pouvoir poser un nom sur cet homme mais terrorisée des conséquences que cela entraînait. En proie à ma candeur habituelle, je pensais que cette affaire se réglerait par l'arrestation du coupable. Je n'avais pas imaginé que les médias s'en mêleraient, que les peines justifiées me pèseraient sur la conscience en tant que victime des faits mais surtout, que je serais amenée à comparaître au tribunal devant un juge. Cette histoire me faisait déjà assez honte et je regrettais ma naïveté et mon comportement pathétique, en quête du grand amour comme toutes ces adolescentes pitoyables.

D'un autre côté, si Zayn demeurait bien le coupable recherché – ce dont je ne doutais presque plus – je me sentirais soulagée si je le savais enfermé derrière des barreaux. Enfin je pourrais dormir sur mes deux oreilles, sans cette crainte permanente de le voir surgir dans ma chambre pendant la nuit pour me le faire payer. L'équipe de policier allait bientôt devoir quitter leur poste et plus rien ne me protégerait de ce détraqué s'il se faisait relâcher par manque de témoignages. C'était le prix débourser pour la liberté, reprendre une vie normale et me balader dans les rues de la ville en toute sécurité. Peut-être que je devrais accepter...

J'avais assez fait d'erreurs par le passé et je ne voulais pas recommencer en refusant cette offre qui semblait la plus sûre pour tout le monde.

Mais l'inspectrice Meyer avait tort ; ma mère sortait de la douche avant de glisser dans les escaliers et la mort lui avait tendu la main au bout de sa course. Rien de plus, et aucun acte criminel ni prémédité... Je refusais d'y croire.


•••

Hello !
Je tenais à vous informer que je viens tout juste de passer la barre des 100 000 mots !!
Je suis encore étonnée de réussir à écrire un chapitre par jour ( sachant que j'écris très lentement d'habitude) et donc depuis le début de la semaine mon total de mots est d'environ 22 000 mots pour 8 chapitres.
Il reste encore 13 chapitres à venir qui seront tous publiés je l'espère à la fin de la semaine prochaine. Ce roman sera alors un gros bébé d'environ 130 000 mots je pense et qui devra ensuite passer à la réécriture !
En tout cas n'hésitez pas à me donner vos avis, vos hypothèse pour la suite... ; )

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