2. Le prix du silence
[ Flume & Chet Faker - Drop the Game ]
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Les rayons du soleil filtraient à travers la baie vitrée de ma chambre. J'enfuis mon visage dans mon oreiller, aveuglée par ce surplus de luminosité. L'heure qu'affichait mon radio réveil me résigna à me lever. Je relevai la couverture et quittai mon lit, non sans un grognement. Fidèle à mon petit rituel matinal, j'étirai les muscles de mon corps. Pendant un court instant, les événements de la veille me parurent fictifs. Un cauchemar inventé de toutes pièces par l'imagination débordante de mon cerveau mais la réalité me frappa de plein fouet lorsque mes pieds froids rencontrèrent le parquet. Les marques encore inscrites sur mes poignets témoignaient de la véracité des faits.
Mon coeur fit un bond dans ma poitrine. Le brouillard dans ma tête semblait se dissiper et tout me revint instinctivement en mémoire. La visite de l'homme et la façon dont il me touchait et paraissait tout savoir à mon propos, en passant par sa menace à mon égard si je décidais d'en faire part aux autorités. Un dilemme à doubles tranchants. Il m'était inconcevable d'accepter la situation comme si cela résultait d'une simple banalité. Je ne savais pas pour combien de gens ce genre de situation arrivait mais très peu, je pouvais y mettre ma main à couper. Ce dont j'étais certaine fut l'impitoyable et inévitable issue qui m'attendait à l'autre bout de ce couloir. Quel que soit mon choix, je demeurais piégée.
L'appartement baignait encore dans le silence. Je descendis les escaliers en refoulant toutes ces interrogations. Il fallait que je prenne le temps de réfléchir à la meilleure solution pour régler ce problème – sans non plus mettre ma vie en danger. Le séjour vide m'indiqua que mon colocataire dormait probablement encore, ce qui ne fut pas mon cas, malheureusement hantée par ce que j'aurais aimé n'être que des songes. J'ouvris les volets pour laisser pénétrer le jour dans la pièce. Mon ventre cria famine et je me préparai une tasse de café fumant, accompagnée de brioche et confiture. Les pas lourds de Zayn dans l'escalier m'avertirent de son réveil. Il ne tarda pas à me rejoindre, le visage encore ensommeillé et marqué par des traces de fatigue.
- Debout si tôt ! Tu es tombé du lit ? le taquinai-je.
La commissure de ses lèvres s'étira. Il me prit le couteau des mains et se tartina une tranche de brioche.
- Je devrais te retourner la question, riposta-t-il. Je sais que tu es du genre matinal, mais je ne crois pas t'avoir déjà vu levée aussi tôt.
- J'ai mal dormi.
J'enfournai une bouchée de mon petit-déjeuner dans le but de changer de sujet et ainsi, m'éviter un interrogatoire. Il eut l'air convaincu. Je continuais à picorer dans mon coin en silence quand soudain, il me posa une question qui me prit de court.
- J'ai entendu du bruit hier soir. Tu faisais quoi ?
Mes joues prirent une teinte rosée que je ne parvins pas à dissimuler. Le temps d'un instant, je fus sur le point de tout lui déballer. Cette histoire me pesait sur la poitrine à mesure que je gardais le secret. Zayn représentait pour moi une personne de confiance, même si nous nous connaissions depuis peu. J'avais appris à l'apprécier malgré son côté ronchon. Je fus prise de sueurs froides. S'il y avait une chose pour laquelle je n'étais pas bonne, c'était sans hésitation le mensonge. Mon esprit me criait de dire la vérité mais mon corps me poussa à faire le contraire.
- Je... Euh... J'ai fait tomber mes bouquins, mentis-je.
- Hum.
Une réponse aussi simple me surprit pour lui qui passait son temps à se plaindre.
- C'est aujourd'hui que tu reprends le lycée ?
- Oui, j'acquiesçai tout en me levant.
Je débarrassais la table et me rendis à l'étage, Zayn sur mes talons.
- Je serais au garage. Je risque de finir tard. Ne m'attends pas pour le dîner, me prévint-il avant de ne faire demi-tour et de s'enfermer dans sa chambre.
J'enfilai un jean et un chemisier kaki. Je fis un brin de toilette en vitesse et fourrai mes livres dans mon sac. Sans plus attendre, je quittai mon appartement en direction du lycée. L'air printanier d'avril me fouettait agréablement le visage. Je fis un saut à la librairie car l'heure me le permettait et en ressortis avec deux nouveaux romans. Le reste du trajet fut rapide, d'autant plus que je n'éprouvais plus cette impression d'être suivie constamment alors que contrairement à cette réjouissance, la nuit dernière m'avait prouvé que je ne me trompais pas. Cette histoire allait bien plus loin qu'une simple sensation flippante. Je n'étais pas en sécurité.
Je voulais tout de même croire qu'il demeurait une chance – aussi infime qu'elle soit – que cet individu m'ait laissé tranquille. Peut-être n'était-ce qu'un banal cambrioleur qui avait voulu se jouer de moi – en ne partant sans rien prendre avec lui tout de même ? Le quartier dans lequel je résidais était supposé être plutôt calme. En tout cas, je ne pouvais pas me plaindre de ce jour de répit.
Devant l'établissement, je cherchais mon meilleur ami parmi tout cet attroupement. Je reconnus la chevelure blonde d'Evan au loin. Il se tenait appuyé à une rampe métallique le long du trottoir. Je le rejoignis et il releva la tête. Ses yeux en amandes se plissèrent lorsqu'il sourit.
- Hé ! dit-il.
Je détaillai mon plus vieux ami du regard ; il portait un simple maillot bleu et un jean brut. Sa peau dorée et ses lèvres rosées en faisaient craquer plus d'une et ses cheveux – qui avaient repoussé – lui descendaient à présent dans la nuque et venaient retomber sur son front. Ses yeux se posèrent sur moi, dont les sourcils fournis lui procuraient cet air soucieux en permanence.
- Tu m'as manqué, confia-t-il.
- Toi aussi, Evan.
Mon meilleur ami avait tout pour plaire. Ses plus précieuses qualités demeuraient sa compassion, la compréhension qu'il détenait et la façon dont il se montrait à l'écoute des autres. Son sourire communicatif me redonnaient toujours la joie de vivre et le seul défaut que je pouvais lui trouver était le fait qu'il était très discret – bien que ce ne soit pas pour me déplaire. Je le rejoignais sur ce point et peut-être était-ce la raison de notre proximité. Je ne doutais pas une seconde que s'il avait été plus extraverti et confiant, il aurait bien plus de succès envers la gente féminine.
- Alors, comment se sont passées tes vacances ? demandai-je.
- Très longues. Le chalet de mes grands-parents est pas mal, en revanche leur côté vieille école ne m'avait pas manqué. J'aurais préféré les passer avec toi, souffla-t-il.
Je roulai des yeux.
- Estime toi heureux d'avoir encore la chance de passer du temps avec eux. Profite de ces précieux moments. En plus, je doute qu'aller chercher les derniers cartons chez mes parents entre deux dîners de famille merdiques t'aurait plu davantage.
- Tu as sûrement raison, confirma-t-il en riant.
La sonnerie retentit et tous les élèves s'engouffrèrent dans l'établissement. Dans les couloirs, je tombai sur Elena et Jade en pleine discussion. Je m'approchai d'elles en compagnie d'un Evan blasé. Il ne les avait jamais réellement appréciées. Il me répétait constamment que ce n'était pas des vraies amies et qu'un jour ou l'autre, elles deviendraient comme ces filles qui se croyaient supérieures et passaient leur temps à snober les autres. Il faisait des efforts, pour moi, car je croyais sincèrement qu'il se trompait.
- Oh, Allison ! s'exclama Jade d'une voix stridente.
Je les saluai et mon meilleur ami, lui, se contenta de les ignorer. Mon amie balança ses cheveux roux en arrière et me fixa de ses iris verts.
- Comment vas-tu ma belle ? Les vacances t'ont aidé à tourner la page ?
Elle me lança un regard compatissant qui me mit plus mal à l'aise qu'autre chose. Elle croyait peut-être qu'en abordant le sujet fragile de ma rupture – bien que cela partait d'une bonne attention – m'aiderait mais c'était tout le contraire.
- Jade ! interpella Elena. Tu sais très bien que ce n'est pas de cette façon qu'elle réussira à l'oublier.
Je lui lançai un sourire reconnaissant qu'elle me rendit. À chaque fois que je l'observais, je ne pouvais m'empêcher d'y voir son frère. Tous deux se ressemblaient beaucoup. Elena possédait de très beaux cheveux bruns frisés qui encadraient son visage à la peau pâle, parsemé de taches de rousseur. Ses sourcils fins dessinaient joliment ses yeux ronds, de couleur bleue aux sous tons verts et son nez en trompette lui donnait un air adorable. À l'exception que les yeux de son frère, eux, tiraient vers le bleu intense.
- Ne t'inquiètes pas. Je ne peux pas dire que je l'ai complètement oublié car ça ne fait que trois semaines, mais je suis sur la bonne voie.
- Si ça peut t'aider, mon frère n'est qu'un abruti, déclara-t-elle. Il ne sait pas ce qu'il perd.
- En tout cas, il n'a pas attendu longtemps avant de se remettre en selle, ajouta Jade en brandissant son portable avec le compte ouvert de mon ex-copain devant nos yeux.
- J'ai vu.
Mon ton laissait entendre l'abattement qui me frappait. Evan qui jusque-là n'avait pas encore pris la parole me souffla à l'oreille :
- Il n'en vaut pas la peine. J'espère qu'un jour tu trouveras quelqu'un digne de toi, et qui saura t'aimer comme moi je t'aime.
Ses paroles me mirent du baume au coeur. Je me sentais énormément reconnaissante d'avoir un ami pareil.
- Merci.
La seconde sonnerie résonna et nous nous précipitâmes de regagner notre salle. Quand la journée s'acheva, il était près de dix-huit heures. Evan et moi nous séparâmes après un bref au revoir. Je comptais dans un premier temps rentrer chez moi en priant pour ne plus voir resurgir de nulle part ce mystérieux individu, mais les heures passées sur une chaise, à demi attentive aux paroles que débitaient les professeurs, me permirent de méditer sur la situation. J'en étais venue à la conclusion qu'il fallait que je me rende au commissariat.
Sans que ce ne soit prévu, je me dirigeai au poste le plus proche. J'entrai avec une certaine appréhension. Je me souvenais aisément de la menace que m'avait proféré l'homme mais je me persuadai que cette option restait le bon choix. Mes jambes tremblèrent lorsque je m'approchai du bureau d'accueil. Une femme qui semblait atteindre la quarantaine se trouvait de l'autre côté. Ses cheveux crépus étaient ramenés en un chignon négligé et les cernes sous ses yeux creusaient sa peau mate. Elle arborait l'accoutumé uniforme bleu nuit à manches courtes. Elle releva les yeux de sa feuille et me détailla.
- Bonsoir, je peux faire quelque chose pour vous ? demanda-t-elle d'un ton las.
Mes mains se mirent elles aussi à frémir. Le silence flottant dans la salle accentuait la peur qui grandissait au fond de moi. Mais je me répétais, tel un mantra, que je faisais exactement ce qu'il fallait. Pour ma propre sécurité.
- Bonsoir, oui. J'aimerai déposer plainte, l'informai-je hésitante.
Elle secoua la tête faiblement.
- Je vois. Pour quel motif exactement ?
Pour quel motif ? Je ne savais pas... Peut-être car un psychopathe était rentré chez moi et m'avait menacé comme s'il en avait le droit ? Si on oubliait pas le fait qu'il savait tout de moi, non plus ?
- « Violation de domicile » et « injures et menaces », récitai-je après m'être renseignée préalablement sur internet.
Elle s'éloigna quelques secondes pour revenir ensuite vers moi.
- Attendez ici. L'officier Richard va vous recevoir.
J'acquiesçai et patientai, les bras croisés contre ma poitrine. Je me sentais affreusement coupable de me retrouver ici, comme si je venais avouer un crime dont je demeurais l'auteure. Un petit moment plus tard, un homme aux cheveux poivre et sel et à la barbe de deux jours vint me chercher. Il me conduisit jusqu'à son bureau, où il m'intima de m'asseoir sur l'un des deux fauteuils qui y trônaient. Il s'installa à son tour et se rapprocha en faisant grincer sa chaise sur le sol.
- Bien. Nous pouvons commencer. Nom et prénom ?
- Moreau Allison.
Il pianota sur son ordinateur puis fixa de nouveau son attention sur moi.
- Rappelez-moi les motifs de votre plainte, requit l'officier.
Je lui en fis part.
- Je vais avoir besoin que vous me racontiez, dans les moindres détails, ce qu'il s'est passé pour que je puisse effectuer la plainte.
Au moment où je voulus commencer, ma gorge me parut tellement sèche que craignis de ne jamais pouvoir articuler un mot. Il sembla s'en rendre compte et me proposa un verre d'eau que j'acceptai volontiers. Quand il revint, j'eus le temps de reprendre mes esprits. Je bus une gorgé qui me fit le plus grand bien.
- Expliquez-moi la situation, formula-t-il sûrement à bout de patience.
- La nuit dernière, quelqu'un s'est introduit chez moi, murmurai-je difficilement tandis que la carrure de l'homme se formait dans mon esprit.
L'officier me dévisagea puis se pencha en avant, intrigué.
- Un cambrioleur ?
- Non.
Ses sourcils se froncèrent automatiquement.
- Alors que voulait-il ? interrogea-t-il perdu.
- Je ne sais pas.
Il soupira.
- Très bien, alors vous avez d'autres éléments qui pourraient étoffer votre plainte ?
- J'ignore ce qui l'a poussé à commettre cette infraction, avouai-je tout autant confuse. J'ai d'abord pensé à un cambrioleur, comme vous. Je lui ai dit de prendre ce qu'il souhaitait mais il m'a répondu qu'il n'était pas là pour ça.
- Et il ne vous a rien dit d'autre ?
Je me tus une minute, pour remettre mes idées en ordre.
- Si, objectai-je. Il a prononcé mon nom, mon prénom... Il avait l'air de me connaître.
Il écoutait mes paroles d'une oreille attentive tout en tapant frénétiquement sur les touches de son clavier. Étonnement, libérer ces mots me faisait éprouver une certaine culpabilité qui n'avait pas lieu d'être. La confiance qui m'avait poussé à confier mon récit aux autorités s'effondrait à mesure que l'officier devenait sceptique. L'homme qui se trouvait devant moi me montrait bien que mon histoire ne valait rien et que je ne savais pas moi-même ce que j'avançais.
- Vous dites qu'il vous a menacé ? C'est bien ça ? vérifia-t-il.
- Tout à fait. Il m'a affirmé que si jamais j'allais voir la police, je n'aimerai pas savoir ce qu'il me réserverait, Répondis-je fébrile. Il m'a également agressé physiquement, mais rien de bien méchant.
Le policier parut prendre la menace un peu plus au sérieux. Je me reculai dans le siège et croisai une jambe en patientant qu'il reporte les faits dans son ordinateur. Il se racla la gorge et reprit :
- Vous avez pu voir son visage ?
- Malheureusement non. Il portait une capuche qui en recouvrait la totalité.
- Vous n'êtes pas sans savoir que sans preuves, nous ne pourrons rien envisager. Malgré les faits que vous m'avez énumérés, spécifia l'officier Richard.
Je m'y attendais plus ou moins mais l'entendre clairement de la bouche d'un homme qui demeurait le seul à pouvoir me protéger me refroidit.
- J'ai été victime d'agression et de violation de domicile, répétai-je avec une once de colère.
- J'entends bien, mademoiselle. Nous ne sommes pas en possession d'assez de détails pour le moment, pour pouvoir lancer la procédure et ainsi ouvrir une enquête préliminaire. Voilà ce que je vous propose : si jamais l'agresseur revient à la charge, vous pourrez vous rendre au poste à nouveau et on mettra en place les dispositions requises, proposa-t-il avec calme et assurance.
Je n'eus d'autre choix que d'accepter l'accord que m'offrait l'officier. Je passai la porte de son bureau avec les nerfs à vif. Il m'était inconcevable de me dire que j'avais pris le risque de me mettre en danger pour rien.
C'est ainsi que je me retrouvai à l'extérieur, dans la nuit noire, à marcher en direction de mon appartement avec tout un tas de questions, sans réponses.
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