Chapitre 5 - Mer des Caraïbes, vilaine curiosité
- Mais qu'est-ce qui t'a pris de l'asticoter comme ça, tu n'es pas bien ?
Sandra était furieuse.
- Oh, il prend la mouche bien vite. Il a quelque chose à cacher, ce commandant, dit Mickaël.
- Peut-être que oui, mais tu n'en sais rien et de toute façon ce n'est pas ton problème. Que cherches-tu, qu'il nous refoute à la baille ? Tu ne vois pas que ce type est un méchant ?
- Justement, il fait le méchant pour masquer un truc. Je te parie qu'il transporte des animaux en provenance du Costa Rica dont l'importation est interdite et que ça doit lui rapporter beaucoup d'argent. Les nouveaux animaux de compagnie, tu sais, des singes, des serpents, des trucs comme ça. Ce n'est pas pour rien qu'il a employé l'exemple des perroquets !
- Tu te prends pour Sherlock Holmes, Micka ?
- Non, mais j'en aurai le cœur net d'ici qu'on arrive en France, dit-il. Tu verras que j'avais raison.
Sandra haussa les yeux au plafond et escalada les lits superposés pour se coucher dans celui du dessus.
Ils dormirent comme des loirs, bercés par le ronron des machines.
Le lendemain matin, après le petit déjeuner, ils se baladèrent sur le bateau, qui était vraiment énorme.
Vu de près, tout était rouillé. On imaginait qu'il avait dû en voir, des traversées.
Arrivés vers le milieu du pont, il virent que les trappes donnant aux immenses cales étaient ouvertes. Une sorte de monte-charge faisait remonter des bananes posées sur des sortes de conteneurs.
Un marin avec un casque de chantier dirigeait la manœuvre, criant des ordres en français.
Mickaël s'approcha de lui.
- Vous remontez les bananes ? lui demanda-t-il.
- Oui, elles sont cueillies quasiment vertes. On stoppe ensuite la maturation pendant le transport et le mûrissement se fait à l'arrivée. Mais il y en a toujours qui pourrissent en route et il faut surveiller pour ne pas que le phénomène s'étende. On les jette par dessus bord.
- Et les ananas ?
- Les ananas posent moins de problèmes : on ne transporte toutefois pas les variétés « Victoria » qui voyagent par avion. La traversée serait trop longue.
- Très intéressant, dit Mickaël, on pourrait jeter un œil dans la cale ? Ca doit être impressionnant.
A sa grande surprise, le gars accepta. Il sourit à Sandra :
- Montez sur la plate-forme et tenez-vous bien, leur dit-il en la prenant par le bras. Une fois en bas, surtout ne restez pas dans la zone de décharge.
Sandra fulminait intérieurement : encore cette manie de Mickaël de toujours fureter partout !
Il descendirent sur cette espèce d'ascenseur.
La soute était gigantesque. Elle était ventilée, sans doute à cause de l'éthylène dégagé par les bananes, pensa Mickaël.
C'était effectivement impressionnant, ces tonnes de fruits.
Ils firent le tour de la soute, du moins partout où l'on pouvait passer.
Mickaël observait mais ne vit rien de suspect.
Il y avait plusieurs ouvriers affairés là. La cale communiquait avec une autre, tout aussi immense, où ils pénétrèrent.
L'odeur était ici incroyablement puissante, écoeurante même : des dizaines de milliers d'ananas reposaient sur des claies en bois.
Là non plus, rien de suspect, pas de singes, pas de perroquets.
Ils remontèrent par le même monte-charge et Mickaël serra la main du chef de manœuvre.
- Alors, Sherlock, dit Sandra d'un air perfide, satisfait de la perquisition ?
- Ouais...
- En tous cas, pour tes cages de singes, tu repasseras, lui dit-elle.
Ils allèrent déjeuner puis regagnèrent leur cabine pour se reposer. Il n'y avait pas grand-chose d'autre à faire...
La chaleur avait envahi la cabine et Mickaël n'arrivait pas à dormir. On crevait de chaud.
Il se leva. Sandra dormait, elle, là au-dessus de lui.
L'eau qui coulait du lavabo avait une sale couleur de rouille et était tiédasse.
Il avait envie d'une boisson glacée, ou même d'une glace, et sortit de la cabine pour gagner le réfectoire, pensant y trouver le chef cuisinier ou un aide, mais l'endroit était vide.
La salle donnait sur la cuisine. Il y jeta un œil : là encore, personne.
Il entra dans la cuisine où il y avait un réfrigérateur mais il ne contenait que du beurre, de la crème, des produits nécessaires à la cuisine. Pas de boissons ni de glaces.
La cuisine donnait elle-même sur une pièce où étaient entreposées d'innombrables boîtes de conserves de collectivités, de victuailles. Et il y avait d'autres réfrigérateurs ainsi qu'une chambre froide.
Il lui revint en mémoire que dans un bateau, on appelait ce genre de pièce la cambuse.
C'était impressionnant, le nombre de victuailles que contenait cet endroit.
Une vraie caverne d'Ali Baba !
Il ouvrit un frigo au hasard : il était rempli de Coca cola. Il prit une bouteille glacée.
Il remarqua soudain une porte devant laquelle on avait entreposé de grands cartons portant une marque de biscuits.
Les piles étaient hautes et si l'on avait voulu dissimuler cette porte, on ne s'y serait pas pris autrement, pensa-t-il.
Il posa son soda sur une caisse et essaya de pousser une des piles de biscuits.
- Hey, what are you cooking here, fucking bastard ? entendit-il crier dans son dos.
Derrière lui se trouvait un immense noir chauve avec un tablier de cuisine, un grand couteau de boucher à la main.
Il rassembla son anglais et dit :
- Take it easy, Sir, I was thirsty.
Il montra le soda.
- So you got what you were searching for. Get out of there ! I don't want anybody in my kitchen ! The captain himself is not allowed !
- Ok, ok. May I have another Coca cola ? My wife...
Le noir ouvrit le réfrigérateur à sodas, prit un Coca et le lui lança.
Mickaël fila sans demander son reste pendant que le cuisinier maugréait tout seul dans son langage délicat :
- Motherfucker !
Dans la cabine, Sandra se réveillait. Il lui tendit le soda glacé.
- Où as-tu eu ça ? lui demanda-t-elle.
- A la cuisine, et au péril de ma vie, trésor, lui dit-il. J'ai failli me faire étriper par un géant noir qui parlait anglais. Il m'a foutu dehors de la cuisine.
- Il t'a foutu dehors parce que tu voulais du soda ?
- Bah, en fait j'étais dans la cambuse, il n'y avait rien à boire à la cuisine. Il n'a pas eu l'air d'apprécier.
- Oui, tu fouinais, quoi ! dit Sandra. Et s'il le dit au commandant ?
- Mais non, c'est juste un cuistot qui n'aime pas qu'on entre dans sa cuisine. N'empêche que j'aurais bien voulu voir ce qu'il y avait derrière cette porte, dans la cambuse. Ils avaient mis des cartons devant...
- Sans doute des singes, des serpents ou des perroquets, dit-elle. C'est bien connu, on les cache dans les arrière-cuisines. Tu vois que tu fouinais !
Ils montèrent sur le pont. La mer était très calme, et toujours ce beau temps.
Le soleil commençait déjà à décliner en rougeoyant.
S'ils n'avaient pas été sur ce rafiot pourri par la rouille, ça aurait presque pu être romantique.
Ils prirent leur repas du soir sans voir le commandant, cette fois, puis ne tardèrent guère à regagner leur cabine pour dormir.
Ils se sentaient un peu désoeuvrés...
Vers 1 heure du matin, Mickaël se réveilla brusquement.
Ouvrant les yeux, il trouva que quelque chose n'était pas comme d'habitude et ne mit pas longtemps à comprendre ce qui l'avait tiré de son sommeil : le ronron des machines avait cessé, les moteurs étaient coupés.
Il alla jeter un coup d'œil par le hublot et vit à la clarté de la lune que le bateau avait stoppé.
Que se passait-il ?
Sandra dormait à poings fermés, comme toujours.
Il sortit de la cabine, pieds nus, et prit la coursive plongée dans une semi-pénombre.
Arrivé à l'entrepont, il vit à travers les structures métalliques des lumières de l'autre côté du bateau, à bâbord, et s'approcha doucement.
Une sorte de vedette d'assez belle taille et de forme très allongée était amarrée au KRAKEN.
Debout dessus, et sur le pont du cargo, s'affairait en silence une dizaine d'hommes dont des marins qu'il reconnut.
Ils déchargeaient de la vedette des ballots de plastique bleu qu'ils montaient un à un sur le KRAKEN.
Les ballots étaient tous identiques, de forme cubique avec les angles arrondis, de la taille d'un gros sac à dos.
A l'attitude des hommes, ils ne semblaient pas peser très lourd mais on devinait, à l'aspect du plastique luisant et distendu, qu'ils étaient bourrés à craquer d'une matière malléable.
Ils en avaient déjà monté un grand nombre à bord, que Mickaël voyait soigneusement empilés sur un chariot roulant.
Le commandant parlait sur le pont avec un homme inconnu, la cigarette au bec, vêtu de jean et portant une casquette noire.
Le chariot fut vite plein et deux hommes le firent rouler jusqu'à un local qui formait une excroissance métallique sur l'arrière du pont.
Mickaël les suivit à distance, se plaquant dans l'ombre, et les vit commencer à empiler les ballots dans le local.
Soudain, alors qu'il était accroupi à les observer, il entendit le claquement métallique de la culasse d'une arme et sentit presque simultanément un objet dur se plaquer sur sa nuque.
- Mets tes mains sur ta tête et lève-toi lentement, lui ordonna la voix du commandant.
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