8 * Tu me terrifies
Agathe
Vêtue d'un jean et d'un T-shirt simple, j'emboîte le pas à Zachary jusqu'à un champ jouxtant le camping. Il a insisté pour se rendre à cette petite soirée estivale. La nuit est tombée, nous recouvrant d'étoiles brillant de mille feux. Apercevant le feu de camp au loin, j'ai un mouvement de recul. Mon ami ne semble pas s'en rendre compte alors, puisant dans sa force tranquille, je le suis sans un mot. Les flammes paraissent manger le ciel tant elles s'avèrent hautes. Des braises crépitent au pied du tas de vieux bois. Des enfants courent partout tandis que des marshmallows vivent leurs derniers instants dans la chaleur, fondant comme neige au soleil.
Comment une chose aussi magnifique a-t-elle pu prendre la vie de ma mère ?
Je hurle son nom, esquivant les planches qui s'effondrent devant moi.
J'ai chaud, j'ai froid, j'ai peur, j'ai mal.
Tout se mélange tandis que la panique termine de me rendre folle. Où se trouve la sortie ? Mes parents et mes frères sont-ils sortis ? Les flammes me lèchent le visage que je protège comme je peux. Le bruit de la destruction s'enregistre dans mon esprit : craquements, souffle, cris. Je crois que je pleure. Ma vision orangée se trouble. C'est une certitude : je vais mourir ici.
Secouant la tête, je m'échappe de ce moment atroce. À la recherche de sérénité face aux souvenirs vifs, je m'accroche au bras du brun, sans réfléchir. Surpris, il pose son regard bleu sur moi. En guise de réponse, je lui offre un sourire fébrile, continuant de progresser à ses côtés.
L'incendie a eu lieu il y a dix ans. Depuis, j'ai appris à vivre avec. Malgré tout, une certaine appréhension reste constamment tapie au fond de moi à la vue du feu. La simple vision d'un briquet me faisait détaler. Aujourd'hui, je parviens à rester calme. Difficilement, mais tout de même.
Mon compagnon de route embroche deux marshmallows sur un bâton avant de les enfoncer dans ce gouffre dévastateur. Mon souffle se coupe, m'imaginant à la place de ces boules blanches et roses. Mes cicatrices semblent s'embraser à nouveau.
Je pourrais m'éloigner et l'attendre plus loin. Seulement, je me sens plus en sécurité juste ici, à côté de lui. À présent, il n'est plus tout à fait un inconnu à mes yeux. Chaque jour, j'en apprends un peu plus sur sa manière d'être et de vivre. Même si je ne connais pas grand chose sur son histoire, cela m'est égal.
Lorsqu'il se redresse, les flammes se reflètent dans ses pupilles azur, donnant un mélange surprenant. Une couleur que j'exècre avec une autre, magnifique. Chamboulée, je le remercie puis déguste la confiserie à présent marron. Le sucre pétille dans ma bouche. Et mon cœur loupe un battement quand un sourire timide étire ses lèvres.
Parfois, j'ai l'impression perturbante d'avoir déjà vu cet homme quelque part.
Probablement que ce feu de camp met du désordre dans mes idées.
— On s'éloigne un peu de .... ça ? m'enquiers-je, désignant l'objet de mes cauchemars.
Subitement, il semble comprendre le sens qu'a ce brasier à mes yeux. Avec cette douceur qui le caractérise si bien, il m'emmène à quelques mètres de là. Des troncs sont installés ici, où des vacanciers ont élu domicile pour la soirée. Nous dénichons une place, entourés d'un groupe d'amis.
Maintenant loin de la chaleur, un frisson m'assaille. La nuit paraît plus fraîche que prévu. Sans attendre mon avis, Zachary retire son sweat, le posant sur mes épaules. Instantanément, son odeur m'embaume : un effluve boisé saupoudré de... la pluie.
— Prévenant, souris-je, intimidée.
Les nuances orangées ayant quittées ses iris, seul ce bleu puissant me fait face. Il traduit une émotion forte sur laquelle je ne parviens pas à poser de mot.
— Si je tombe malade, tu conduis, marmonne-t-il, se détournant.
— Je t'effraie, Zachary, m'amusé-je devant sa timidité.
Ses avant-bras s'appuient sur ses genoux et, d'un œil vide, il observe l'effervescence autour du feu de camp. Il paraît tendu : sourcils froncés, mâchoire serrée. Un ressentiment se dégage de lui. Sans que je puisse l'interpréter, il souffle :
— Tu me terrifies, Agathe.
Ahurie par une telle réponse, je demeure muette durant de longues secondes. Toujours prostré, il pivote dans ma direction. En le dévisageant, je décèle une faille encore inconnue. Sa bouche se tord d'une grimace douloureuse. D'un geste maladroit, il emmêle ses cheveux bruns, tentant de détourner l'attention de ses derniers mots.
— Moi ? Mais, je n'ai jamais fait de mal à une mouche, balbutié-je.
Mutique, il observe le bout de ses baskets sali par les cendres.
— Tu as raison, affirme-t-il finalement.
Complètement perdue, je cherche à donner du sens à ses propos, en vain.
Zachary
Agathe semble persuadée qu'elle n'a rien à se reprocher et elle n'a pas tort. Mon père m'a toujours dit qu'avec ma curiosité, je courrais à ma perte. Il ne s'était pas trompé.
Même avec toute la bonne volonté du monde, il s'avère compliqué de cacher ce que nous ressentons réellement. Là, j'ai juste envie de lui avouer mon amour sans faille. Seulement, elle partirait en courant. Malgré tout, elle ne me rejette pas quand je tente maladroitement de la charmer. Est-ce parce qu'elle s'en fiche ou parce qu'elle est réellement intéressée ? Ne sachant où me situer, je ne devine pas ce qu'elle attend de mon comportement. Je me sens terrifié par toute cette histoire.
D'un côté, elle semble ouverte à un rapprochement. De l'autre, dans quelques semaines nous reprendrons le cours de nos vies. À quoi tout cela va-t-il nous mener ?
Le groupe d'amis avec qui nous partageons les rondins de bois nous propose de se joindre à eux. Mais, je préférerais garder Agathe rien que pour moi. J'ai si peu de temps avec elle... Avec amabilité, je refuse, prétextant être fatigué. Tandis que je me lève, la brune me suit sans protester.
— Tu ne veux pas d'autres marshmallows ? me suggère-t-elle, visiblement encore troublée par notre discussion.
J'acquiesce, l'entraînant avec moi jusqu'aux flammes. À nouveau, plus nous nous rapprochons, plus elle s'accroche à moi. En pensant à venir ici, je n'avais pas imaginé que cela puisse raviver des souvenirs mauvais chez elle. Elle ne semble pas m'en tenir rigueur.
Flatté qu'elle cherche une certaine sécurité chez moi, j'endosse mon rôle avec fierté. Agathe récupère quelques bonbons colorés dans un saladier, s'appliquant à les piquer sur le bout de bois. Amusé, je l'observe agir.
— Tu veux bien t'occuper de la cuisson ? me demande-t-elle d'un ton inquiet.
Devinant qu'elle atteint ses limites, je récupère le bâton et m'en charge sans rechigner.
— Saignant ou à point ?
S'appuyant sur mon épaule, elle s'esclaffe. Ses cheveux lui tombent sur les yeux et elle les rejette négligemment dans son dos. Si naturelle ...
Ne laissant rien transparaître des sentiments qui m'assaillent, je souris simplement.
— Là, tu es surtout en train de les faire brûler, rit-elle.
Sortant de mes pensées, je les sors brusquement du brasier, manquant de me brûler.
— Moque toi, bougonné-je, soufflant sur les boules blanches.
Avec un regard victorieux, elle en récupère une et la met toute entière dans sa bouche, le sourire toujours aux lèvres.
La voir ainsi, sous le ciel étoilé, à la lumière d'un feu et mon pull sur les épaules me rend tout chose. Ses pommettes rosissent sous mon regard probablement trop insistant. Malgré tout, elle ne se détourne pas. Au contraire, elle relève le menton avec défi. Je perds mes moyens, sentant mon rythme cardiaque devenir fou.
Alors, elle se dresse sur la pointe des pieds et dépose un baiser sur ma joue. À cet instant, j'ai l'impression qu'un pansement de mon cœur s'enlève et qu'il se répare. Même s'il en reste des dizaines ...
Cette sensation de plénitude ne me quitte pas. Pris d'une adrénaline soudaine, j'enveloppe sa main dans la mienne dans un geste qui se veut tendre.
J'aurais pu l'embrasser, elle ne m'aurait pas rejeté. Seulement, je ne veux pas tout foutre en l'air en brûlant les étapes. À la place, je lui murmure :
— Je pense que nous avons mangé assez de calories, allons nous promener.
Enthousiaste, elle hoche la tête. J'imagine que rester si près d'un feu qui lui a injustement retiré sa mère devait s'avérer compliqué à gérer pour elle.
Sa paume, frêle, se loge dans la mienne naturellement. J'ai toujours pensé que mon attirance pour elle était à sens unique. Après tout, elle ne m'a jamais remarqué à l'école, alors que je n'avais d'yeux que pour elle. Aujourd'hui, la donne semble avoir changé. Une tension s'instaure entre nous.
Même si un panneau « attention » clignote dans mon esprit, je fais taire ma raison et laisse vivre mon cœur, pour une fois.
J'ai tenté des relations avec d'autres filles par le passé. À chaque fois, cela se terminait mal : soit elle me trompait, soit elle me reprochait de ne pas me montrer attentionné et bienveillant. Mais, j'en étais incapable. Je n'ai jamais été un coureur de jupons, j'ai préféré opté pour l'option « célibataire endurci ». Cela me réussissait plutôt bien jusqu'à présent.
Au camp, les amis d'Agathe m'ont involontairement appris que personne ne partageait sa vie. Ceci a eu le don de me rassurer.
Maintenant que nous progressons dans le camping, main dans la main, j'entrevois un espoir qui peut se révéler autant dévastateur que salvateur. Qu'attend-elle de moi ? Et qu'attends-je d'elle ?
Je ne perds pas de vue que je souhaite comprendre cette histoire. Seulement, quelle option prévaut-elle sur l'autre ?
Sur le chemin, nous discutons avec un naturel étonnant. Comme si nous nous connaissions depuis toujours. Et c'est le cas depuis que nous avons pris la fuite à bord de mon van.
Inconsciemment, j'accentue mon emprise sur elle, de peur qu'elle m'échappe encore. D'une oreille distraite, je l'écoute me parler des étoiles. Ses yeux noisettes scrutent son environnement avec curiosité et le doute m'étreint le cœur.
Si je te parle, tu fuiras. Alors, je me tairai.
Et je t'embrasserai, bientôt.
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Bonsoir ! J'espère que vous allez bien?
Ici, Agathe commence à s'ouvrir sur cet incendie et Zachary a de plus en plus de mal à cacher ses sentiments ...
J'espère que ce chapitre vous aura plu !
Bonne soirée,
Fantine
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