24 * Ce n'est pas juste
Zachary
Depuis plusieurs heures, Agathe est partie chez son père. L'impatience a eu raison de moi. Je devenais fou entre ces quatre murs, malgré la présence de Saphir. Un mot prévenant de mon absence sur la table de la cuisine, je suis sorti prendre l'air.
En peu de temps, j'ai rencontré la meilleure amie d'Agathe et ses quatre frères. Toute sa famille semble au courant de notre relation peu conventionnelle. Elle n'a pas défailli.
Pas une seule seconde.
Elle est restée fièrement debout, ne montrant pas une once de regret. J'imaginais qu'elle risquait de remettre en question sa décision me concernant. Malgré la réaction violente de deux de ses fraternels, elle ne m'a pas regardé comme l'origine de tous ses problèmes. Au contraire, elle a cherché du réconfort sur mon épaule afin que nous surmontions cela ensemble. Je n'ai juste pas l'habitude de ça, j'ai du mal à réagir en conséquence. Au fond, ma mère m'a abandonné, mon père s'est détourné de moi, mon frère m'a trahi et je n'ai pas vraiment d'amis. Alors la voir se battre corps et âme pour que je sois accepté me chamboule plus que de raison.
Dès qu'il est entré dans l'appartement, j'ai vu le regard de ma petite amie changer. J'ai facilement deviné qu'Achille était celui qu'elle avait sauvé, ce soir-là. Donc, voir qu'il n'avait pas fui, qu'il cherchait plutôt à comprendre et à tenter de m'intégrer dans leur famille m'a plus que soulagé. Il est le plus jeune de la fratrie et pourtant, il a eu la réaction la plus réfléchie. Avec sa sœur, ils semblent avoir un lien fort, tissé depuis des années, qui les connectent silencieusement. Et je me suis senti rassuré de la voir si bien entourée.
Elle a eu une discussion téléphonique houleuse avec son père. Alexis l'avait appelé en amont mais, visiblement, il ne comprenait rien à la situation et paraissait plus affolé qu'autre chose. Par conséquent, elle a décidé d'aller le voir et a préféré s'y rendre seule. Je ne m'y suis pas opposé : elle sait mieux que moi de quelle façon lui amener les choses.
Néanmoins, Agathe a disparu depuis des heures et je n'ai aucune nouvelle. Que se passe-t-il ? Je ne sais même pas où elle se trouve. Les quatre murs de son appartement m'ont paru extrêmement épais et étouffants tout à coup. Rejoignant mon van, je grimpe à l'intérieur, m'abritant du froid. Comment les choses vont-elles se dérouler à présent ? Tous les jours, mon téléphone affiche des appels manqués d'Ezequiel. Mais, tout est encore trop frais dans mon esprit. Je suis incapable de le confronter, ça serait trop dur. Du coup, je l'ignore. Quant à mon père, il semble avoir disparu du jour au lendemain. Je me raccroche à Agathe, avec cette peur d'en faire trop et de la perdre. Pourtant, dans peu de temps, je vais poser mes valises chez elle.
J'aurais un toit, un endroit fixe et stable.
Jetant un coup d'œil autour de moi, je me remémore toutes ces fois où j'ai tourné en rond dans ce véhicule, à la recherche de quelque chose sur quoi me fier, en vain.
L'obscurité mange le ciel, me plongeant dans un noir rougeoyant. Peut-être est-elle rentrée ? Lâchant un soupir, je quitte mon van et regagne l'appartement. En partant, j'ai emprunté un double des clefs. Lorsque je les tourne dans la serrure, la porte s'ouvre toute seule sur une Agathe au visage défait.
Merde.
Ses yeux rougis s'accordent à ses cheveux emmêlés et son expression si triste. Instantanément, mon pied referme la porte et mes bras s'enroulent autour de son corps frêle. Elle se niche dans le creux de mon cou, m'ensorcelant de son odeur singulière.
Et elle ne prononce pas un seul mot.
Seule sa respiration lourde trompe le silence. Ne sachant pas ce qu'il en est, j'accentue mon étreinte, empli d'appréhension.
— Agathe, je t'en prie, explique-moi, soufflé-je nerveusement.
La brune se recule légèrement pour verrouiller son regard au mien. Troublé, je manque de défaillir quand elle me pousse en arrière, encore et encore. Perdu, mon dos finit par rencontrer violemment le mur. Et elle continue de me frapper, les yeux larmoyants. Doucement, je m'empare de ses poignets, les empêchant du moindre mal. Elle ne cherche même pas à se débattre.
— Ce n'est pas juste, pleure-t-elle.
Fronçant les sourcils, j'entremêle mes doigts aux siens.
— Ce n'est pas juste, répète-t-elle, le visage déformé par la souffrance.
— Eh, murmuré-je, tentant de comprendre.
— Pourquoi les gens sont si méchants ?
Ses pupilles brillent de l'espoir que je puisse lui fournir une réponse. Malheureusement, je ne l'ai pas, même si cette question m'a souvent traversé l'esprit.
À nouveau, elle se blottit contre mon torse. J'ai souvent entendu que la frontière entre l'amour et la haine était bien fine ... Me déteste-t-elle autant qu'elle m'aime ?
— Il n'avait jamais vu tout ce que j'avais fait pour la famille, chuchote-t-elle contre mon pull. Alors, il a commencé par me reprocher ma décision. J'ai essayé de lui expliquer, sans succès. Mais quand il m'a dit que je ne pouvais pas leur faire ça, pas après tout ce qu'il avait sacrifié pour nous. Que je ne me rendais pas compte de ce que je lui infligeais, que je pouvais faire un effort.
Je sens son cœur qui bat à tout allure et j'en connais la raison. Elle est arrivée à un point d'épuisement que seul Achille semble deviner.
— J'ai tout lâché. Tout ce que je retenais depuis toutes ces années. Et je suis partie. Tu sais qu'il ne m'a jamais remerciée d'avoir porté ce deuil pour deux ? Jamais.
Mon pouce essuie ses larmes avant de flatter ses cheveux. Je l'avoue, durant tout ce temps, je n'imaginais pas qu'elle souffrait autant de son côté. Je m'en retrouve un peu démuni. Surtout qu'elle trouve encore la force de me soutenir.
— Peut-être que, maintenant qu'il sait, il va en prendre conscience, proposé-je, peu sûr de moi.
Comment puis-je la conseiller, sachant que je suis moi-même en conflit avec mon père et mon frère ? Mais, ses prunelles noisette semblent tellement en attente de réponse que je lui donne ce que je peux.
— J'ai juste besoin qu'il m'écoute, déclare-t-elle.
— J'espère qu'il t'a entendue.
Elle penche sa tête, approfondissant le contact entre ma paume et sa joue. Mes lèvres embrassent son front, plus longtemps que nécessaire.
— Tu étais où ? me questionne-t-elle soudainement.
— Dans mon van.
Ses sourcils se froncent.
— Tu préfères qu'on vive là-bas ? s'inquiète-t-elle.
— Non, un endroit sûr comme ici, c'est parfaitement ce dont j'ai besoin. Il nous servira pour des escapades improvisées, la rassuré-je en souriant.
Enthousiaste, elle acquiesce.
— Ça ne m'aurait pas dérangée mais Saphir aurait eu du mal à s'acclimater. On pourra le prendre avec nous ?
En cet instant, sa candeur me bouleverse. Les larmes sèches sur ses joues, ses cheveux en bataille, ses yeux fatigués et sa demande si innocente ont raison de moi.
— Évidemment...
Et un sourire timide étire ses lèvres, me comblant de quelque chose qui s'apparente à du bonheur. Elle paraît si vulnérable et si forte à la fois.
— Promis, il n'y a plus de rencontre impromptue.
Je ris doucement, l'amenant jusqu'au canapé où nous nous installons.
— Margot me dit qu'elle se souvient de toi. À l'époque, elle avait remarqué que tu m'observais.
Mal à l'aise, je détourne le regard. Elle s'amuse de mon comportement. Et rien que pour oublier sa douleur, je la laisse faire.
— Elle se rappelle qu'une fois, tu es venu me voir pour me rendre ma carte de self que j'avais perdue. Je ne t'avais même pas remercié.
Son regard intense se pose sur moi. Ce jour-là, j'avais pris mon courage à deux mains. Je m'étais dit que si j'avais trouvé cette carte, c'était un signe. Mais, elle avait l'air si loin que j'avais été incapable d'entrer en communication avec elle. Preuve en est qu'elle ne semble même pas se souvenir de ce moment...
— Alors, merci.
— De rien, bafouillé-je.
— Mais, je m'en rappelle à présent. En fait, en rentrant tout à l'heure, tous les moments où je t'ai croisé me sont revenus. Je m'étais dit que tu avais l'air triste. Un soir, à l'arrêt de bus, je pleurais avant de rentrer chez moi. Tu m'as demandé si ça allait. Parmi les dizaines de lycéens présents, tu es le seul à t'être alarmé. Qui s'inquiétait pour toi, Zachary ?
Alors elle se souvient de moi... Je ne sais pas pourquoi cela paraît aussi important pour moi. Je n'étais pas si invisible que cela à ses yeux. L'espace d'une seconde, mon souffle se coupe.
— J'avais des amis. Mon frère comptait pour moi. À cette époque-là, ça allait plutôt bien.
— Mais je voyais, dans tes yeux, insiste-t-elle.
Réprimant un soupir, je m'enfonce dans le fauteuil, fermant les paupières.
— Agathe, aujourd'hui, ça va. C'est tout ce qui importe.
Je sens sa main se poser sur la mienne en silence puis ses lèvres se poser sur ma joue barbue.
— Tu as raison, souffle-t-elle, plus tranquillement. Ça ira.
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Bonsoir !
Dans ce chapitre, vous avez pu apercevoir la réaction du père d'Agathe ainsi que les doutes qui assaillent Zachary.
Peu à peu, Agathe se libère de sa famille et lui, trouve une certaine stabilité...
A la base, Fille de pluie devait être une histoire d'été. Finalement, nous en sommes au chapitre 24 et nous sommes en décembre ^^" Il ne reste plus beaucoup de chapitres, à mon avis ...
En espérant que ce chapitre vous aura plu !
Bonne soirée
Fantine
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