2 * Je regarde la pluie

Agathe

La moitié du groupe prépare le repas dans la cuisine tandis que l'autre se prélasse sous les derniers rayons de soleil. Faisant partie de la première équipe, je suis chargée du découpage de tomates et de mozzarella.

Nous avons passé cette première journée à visiter le village jouxtant le camp et à nager dans l'immense piscine. Peu à peu, je me détends en ces lieux, trouvant quelques repères.

— Alors Agathe, as-tu repéré un garçon ? s'enquiert Élise, sous le regard amusé de Robin.

Dans le groupe, tout le monde est en couple ou bien chafouine avec les garçons. Pour ma part, je préfère rester en retrait. Après tout, ma rupture avec mon ex date seulement de quatre mois. Nous étions ensemble depuis trois ans. La vie nous a fait prendre des chemins différents, nous nous sommes séparés d'un commun accord.

— Non, murmuré-je simplement, jetant mes épluchures de légume.

Mon regard se pose brièvement sur mon bras taché par le soleil. Zut, j'aurais dû mettre plus de crème solaire...

— Il y en avait quatre à la piscine tout à l'heure, remarque-t-elle, l'air rêveur. Ils logent juste à côté. On leur propose de se joindre à nous ?

Robin approuve joyeusement et se dépêche de le suggérer aux autres avant d'aller toquer chez les voisins. En seulement quelques minutes, ils nous rejoignent, un pack de bières à la main. Discrètement, je réprime un soupir, agacée de trouver autant de personnes ici. Malgré tout, je sors du chalet en souriant, saluant nos invités. La tête ailleurs, je n'écoute même pas leurs présentations, ignorant donc leurs prénoms. Pendant que nous nous installons tous autour de la table, je tente de m'intégrer dans la discussion, en vain.

Aujourd'hui, cet incident a eu lieu il y a onze ans. Pourquoi ne parvins-je pas à l'oublier ? Il me bouffe de l'intérieur. Et de l'extérieur, aussi ...

— Ça va ? m'interroge subitement un des garçons, à ma gauche.

Surprise, je sursaute et rencontre ses yeux bleus. Il me dévisage. Intensément. Pas comme il devrait le faire face à une totale inconnue. Plutôt comme s'il cherchait un élément sur mon expression. Déroutée, je fronce les sourcils, découvrant ses cheveux bruns légèrement bouclés et sa barbe parfaitement taillée. Sans un mot, j'acquiesce, répondant silencieusement à sa question avant de me servir en tomates.

Maintenant que j'ai connaissance de sa présence à mes côtés, je ne pense qu'à ça. Et il suffit que je croise le regard rempli de sous-entendus d'Élise pour me sentir agacée.

Toute cette joyeuse bande rit et boit à gogo. Sauf lui et moi.

Je n'aurais jamais dû accepter de venir ici. Soudainement, j'ai un terrible pressentiment qui enserre ma poitrine ...

La main de l'homme se resserre sur sa bouteille verte, blanchissant ses phalanges. Je n'ose pas bouger d'un iota, de peur de le brusquer. La tension devient palpable. Seulement, j'ai l'impression d'être la seule à m'en rendre compte. L'atmosphère s'avère lourde, les nuages se grisent, une légère brise se lève.

— Il va pleuvoir, murmuré-je en levant les yeux vers le ciel.

Personne ne m'a entendue. Mais, comme à chaque fois, ça ne loupe pas. Un éclair fend le ciel et une averse s'abat sur nous. Heureusement, une pergola nous protège. Mes amis ne paraissent pas perturbés, ils continuent de s'amuser. Quant à moi, presque par automatisme, je me lève et m'approche de ce rideau d'eau. Passant la main dehors, les gouttes froides s'écrasent sur mon épiderme blessé, le lavant de toutes ses souffrances. Encore et encore, me soulageant délicieusement de ma souffrance.

Jetant un coup d'œil derrière moi, je remarque que mon absence ne dérange personne. Alors, je m'approche des marches progressivement.

La pluie.

Un pied, puis deux à l'extérieur. Mes cheveux deviennent humides et je goûte la saveur de cette eau céleste. Je n'en avais pas eu l'occasion depuis des mois. Enfin, je me sens à nouveau vivante. Mes poumons se remplissent d'air frais. Sensation douloureuse et plaisante à la fois. Grisant.

Avant de finir trempée, je retourne sous l'abri boisé, observant ces filets d'eau fins. Les pluies d'été sont les meilleures, elles ont une saveur différente.

Rassasiée, j'hésite à retourner m'asseoir avec eux. Dans mon dos, je les entends toujours discuter entre eux. Ressentant le besoin de m'isoler, j'effectue le tour de la maisonnette et m'assois sous le toit, face à la forêt, puis lâche un immense soupir.

Margot, ma meilleure amie, m'avait prévenue. Ces gens-là ne sont pas réellement mes amis. Preuve en est que je ne leur ai jamais parlé de ce qu'il s'est passé. Certes, cette première journée s'est révélée reposante. Seulement, je doute de pouvoir tenir trois semaines ainsi.

Je vais commencer à me sentir de trop, à les agacer. En réalité, je commence déjà à regretter mon choix. Lorsqu'elles m'ont suggéré cette idée, j'ai accepté sans réfléchir, persuadée que cela se déroulerait pour le mieux. Quand nous sommes en cours, nous nous entendons bien. Seulement, dans le quotidien, c'est tout autre chose.

Et si, au fond, j'avais besoin de me retrouver face à moi-même pour me réconcilier avec mes vieux démons ?

Lui

Elle est... intrigante. Tout d'abord, je n'aurais pas eu l'idée de me mettre sous la pluie. Puis, je n'aurais pas disparu juste à côté d'une forêt ainsi. Est-ce ma chance de lui parler ? J'ai essayé, tout à l'heure. Néanmoins, elle n'avait pas l'air réceptive. Je ne veux pas qu'elle pense que je la drague. Ce n'est pas le cas. La nuit tombe, seuls les lampadaires dans l'allée nous éclairent.

Subrepticement, je rejoins Agathe, à l'arrière du chalet. Assise sur une planche en bois, elle admire les arbres. Ou la pluie, je ne saurais dire. Cette dernière continue de tomber sur nous, rafraîchissant l'atmosphère.

Dès qu'une de ses amies a prononcé son prénom tout à l'heure, j'en ai eu la confirmation : c'est bien elle. Quel foutu hasard de me retrouver dans le logement à côté du sien ...

Sans un mot, je m'installe à côté d'elle. Son regard gris, annonciateur de l'orage se pose sur moi l'espace d'une seconde avant de se déporter vers la nature.

— Que fais-tu, seule, ici ? la questionné-je, tentant de paraître moins froid que de coutume.

— Je regarde la pluie, répond-elle dans un souffle.

Je corrige : elle est étrange, pas intrigante. En réalité, elle paraît extrêmement nostalgique et pas vraiment à sa place ici.

Le tissu de ses converses rouges s'avère détrempé, le plastique blanc légèrement taché par la boue. D'un regard vide, elle les observe.

— Pourquoi être venue dans ce camp ? m'enquiers-je, curieux.

Elle hausse vaguement les épaules, comme si elle n'avait pas la réponse.

— Et toi ?

Pris de court, je ne trouve rien à répondre. Je la connais pas elle ne me connaît pas. Du coup, elle ne sait pas que je sais... Donc elle ne connaît en rien le contenu de ces dernières années pour moi. Pourquoi ai-je décidé de lui parler ? Elle s'en fiche, après tout. Alors que je m'apprête à retourner sur la terrasse, elle ajoute :

— Je me demandais comment je pouvais m'enfuir d'ici. Une idée ?

Mes méninges fonctionnent à vive allure, comprenant qu'elle me tend une solution sur un plateau d'argent. Je n'ai jamais eu le fin mot de cette histoire. J'aimerais sincèrement comprendre comment j'ai pu en arriver là pour une totale inconnue.

— J'ai un van, amorcé-je.

Ébahie, elle pivote dans ma direction. Je pourrais paraître pour un psychopathe avec de mauvaises intentions. Pourtant, je n'ai qu'à y gagner dans cette histoire ...

— Et ils m'ont également forcés à venir là. Je déteste ce camp.

Dans ses prunelles grises se reflètent les miennes, bleues. Le mélange s'avère saisissant. Ma proposition semble la perturber. Si elle souhaitait refuser, elle m'aurait déjà dit non. À la place, elle cligne des paupières à plusieurs reprises. La pluie continue de chuter avec bruit sur le petit toit nous protégeant.

Elle bégaye avant de se taire, se détournant vers la forêt. Dans un geste délicat, ses doigts rencontrent les gouttes venant du ciel. Mon cœur bat à tout rompre. Que l'on se retrouve ici est un signe. Je ne peux pas laisser passer cette occasion. Pas après tout ce que j'ai vécu.

Alors que je m'apprête à insister, sa voix frêle me répond :

— D'accord. Mais on part ce soir.

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Bonsoir tout le monde !

Ce chapitre continue de vous mener directement dans l'intrigue. A sa place auriez-vous accepté cette proposition ?

Visiblement, cet homme semble connaître Agathe, mais pas l'inverse. Des idées ?...

J'espère que ce chapitre vous aura plu :)

Bonne soirée,

Fantine

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