Agathe
J'ai perdu la notion du temps. Entre l'instant où Margot m'a appris que Zachary avait séjourné en prison et celui où il m'a expliqué sa version des faits, il s'est probablement écoulé des heures. La nuit est tombée, je ne sais pas vraiment où je me trouve. Le froid m'enveloppe, me raccrochant à la réalité.
En réalité, après la révélation de mon amie, je ne me suis pas affolée. Au fil de ces dernières semaines, j'ai appris à connaître Zach et je n'ai pas voulu céder à la panique. Avant tout, je voulais connaître son point de vue : j'ai choisi de lui faire confiance. Au fond, il s'agissait peut-être d'une bêtise d'adolescent, ni plus ni moins.
Seulement, je n'aurais jamais pu deviner une telle explication. Il était présent, ce soir-là. Il a tout vu et n'a rien fait.
Depuis le début, il connaît mon histoire. Sur cette Terre, personne n'est au courant de ma vision de cette tragédie. Même mon père ne sait pas que j'ai vu ma mère dans ses derniers instants. Au moment où j'ai aperçu mon écriture de lycéenne, le sang a quitté mon visage.
Puis, son récit a continué de me bouleverser. Il a fallu que je remette mes idées en place.
Premièrement : il aurait pu éviter cette catastrophe à ma famille.
Deuxièmement : il a lu ma lettre.
Troisièmement : il a tenté de trouver le coupable.
Quatrièmement : il est allé en prison à cause de moi et pour sauver son frère.
J'ai fui sans attendre la fin de la discussion : qui est le réel coupable dans cette histoire ? Il doit le savoir. Complètement perdue entre toutes ces informations, je ne sais plus où donner de la tête. Dois-je le haïr pour son inaction ? Le remercier pour l'aide qu'il a tenté de m'apporter ? L'admirer pour son soutien indéfectible à son frère ?
Quelles étaient ses réelles intentions lorsque nous avons quitté ce camping ? Ressent-il une rancœur à mon égard et souhaitait-il se venger ? Me pense-t-il responsable de ce qui lui est arrivé ? Est-il sincère sur ses sentiments ?
Mon esprit se noie sous les interrogations et ne trouve aucune réponse. Je savais qu'un groupe de jeunes se trouvaient à l'origine de tous mes malheurs. Mais, deviner que Zachary pouvait avoir une responsabilité, quelle qu'elle soit...
Après tous ces moments passés ensemble, j'apprenais à lui faire confiance. Des sentiments sont nés en moi. À cause d'eux, je ne parviens pas à avoir un avis objectif sur la question. À mes yeux, il s'est toujours montré sincère. Néanmoins, au vu de ses dernières révélations, je ne sais plus. Je suis perdue.
Le noir des mes pensées s'accorde à l'obscurité du ciel. Chancelante, je me lève, peinant à trouver un équilibre. L'arbre me sert d'appui jusqu'à ce que mes forces me reviennent. Les sourcils froncés, j'essuie les larmes sèches de mes joues. Mes yeux doivent être rougis de larmes. Par automatisme, mes jambes avancent et me mènent jusqu'au van.
La bougie à la citronnelle éclaire l'homme aux prunelles bleues. Prostré en avant, ses épaules paraissent tendues. Une tristesse immense émane de lui. Et je m'en veux de ressentir cette empathie pour lui. À pas feutrés, je le rejoins. Il a dû m'entendre arriver puisqu'il sursaute en se redressant brusquement. Lorsque je rencontre son regard brillant et si brisé, je défaillis l'espace d'un instant. Tout se mélange en moi. La colère, la haine, la rancœur, les doutes, l'incompréhension. Et ces foutus sentiments.
— Agathe, souffle-t-il douloureusement.
Zachary se lève dans l'optique de s'approcher de moi. Par réflexe, je me recule de plusieurs pas, le laissant sur place. Ses bras retombent mollement le long de son corps. Finalement, ses mains s'enfoncent dans ses poches.
— Je veux que tu me ramènes chez moi, annoncé-je à brûle-pourpoint.
Ses sourcils se haussent avant qu'il ne presse les paupières, semblant vouloir échapper à une souffrance intense. Un soupir tremblant s'échappe de ses lèvres.
— Je n'ai jamais voulu te faire de mal, assure-t-il, me regardant droit dans les yeux.
Ne parvenant pas à soutenir ce regard si parlant, je me détourne, observant les étoiles. J'aimerais l'assaillir de questions. Seulement, je n'en trouve pas la force. Je me sens vidée de tout. Épuisée. Ces dernières années ont été consacrées à ma famille. Je porte tout à bout de bras, seule. Aujourd'hui, j'entrevoyais un avenir plus calme. Zachary m'ouvrait les yeux sur la vie, la liberté. À présent, j'ai l'impression que ce poids est brutalement réapparu sur mes frêles épaules. Comme un coup de massue.
— Tu ne veux pas discuter de tout ça ? insiste-t-il prudemment.
Ma tête pivote de gauche à droite. Pour l'instant, je ne veux plus entendre le moindre son de sa voix. Ma gorge se serre et les larmes menacent de couler encore.
— Je... J'ai encore des choses à te dire, amorce-t-il, la voix cassée.
— Je n'en ai pas envie, j'en ai assez entendu, rétorqué-je froidement.
Il aurait pu éviter la mort de ma mère, me dis-je.
Rien que pour cela, l'amertume refait son apparition.
— Mais je ...
— Tais-toi, m'agacé-je.
Des tremblements m'assaillent tant la colère s'empare de moi. Tout ce que je souhaite, c'est rentrer chez moi et qu'il me laisse tranquille. Mon cœur s'affole.
— D'accord, murmure-t-il, vaincu.
Ma respiration se saccade, tout ce que j'aimerais lui dire reste bloqué. Parce que la balance entre la colère et mes sentiments semble parfaitement équilibrée. Frustrée, j'envoie valser un caillou au loin. Je lui en veux mais je ne parviens pas à le blesser.
Du coin de l'œil, je le vois ranger son maigre salon de jardin. Je l'entends essayer de garder son sang-froid. Fulminant sur place, ma tête tente de l'emporter sur mon cœur, en vain. Il s'approche de moi, gardant une distance de sécurité. Puis il prend une grande inspiration avant d'affirmer :
— Sache que j'ai toujours cherché à protéger le maximum de personnes. J'aurais pu te haïr avec tout ce que cela a engendré chez moi. Seulement, je n'ai jamais regretté d'être tombé amoureux de toi.
Je ne suis pas sûre de pouvoir en dire autant.
Parce que si nous n'étions pas devenus si proche, je pourrais le haïr sans problème. À présent, la situation paraît bien plus complexe.
— Lorsque tu seras prête, j'aimerais terminer cette discussion avec toi, conclue-t-il.
Son index frôle le dos de ma main. J'en frissonne, tant de dégoût que d'envie.
En silence, je rassemble mes affaires dans le van. Mon cœur se serre en se remémorant tous les bons moments passés ici. Ils se teintent d'une aigreur désagréable.
Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est. Pourtant, nous prenons la route immédiatement : lui comme moi est incapable de fermer l'œil cette nuit. Il a allumé la radio afin d'atténuer ce silence pesant. Cela me rappelle le jour où j'avais choisi la musique et qu'il avait reçu ce message :
Mec, tu en as assez souffert. Arrête tes conneries.
Il suffit de voir Zachary pour comprendre que cette histoire a été douloureuse pour lui. Mais, qu'en est-il de moi ? J'ai perdu ma mère, mon adolescence, mon père qui a mis des années à faire son deuil. Où dois-je me situer ?
Mon regard se pose sur mon bras, où des traces de brûlures ont persisté. Rien de tout cela n'aurait dû exister. Pourtant, ma maison a pris feu, rendant tous mes rêves de petite fille aussi futiles que de la cendre. J'ai vu des choses que je n'aurais jamais dû apercevoir de toute ma vie. Ma peau à vif me brûle, mon rythme cardiaque s'affole. Et les larmes coulent encore.
À mes côtés, je perçois un Zach désœuvré. Il tente de me réconforter avant d'arrêter son geste en chemin. Les lèvres pincées, je l'entends jurer dans sa barbe. Alors, je me recroqueville sur mon siège, contre la portière.
Je ne veux pas qu'il me touche. Je ne veux plus rien de lui. Et le chemin jusqu'à chez moi va être encore long. J'ai conscience que mes prochains mots risquent de le faire souffrir plus encore mais tant pis.
— Laisse moi à la première gare que tu trouveras, je me débrouillerai.
— Agathe...
— Je n'ai pas envie de passer ces prochains jours avec toi, insisté-je durement.
Il lâche un soupir dépité, comprenant que je ne lui laisse pas le choix. Même si je ne relève pas, je le vois ralentir légèrement, espérant probablement allonger son temps à mes côtés.
Seulement, je m'enferme dans un mutisme lourd. Dans ce silence, j'entends son cœur se briser en mille morceaux.
Et je ne peux rien faire contre ça, pour l'instant.
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Bonsoir !
Voici la version d'Agathe : elle semble perdue et ne sait plus si elle doit détester ou non Zachary. Elle a besoin d'un peu de temps, ce qu'accepte de lui donner Zach. Puis les sentiments s'en mêlent... Qu'avez-vous pensé de son comportement dans ce chapitre ? Pensez-vous qu'elle pourra le pardonner ?
Dans le prochain, vous aurez le fin mot de l'histoire ainsi que le thème "officiel"... Je n'en dis pas plus !
(La fréquence des chapitres reste à un par semaine. Seulement, je suis en stage hospitalier en ce moment donc, il n'y aura pas de jour fixe !)
Bonne soirée,
Fantine
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