12 * Sans prononcer un mot
Zachary
La nuit s'avère plus fraîche que prévu. Pour rester au chaud, nous avons ouvert nos sacs de couchage pour les superposer sur nous. Agathe s'est blottie contre moi, prétextant que la chaleur naturelle est efficace. Je n'ai même pas cherché d'argument contraire. En même temps, elle a insisté pour ne pas fermer la tente et laisser uniquement la moustiquaire, afin d'admirer les étoiles.
Soudainement, un éclair de lumière traverse le ciel. Silencieusement, je formule un vœu : que le cœur d'Agathe batte au rythme du mien.
Je ne suis qu'un homme, je n'ai pas de super-pouvoirs et surtout pas celui de faire semblant. Mais là, en haut de cette montagne, entouré de cascades et enlaçant Agathe, je laisse échapper un long soupir. Peu à peu, je me laisse convaincre par l'idée qu'il est possible de vivre quelque chose avec elle. Son hésitation sur notre future séparation me le prouve. Je crois qu'elle s'accroche à moi...
Un sentiment de plénitude s'empare de mon esprit. Ce poids immense qui pèse sur mes épaules s'envole brusquement, le temps de quelques secondes. Ma respiration devient saccadée, les larmes dévalent mes joues sans mon consentement.
Cet environnement gris et sale me sert de logement depuis des semaines. Ou de mois, je ne sais plus. Il fait froid. Alors que je me tourne, encore et encore, dans mon lit spartiate, j'étouffe un cri d'angoisse. La solitude m'étreint le cœur douloureusement. Ma vie est foutue, à dix-sept ans.
Tous les matins, je me lève tel un zombie. Je mange ce qu'on me donne, je fais ce qu'on me demande. Ni plus, ni moins.
Pourquoi la vie se montre-t-elle aussi injuste ? Qu'ai-je fait de si atroce pour mériter un avenir aussi médiocre ? Mon oreiller se retrouve inondés de larmes. On m'a toujours dit qu'un homme devait se montrer fort et ne jamais pleurer. Il s'agit d'un signe de faiblesse, pas de virilité. La société me demande d'être fort à tout instant de ma vie. Seulement, je n'y arrive plus. Alors tant pis, je m'autorise ce moment, même s'il est mal vu. Toute la journée, je m'efforce d'être ce qu'on attend de moi. Pourtant, ma sensibilité s'en avère opprimée. Mon frère s'est toujours amusé de ce trait de ma personnalité. Du coup, j'ai appris à me cacher et à ne surtout pas témoigner une once d'émotion. C'est ridicule. D'ailleurs, que pense-t-il de moi à présent ? Je l'ai déçu, j'en suis persuadé. À cette seule pensée, mes sanglots redoublent.
Je ne mérite l'amour de personne, je ne sais même pas être un homme.
Aujourd'hui, il fait toujours froid et je sanglote encore.
— Zachary ? Tu pleures ? demande une petite voix.
Je sursaute, essuyant brusquement mes joues. Elle ne doit pas me voir comme ça, elle va penser que je suis fragile.
— Non, soufflé-je.
Les duvets glissent lorsqu'elle remonte jusqu'à moi. La nuit me sauve, l'obscurité mange mon visage, l'empêchant d'apercevoir mes yeux rougis.
— Ne te cache pas, murmure-t-elle d'une voix douce.
Surpris par sa réaction bienveillante, je n'efface pas les dernières gouttes salées. Elle prend ma tête en coupe entre ses mains et ses pouces s'en chargent. Devinant le fond de mes pensées, elle ajoute :
— Il n'y a aucune honte à pleurer. Aucune.
Tentant de retrouver une respiration normale, je me perds dans son regard noisette. Pourquoi réagit-elle ainsi ? D'habitude, on me somme de dissimuler ces sentiments pour faire bonne figure.
— Tu ne veux pas me dire ce qui te torture ? s'enquiert-elle à voix basse, comme pour ne pas me déranger.
Elle m'enveloppe de sa tendresse et ça me bouleverse. J'ai l'impression qu'avec elle, je peux être qui je souhaite, qu'elle ne me jugera pas. Seulement, je ne peux pas me permettre de lui répondre sincèrement. Du moins, pas totalement...
— Je suis perdu, confié-je.
Ses doigts glissent dans ma chevelure avant de se perdre dans mon cou. Implicitement, elle m'incite à continuer.
— Je n'ai jamais trouvé ma voie. J'aime partir du jour au lendemain où j'en ai envie. Mais, aujourd'hui, je préférerais me poser quelque part, construire ma vie au lieu d'attendre que ça me tombe tout cuit dans le bec. Les petits boulots s'enchaînent sans que je n'en trouve l'utilité. J'ai vingt-sept ans et mon existence n'a aucun sens.
— Ne dis pas des choses pareilles, s'offusque-t-elle, se rapprochant encore de moi.
À présent à moitié allongée sur mon corps, je devine son incompréhension.
— Tu as suivi ton envie de liberté pendant plusieurs années. Beaucoup restent emmurés dans leurs obligations et suivent les diktats de la société. Toi, tu en as décidé autrement. Rien que pour cela, tu inspires le respect.
Instantanément, je me calme, réfléchissant à ses paroles. Personne n'avait tenu ce genre de discours à mon égard. Agathe me permet de me percevoir autrement, sur bien des points. Elle ne porte pas de jugement sur ma façon de faire ni sur ma manière de penser.
— Ça me fait mal de te voir te dénigrer ainsi, tu es quelqu'un de bien.
Une émotion sans nom s'empare de mon esprit, me faisant frissonner de pied en cap. Ses lèvres se posent furtivement sur les miennes, avec la légèreté d'une plume. Grisé, j'empoigne sa taille pour la maintenir contre moi et viens cueillir un autre baiser. Elle ne se fait pas prier.
Sa présence réchauffe mes peurs. Je ne sais pas si c'est lié au fait de vivre ensemble depuis deux semaines, qu'elle vienne de me surprendre en train de pleurer, ou bien l'environnement dans lequel nous nous trouvons mais elle s'accroche brusquement à mes épaules. Mu par le même besoin viscéral, je m'allonge sur elle, épousant son corps à la perfection. Malgré les plusieurs couches de vêtements qui nous séparent, je sens son cœur battre à tout rompre. La pluie s'abat bruyamment sur la toile de la tente.
Au moment où ma bouche se pose dans son cou, un soupir lui échappe. Ses mains partent à la découverte de mon corps. Pour la première fois face à une femme, je me sens pudique. Intimidé, je la laisse faire. À présent torse nu, une vague de froid s'abat sur moi alors que d'un autre côté, un brasier s'est allumé. Et je ne vois qu'une seule façon de l'éteindre.
Alors que je m'éloigne pour lui retirer son pull, un frisson me parcourt l'échine. La lune éclaire suffisamment l'intérieur de la tente pour que j'aperçoive cette cicatrice qui parcourt la moitié de son corps. Peu à peu, l'averse se calme et quelques gouttes continuent de tomber du ciel. Subjugué, mes gestes s'interrompent.
— Zach, appelle-t-elle dans un souffle brisé.
Sortant de ma transe, je croise son regard.
— Ne regarde pas, s'il te plaît.
Chamboulé par sa soudaine fragilité, je me rapproche, collant ma peau à la sienne.
— Tu m'as dit de ne pas me cacher, ça vaut pour toi aussi, murmuré-je dans son oreille.
Agathe ne répond pas, préférant flatter mon dos et coller ses hanches aux miennes. Mon cœur me fait mal autant qu'il revit. Sensation étrange. Malgré tout, je prends mon temps. Je cajole la moindre portion de son épiderme, profitant de ses caresses qui m'insufflent un peu de vie.
Mes lèvres cherchent continuellement les siennes qui lui répondent à la perfection. Quand je frôle son corps meurtri par les flammes, elle sursaute alors je ralentis. La pulpe de mes doigts découvre cet endroit de son corps lentement, sous son regard attendri.
— Tu es si belle, murmure ma bouche contre son ventre.
Ma brune tressaille. Les paupières closes, elle emmêle mes cheveux, visiblement émue. Puis, elle tire doucement dessus pour me ramener près de son visage. La rencontre avec ses prunelles noisettes me bouleverse.
— Tu es beau, Zachary, affirme-t-elle, comme si elle avait deviné mon doute.
L'unique réponse que je peux lui apporter est un baiser. Un de ceux dont j'aimerais avoir tous les jours. Intense, doux et salvateur.
Lorsque nous ne faisons qu'un, je ne parviens pas à me détourner de son regard où se reflète la lune. Je n'ai jamais ressenti un truc pareil de toute ma vie. J'ai rêvé de ce moment mais, c'était loin de la réalité. Elle s'accroche à moi sans faille. Une émotion pétille dans ses yeux, sans que je ne parvienne à en déterminer l'origine.
Nos corps s'entrechoquent et vivent à l'unisson, le temps de cette étreinte. Finalement, je m'enfouis dans le creux de son cou, retenant ces larmes qui me prennent à la gorge. Dehors, la pluie s'est arrêtée, laissant place à l'humidité.
— Agathe, geins-je, comme une prière.
Elle me serre contre elle, fort. Je me laisse bercer par sa présence, enivré par son odeur. Sa respiration s'apaise progressivement tandis que ses doigts cajolent mon épiderme chaud. Je ne me suis jamais senti autant à ma place qu'en cet instant. Détendu, un sourire naît sur mes lèvres. Et puis tant pis si elle devine mes pleurs sur son épaule. Je ne peux pas retenir ces sentiments qui peuvent enfin vivre comme bon leur semble. Agathe embrasse mes cheveux puis remonte les duvets sur nos épaules.
Soudainement, un doute m'assaille. Durant cette nuit, je me suis probablement trop révélé, à mes dépends. Mon corps s'est exprimé sans que j'y réfléchisse réellement.
En ai-je trop dit sans prononcer un mot ?
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Bonsoir !
Un chapitre entièrement du point de vue de Zach, que j'ai eu du mal à écrire. Il est essentiel dans la nouvelle tournure des évènements et me mettre dans sa tête s'est révélé compliqué ... En espérant qu'il vous ait plu !
Comme vous l'aurez deviné, cet épisode marque un tournant dans leur relation, mais jusqu'où ? Vous en saurez bientôt plus :)
Bonne soirée,
Fantine
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