37. SMITH (fin)

Le lendemain de ma fameuse discussion avec Frank, je passe par ma salle pour vérifier que toute l'équipe est présente et que Dany pourra prendre mes responsabilités pour aujourd'hui. Heureusement, comme le formidable ami qu'il est, Dany me pousse vers la porte et me crie de foncer et prendre ma journée.

Je le remercie et sans perdre de temps, j'enfourche ma belle moto direction la salle de boxe et John Stater. J'ai besoin de frapper, de ressentir l'adrénaline, et de me battre à la loyale, d'égal à égal. Malgré le fait que le mec ait au moins trente ans de plus que moi, je le considère comme mon égal sur un ring.

Après avoir quitté mon père, je me sentais mal, j'avais besoin de revendre ce mélange de tristesse et de colère qui bouillonnait en moi. La seule chose qui se présentait à moi, était d'aller voir mes vieux copains, Joah et Teddy. J'ai bu plusieurs coups avec eux, avant de les payer en cash. Je voulais ma bécane, ma belle bécane. Et je l'ai eu.

En prenant le temps de mettre mon casque et mes gants, j'observe à quel point mon projet devient de plus en plus concret. Je suis tellement fier du parcours que j'emprunte. Tellement fier de mon équipe. Mon bonheur est presque là, il me frôle. Il ne manque plus qu'une chose.

Lucie.

Il y a quelques jours, je suis passé voir son père. L'état de sa mère ne s'améliore pas et les médecins pensent qu'il ne lui reste que quelques semaines maintenant. J'aimerai dire à quel point je suis triste pour eux, à quel point je comprends leur douleur, mais je me tais. Il faut que je prenne du recul. Je la reverrai bientôt. George dit qu'elle revient souvent les week-end, pas tous, mais certains, pour voir sa mère. Mais depuis quelques jours, elle se fait absente. J'essaie de le rassurer, mais moi même, je me sens impuissant.

J'accélère vite fait, pour arriver dans les temps. Je sais que John n'accepte que certains types d'horaires et qu'il est très pointilleux. Un point sur lequel je ne vais pas revenir, moi aussi, dans quelques mois, quand je serais officiellement coach. Un point commun entre nous. D'ailleurs, il n'y a pas que cette notion qu'on a en commun, il y a aussi le fait que ses bras soient aussi recouvert de tatouages en tout genre. Je dois dire que j'adore la grande roue où un couple d'amoureux trônent en haut devant un magnifique feu d'artifice, qui est peinte sur son poignet. Il m'a raconté un jour qu'il l'avait fait pour sa Gracie. Je n'ai pas osé lui demander de qui il s'agissait.

A huit heure tapent, j'ouvre la porte de la salle, qui émet un léger tintement pour prévenir de mon arrivée. John pose le poids qu'il était en train de soulever, et se redresse pour m'accueillir avec une grimace. Lorsque je le surprends à regarder la pendule, je me gratte nerveusement la nuque en repensant à ses paroles. "Un bon entraîneur, un bon coach et un homme honnête, a toujours cinq minutes d'avance."

— Justement, je t'attendais Fiston, il débite de sa voix rocailleuse.

Il a sûrement fumé depuis ses dix ans, ce gars là. Même moins.

— J'attendais un adversaire à ma taille. Entraîner, c'est plaisant, tu verras. Mais de temps en temps, il nous faut un moment pour cogner, à nous aussi.

Je prends en note ce qu'il vient de me dire à l'instant.

— Je suis heureux, parce que c'est avec toi que je peux m'abandonner à mon travail. Bon, bien sûr, je t'apprends les bases, mais je sens que tu es prêt. C'est pour bientôt.

Je souris, en me dirigeant vers le casier qui est mis à mon nom, tout en me débarrassant de ma veste. Je sors mon sac de sport que j'ai oublié la dernière fois. Puis, j'enfile mon short et mes bandes.

— Dépêche-toi, je t'attends, grogne t-il au milieu du ring.

Je souris, cet homme me fait tellement penser à Jim. Ce qu'il me manque.

Je me relève, après une petite série de frappe. Je le rejoins au milieu du ring, un sourire malicieux sur son visage. Ce coach est très futé, mais aujourd'hui, j'ai envie de l'avoir à son propre jeu.

— Ta salle avance ? il me questionne, en braquant sa garde.

— T'as qu'à avancer, si tu veux savoir. Tu sais très bien où elle se trouve, j'essaie un coup.

Il l'esquive en baissant la tête.

— Je te promets de venir te voir, mais tu comprends c'est un peu difficile pour moi en ce moment.

C'est tout le temps pareille, pendant nos entraînements ou nos combats, on ne peut pas s'empêcher de discuter comme des vieux copains de cinquante ans d'âge.

J'enchaîne sur un uppercut, qui cette fois le touche en plein visage. Sa pommette droite rougit, et il me le rend bien. Je riposte, en faisant un léger pas de côté, son déplacement préféré. Ensuite, je procède à un balayage, qui le fait reculer. Un sourire s'emboîte sur mon visage, mais il ne tarde pas à se faire la malle, lorsque John me met un coup de coude. Je grimace.

Je décide de lui parler, pour essayer de le distraire comme il le fait.

— C'est ta femme qui te fait des misères ?

Il m'a expliqué qu'ils sont séparés depuis leurs trente ans, longtemps quoi.

Il rit subitement, comme s'il se moquait de moi, et en profite pour m'envoyer un cross-counter.

— Non, c'est plutôt chaud entre nous. Je crois que je vais lui demander de m'épouser.

Je fronce les sourcils en clignant des yeux, pas vraiment sûr d'avoir bien entendu.

— Bas quoi gamin, c'est pas parce que pour toi je ne suis qu'un vieux, que je ne bande plus, il contre-attaque. En plus, je n'ai que quarante-six ans.

C'est mon tour de rire. Il est tellement direct, j'adore ça.

— Ah bon ? Je pensais que l'engin était ramolli depuis bien longtemps, moi, je plaisante.

Je lui envoie un drop enchaîné d'un uppercut droit. John me surprend en faisant un pas de retrait et en enchaînant un Haymaker. Une technique qui est maintenant interdit dans toutes les boxes.

— C'est ma botte secrète, mon petit.

N'ayant pas l'intention d'en rester ici, je fléchis ma jambe gauche pour la plier, tout en tendant ma jambe droite, qui elle, vient balayer les mollets de John, ce qui l'entraîne dans une chute au tapis.

— Et celle-là, c'est la mienne, je souffle.

— Bien joué, Samuel. Je crois qu'on a bien mérité une petite pause entraînement.

Je hoche la tête, tout en lui accordant ma main pour le relever. Tout va très vite, il l'accepte et se relève à une vitesse fulgurante. Je ne le vois même pas me bloquer avec son bras, tout contre ma trachée. Même ce mouvement se fait en quelques secondes. En une seule prise de karaté, il me fait tomber à mon tour au sol.

— Ne sous-estime jamais les compétences de ton adversaire. Et surtout, n'oublie jamais que je suis ceinture noire.

Il descend du ring et prépare tout ce qu'il nous faut pour l'entraînement. Je reste sur le dos, allongé là, en plein milieu. Les bras pendants contre mon corps, je souffle un bon coup. Soudainement, son visage m'apparaît. Le visage de Lucie. Il faut à tout prix que tout se passe pour le mieux, que tout rendre dans l'ordre. Je veux lui montrer qu'on peut construire notre vie ensemble, créer un avenir commun. Je le veux du plus profond de mon coeur.

— Du nerf champion, si tu veux devenir un coach exceptionnel, tu dois persévérer et toujours regarder droit devant toi.

J'inspire. Regarder devant moi.

Immédiatement, je me relève, enjambe les lignes du ring et pars le rejoindre pour une séance de gainage. Pendant cet entraînement, je transpire, mes muscles souffrent, mais c'est pour la bonne cause. Bientôt, je vais devoir tout affronter.

**

Pendant les jours qui suivent, jusqu'à dimanche, je m'active sur mon site internet de prédilection. Je fais quelques tests, et il se trouve que je n'ai plus de mauvaises réponses, grâce à mes lectures et John Stater. Avec ses entraînements et les livres qu'il m'a passé, je suis bon. En plus de ça, la salle avance. Nous sommes en train de réorganiser l'entrée et le bureau d'accueil. Puis, dans deux ou trois semaines, ça sera au tour de mon bureau et de la salle réservée au futur kinésithérapeute. J'ai eu l'idée, en pleine nuit ; je n'arrivais pas à dormir.

En ce moment, le sommeil est une denrée rare, j'ai du mal à faire le vide dans mon crâne et à me calmer. Je pense à tellement de chose, que l'insomnie me grignote peu à peu. Je redoute de plus en plus ce rendez-vous avec Victor. C'est d'ailleurs, aujourd'hui que je dois le rejoindre dans un endroit que je connais bien. Un endroit qui me rappellera tout, et sûrement dans quelle misère nous étions.

Pour l'occasion, j'ai choisi des vêtements assez sophistiqués. Avant de partir, je me donne du courage avec un des cookies que Dany a préparé hier pour toute l'équipe. J'enfile en vitesse ma veste en cuir, puis attrape mes clefs de moto. Pendant le trajet, j'ai le temps d'envisager tous les scénarios possibles. Ils finissent tous en sang, et un camp finit par plier ou par mourir. J'espère qu'il en sera autrement. D'un côté, s'ils mourraient, les choses seraient beaucoup plus faciles, mais d'un autre, ça serait trop facile.

J'augmente la vitesse et lorsque j'arrive devant le vieux sous-sol qui a abrité mes combats, je respire un bon coup. Voilà très longtemps que je n'y avais pas mis les pieds. Je dois dire que ce lieu est intéressant pour un rendez-vous comme le notre, mais je me demande ce que cet homme a préparé. En tout cas, je me sens prêt à me battre, s'il le faut.

Je pousse la porte et avance dans les profondeurs sombres. J'aperçois d'un petit coup d'œil, le ring qui a l'air de s'être refait une beauté. D'après Paul, les combats continuent, alors ça ne me choque pas qu'ils aient remplacé les barres et ainsi que les gradins. Ils sont toujours aussi moches, mais on fait avec ce qu'on peut.

Je marche en direction du centre, et me retrouve bloqué par des rires tyranniques. Je n'ai pas peur, c'est plutôt la rage qui prime. Je hais cet homme pour avoir fait subir pareilles choses à Lucie.

— Comme on se retrouve, il débite. Au début, j'ai cru que tu ne viendrais pas, mais tu es là.

— Je suis là.

Je me retourne aussitôt, pour le voir grimper les gradins sans mal. En plissant les yeux, j'arrive à voir la cicatrice encore fraîche, qui orne fièrement sa joue. Je comprends tout de suite, qu'il a dû passer un mauvais quart d'heure. Intérieurement, je ris.

— Est-il là Victor ? demande une voix grave.

— Oui.

J'observe la pièce dans les moindres recoins, mais je ne vois personne.

— Ici.

Je me retourne une seconde fois, et manque de vomir toutes mes tripes. L'homme qui me fait face est défiguré et possède un dispositif accolé à sa gorge. On dirait que c'est d'ici que le son de sa voix — si c'est une voix — sort. Je déglutis avec force. En faisant appel à ma mémoire, j'arrive à voir un nom à mettre sur ce visage. Je me rappelle du fameux jour où Paul est revenu pour me dire que Lucie était en danger à New York, et qu'il m'avait parlé de quelqu'un d'impressionnant, qui fout les jetons. Antoine. C'est ça, Antoine. C'est sûrement lui.

— On m'appelle Milles Faces.

J'étouffe un rire nerveux. Il fronce les sourcils, en passant sa langue sur sa lèvre inférieure. Soudainement, j'entends du bruit derrière lui. Carter fait son apparition, un sourire sadique sur ses lèvres. Le même rictus que je hais tant. Mon sang bouillonne de plus en plus dans mes veines.

— Mon vieux copain, voilà longtemps, plaisante t-il. Je t'ai attendu, moi.

Je tique en serrant la mâchoire.

— Mais il faut dire que tu n'as jamais eu de cran. T'as peur de moi ?

Je reste à ma place, fermant violemment mes poings. Je n'ai aucune envie de rentrer dans son jeu. En tout cas, pas maintenant. Il essaie seulement d'attiser ma colère pour obtenir ce qu'il souhaite.

— Pas de bagarre ici, Carter. Alors, tout doux.

Carter grogne à la suite des paroles du ledit Milles Faces — alias Antoine — et recule d'un pas pour être à sa hauteur.

— Bon toutou, j'articule en silence.

Carter serre les poings, prêt à se battre. Mais visiblement, il ne peut pas, et je me marre bien.

— J'ai un marché pour toi.

— J'écoute.

Ma voix est ferme et sans failles.

— Tu veux que ta copine soit saine et sauve, que Victor ici présent arrête de la persécuter. Très bien, il commence. Il se trouve que j'ai besoin d'un petit quelque chose.

Je hoche simplement la tête.

— Le garçon qui voulait ta copine en premier me devait pas mal d'argent, mais je vais passer, si tu me rapporte ma drogue. Elle est à Madrid, il faut que tu t'adresse à un certain Sergio Cavana. Je veux que tu prennes la drogue et que tu le butes après.

Mon coeur accélère son rythme tout à coup, mais à aucun moment je faillis.

— Si tu échoues, comme lui, tu finiras dans une tombe. Mais cette fois-ci on fera en sorte que tu n'aies jamais existé, il rétorque sèchement. Ta copine subira le même sort, après. Tu as compris ?

— Vous aurez votre drogue.

— Je suis clément, tu as trois mois. Prépare bien tes plans, et si tu tentes quoique ce soit, j'ai plusieurs amis sniper là-bas.

Je n'ai aucune peur.

— Je ne trahis jamais.

Carter s'avance vers moi.

— Reviens vivant, pour que je t'achève moi-même.

Je le regarde repartir, Victor avec lui.

— Tu connais le marché, maintenant.

Milles Faces quitte la pièce, un rictus amère sur le visage. Je prends le chemin de la sortie, déterminé.

— Je connais surtout la fin, je me chuchote. Et c'est toi qui va perdre à ce jeu.

Ils perdront tous jusqu'au dernier, quoiqu'il m'en coûte.


F I N

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Coucou ! J'espère que vous allez bien ! J'ai enfin fini ce tome avec votre compagnie, merci d'être toujours là, d'être toujours vous. Bon, bien sûr comme toujours il y aura un chapitre Remerciement et Débriefing ensemble. J'espère sincèrement que vous avez aimé cette fin et que le suspens vous ronge les sang (c'est fait exprès pardonnez-moi mais j'aime les fins de ce genre, qui vous laissent en haleine...) ! J aimerai avoir vos avis en commentaires, c'est très précieux pour moi.

Je vous dis à très bientôt pour les remerciement et le débriefing ! J'ai hâte qu'on puisse discuter tous ensemble.

Bisous, Sarah.

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