26. LUCIE
Je tiens la main de ma mère, ne lâchant jamais du regard son visage endormi et terni par la fatigue. Je prie Dieu pour le miracle qu'il nous a refusé à Charlie, autrefois. Les bips correspondant à son rythme cardiaque, relevés sur l'écran en face de moi, me font tourner de l'œil. C'est alors que j'aperçois mon père en larme dans les bras de Samuel. Mon coeur tambourine plus fort dans ma poitrine, il se réchauffe davantage. Soudainement, ma mémoire rembobine les derniers événements, mais ce sont les mots que Samuel m'a dit pendant l'amour qui retiennent mon attention. Dans son regard qui percute le mien, je les vois encore et encore.
C'est la première fois qu'un autre garçon que Alban dit m'aimer. Mais j'avoue que ces mots-là résonnent mieux dans la bouche de Samuel. Ils sont plus puissants et laissent des traces sur ma peau toute ensevelit.
Il m'aime. Il est amoureux de moi.
Il est là, il est toujours là quand il le faut, quand j'ai besoin de lui. Et moi, tout ce que je trouve à faire c'est fuir, ou tout ce que je trouve à dire, ce sont des excuses. Je m'en veux tellement de ne pas pouvoir lui répondre, alors que mes sentiments sont aussi forts que les siens. Seulement, je fonctionne lentement, et j'ai besoin de temps. Mon coeur a besoin de temps pour se reconstruire et c'est Samuel qui en paye le prix.
Je souffle un bon coup, les pensées ailleurs. Je suis tellement fatiguée que je laisse ma tête se coucher sur la main de ma mère que je tiens toujours dans la mienne. Je ne sais pas combien de temps s'écoule, lorsque je ferme enfin les yeux, mais je parviens à sentir une main me caresser doucement la nuque. Je me relève en respirant lourdement, pour poser mon regard sur le visage inquiet de mon père. Je lui souris faiblement. C'est tout ce que j'arrive à faire.
— Je vais prendre le relais. Smith est assis sur les chaises devant la chambre.
Je hoche tranquillement la tête, avant de me lever et rejoindre Samuel dans le couloir. Mon père avait raison, il est assis, mais il me dissimule son visage. Il a l'air concentré sur quelque chose. Je plisse les yeux pour savoir, et lorsque j'aperçois mon portable entre ses mains, je manque d'étouffer. En me rapprochant discrètement, j'arrive à voir qu'il affiche un message. Tout doucement, j'essaie d'avancer ma main pour m'en emparer, mais Samuel m'en empêche en bougeant sa main.
La colère dans ses yeux qui impacte mon corps tout entier à ce moment précis, me donne la chair de poule et me laisse interdite. Il a dû voir tous les messages, ce qui explique la froideur qui remplace subitement la colère dans son regard. Je n'aime pas du tout ça.
C'est à partir de là, que mon cerveau choisit de décrocher. Je ne comprends plus rien. Samuel se lève lentement et reste stoïque face à moi, comme s'il attendait des explications. Malheureusement, ma bouche refuse de s'ouvrir, mes lèvres ne veulent pas bouger et les mots ne m'apparaissent pas. Sans que je comprenne pourquoi, des larmes coulent sur mon visage. Peut-être qu'elles s'expriment pour moi.
En baissant les yeux, j'arrive à voir que Samuel serre brutalement mon portable dans sa main, si bien que ses jointures blanchissent. J'esquisse un pas, mais le résultat est médiocre. Mes membres sont mous. J'ai l'impression que la chute n'est pas loin, que j'ai mal agit en lui cachant ces messages de Victor, en lui cachant son existence. J'ai même la sensation que Samuel est prêt à commettre un acte irréfléchi à cause de moi, là, tout de suite. Puis, c'est comme si j'étais enfin remontée à la surface pour chercher à tout prix mon souffle.
— Je peux tout t'expliquer, Samuel.
Sans m'accorder la moindre parole, il me rend mon téléphone et me contourne. Je me retourne aussitôt pour lui courir après. Je le suis jusque dans le parking, où la nuit surplombe et où les lampadaires éclairent joliment. Samuel se dirige vers sa voiture d'un pas normal, et lorsqu'il s'apprête à claquer sa portière, je la retiens d'une main forte. J'attends patiemment qu'il me regarde, mais il n'en fait rien.
— Ne va pas faire de bêtise, Samuel. Laisse-moi t'expliquer, s'il te plaît, je le supplie. Tu ne sais rien.
C'est à ce moment là que ses yeux se posent sur moi et me glacent le sang.
— Au contraire, je sais tout, et je vais tout régler.
Sa voix est tranchante tout comme son geste qui arrache ma main à la portière. Il démarre en furie, et me laisse toute seule sur le parking. J'ai l'impression d'être à des années lumières de notre moment à la fête foraine. J'aimerai tellement y retourner.
En traînant des pieds, je rejoins l'hôpital et mon père, pour voir comment se porte ma mère. Les médecins viennent à plusieurs reprises, vérifier toutes sortes de choses, sans jamais nous adresser un constat. Plus les minutes, plus ma tête me tourne. J'ai peur pour elle, qu'elle ne se réveille jamais et j'ai peur pour Samuel, qu'il commette l'irréparable. J'imagine le pire. Peut-être est-il parti boire dans un de ces bars ? Cette idée ne me plaît pas du tout. Et si jamais Victor s'en prenait à lui ?
Les idées se mélangent dans ma tête aussi bien que la bile me monte à la gorge. Je trouve la poubelle incluse dans la chambre de ma mère, puis je vomis à l'intérieur. Mon père relève la tête en m'entendant, et se précipite vers moi pour me tenir les cheveux, par habitude. Il me caresse le dos, en murmurant des mots rassurants. Je me souviens qu'il l'a déjà fait et si souvent.
— Il reviendra.
Mon père me fournit un mouchoir avec lequel je m'essuie la bouche. Silencieuse, je l'interroge du regard.
— J'ai vu tout à l'heure en revenant de sa voiture, qu'il n'allait pas très bien, il m'explique. Mais ne t'inquiète pas ma puce, il reviendra. Il t'aime.
Je savoure ses mots qui m'ouvrent le coeur en deux, tout en fermant les yeux.
— Il te l'a dit ? J'interroge mon père.
Celui-ci me prend la main et la serre fort dans la sienne. Puis son sourire heureux me percute de plein fouet. Je suis heureuse que mon père accepte Samuel aussi facilement. Mais le savoir me fait encore plus culpabiliser.
— Oui. Écoute, il suffit de le regarder, de vous regarder. Je perçois chez lui, une envie, une véritable envie et aussi une confiance absolue. Peu importe ce qu'il a pu faire avant, je sens que ce gars est quelqu'un de bien et quelqu'un qui te correspond tout à fait. Il n'a même pas hésiter quand je lui ai prié de te ramener. Déjà, je lui faisais confiance parce que j'ai su capter votre lien.
Je l'écoute évoquer le courage de Samuel et la confiance qu'on peut décidément lui accorder. J'étais loin de me douter que mon père lui avait demandé d'aller me chercher. Je ne pensais pas du tout que Samuel s'était lancé sans regarder derrière lui. En sachant une pareille chose, je me dis que Samuel est alors sûrement le miracle que j'attendais depuis ces années d'horreurs. Il est bien celui qui va finir par mettre fin à ces douleurs dans ma poitrines. Mais il est aussi à l'origine de quelque unes. Seulement parce que j'ai peur et parce que mon coeur est encore endommagé.
— Tu comptes repartir à New York pour une nouvelle année à NYU ?
Mon père sait parfaitement lire en moi. Rien qu'en regardant mes yeux se lorgner de larmes silencieuses, il comprend ma souffrance.
— Lucie, je ne t'en aurais pas demandé moins. Je n'ai pas eu l'occasion de te le dire, mais je suis navré pour la mort d'Alban, même si je ne le portais pas dans mon coeur. Il comptait pour toi malgré les horreurs qu'il t'a fait subir. C'était ton premier amour et aujourd'hui, il n'est plus de ce monde, commence mon père, d'une voix posée. Je conçois que tu veuilles aller à New York pour reprendre tes études et pour prendre du recul, et je trouve cela justifié. Tu as raison. Je ne veux pas que tu restes ici en sachant que ta mère est malade et que ses jours sont comptés. Je veux que tu vives ta vie et je sais par dessus tout, que tes études prenaient un rôle très important dans ta vie. Je suis sûr que Samuel comprendra le fait que tu veuilles prendre le large, mais parle lui en.
— Je ne sais pas comment lui dire, papa. Il vient juste de m'avouer m'aimer sincèrement et les choses sont tellement difficiles. J'ai peur de lui faire du mal en restant ici, comme en partant d'ici. Je ne peux pas lui dire, papa. Je ne peux pas lui dire que je l'aime. C'est trop dur. Ma vie noircit de plus en plus et je ne veux pas impacter la sienne, qui est déjà bien grise.
Je soupire. C'est la vérité. Je veux retourner à New York dans les mois qui suivent et je ne veux pas faire de mal à Samuel. Je commence à me demander si ce n'était pas une mauvaise idée qu'on se mette ensemble pour que je le quitte à la fin de l'été. Je saigne déjà rien que d'y penser. Je me dis qu'en m'éloignant un peu et en retrouvant la part de femme qui m'a été enlevé, j'arriverai à l'aimer pleinement comme il essaie de le faire avec moi.
— Je lui parlerai si tu veux, se propose mon père.
Tout de suite, je me dis que j'ai de la chance. Une putain de chance que je ne mérite sans doute pas.
Je pose un léger baiser sur sa joue droite, avant qu'un énième médecin passe dans la chambre de ma mère. Cette fois ci, il s'arrête pour nous rassurer quant aux résultats de ma mère. Elle est hors de danger et devrait se réveiller dans quelques heures. Je soupire de soulagement, tout en jetant un œil à la pendule au dessus de moi. Il est bientôt six heure du matin.
— Je t'attends Christine, je suis là, j'entends chuchoter mon père.
Je les regarde avec un sourire triste, jusqu'à ce que mon portable vibre dans ma main. Croyant que c'est Samuel, je me rue dessus, mais fausse alerte. Il s'agit de Paul. J'espère qu'il va bien depuis le temps. En me rappelant que je ne suis même pas allée le voir à son réveil, je culpabilise en m'en mordant les doigts. Je fais tout de travers en ce moment.
PAUL : Je suis repartis chez moi, tout va bien. Dis-moi que pour toi, tout est OK aussi.
Je souris, contente pour lui. C'est louche que des hommes s'en prennent à lui avec une arme blanche, mais je fais confiance à Samuel. Aussitôt après avoir lu son message, je lui réponds que je suis à l'hôpital pour ma mère tout en restant vague. Il me répond quelques secondes plus tard, en me souhaitant courage, tout en restant à sa place, sans me demander des détails. Je le remercie silencieusement, avant de penser à envoyer un message à Samuel pour savoir où il est. Bien sûr, il ne me répond pas, comme je m'en doutais.
Prise d'un élan de fureur qu'il n'ait pas voulu m'écouter, je demande à mon père ses clefs de voiture tout en lui disant de m'appeler quand maman se réveillera.
— Sois prudente sur la route.
— C'est promis, papa.
Je file en embrassant tendrement ma mère sur le front. Je roule à toute allure pour me rendre devant l'appartement de Samuel. Tout en attendant patiemment, j'essaie de le joindre. Une fois, deux fois, même trois, mais toujours rien. Je prends mon mal en patience, et lorsque je vois sa voiture se garer devant, je sors de la voiture d'un pas dur. Lui aussi sort de la sienne. Sans même faire attention à la pénombre et au trottoir que je manque de rater, je m'approche de lui et le pousse d'un grand coup avec l'aide de mes mains.
— Qu'est-ce qui te prend ? il tonne.
— Non, toi, qu'est-ce qui te prend ? Je me suis fait un sang d'encre tu sais.
Je lui décoche un coup de poing dans l'abdomen, qui me vaut une douleur lancinante dans tous mes doigts, pendant que lui, ne sent rien. Sans me prévenir, mais tout en me fusillant du regard, il tape furieusement le code de son immeuble sans me tenir la porte et emprunte les escaliers pour se réfugier dans son appartement. Je lui suis, et lorsqu'il allume la lumière dans son salon, j'étouffe un vilain cri avec mes mains. Il saigne à la lèvre et à l'arcade et je ne parle même pas de ses mains qui sont pleines de sang. Je déteste ce que je vois.
— Qu'est-ce que tu as fait ?
Je prends soin de le demander d'une toute petite voix.
— La prochaine fois, je le butte.
Je le regarde enlever son haut pour s'essuyer le visage et les mains. Tout en me rongeant les doigts, je m'aperçois qu'il commence à faire les cents pas devant sa télévision. Je crois même qu'il va finir par s'arracher les cheveux, à un moment. Mais il finit par me faire face, l'air d'un fauve.
— Alors c'est de la faute de ce malade si tu es tombée dans un escalier et que tu t'es fracturée l'épaule ? J'aurai cru que tu pourrais m'en parler après tout ce temps !
Sa voix est terrible. Je contre-attaque comme par réflexe.
— Et toi, pourquoi tu t'es battu avec ton père ?
Il s'approche de moi, jusqu'à ce que nos nez se touchent. Les yeux dans les yeux, j'arrive à voir à quel point il est déçu que je n'ai pas profité de la dernière fois pour lui parler de Victor et cet épisode.
— Paul connaît ce gars, Victor, il m'en a parlé comme d'une menace, et je vois qu'il a parfaitement raison. Il m'a fait part de ta chute. Je voulais te rejoindre, savoir comment tu allais, mais mon connard de géniteur refusait que je passe la porte. Alors j'ai déblatéré toute ma haine, je l'ai bien blessé comme je le voulais. Il a frappé le premier.
Je reste clouée au sol. Comment ça, Paul lui a parlé de Victor ?
— Tu avais entendu parler de Victor ? je demande d'une voix grelottante.
Smith recule un peu, pour finalement s'asseoir sur son canapé. Les poings sur chaque tempes, sa respiration devient de plus en plus lourde.
— Bien sûr, putain de merde ! il hurle presque.
Brutalement, sa main heurte la table basse dans un bruit sourd. Je sursaute. Sa voix porte dans chaque recoins de l'appartement. Assez suffisamment pour que ses voisins entendent. Je ne l'ai jamais vu si énervé en ma présence. Il me ferait presque peur, et je déteste ce sentiment.
— Réfléchis deux petites secondes Lucie ! il se relève. Tu crois que je me suis tourné les pouces pendant qu'Alban profitait de toi ? Tu crois que je n'ai pas essayé de rattraper le coup ? J'en ai appris sur Alban et puis, sur les petites magouilles qui traînent avec Carter. Comme tu le sais maintenant, c'est lui qui a tout orchestré. Ma défaite et ton enlèvement.
Entendre de telles paroles sortir de sa bouche, donne une certaine notion de réalité. Mon cerveau imprime enfin le fait que Alban avait tout manigancé, de mon enlèvement devant chez moi, jusqu'à la défaite de Samuel. Tel un éclair de génie, je comprends que l'homme toujours vêtue d'une capuche qui suivait le groupe d'individus étranges, qui nous observait de temps en temps, c'était lui.
C'est mon tour de bouger pour ensuite me laisser tomber sur une des chaises, bien rangées autour de la table à manger. Je passe une main douloureuse dans mes cheveux. Ancrée dans mes pensées, je n'entends même pas Samuel se rapprocher de moi. Il s'accroupit aussitôt à ma hauteur, et pose ses mains sur les miennes, sur mes genoux. Je lève les yeux sur lui. J'arrive à voir dans ses yeux, qu'il est désolé d'avoir autant élevé la voix.
— J'ai une question, Lucie, il commence doucement.
Je hoche la tête, pour lui faire signe que je le suis. Samuel déglutit silencieusement, avant de commencer à dessiner des formes sur ma peau avec son pouce. Je comprends alors, qu'il essaie tant bien que mal, de se contenir.
— Dis-moi, est-ce que ce Victor était à New York, lui aussi ?
Je baisse les yeux, si bien que Samuel comprend tout de suite. Je l'entends jurer tout bas, en baissant la tête, impuissant.
— Est-ce qu'il...t'a touché ?
Les mots sont difficiles à sortir. Je sens la chaleur le submerger de toute part. Dans ses yeux, je vois qu'il aimerait que ce ne soit pas le cas, mais il le sait aussi bien que moi. Il n'avait même pas à poser cette question.
— Je vais le faire. Je vais accepter qu'importe ce qu'il me demande, tant que tu es en sécurité.
Sa voix est aussi douce qu'un chuchotement. Je ne sais pas si j'ai véritablement bien compris ce qu'il a dit, mais m'exécute à poser la question, tout de même.
— Qu'est-ce que tu vas accepter ?
Une grimace tord son visage l'espace de quelques secondes, si bien que je crois l'avoir rêvé. Mais c'est impossible, j'ai bien vu son visage se faire plus pâle. Soudain, j'ai peur, j'ai peur pour lui et pour ce qu'il s'apprête à faire. Tout est de ma faute. Depuis le début, c'est ma faute, putain. Il faut que toute cette histoire s'arrête.
— Rien de grave Lucie. Rien de grave, je t'assure.
— On dirait bien que non, je rétorque, nerveuse.
Il dépose ses lèvres sur chacune de mes phalanges, avant de m'embrasser tendrement sur les lèvres. Je me laisse transporter, heureuse que ce cauchemar s'atténue un peu. Entre l'arrêt cardiaque de ma mère et l'inquiétude que j'éprouvais pour Samuel, jusqu'à maintenant, j'ai besoin de cette poussée d'oxygène.
Samuel se relève subitement, m'entraînant avec lui. Après avoir déposé ses lèvres sur mes deux joues, il me serre dans un câlin. Sa chaleur me fait du bien, et réchauffe mes membres encore en proie à la douleur d'avoir cru perdre ma mère. A ce moment là, je m'en veux terriblement de ne pas pouvoir lui avouer que je l'aime aussi. J'ai honte, parce qu'il fût un temps où j'aurai pu lui avouer ouvertement mes sentiments. Mais il faut croire que les marques qu'a laissé Alban sur mon corps ne se sont pas encore éteintes. Les chaînes me retiennent encore.
— Hum...Samuel ?
Ma voix est toute petite.
— Oui ?
— Je...enfin, tu sais, même si je n'arrive pas à... Je tiens à toi, donc...ne fais pas de bêtise. Je te fais confiance.
Pour toute réponse, Samuel resserre son étreinte sur mon corps frêle.
— En attendant, on va aller changer ton numéro de téléphone, et chercher tes vêtements chez ton père pour mettre en réserve chez moi. Je veux que tu restes ici, tout près, au cas où il arriverait quelque chose.
Je relève ma tête de son torse, pour le regarder droit dans les yeux. Samuel m'interroge en haussant les sourcils. Pour une fois, je me tais, j'essaie de laisser prendre les choses en main. Je n'aime pas le fait qu'il sache pour Victor depuis si longtemps. Et puis d'abord, comment Paul est au courant de tout ça ? Peut-être que ce n'était pas une coïncidence qu'il soit là, dans cette rue, comme moi, le jour de mon accident. Mon dieu, j'ai l'impression qu'il y a tellement de chose que je ne sais pas. Sauf que je résiste à lui demander plus d'information sur ce sujet. Je ne veux pas l'énerver d'autant plus.
— On peut y aller, je lui souffle. Mais, il est sept heure du matin.
Samuel rit, ce qui détend étrangement l'atmosphère.
— Je n'avais pas pensé à l'heure, il avoue. Qu'est-ce qu'on pourrait faire ?
Je hausse les épaules tout contre lui.
— Tu es fatiguée ? Tu veux retourner un peu dans le lit ?
— Je suis loin d'être fatiguée après tout ce qui s'est passée, je soupire.
Soudain le sentiment rieur dans les yeux de Samuel disparaît pour laisser place à une vilaine culpabilité. Je comprends toute de suite qu'il s'en veut énormément, et qu'il croit que je vais lui reprocher son comportement brusque face à cette situation, pendant longtemps. Mais ce n'est pas le cas. Pour le rassurer, je passe une de mes mains sur sa joue.
— Il me faut quelque chose pour libérer cette tension, Sam.
Il me jette un regard inquisiteur, tout en laissant glisser ses mains au creux de mes reins.
— Samuel...
— Je plaisante, j'ai pas envie de te salir.
Je regarde ses mains qu'il me tend. Il saigne aux phalanges et également aux doigts. Je grimace sans le vouloir, avant de lui déposer un baiser sur le nez.
— C'est déjà fait, malheureusement.
Nos yeux se posent sur mon haut, il y a un peu de sang. J'entends Samuel grogner avant de jurer tout bas.
— Tu ne veux pas me dire pourquoi tu...
Je relève doucement les yeux, pour voir qu'il se dirige vers sa chaîne hi-fi, disposée près de sa télévision. Alors que je laisse ma phrase en suspend, Samuel allume la musique. Je fronce les sourcils, avant qu'il ne se retourne vers moi, un sourire authentique sur le visage. C'est fou, il y a deux minutes à peine, il ressemblait à un lion en cage, maintenant il s'agit d'un gros nounours qui ne demande qu'à s'amuser.
— Et si on dansait ?
Il s'approche de moi, avec son sourire contagieux.
— Mais...
Il me coupe, en laissant glisser ses doigts le long de mes bras, qu'il fait monter vers le haut.
— Il n'y a pas de mais qui tienne, profite, parce que je ne danse pas souvent de mon plein gré.
Quelques secondes plus tard, mes mains se retrouvent autour de la nuque de Samuel, tandis que les siennes, sont postées sur mes hanches. Nous nous trémoussons sur une nouvelle chanson du groupe Texas, Let's Work It Out. Je ris si fort à cause de son déhanché légendaire. J'ai même envie de poser mes mains sur son beau fessier pour suivre son mouvement, mais il m'en empêche, un regard remplit d'avertissement.
— On danse, seulement, tu te souviens ?
J'opine de la tête, un sourire idiot imprimé sur mes lèvres. Bon dieu, cet homme est parfait. Il me tue. Subitement, sans m'y attendre, il colle son corps contre le mien, dans un collé-serré. Je hume son odeur d'homme, fraîche et mélangé à une étrange fumée de cigarette. Je me souviens qu'il m'ait dit fumer quand il est nerveux.
— Je suis désolée de t'avoir parler sur ce ton, tout à l'heure. Mais le fait que tu ne m'ait rien dit à propos des messages de Victor, j'ai ressenti comme une sensation de trahison. Surtout, je ne cherche pas à te faire peur Lucie, mais pour moi, cette histoire de petite amie, petit ami, c'est loin d'être de la rigolade.
Je l'écoute attentivement, en posant ma tête sur son puissant torse. Pour moi aussi, c'est loin d'être de la rigolade, ou d'être un jeu. C'est la réalité. Seulement, j'ai toujours cette peur qui me démoralise.
— Pour moi, on est un couple. Voilà, c'est dit. Pour moi, on est ensemble maintenant, comme un homme et une femme qui forment une symbiose parfaite. Putain, je n'ai jamais rien dit de tel, mais je me sens heureux avec toi, lorsque je dis de pareilles choses, qui m'auraient paru des âneries, il y a quelques mois.
Il rit seul, et j'arrive à sentir sa joie, me traverser toute entière.
— Tu dois sûrement me trouver perché, parce que je saute vraiment d'une émotion à son contraire, en à peine cinq minutes, mais je suis comme ça et puis, tu t'y feras, j'en suis sûr. Mais comme je te l'ai dit plus tôt, la confiance, c'est la base solide d'un couple. Alors la prochaine fois que tu as des messages de ce genre ou un ennui, ou peu importe, dis-le moi je t'en prie.
La musique change pour devenir plus lente, aux allures d'un slow. J'ai raison, je reconnais la magnifique voix de George Michael sur One More Try. Silencieusement, des larmes dévalent le long de mes joues. Je m'en veux tellement de lui avoir caché ces messages, mais aussi pour ce que je m'apprête à lui faire à la fin de l'été. Nous avons déjà entamé le mois de juillet, et les cours reprennent en fin août, si je me souviens bien. Cela doit être le 22, cette année. En plus, il faut que je me trouve un appartement, mais j'ai ma petite idée pour cet inconvénient. Charlotte sera là pour m'aider, j'en suis sûre. En plus, on a besoin de se retrouver, elle et moi.
Samuel finit par percevoir mes larmes et les essuie avec soin à l'aide de ses pouces. Tendrement, il m'embrasse sur la joue, avant de me retourner pour que mon dos soit contre son torse. Puis, il noue ses bras autour de ma poitrine. J'attrape ses mains pour glisser mes doigts dans les siens.
C'est l'homme qu'a choisi mon coeur, j'en suis sûr à présent. Mais il reste à faire taire ma peur et à canaliser la jeune fille traumatisée à l'intérieur de moi.
— Ne te mure pas, Lucie. Dis-moi ce qui ne va pas, il me susurre.
Je respire un bon coup, prête à lui dire que je vais le quitter pour poursuivre mes études à New York, comme il se doit. Prête à lui dire que notre relation ne survivra peut-être pas à tous ces rebondissements qui la bouleversent, à commencer par cette histoire avec Victor qui visiblement, veut ma peau. Les mots sont sur le bout de ma langue, mais bizarrement, ils ne sortent pas. Je veux le préserver, profiter de nous, de ce que nous allons construire pendant ces deux mois à venir avant que la rentrée ne se fasse sentir.
— Tout va bien, je fabule.
Samuel passe tous mes cheveux sur mon épaule droite, avec le plus grand soin, avant de déposer ses lèvres douces sur ma nuque. Je frémis.
— Je crois que tu es mon super-héros, je débite, sérieusement.
— Pourtant, je ne viens pas d'une planète extraterrestre, je ne sais pas voler, et la nuit ainsi que ses créatures, ne sont pas à mon servir, il ricane, tout en continuant à m'embrasser dans le cou. Et puis, je ne veux pas être un super-héros. Je veux être un homme bien, capable d'aimer quelqu'un aussi fort que sa propre vie.
Je resserre ma prise sur ses bras autour de moi, ils me tiennent chaud.
— Alors, tu es l'homme de la situation.
— Non, c'est ton nounours là-bas, il blague.
Je rigole tout en bougeant tout contre lui.
— On dirait que Rodolphe est d'accord avec toi.
— Tu l'as appelé Rodolphe, sérieusement ? s'offusque Samuel.
Je tourne la tête comme je peux, pour l'interroger du regard.
— Bah quoi, il a pas une tête à s'appeler Rodolphe.
— Bien sûr que si.
— Bah non.
— Puisque je te dis que si.
Les musiques changent au fur à mesure que nous débattons sur le nom du nounours qui dort sur le canapé. Je peux dire qu'à ce moment là, en voyant le regard rassurant et aimant de Samuel, ainsi que son sourire moqueur, que je suis heureuse et que l'espace d'un instant — que j'aimerai infini — la terre s'arrête de tourner pour nous laisser savourer ce que pourrait être un semblant de vie normale à tout les deux. Malheureusement, la vie n'est pas aussi simple à mener. Mais maintenant, je sais que le lien que j'ai avec Samuel est plus fort que tout, et quoiqu'il arrive, nous serons ensemble. Malgré les épreuves comme celles de ce soir, nous arrivons toujours à nous retrouver, à nous attirer comme deux aimants. Samuel correspond au pôle Sud, et moi, au pôle Nord.
Deux aimants qui n'étaient pas destinés à se rencontrer, et pourtant.
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Coucou tout le monde ! J'espère que vous allez bien ? Voilà le 26ème chapitre sur nos deux tourtereaux ! Entre dispute et amour, tout est rythmé et encore incertain. Comment va faire Lucie pour apprendre son départ à Samuel ? Comment va t- il réagit ? Surtout, quelle est cette chose qu'il est prêt à faire pour que Lucie en soit en sécurité ?
Les réponses dans les prochains chapitres. En attendant, j'espère que celui là vous a plu ! Dites moi tout !!
Gros bisous mes amours 🤗😙
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