16. LUCIE

Il pleut aujourd'hui.

Il pleut des cordes et le jour est bien choisi. Tous le monde pleure, maintenant. Je pleure encore, étendue dans mon lit, de tout mon long. Après le beau couché de soleil, mon père a tout de suite pris la route, et nous sommes rentrés vers cinq heure du matin. Je n'ai pas dormi, et en voyant ma tête devant le miroir de la salle de bain, je constate que je ne pourrai pas faire disparaître les traces de mon chagrin et de mon angoisse. Mon épaule me tire, mais une fois que j'ai bien remis mon attelle en place, c'est mieux. Mes yeux sont gonflés et rouges. Ma lèvre inférieure me lance, si bien que j'applique une crème dessus. J'ai un vilain bleu sur la joue, sur le côté de ma cicatrice. Je ne pense pas réussir à le cacher celui-ci.

Je m'applique à mettre du fond de teint, pour le faire disparaître le temps d'un instant. J'appelle plusieurs fois mon père, mais il ne vient pas. Contrainte à le faire toute seule, je me débrouille comme je peux, en mettant ma robe noire. L'enterrement de Pénélope a lieu aujourd'hui et Smith ne m'a pas recontacté depuis. Seulement pour me dire qu'il me pardonnait mes mots et aussi pour prendre de mes nouvelles. Je lui ai répondu, il y a quelques minutes, lorsque j'étais fin prête. J'espère que le "tout va bien" fera l'affaire. Pour l'instant, je peux juste me contenter de cela.

Il y a quand même un petit quelque chose qui m'empêche de ne pas étouffer. J'ai reçu très tôt ce matin, un message de l'hôpital, de Rose-May mon infirmière qui s'était occupée de moi après ma chute. Elle m'a dit que mon bilan sanguin n'apportait rien de très inquiétant et que les chiffres étaient tous corrects. Bien sûr les tests pour déterminer si je suis porteuse de la maladie d'Alzheimer se sont glissés dans la conversation, mais j'ai de suite dévié. Je n'ai pas encore la force. Je sais que lorsque le moment sera venu, je le sentirais. Je serais prête.

Une fois, la fermeture bouclée — un miracle sans aucun doute — je m'attache les cheveux en un chignon et enfile mes converses blanches. C'est tout ce que j'ai et j'avoue que j'en ai honte dans de telles circonstances. Je m'excuserai auprès de la famille pour ce petit détail.

En détaillant mon reflet, je me mords nerveusement la lèvre. Je suis affreuses et mes cernes en parlent pour moi. Malgré mon maquillage, ma fatigue se voit à des kilomètres à la ronde et je ne peux pas y faire grand chose. Non, je ne peux rien faire et après tout, je ne connais personne à part Smith et ses amis, si bien sûr, ils viennent.

Je referme ma porte derrière moi, et fais attention en descendant les escaliers. L'infirmière a beau ne pas avoir trouvé quelque chose au niveau de mon bassin, moi je ressens un pincement au niveau de ma hanche qui a fait les frais de la créativité morbide d'Alban.

— Papa ! je crie.

Je déboule dans le salon, personne. Je vais voir dans la cuisine, toujours personne. En soufflant un bon coup, j'ouvre la baie vitrée. Lorsque la pluie s'abat brutalement sur moi, je me traite d'idiote. Pourquoi il serait dehors alors qu'il pleut des cordes ? Merde, on est en été !

— Papa !

Je reviens sur mes pas, pour trouver un post-it sur la télévision. Mon père m'a écrit qu'il allait rendre visite à ma mère et qu'il dormirait à l'hôpital cette nuit. Il ajoute que Smith viendra me chercher vers neuf heure, puisque l'enterrement commence à et demie. Mes yeux pivotent aussitôt sur la pendule et j'arrive à lire qu'il est neuf heure moins cinq. Panique.

Je remonte en haut pour me passer du rouge à lèvre, rapidement. Au moins, j'arrive à camoufler le fait qu'elle soit fendue. Après cela, je fais un effort pour sourire et j'attrape mon sac où je glisse mon portable à l'intérieur. On frappe à la porte à ce moment là. Mon coeur commence à cogner si fort dans ma poitrine que je n'entends plus que cela. En passant sur un coup de vent dans l'entrée, je débarre la porte et lui intime tout fort de rentrer. C'est ce que fait Smith à priori, parce que j'entends la porte claquer dans les secondes qui suivent.

Pour soulager mon mal de tête, je prends un comprimé à dissoudre dans l'eau. Puis, je m'appuie contre le plan de travail. Les pas de Smith arrive vers moi, et bizarrement, cette situation me rappelle la journée parfaite et bouleversante qu'on a passé ensemble, il y a quelques semaines, maintenant. Sauf que cette fois-ci, Smith n'avance pas plus. Il s'arrête et se pose contre l'embrasure de la porte de la cuisine. Je souffle un bon coup, avant de prendre mon médicament et de me servir un verre d'eau pour enlever le mauvais goût.

— Tu veux boire quelque chose ?

Ma voix est légèrement instable et tremblotante, mais je décide de l'ignorer.

— Non, c'est gentil.

Sa voix, elle, est claire et sans fêlures apparentes.

En vidant mon verre d'une traite, je repense à notre conversation ici même sur le fait qu'il est en train de tomber amoureux de moi. Je regrette tellement mes mots, mais rien ne peut y changer maintenant. Je respire un bon coup, avant de ranger mon verre sale dans le lave vaisselle. Puis, je me retourne brutalement vers lui. J'étouffe un petit cri de stupeur.

— Comment...que t'est-il arrivé ? je demande, tout bas.

Il baisse la tête comme s'il avait honte. Un silence tombe entre nous, encore plus gênant que le précédent. Pendant ce temps, j'observe son visage aussi marqué que le mien, si ce n'est plus. Un grand bleu s'étend sur le long de sa joue et épouse la forme de sa mâchoire. Il est énorme, plus gros que le mien. Sa lèvre est fendue comme la mienne, mais la différence, c'est qu'il a un grand coquard qui lui encercle l'œil droit et prend une couleur jaunâtre ou bien verdâtre. J'ai du mal à bien voir. Mes yeux longent son haut de costume sombre, et s'arrêtent sur ses mains meurtries, dont les phalanges laissent entrevoir des restes de ce qui s'appelle une bagarre saignante.

Je m'approche de lui, en prenant mon sac et en l'enfilant sur mon épaule. Smith relève les yeux vers moi, et j'ai mal pour son beau visage. J'hésite un moment à allonger le bras et lui caresser la joue, les lèvres. Tout compte fait, je serre les poings, en le contournant. Il me suit, toujours en silence. Une fois, la maison fermée à clé, je monte dans sa voiture. Smith démarre dans un bruit sourd et prend la route sans perdre de temps. Je le vois jeter des coups d'œil vers mon attelle et mon épaule immobilisée.

— Je ne préfère pas en parler, il déclare sincèrement. Et toi, pourquoi tu as cette épaule bloquée et cette trace de sang sur le front ?

J'aimerai lui dire, lui raconter, pour qu'il me dise à son tour sur ce qu'il sait d'après Paul, mais je choisis de me taire. Ce n'est pas le moment d'avoir une conversation sérieuse face à toute cette histoire sordide et qui prend des proportions que je n'imagine même pas.

— Je ne veux pas en parler, non plus.

Smith acquiesce sans dire un mot de plus, puis, son doigt appuie sur le bouton de la radio. La musique est forte, de sorte qu'on ne puisse pas parler, et que le silence paraisse normal. Les minutes s'écoulent lentement et le trajet me donne une impression d'éternité, mais je tiens le coup.

Lorsque nous arrivons au cimetière, à Mesa, j'arrive à voir qu'il y a quelques personnes qui attendent déjà devant ce que doit être l'emplacement. Je reconnais le père de Smith, et certaines personnes que j'ai aperçu à l'église. Smith se gare devant, sous un arbre, à l'ombre. Il enlève ses clefs pour les ranger dans sa poche, puis, alors que je m'apprête à sortir de la voiture, je vois sa tête heurter son volant. Sa respiration est courte, mais elle prend de l'ampleur. Inquiète, je pose ma main sur la sienne, qui serre fortement le volant. Smith ne réagit pas, il reste enfermé dans le noir. Je tente de me rapprocher, mais il me surprend en se relevant aussi vite et en ouvrant sa portière sèchement. Je sors enfin de la voiture et l'accompagne vers les autres personnes présentes. Je salue parfois d'un sourire triste, ou d'un léger hochement de tête.

— Sam ! j'entends tout près.

Une voix douce et mélodieuse qui appartient à une jolie brune. En la regardant de loin, je reconnais son visage. Elle était au premier rang, tout comme Smith, à la cérémonie. Sûrement quelqu'un de la famille. La jeune femme prend Smith dans ses bras et le réconforte, je suppose, en lui glissant des mots à l'oreille. Soudain, mon coeur me picote et une pointe d'amertume se fait sentir sur le fond de ma langue. Je ferme les yeux immédiatement pour faire le vide.

— Lucie ! C'est bien vous ?

J'ouvre instantanément les yeux, en reconnaissant la voix veloutée et douce, qui m'appelle cette fois-ci. Je reste immobile, tandis qu'elle me fait signe de venir vers elle. Un coup d'oeil vers Smith, pour voir qu'il est occupé à parler à une femme plus âgée qui accompagne la belle brune. Elle m'appelle toujours, d'ailleurs, mais c'est comme si j'étais clouée au sol. Finalement, c'est elle qui s'approche de moi, mais à mon plus grand étonnement, elle me serre dans ses bras jusqu'à m'étouffer. C'est drôle, mais son accolade me fait penser à celles de Léna, vraies et authentiques.

Après quelques minutes d'embrassade, elle me laisse enfin respirer à ma guise. Je lui rends un sourire gênée, pendant qu'elle m'ausculte scrupuleusement, de la tête aux pieds, d'un regard pétillant.

— Je suis contente de vous rencontrer, elle jubile sur place.

Sa joie est contagieuse, si bien, que je me laisse à rire timidement. Mais je reprends mon sérieux presque aussitôt, où je vois Smith se joindre à nous. Il a l'air plus détendu et plus expressif. Je ressens sa détresse et encore plus, quand sa main vient se saisir de la mienne. Ses doigts glissent entre les miens, et c'est comme si je respirais pour la première fois depuis des heures.

— Je te présente ma cousine, Fanny. Fanny, voici Lucie.

Je souris encore une fois, avant que Fanny nous observe tout les deux avec une certaine forme de fierté mais aussi de tristesse.

— J'espère que vous ne vous êtes pas battu aussi contre votre père, Lucie, elle plaisante.

Je reste un moment, abasourdie. Puis, je comprends tout de suite de quoi il s'agit. Son père a dû une fois de plus, lui parler salement, et les coups sont partis. Je ne le blâmerai jamais pour avoir fait une telle chose. D'après ce qu'il m'a dit, cet homme est un être immonde. Mais tout le monde a sa part d'humanité, tout comme Alban. Même s'il reste un monstre sans coeur pour moi, maintenant.

— Une mauvaise chute dans les escaliers et hop, un drame est si vite est arrivé, je mens.

Fanny grimace avant de nous laisser tout les deux, pour rejoindre la femme avec qui Smith parlait tout à l'heure. En me voyant les observer toutes les deux, Smith m'éclaircit certains points. Je sais maintenant, qu'il s'agit de sa tante et qu'elle s'appelle Audrey. C'est la sœur de sa mère. Il faut dire qu'il y a bien un air de ressemblance. Même si je l'ai vu si peu de fois, les traits fins et naturels de Pénélope sont durs à oublier.

— Alors comme ça, tu t'es battu avec ton père ?

— Et toi, tu es tombée dans un escalier ?

Je souffle un coup, avant de tirer sur mon gilet. La pluie a arrêté de tomber, mais le vent a pris le relais en soufflant durement sur nous. Smith se rapproche et passe un bras autour de mes épaules.

— Alors Lucie, tu es vraiment tombée dans un escalier ? il me demande tout bas.

Je tourne la tête vers lui et pendant un instant, je fixe mon regard au sien, qui sonne comme accusateur. La scène me revient, ainsi que l'interruption surprise de Paul. Tout rentre dans l'ordre, dans ma tête et jure silencieusement en serrant les dents. Il a osé lui en parler.

— C'est Paul, hein ? Il t'a tout raconté ?

Smith ne me répond pas, mais je vois bien que j'ai raison. Ma langue se délie subitement, comme si toute la colère maintenue en moi, se déversait d'une traite. Je pointe mon index au milieu de son torse, en dessous de sa veste noire, et je l'accuse à mon tour.

— Paul m'a dit qu'il y avait des choses que je ne savais pas, Smith. Il m'a dit que je ne connaissais pas toute la vérité, mais que par contre, toi, si. Tu me dois des explications sur ce qui s'est passé ce fameux jour on s'est rencontré dans ce sous-sol miteux. Je me rappelle très bien avoir entendu Pamela me dire que je n'étais pas là par hasard. Alors c'est quoi le vrai fond de l'histoire ? Dis-le moi !

Les yeux de Smith ne désigne plus que de la culpabilité et une pointe de tristesse. Il ne dit rien, comme à son habitude, depuis maintenant quelques minutes. Alors, je réfléchis et j'en viens à une réponse. Une réponse qui ne peut pas être la bonne. Impossible.

Tout s'emboîte et se remboîte à l'intérieur de ma tête. Il est impossible de nier la vérité qui s'inscrit dans un seul nom : Alban. Je plaque ma main valide sur ma bouche, un goût amer au fond de la gorge. Les larmes viennent et immergent par centaine. Je ne vois plus rien, tout ce que je cherche à faire, c'est fuir, tandis que le nombre de personne augmente. Smith hurle mon prénom et m'ordonne de m'arrêter, mais je ne fais rien. Enfin jusqu'à ce que je trébuche sur une plaque. Je tombe dans l'allée centrale et je ne cherche même pas à me relever. Tout s'écroule encore autour de moi. Pourquoi je n'y ai pas pensé plus tôt ? Pourquoi je n'ai pas trouvé cela louche ? Alban a tout organisé pour que je me retrouve ici, et pour qu'il puisse me kidnapper plus facilement.

Smith s'accroupit, et me ramène vers lui. Il me berce doucement en me murmurant des pardons silencieux. Je pleure encore et encore, en me haïssant de plus en plus.

— Pourquoi ? Pourquoi Smith ?

Il frotte le bout de son nez sur ma joue, et je me rends compte, tout à coup, qu'il pleure lui aussi. Ses larmes chaudes coulent le long de ma joue.

— Je suis désolé, pardonne-moi. Je l'ai su par Paul, quelques jours après que l'on se soit revu chez ton père pour la première fois. Tu avais l'air tellement déterminé dans ton choix de le sauver et moi, de découvrir toute la vérité. Pardonne-moi.

Il respire fort.

— Je pensais qu'en m'envoyant ce message, en me disant qu'il était parti à New York, tu allais me choisir, choisir ton père, ta sécurité. Mais non. Les choses ont basculé et Frank m'a mis la pression pour ma mère et les rendez-vous importants. Je savais que Alban était dangereux quelque part, mais je te faisais confiance. Entièrement confiance. Tu me l'avais promis. Tu m'appellerais en cas de besoin. Tu te rappelles ?

Je n'ai pas la force de hocher la tête. J'écoute simplement, en voyant tout le mal que je nous ai fait. Tout le mal que chacun de nous a traversé. Smith savait quelque chose, il aurait dû m'en parler, il aurait pu. Mais il me faisait confiance sur cette partie là. En plus, il avait ses problèmes personnels. Je me sens tellement égoïste maintenant.

— La confiance est une base solide dans une relation, Lucie. Je préférais te faire confiance au lieu de tout foutre en l'air à la première occasion. J'ai vu mon père frapper ma mère parce qu'il ne lui faisait pas confiance, il murmure, brisé.

— Smith...

— Je te demande pardon, pour tout. J'aurai dû t'en parler et avoir assez de force pour t'obliger à rester ici. Rien de tout cela ne ce serait produit alors, et tu serais en bien meilleur état que maintenant. C'est ma faute.

— Non, ce n'est pas ta faute. C'est la mienne, je me suis embarquée tête baissée sans écouter, rien ni personne. Pardonne-moi, toi.

Smith sourit tristement contre ma joue.

— Je t'ai déjà tout pardonné Lucie. Tout, il me susurre à l'oreille.

Je ris en pleurant. Au fond de moi, les images de bonheur sur les instants rares partagés avec Alban, s'effacent pour marquer au fer blanc une haine sans failles et un stop définitif. Cette histoire est à laisser loin derrière moi. Reste encore Victor, qui lui, n'a pas lâché l'affaire.

Au loin, j'entends le prêtre annoncer l'ouverture de l'enterrement. Smith également, puisqu'il me donne sa main pour me relever et nous amène devant le cercueil, qui renferme tant de ses souvenirs. Il ne pleure pas, il reste fort. J'aperçois cependant une larme solitaire, couler sur sa joue, lorsque sa cousine Fanny, se met à chanter une chanson en hommage à sa tante. Moi, je ne me retiens plus. Avec toutes les révélations, c'est la vanne qui pète et s'ouvre entièrement, inondant mon pauvre petit coeur.

L'enterrement se déroule dans un parfait silence, parsemé de pleurs et de regrets. Le père de Smith se trouve à quelques mètres de nous, et en le regardant plus longuement, j'arrive à voir son visage qui tout aussi en mauvais état que celui de Smith. Pendant l'espace de quelques secondes, son regard vide de toute émotion, traverse le mien. Je ressens comme un pic de glace enfoncé en plein coeur. Des tremblements me secouent toute entière, si bien que Smith resserre ses doigts entour des miens.

Après plusieurs minutes, de prières et de discours, les membres de la famille sont invités à déposer une fleur sur le cercueil ou y laisser un peu de terre bénite. Au début, Smith hésite longuement. Je vois bien qu'il est submergé par une tornade de sentiment, qu'il essaie de maîtriser et d'enfouir au plus profond de lui. Il respire un bon coup, en observant sa tante et sa cousine, y déposer une rose rouge. Comme pour lui montrer le chemin, je prends un morceau de terre et vient le jeter sur le bois foncé du cercueil de Pénélope. Je reviens immédiatement aux côtés de Smith, et c'est à ce moment là, qu'il prend la peine de le faire lui aussi. Lorsque la terre heurte le fond, je vois de mes propres yeux, un bout de son coeur s'écraser avec et s'étaler sur les contours du lieu de repos de sa mère, à présent.

Cette fois, ce sont mes doigts qui capturent les siens et qu'ils ne les lâchent plus, quand il se positionne de nouveau près de moi.

— Merci, il chuchote. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi, Lucie.

Une larme, ma dernière, s'écroule sur nos deux mains. Smith relève les yeux vers moi, et j'arrive à lire dans son regard toute la peine immense que ressent son coeur en ce moment même. Cette peine est destinée à sa mère, mais j'aperçois un bout de celle-ci, qui m'est destinée. Je déteste le fait qu'il soit triste à cause de moi. Je déteste ma façon de l'avoir accusé pour toute cette histoire, alors qu'il était aussi perdu que moi. Il avait peur, tout comme moi.

Main dans la main, nous nous dirigeons vers sa cousine et sa tante pour discuter un peu. Je fais donc la connaissance de Audrey, une femme douce et très agréable à écouter parler. En l'observant attentivement en catimini, j'arrive à voir le même regard déterminé que celui de Pénélope, lorsqu'elle faisait face à Smith, à l'hôpital.

— Bon, Fanny, il faut qu'on rentre en Caroline du Nord, souffle Audrey.

Fanny fait la grimace tout en secouant la tête. Audrey embrasse promptement son filleul tout en lui souhaitant tout le bonheur du monde. Puis, elle vient me prendre dans ses bras, en me serrant assez fort pour que sa peine et son amour traversent mes pores.

— Prenez soin de lui, elle me chuchote.

Elle me sourit tristement, et je lui souris en retour. Audrey repart en direction de sa voiture, et vient le tour de Fanny, pour les au revoir. Je lâche Smith, pour qu'il puisse prendre sa cousine dans ses bras. J'observe la scène d'un oeil attentif et admiratif. Voilà longtemps que je n'ai pas vu mes cousins et cousines. Je dois dire que ça ne me manque pas tellement. C'est étrange de dire ça, mais nous n'avons jamais été très proches dans la famille.

— Je t'aime Samuel, ne l'oublie pas OK ? Écoute, je sais que les premiers jours, les premières semaines et les premiers mois, aussi, seront durs, mais tu es plus fort que tout cela. Tu es toujours le petit garçon courageux, doux et bourru qu'avant. Ne lâche rien, et bon vent à vous deux ! déclare Fanny, d'une voix vive d'émotion.

— J'étais heureux de te revoir, Fanny. Tu m'avais manqué ! s'exprime Smith.

— Toi aussi, Samuel. J'étais heureuse de te voir, même si j'aurai préféré te revoir dans d'autres circonstances ! Malheureusement, la vie est trop courte.

Fanny nous sourit tranquillement, avant de me prendre dans ses bras. Bizarrement, je n'ai pas ressenti le besoin de me rétracter ou de m'éloigner avec elle et sa mère. Sûrement parce que je ressens la douceur de leurs âmes, mais aussi la souffrance.

— Ça se voit, Lucie, me susurre Fanny.

Puis sans se retourner, me laissant en suspens, Fanny monte dans la voiture de sa mère et elles se mettent en route. Avec Smith, nous restons encore quelques minutes, devant la tombe de sa mère, seuls. Tous les gens de sa famille sont partis, sans dire un mot. Même son père. Il a déguerpit une fois que le prêtre a eu fini d'adresser les prières devant tout le monde. Je me demande s'il avait aussi mal que son fils à ce moment, je me demande s'il regrettait tout, en voyant sa femme morte, enterrée six pieds sous terre. En tout cas, son regard ne laissait rien paraître, si ce n'est qu'une simple froideur.

— Tu restes avec moi ? Smith brise le silence.

Je tourne la tête vers lui, après avoir lu les mots inscrits sur la tombe de Pénélope : « Une femme admirable, une mère formidable, un être qu'on ne pourra jamais vraiment oublié et à qui, on rêvera chaque nuit. A cette étoile qui brillera à jamais. »

— Bien sûr, je décide tout bas.

Nous regagnons sa voiture, toujours main dans la main. J'avoue que cette proximité m'est de plus en plus supportable. Smith a un pouvoir sur moi, qu'aucun autre homme n'a jamais eu sur moi. Même pas Alban. Je l'ai vu dès le premier jour où mon regard a croisé le sien. Je me sens tout de suite en sécurité près de lui, dans ses bras.

Après un trajet silencieux, Smith se gare devant son immeuble, et nous voilà dans son appartement. Une fois la porte fermée, je sens mon dos percuter celle-ci. Le souffle de Smith est court et lourd, et son corps est sur le mien. Soudain, il pose une de ses mains près de ma tête, à plat sur la porte, puis il attrape ma nuque par l'autre, avant de poser brutalement ses lèvres sur les miennes.

Le baiser est sauvage. Ses lèvres butinent les miennes, et sa langue vient les caresser. Pour me stabiliser, tandis qu'il presse son corps sur le mien de plus en plus ; j'attrape ses grandes épaules d'un bras. Je laisse mes doigts s'y enfoncer lorsqu'il titille l'intérieur de ma bouche et que nos dents s'entre-choquent. Le silence est remplacé par nos bruits de salive et par nos claquements de dents. Il a l'air affamé, et surtout en colère, perdu. Complètement à la dérive.

A bout de souffle, il pose son front sur le mien, et prend une grande inspiration en effleurant mes lèvres. Moi aussi, je respire tranquillement, au fur et à mesure que les battements de mon coeur se stabilisent. Smith laisse glisser sa main sur la porte, avant de la poser sur le bas de mon dos. Puis, il vient me chatouiller au niveau du cou, avec sa barbe qui est là depuis déjà quelques temps. Je sens soudain ses lèvres se promener sur ma veine. Ensuite vient son nez, et sa joue. Maintenant, c'est sa tête qui se repose entièrement dans le creux de mon cou. Le silence nous berce.

Je ne sais pas quoi dire, alors je laisse ma main entourée son cou, et ma tête se poser sur sa tête. J'ignore comment il fait pour tenir avec les genoux fléchis et la tête courbée. Parce qu'il est un peu plus grand que moi, et que cette fois, c'est moi qui pose mon menton sur le sommet de son crâne.

Au bout de quelques minutes dans cette position, plus ou moins confortable, je sens ses épaules trahir ses émotions par des petites secousses. Sa poitrine repousse la mienne, et ses bruits étouffés contre ma peau, s'imprègnent de moi. Il est en train de pleurer.

— Chut, Smith. Tu es en sécurité, je lui murmure tout bas.

Il ne bronche pas, il m'écoute. Ses pleures ne s'arrêtent pas, et je commence à avoir mal au dos. Je décide aussitôt de l'amener vers sa chambre parce qu'il ne va pas manger dans ces conditions. Une fois à l'intérieur de la pièce, je le laisse tomber doucement sur le lit. Smith obtempère, toujours en pleurant, et se déshabille. Pendant ce temps, je me lave les mains, tremblante de partout, les idées peu claires. Je sens que me laver les mains, ou les passer sous l'eau, va devenir un TOC lorsque je suis nerveuse. Génial !

Après m'être essuyée grossièrement les mains, je m'approche vers lui pour voir qu'il éponge les dernières traces de pleurs sur son visage. Smith fixe le plafond, les bras croisés sur son torse. Je reste quelques minutes, stoïque, ne sachant que faire, avant qu'un souvenir lointain se ravive dans ma mémoire. Un souvenir heureux, avant que ma mère ne devienne cette personne triste, aigrie parfois, et trop exigeante en ma personne.

Un sourire effleure mon visage et une idée me vient à l'esprit. Sans perdre de temps, de peur que je fasse machine arrière, j'enlève mon attelle pour la poser à terre. Mon épaule me fait mal, mais ça fait maintenant le deuxième jour que je la porte. Normalement, il en faut trois ou quatre, mais j'ai besoin de mes deux mains pour ce que je m'apprête à faire. Quand Smith entend les bruits des scratchs qui se défont, il tourne instantanément la tête vers moi, m'interrogeant du regard. Je ne dis rien, je m'approche un peu plus encore, jusqu'à escalader son lit.

Celui-ci me regarde attentivement remonter légèrement ma robe au dessus de mes hanches, et me positionner à califourchon sur lui. Il a l'air de ne pas comprendre ce que je m'apprête à faire, moi non plus je ne comprends pas pourquoi je ressens le besoin de le faire. Peut être parce qu'il fait partie des personnes que j'aime, des piliers dans ma vie, maintenant. C'est sans doute ça. Il a autant besoin de moi, que j'ai besoin de lui, pour guérir toute cette obscurité qui ronge nos cœurs et dévore nos âmes petit bout par petit bout.

Je me frotte les mains, et ferme les yeux en posant mes lèvres sur les siennes. Subitement, je sens le désir que ressent Smith, mais je choisis de l'ignorer. Le sexe est un bon remède pour oublier, pour effacer, mais pas maintenant. Pas après avoir eu une discussion aussi houleuse et émotionnel, pas après ce choc.

— Qu'est-ce que tu fais ? me questionne t-il, anxieux.

J'ouvre immédiatement les yeux pour déposer un léger baiser sur son front. A présent que je sais toute la vérité sur Alban et ses plans, je m'en veux plus que jamais. Mais j'en admire plus  Smith et le fait qu'il ait respecté mon choix tout en sachant les risques.

— Tu me fais confiance ?

— Tu connais la réponse, Lucie.

Je l'entends soupirer fortement, avant qu'il ne pose sa main sur ma joue et laisse son pousse caresser ma peau sensible. Je ne peux pas m'empêcher de sourire comme une idiote sous ses gestes doux.

— Lucie, je suis amoureux de toi.

Mon coeur s'arrête de battre et mon visage devient livide. Pendant un court instant, je crois rêver, mais au plus profond de moi-même, je sais qu'il s'agit bien de vraies paroles. Sauf que maintenant il est amoureux de moi, et non, en train de tomber amoureux de moi. Comment les choses ont-elles pu basculer si vite ?

Smith fronce les sourcils en me voyant silencieuse. Tout à coup, je sens sa main prendre la mienne, et la poser sur son coeur où des mots sont tatoués sur sa peau. Je me rappelle les avoir vu plusieurs fois, et je les trouve encore plus authentiques et vrais, chaque fois que je les vois à nouveau. C'est ce qui fait de lui quelqu'un d'entier. Après avoir effleuré de l'index ces mots gravés sur sa peau robuste, mes yeux s'arrêtent sur l'intérieur de son poignet, où une belle colombe prend son envol. Je l'ai déjà vu, une fois, et il est toujours aussi magnifique. On dirait que dans celui ci, se glisse une touche de féminité, tout comme la fleur tatouée sur son doigt. C'est tellement beau, que Smith est obligé de poser sa main sous mon menton pour que je le regarde dans les yeux.

— Mon coeur t'appartient et quelque soit ton choix, il sera à toi, pour toujours. Je le sais, maintenant.

Une vague d'émotion me submerge, mais ce n'est pas le moment. J'attrape ses mains pour les poser le long de son corps, et pose les miennes sur le milieu de son torse. Je commence à bouger, à masser cette partie sensible. Puis, mes yeux s'arrêtent sur un bleu qui prend forme le long de son flan. Je grimace automatiquement, avant de reprendre mon massage.

— Ma mère me massait souvent ici, quand j'allais mal ou que j'étais en colère. En fait, elle me canalisait et je l'en aimais davantage. Ces petits moments rien que nous deux me manquent maintenant, mais je me dis que ce n'est pas fini malgré tout. Un jour, même si elle meurt, elle sera toujours ici avec moi, et alors je sentirai ses mains aux creux de ma poitrine, bouger délicatement. A chaque fois que le poids de la vie sera trop dur à accepter sans elle, je sentirai ses doigts ici.

Smith pose ses doigts chauds sur chacune de mes cuisses, me regardant attentivement le masser. Je sens peu à peu ses muscles se décontracter. Il se calme et son pouls reprend un rythme normal.

— Tu es un ange, Lucie. Jamais personne ne s'était occupé aussi bien de moi. Les filles me criaient plutôt dessus et les gars me mettaient leurs poings dans la figure. Seulement, toi tu es là, et tu n'es pas eux, il me déclare tout bas.

Je garde le silence et une fois que j'ai fini, Smith me fait allonger sur lui, mes seins embrassant sa poitrine nue, et mes hanches se heurtant aux siennes, beaucoup plus impressionnantes. Il passe une main dans mes cheveux et la laisse dériver sur mon épaule blesser. Il dessine quelques dessins imaginaire, avant de me déposer sur le lit près de lui, allongée sur le ventre. Viens son tour de s'asseoir tendrement sur moi, et s'occuper de mon épaule, puis de ma hanche. Il a insisté et j'ai capitulé.

Les yeux dans les yeux, nous nous faisons face, en silence, depuis déjà une bonne demi-heure. Smith brise le silence, un quart d'heure plus tard.

— Je sais que mes mots sont puissants, que mes sentiments aussi, et que tu as peur, mais j'aimerai qu'on essaie.

Je fronce les sourcils, sentant mon coeur faire des bons dans ma cage thoracique et mon pouls s'emballer sous ma peau. Smith perçoit ma peur comme personne ne l'a jamais fait, à part peut être mon père. Ce qui me fait penser d'ailleurs, que je ne devrai pas tarder à lui envoyer un message au sujet de maman.

Smith descend de mes hanches, pour venir s'allonger près de moi. Il me ramène vers lui, avec l'aide d'un seul de ses bras autour de ma taille, de sorte que mon dos soit plaqué contre son torse et que mon cou soit à sa libre porté. Il en profite pour m'embrasser tendrement.

— J'aimerai vraiment qu'on essaie. Si ça ne marche pas, tant pis.

Je ferme les yeux, en respirant un bon coup. Il veut vraiment essayer de nous voir tout les deux, en couple ? Voilà une chose qui me fait un peu bizarre, mais pas plus que cela. Sûrement parce que c'est lui qui me le propose, et pas un autre.

— On ira doucement, Lucie. Comme tu es la quête de mon coeur, je dois pouvoir ressentir de libres sentiments pour toi. Et puis, on oubliera notre passé beaucoup plus vite en étant ensemble différemment. Vraiment ensemble.

Il est sincère et persuadé que toute  cette solution marchera. Hésitante, je repense aux paroles de Fanny, lorsqu'elle a dit que la vie est bien trop courte. Elle a raison. On ne sait jamais vraiment la date ou l'heure à laquelle on meurt. Il ne faut jamais laisser passer un moment dans votre vie, et si je refuse, s'est envisager un laisser passer.

Après quelques minutes, seulement, lorsque je suis prête à lui dire ma réponse, je sens le souffle régulier de Smith se répercuter sur ma peau et mes cheveux. Je me retourne lentement, avant de chuchoter tout bas à son oreille, pour être sûre qu'il entende mes mots en échos de ses rêves.

— Je fais plus que t'adorer Smith.

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Coucou tout le monde ! Je suis vraiment vraiment désolée pour mon retard de beaucoup de semaines sans poster ! Malheur à moi...

Maintenant, Lucie est au courant de toute la supercherie ! Voilà, je voulais qu'elle ne soit au courant que dans le tome 3, et s'il y a des petits couacs au niveau du tome 2 à ce sujet, je corrigerai ! :)

J'espère que vous allez bien et que ce chapitre vous a plu ! Dîtes moi tout !! J'attends vos commentaires avec impatience sur l'aveu de Smith et sa fameuse proposition. Qu'est-ce qu'il est mignon hein ? Oh, j'oubliais...fou amoureux aussi, on dirait bien ?

Je vous souhaite une bonne fin de week-end ! Bisous bisous !

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