10. SMITH

/!\ ATTENTION : CHAPITRE-AUX-MOUCHOIRS-ASSURÉS !!! Petite note : La chanson au milieu du chapitre est à lire au moment précis, elle va avec l'éloge de Smith ! Bonne lecture ! /!\

On y est. Ma mère nous dit au revoir en personne, pour la dernière fois, aujourd'hui. Durant les deux jours qui ont précédé celui-ci, j'ai préféré les passer en solitaire. J'ai lu et relu au moins vingt fois l'éloge funèbre que j'ai fait pour elle. Parfois, je me demande si ce n'est pas de trop, si quelques phrases ne sont mal tournées, ou autre chose. Heureusement, Lucas m'a aidé à peaufiner le tout. Il avait fait une éloge pour Tracy aussi, lorsqu'elle est morte. Il m'a donc donné quelques conseils, si on peut appeler cela comme ça, bien sûr. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens serein. Triste mais serein.

Frank m'a demandé de le rejoindre pour qu'on passe quelque temps avec le corps chez la société de pompes funèbres. J'ai accepté, mais je sens que mon coeur va butter sur le sol, avant de ramper de toutes ses forces pour continuer à se battre, lorsque mes yeux vont se poser sur son visage sans vie. J'aurai beau lui parler, elle ne me répondra jamais. J'aurai beau être près d'elle, elle ne sentira plus jamais ma présence.

En vérifiant minutieusement ma tenue, composée d'un trois pièces simples, sobre, noir ; je regarde une dernière fois mon profil dans le miroir en face de moi. Cette nuit, j'ai dormi sur la lettre qu'elle m'a écrite avant de mourir, sur ces mots qu'elle a couché sur le papier, sur les dernières paroles qu'elle a choisi de m'adresser. J'ai rêvé d'elle, d'ailleurs. Elle avait l'air heureuse dans mon rêve. Je crois qu'on avait la vie dont elle rêvait. Frank était là, en bon père et bon époux, et moi, je souriais enfin depuis des années. Une image idyllique de la famille que nous aurions pu être s'il n'avait pas tout foutu en l'air ce jour là. Je me demande souvent si le fait que j'ai frappé un gars de mon école, ce jour là, a déclenché quelque chose en lui. Peut être que si je n'avais pas riposté, il ne nous aurait pas agressé. Mais à présent, je sais que non. Rien n'aurait pu changer le cours du temps.

Je sors de ma salle de bain, et j'en profite pour prendre un verre d'eau et fumer une petite cigarette. Je dois être parti dans cinq minutes pour rejoindre mon père à neuf heure et demie. J'avale d'un trait le contenu de mon verre, si bien que le liquide me brûle presque la gorge. Je tire sur ma cigarette une dernière fois, puis j'enfile des chaussures dignes des plus grands événements. Des chaussures que je n'aurai jamais cru porter, que je n'aurai jamais voulu porter. En plus, elles me font mal aux pieds.

Une fois prêt et parfumé, je sors silencieusement la voiture pour me rendre chez la société sur laquelle Frank a choisi de placer la cérémonie et l'enterrement de ma mère. Je ne met pas la musique. Le trajet est calme et apaise quelque peu les battements vibrants de mon coeur, qui prend feu à chaque kilomètre que je traverse.

Juste avant de sortir de la voiture, je pose ma main sur ma poche intérieure où l'éloge se trouve. Puis, je claque méchamment ma portière avant de pousser une grande porte en verre. Lorsque j'entre à l'intérieur, je vois toute sorte de tombe, des nappes pour couvrir les morts, des bouquets de fleurs de différentes variétés et pleins d'autres trucs saugrenues. Je déteste cette endroit, je déteste ce qu'il se passe, je déteste la vie.

Respire Sam.

C'est comme si j'entendais ma mère me souffler ces mots à l'oreille. Elle le faisait souvent quand j'étais gamin et qu'il m'arrivait de faire de grosses crises de nerfs ou de colère. Elle me répétait ces deux mots, et parfois mes états d'âmes me passaient au dessus. Mais cette chance n'arrivait pas toujours, puisque je passais plus souvent mes mauvaises humeurs sur elle, que je ne l'embrassais.

Respire Sam.

J'avance en faisant un pas, puis deux, puis trois, jusqu'à ce que j'arrive enfin à dériver mon regard de toutes ces choses morbides. J'ai même du mal à croire que je suis dans un endroit aussi sinistre. Mais, il faut que je me fasse une raison. Elle n'est plus là et elle ne sera plus là. Sa mémoire perdura près de moi, mais plus jamais je ne pourrai entendre sa douce voix mêlée à des reproches ou à des mots d'amour. Plus jamais.

Respire, respire Sam.

Je l'entends encore me murmurer ces mots dans ma tête pendant quelques minutes, mais ils disparaissent subitement, lorsque Frank fait son entrée. Il sort de ma droite, suivi d'un homme d'affaire. C'est sûrement cet homme avec qui, il a tout prévu. Je le salue promptement d'un signe de tête, avant de les suivre sans un mot. L'homme qui supervise l'endroit nous amène dans une salle sombre, où mes yeux se posent aussitôt sur le cercueil déposé au milieu sur des tréteaux.

Gale, de son nom, m'explique que le cercueil de ma mère est fait en chêne massif, avec des arrêtes en or. Il me nomme de nombreux détails que mon père a rajouté, comme par exemple, une couverture en soie pour que ma mère est de quoi se réchauffer. D'ailleurs la couverture m'a fait rire jaune. La mort, c'est le froid, mais même avec une couverture, un mort ne peut pas se réchauffer. Un mort est un mort. Mais rien ne sert pour moi, de contredire les choix de mon père, même si je sais pertinemment que ma mère aurait voulu faire simple.

— La cérémonie à la petite Église a lieu dans une petite demie-heure. Je ferais savoir à tous, lorsqu'il faudra être prêt. Pour l'instant, nous allons vous laisser un petit moment, pour vous recueillir sans un monde fou. Profitez-bien. Veuillez recevoir mes sincères condoléances, messieurs.

— Merci, Gale, souffle mon père.

Je me contente juste de le remercier d'un simple hochement de tête, avant de m'avancer un peu. Des feuilles sont disposés autour du cercueil et une partie du couvercle est ouvert, de sorte qu'on puisse voir son visage. Frank est déjà à ses côtés, des larmes coulant sur ses joues. Il lui tient la main, précieusement. Je vois ses lèvres bougées, mais je suis trop loin pour entendre ce qu'il lui dit. Je préfère rester à l'écart pendant quelques minutes, le temps que je récupère. J'ai l'impression d'étouffer, et que quelqu'un m'enserre la gorge par derrière.

Respire, Sam. Respire, Sam.

Cette fois, c'est moi qui me répète ses mots, en boucle dans ma tête. Je ferme les yeux durant une seconde à peine, avant de jeter un petit coup d'oeil à la pendule. Il nous reste encore vingts minutes.

Clignement de paupière, goutte de sueur, stress, tremblements.

Je tire sur le col de ma chemise qui me serre le cou, alors que je sens le regard lourd de mon père, m'observer discrètement. Je grogne tout bas, en relevant la tête. Effectivement, il me scrute, mais cette fois, il ne s'en cache pas. En fait, depuis le début, il voulait que je le regarde. Mais pourquoi ? Qu'est-ce que je pourrai voir en lui, à part le visage de l'homme qui nous a pourri la vie ? L'homme qui l'a blessé ? L'homme qui l'a humilié en la frappant tout les soirs, et en critiquant tout ses faits et gestes ? Je ne pourrai jamais voir au delà de son attitude ignoble.

Pourtant, en creusant profondément, je vois du regret mélangé à de la culpabilité. J'espère bien qu'il culpabilise, parce qu'il a contribué à cette fin mauvaise, tragique et triste. Le cataclysme l'a fait tomber aussi, et dans sa chute, il lui a donné de la haine à revendre. Sur moi, bien sûr. Sur qui, il aurait pu déverser sa colère et sa tristesse ?

— Il te reste très peu de temps, sois rapide et intelligent cette fois. Même s'il est trop tard pour que tu te rattrapes, fais ton possible pour qu'elle ne regrette pas d'avoir eu un fils aussi ignoble autant que moi, il me balance, sèchement.

Je ne cille même pas, au lieu de cela j'avance jusqu'à me retrouver à quelques millimètres de lui. Autrefois je l'appelais Papa, mais maintenant, je ne l'appellerai plus. C'est comme s'il était mort à sa place.

Je fixe mon regard haineux dans le sien, dur, froid et calculateur. Sans ménagement, je le toise de la tête aux pieds, tout en fronçant les sourcils. Je sais que j'ai au moins une chose que je tiens de lui. Sa témérité. Mais aujourd'hui, c'est moi qui suis en avantage.

— Ma mère m'a toujours aimé. Je ne sais pas comment elle a réussi, mais elle l'a fait. Moi, je suis resté avec elle, alors que toi, tu te tapais une autre gonzesse. A sa place, je n'aurai jamais pu te pardonner, parce que tu n'es rien d'autre qu'une merde ! je tique, tout bas.

Il ouvre la bouche pour riposter, mais je le fais taire en posant mon doigt sur sa poitrine, tout en l'enfonçant progressivement. J'arrive à voir qu'il n'aime pas que j'ai autant d'emprise sur la situation. Mais avant qu'il parte loin d'ici, il se doit d'avoir une correction. Il m'en a tellement fait baver et rabâcher, que je peux me le permettre.

— Ne me dis pas que je n'ai pas le droit de te parler sur ce ton parce que tu es mon père, surtout ! Tu n'es pas mon père et tu ne seras jamais mon père ! Dire que tu nous as abandonné, tu nous as fait du mal, seulement parce que tu ne voulais pas de gosse ! C'est pathétique ! je rugis. Maman m'a raconté la vérité, et tu sais quoi ? Je te déteste toujours, si ce n'est plus, parce que même si tu ne rêvais pas de tout ça, tu l'aimais non ? Tu aurais dû rester avec elle, et faire passer ses rêves avant les tiens comme font les vrais hommes ! Tu aurais dû être là pour elle, au lieu de lui gueuler dessus ! Tu aurais dû m'aimer, parce que bon sang, je n'étais qu'un gamin !

Ma voix tremble et je craque devant cet être ignoble. Oui, j'aurai voulu qu'il m'aime autant que je l'aimais à l'époque. J'aurai voulu qu'il me raconte ce que c'est de tomber amoureux, comment draguer une fille, comment bien me comporter. Assister à des matchs de football Américain ou de Rugby avec lui, c'est tout ce que je demandais, mais il ne me pas laisser de chance.

Je m'écarte, tandis que je crois le voir tendre les bras vers moi pour me serrer dans ses bras. Mais je dois rêver. Il se dirige vers la sortie, en me fusillant du regard.

— Tu n'as pas le droit de me dire de telles choses, tu ne sais même pas ce qu'est l'amour, il rit amèrement. Tu ne sais même pas ce qu'est la vraie souffrance, fils.

Puis, il claque la porte, pendant que j'éclate mon poing contre le mur, en criant aussi fort que je peux. J'étouffe ma colère et ma peine immense, en mordant dans mon autre poing, de toutes mes forces. Je connais parfaitement ce que la souffrance provoque, amène, et veut dire. C'est à cause de lui, que je la connais aussi bien, qu'elle est devenue mon amie pendant ces nombreuses années.

Mes yeux se reportent soudain sur ma mère, qui repose tranquillement dans son cercueil. Je me rapproche, les mains tremblantes. Je refuse de la toucher, cependant, je me penche sur elle pour l'embrasser sur le front. Pour certains, ce geste peut paraître étrange, mais c'est la seule chose que j'ai trouvé pour me calmer.

— Pardonne-moi, maman. Pardonne-moi. Je suis tellement désolé, tellement. Je me hais ! Je les hais tous, même toi ! Tu m'as abandonné comme lui ! Tu ne vaux pas mieux ! Je te déteste ! Pourquoi tu me fais si mal alors que tu es censée m'aimer de toutes tes forces ! je pleure sans en finir.

Je donne quelques poings et quelques coups de pieds dans le vide, avant de me rendre compte de mes paroles. Exactement. Un fils indigne d'elle, ignoble. Immédiatement, je m'accroupis en m'accrochant désespéramment au bord de ce foutu cercueil en chêne massif, et je laisse mes larmes couler librement.

— Excuse-moi. Putain, je voulais pas dire ça, maman. Il faut que tu me crois, je t'aime comme un dingue. Je t'aime, je t'aime, je t'aime, je murmure tout bas.

La porte s'ouvre instantanément sur Gale, l'air impassible. Je me fige, embarrassé, tout en séchant les larmes sur mes joues. J'essaie d'enlever les traces, de les gommer.

— C'est l'heure. Votre père vous attend, ainsi que l'équipe de croque-morts, me déclare t-il, doucement.

Je hoche la tête avant de renifler si fort, que j'en ai mal. Des hommes vêtus de sombres, comme moi, transportent le cercueil de ma mère vers une grande voiture. Frank est déjà monté dans la sienne, prêt à les suivre jusqu'à l'église. Moi, il me faut une minute pour respirer l'air frais et arrêter les voix qui trottent dans ma tête. Les voix de la souffrance.

Après quelques minutes à souffler, je grimpe dans ma voiture et c'est là que s'engage la route jusqu'au lieu sacré. Le trajet est long et plein de rancœur et de colère non évacuée, en ce qui me concerne. C'est drôle, mais de l'intérieur, je suis dévasté, découpé en plusieurs pièces. De l'extérieur, je ne ressens rien. Rien du tout. Comme si pendant un court instant, j'étais mort moi aussi.

Nous arrivons enfin à la destination finale. Des hommes ouvrent les grandes portes de l'église, tandis que d'autres transportent ma mère. Avec Frank, nous suivons le pas, éloigné l'un de l'autre. Pas un regard, ni un coup de tête. Mes yeux sont rivés sur le cercueil qu'ils transportent et l'importance de ce qu'il y a dedans. Du coin de l'oeil, alors que je pénètre enfin à l'intérieur de cet endroit que j'ai toujours trouvé froid et austère, je remarque au dernier rang, mes amis, Lucie et George. Je vois leurs mains liées et leurs regards postés sur moi. Cependant, je refuse de leur adresser un regard. Je suis toujours, silencieux.

Ils posent le cercueil près de l'autel, au milieu, pour que tous le monde puissent la voir. Puis, le prêtre nous pris de bien vouloir nous asseoir au premier rang. Je reconnais de l'autre côté, la soeur de ma mère, Audrey et ma cousine, Fanny. La voir me fait drôle, mais je dois dire que cela apporte une pointe de joie à mon coeur. Elle n'a pas changé d'un poil, on dirait. Toujours aussi innocente et jolie femme. Pendant un bref instant, ses yeux s'attardent également sur les miens, et elle esquisse un sourire capable de réparer les cœurs en une poussée. Je lui souris faiblement en retour, avant que le prêtre reprenne la parole. Il nous explique le plus brièvement possible, que la cérémonie va se dérouler en quatre étapes. La première se fait appeler "Le temps de l'accueil".

Je me lève aussitôt, lorsqu'il appelle la personne responsable de l'éloge funèbre. C'est à moi de commencer cette longue matinée, triste et douloureuse. C'est presque poignardant, je dirais. Dans un pas assuré, je me dirige vers l'estrade où un micro est placé devant moi. Je sens mon pouls battre jusque dans l'extrémité de mes doigts, dû à l'angoisse, mais je tiens bon. Je fais un rapide tour de l'assemblée, et j'aperçois Léna me sourire sincèrement. Je vois dans ses yeux quelque chose de commun auquel je me raccroche. Lucie lui tient la main, visiblement submergée par le poids de l'émotion. Mais George s'occupe de la retenir, avec son visage impassible. J'esquisse un maigre sourire, avant de prendre le papier sur lequel j'ai retracé les meilleurs qualités de ma mère, sa vie difficile et mes sentiments.

Je le déplie et juste avant de me lancer dans ma lecture, je me racle nerveusement la gorge. Le silence me pétrifie. Je sens encore et encore le regard insistant de Frank sur moi, qui lui, aimerait me voir échoué comme toujours. Je ne lui donnerai malheureusement pas cette joie là.

— Ma mère, Pénélope, a déjà commencé son existence en tant que femme, puis en tant qu'épouse et ensuite en tant que mère. Une femme forte et charismatique. Tout le monde disaient d'elle, qu'elle représentait comme un phare pour les âmes brisées. Je pense que toutes ces personnes avaient raison. Ma mère était comme un phare pour un bateau en pleine nuit, une lumière au bout d'un long tunnel. A elle aussi, son âme était brisée, et lorsque j'étais enfant, je me souviens qu'elle m'ait dit que son phare à elle, son point d'encrage dans sa vie bien remplie, c'était moi. Moi, je n'y ai jamais cru, parce que je n'ai pas honte de le dire, j'étais un enfant turbulent, solitaire et très froid. Je ne lui ai pas dit suffisamment "je t'aime" et je le regrette à chaque seconde, à chaque battements de mon coeur, à chacune de mes respirations. Mais je le dis haut et fort, je t'aime maman, je t'aime plus que tout au monde. Oui, j'ai été un de ces enfants qui trouvaient ces mots durs et idiots, mais maintenant, je réalise à quel point ils étaient important pour elle. Elle a manqué d'amour, de câlin, et de retour. Sa gentillesse était à l'égal même d'une caresse d'automne et sa voix était comme une brise d'été. Douce et sans accrochages, je souffle tout bas.

Pendant cette courte pause, je vois les visages s'attendrir et les regards m'apporter du courage. Alors, je continue dans ma lancée, tout en projetant le beau visage de ma mère devant mes yeux.

— J'aimais qu'elle me parle lorsque j'étais gamin. Je l'aimais comme un dingue, mais une bonne chose est toujours suivit par quelque chose de mauvais. Notre vie était faite de haut et de bas, mais elle n'a jamais baissé les bras. Elle s'est occupée de moi. Au fur à mesure que nous sombrions dans une spirale infernale, j'ai commencé à m'éloigner, et dès que le cancer s'est approché pour la garder auprès de lui, je me suis rapproché d'elle. Je sais, c'est horrible de se dire que son seul et unique enfant vous a repoussé pendant tellement d'année et que grâce ou à cause d'heures sombres, celui s'est à nouveau accroché à vous comme à une bouée de sauvetage. C'est pourtant ce qui m'est arrivé. Maintenant que je sais toute la vérité maman, je regrette amèrement mes choix. A un moment, j'ai cru qu'il était parti à cause de toi, à cause de moi, de nous. Mais c'est la meilleure chose qu'il ait pu faire pour nous. La meilleure d'entre toutes. Nous n'avions pas besoin de lui dans nos vies. Te voir malheureuse à cause de lui m'a fait mal, m'a arraché à moi même. Tu l'aimais et tu disais qu'il t'aimait, mais je n'en crois pas un mot. Tu sais pourquoi ?

Cette fois, je ne regarde que mon père. Je fige mon regard dans le sien, qui tourne lentement à la déception, à la tristesse. Mais je n'en crois pas un traître instant. Je crois chacune de mes paroles que je viens de déclarer et celles qui viendront également.

— Parce qu'il n'aurait pas pu t'abandonner s'il t'aimait vraiment, il n'aurait jamais pu lever la main sur toi, tout en te regardant droit dans les yeux. Non, il n'aurait jamais pu, parce qu'aimer quelqu'un c'est d'abord le respecter. Je l'ai appris avec toi, maman. J'ai tout appris avec toi, maman, sans même le savoir, sans même savoir te le dire. Sans même savoir te remercier au bon moment. Oui, je suis un fils indigne, mais tu sais, il nous reste encore l'éternité pour nous pardonner nos erreurs. Je sais que là où tu es, la vie est meilleure, en tout cas je l'espère. Je l'espère parce que tu mérites bien plus que ce tu as eu à subir dans cette vie. Maintenant, le bonheur t'ouvre les bras. Je peux te faire une promesse, maman. Lorsque je te rejoindrais pour ce monde pleins de moments paisibles, jamais je ne te laisserai tomber, je te dirais chaque jour à quel point tu es belle, tu rayonnes, à quel point je t'aime. Je te promets de recommencer. Recommencer la vie dont tu as toujours rêvé, tout recommencer. Promis.

Je lève les yeux sur le plafond de cette église, comme si je voyais son beau visage s'y dessiner, et je souris.

— Je vois déjà ton sourire illuminer les cœurs, et ta douce voix apaiser les âmes en peines. Parce que tu as toujours été ainsi et que tu le seras toujours. Ils ont bien de la chance de t'avoir là haut, je ris, sincère dans mes paroles. Une dernière chose maman, tu me manques. C'est affreux. Je t'en veux d'être partie sans m'avoir appris pleins d'autres choses. Mais je te comprends enfin. Te libérer de tes chaînes, des démons de ton passé, c'est la meilleure façon d'être en paix. Je me répète encore, mais tu le mérites maman. Plus que quiconque. Je t'aime jusqu'aux étoiles brillantes dans le ciel, jusqu'à ton beau sourire et jusqu'à ton amour. Pars, maintenant et profite.

Les larmes veulent se disperser hors de mes joues, mais je ne leur laisse pas le choix. Je referme mon papier et le remet soigneusement dans ma poche intérieure. Puis, je regarde à nouveaux toutes les personnes qui sont venues, dont je ne connais même pas le trois quart, et je leurs souris. Ma mère aurait voulu que je souris comme ceci.

— Et bien sûr que je t'appellerai tous les jours, et de nuit aussi s'il le faut, je ne veux pas que tu te fasse du souci. Maintenant tout vas aller mieux maman, parce que ma vie prend forme comme je le voulais. J'ai des amis qui seront toujours là quand nous auront quatre-vingt ans pour plaisanter, et je l'ai elle.

Je pose mes yeux sur Lucie, qui elle aussi, a les yeux rivés sur moi. Je vois à quel point, elle est fière de moi à ce moment là et c'est tout ce que je demande. Brusquement, mon corps ressent le besoin de se perdre en elle. Je réprime mon envie, en lui souriant sereinement. Elle me répond, en souriant radieusement, à tel point qu'elle illumine tout mon monde à ce moment là.

Je fais plus que t'adorer, Lucie. Cette phrase passe en boucle dans ma tête, tandis que je tente de reprendre mes esprits.

— Oui, je n'ai pas fini de m'élever, de grandir. Mais, m'appelleras-tu, toi ? J'espère bien, parce que je veux tout savoir. Moi aussi, je ne peux pas vivre sans toi, maman. Mais aujourd'hui, nous pouvons faire au moins une chose, tout les deux. Dormir en paix.

Je retiens mon souffle encore quelques secondes, avant de remercier tout le monde. A l'unanimité, les gens ont l'air conquis, de part leurs sourires sincères et leurs salues. Je garde le silence en adressant un geste amical au prêtre. Viens ensuite, la chanson que ma mère a choisi. Elle est originale et très waouh. Ma mère avait raison, et le message qu'elle me fait passer à travers restera graver dans ma mémoire pour toujours. Je n'étais pas censé l'écouter avant tout le monde, avant ce jour, mais je n'ai pas pu m'empêcher, et j'ai bien fait finalement. Parce que lorsqu'il démarre la chanson, je peux profiter pleinement des paroles en fermant les yeux. Par contre, les larmes me contrôlent cette fois. Je les laisse prendre le dessus cette fois.

Certaines personnes présentes posent des cierges autour de la tombe de ma mère. J'arrive à voir — difficilement — la silhouette de Lucie sur le devant avec une bougie en main. Ses lèvres bougent mais je n'entends rien. Je me lève immédiatement pour la rejoindre et allumer moi-même une bougie pour ma mère. Pendant un léger instant, Lucie effleure ma main de la sienne, en me regardant droit dans les yeux. Elle reprend sa place aussitôt.

Viennent ensuite les trois autres étapes, le temps de la parole, le temps des prières et le temps de l'A Dieu. Tout se déroule dans un silence mortel. Le prêtre prend la parole plusieurs fois, notamment pour appeler certaines personnes proches de ma mère pour lire un extrait du Nouveau Testament, comme ma tante, par exemple. Ensuite vient le tour de Fanny qui chante un psaume. Le prêtre nous explique qu'il s'agit d'un poème composé de plusieurs versets qui comprend les quatre genres littéraires principaux. La voix d'ange de ma cousine me berce vers un monde meilleur pendant quelques minutes. Puis la fin arrive. C'est à cet instant que le prêtre reprend les rênes en s'installant sur l'estrade la plus haute. Il nous surplombe de sa hauteur, et nous regarde, nous, fils et filles de Dieu ; comme le simple commun des mortels, rien de plus, alors qu'il est maître de notre destin pour plusieurs dans l'assemblée, ici-même. Même si je ne crois pas en la religion, maintenant, je me sens aussi petit qu'un enfant, face à cette figure.

Un passage de l'évangile nous est lu, puis suit un passage de l'homélie, qui correspond aussi à un poème. Après, le prêtre passe au temps des prières. Je sens mon coeur se recroqueviller sur lui-même pour essayer de se protéger tout en s'échappant loin d'ici. Il se resserre, puis se resserre.

Subitement, je regarde Frank se lever pendant que des enfants de coeur nous donnent à chacun un papier où plusieurs prières universelles sont classées. Arrive le temps où il récite ces mots qui s'impriment en chacun de nous. Le refrain est reprit par tous, nous chantons en union pour ma mère. Le froid devient du chaud en claquement de doigt. Le prêtre donne de sa grosse voix avec nous, et commence l'eucharistie ainsi que le Notre Père. Le silence règne tandis que sa voix, chacune de ses vibrations, chacune de ses respirations présentes dans sa prière, s'imprègnent sur notre peau. Une fois qu'il a fini, il nous fait signe de nous lever.

— Amen, nous déclarons ensemble, d'une même voix.

— A présent, il est temps de dire adieu à Pénélope, fille de Dieu, mes enfants.

Il lève les mains haut vers le ciel, et nous invite à dire au revoir à ma mère. Avant que le tour de personne ne commence, Audrey souhaite livrer un message à sa sœur. Je vois les larmes maculer son beau visage et la tristesse l'affaiblir. Je déglutis difficilement en détournant le regard. Ma tante nous explique à tous qu'il s'agit d'une comptine qu'elles chantaient toutes les deux étant jeunes. Elle chante, elle chante à tue-tête en combattant la douleur qui s'incruste en elle. C'est la dernière de la famille avec sa fille. Les parents de ma mère, et les siens donc, sont décédés de vieillesse, il y a deux ans à peine.

Une fois qu'elle a fini, vient le tour du roulement. La famille la plus proche — moi, Frank, ma cousine, ma tante et quelques autres personnes — finissent par fermer cette boucle infernale. Je pose ma main tremblante sur le cercueil en la regardant une dernière fois, l'air paisible, avant de repartir sans jamais me retourner. Les gens nous prient d'accepter leurs sincères condoléances ainsi que leurs amitiés. Frank les remercier avec peine, tandis que je serre machinalement les poignées de main qu'on m'offre ou les embrassades. Je suis en mode automatique, vide.

— N'oublie pas d'être à l'heure pour l'enterrement, me rappelle Frank avant de partir.

Il part loin, avant de se retourner vers moi, encore une fois, un faux sourire sur les lèvres et un regard mauvais.

— J'espère que tu es fier de toi, Samuel. Tu as de quoi, tu sais. Mais s'attaquer aussi grossièrement à moi, c'est une grosse erreur que tu fais. Une erreur de débutant, de mauviette, qui signe le début de la fin. Pas la mienne, la tienne.

Pathétique.

Je ferme les yeux pour réfléchir, pour respirer, pour trouver ma lumière. Heureusement elle arrive très vite lorsque j'aperçois mes amis s'approcher. C'est à ce moment là que Jacky vient me prendre dans ses bras et me serrer aussi fort qu'il le peut.

— Tu as raison, ta mère est un ange, et elle est là où elle doit être. Sois fort mon garçon, il me chuchote.

Puis, je le vois rejoindre sa voiture pour déguerpir aussi vite qu'il est arrivé ici.

— Nous sommes terriblement désolés, Smith, s'avance George.

J'esquisse un pauvre sourire, en plantant mes mains dans mes poches.

— Terriblement désolé, Sam, renchérit Léna.

Je ne sais pas quoi vous dire...

— Ouais, merci. Je vais rentrer, j'ai besoin d'être seul.

Je commence à marcher vers ma voiture, et personne ne m'en empêche. Une fois à mon appartement, je claque la porte sans la refermer, je n'y pense pas. J'ai la tête en vrac et les larmes n'y arrangent rien. C'est la dernière fois que je voyais son visage.

Son beau visage.

J'enlève un à un mes vêtements pour me précipiter sous la douche. L'eau froid guérit ma peau meurtrie par cette journée horrible. Je ne me sens pas mieux, mais je peux respirer au moins. Respirer en paix. Je pose instinctivement mes mains à plat contre le mur qui me fait face, pendant que l'eau coule sur mes cheveux et dégouline sur mes épaules, le long de mes muscles douloureux.

Lentement, je sens un corps se coller contre le mien, dans mon dos. Au début, je crois rêver, mais les lèvres qui se posent sur mon omoplate me font revenir sur Terre. En pivotant un peu, j'arrive à voir les cheveux blonds de Lucie, et son sourire timide. Je me retourne complètement vers elle, en regardant ses vêtements pleins d'eau et ses cheveux prenant une couleur châtain, collés contre sa peau, ses joues, son cou. Elle est tellement belle.

Je souffle fortement, avant de passer une de mes mains derrière sa nuque, pour coller mon front contre le sien. L'envie que mon corps avait du sien durant la cérémonie, explose autour de moi. J'éprouve un immense besoin d'elle près de moi. Alors que je la respire toute entière, Lucie pose ses mains sur mes bras en faisant glisser le bout de ses doigts sur mes biceps et sur mes épaules, auxquelles elle finit par s'accrocher. Mon autre main vient agripper le bas de son dos nous unissant l'un à l'autre.

— Tu veux bien me demander de t'embrasser encore une fois, comme l'autre soir ?

A présent, tout ce que j'espère c'est qu'elle me dise oui, pour que je me sente moi à nouveau.

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Coucou !! Voici le chapitre-aux-mourchoirs-assurés ! Alors comment vous l'avez trouvé mes cocos ? J'espère que vous avez aimé malgré la très très légère — même plutôt grosse — partie mélancolique et pleures ? Dîtes moi tout ! En tout cas, j'ai essayé de faire ce chapitre assez détaillé pour que les choses paraissent réelles et que vous puissiez facilement les visualiser comme il se doit. En plus, il s'agit d'un personnage quand même très très très important pour Smith, personnage principale, donc, je me devais de rendre hommage à Pénélope comme il se doit. Comment avez-vous trouvé le message de Smith pour sa mère ?

Je vous dis à bientôt pour un nouveau chapitre ! ET surtout, profitez de votre week-end !

Je vous embrasse fort !

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