Chapitre 9 (*)

Smith

La douleur s'accroît toujours un peu plus dans mon estomac, lorsque j'essaie de bouger. Donc, je reste immobile, tandis que Paul prend la main de Carter et la lève vers le haut, afin de le nommer gagnant du combat. Je grogne intérieurement en regardant ce fils de pute, sourire malicieusement. En figeant mes yeux dans les siens, noirs de haine, quelque chose attire mon attention. Il regarde ailleurs et plus précisément derrière moi. Curieux, malgré la douleur qui me paralyse au sol, j'essaie de me retourner. J'arrive à voir la chevelure blonde de Lucie. Je serre les dents. Tout de suite, j'entrevois son visage, livide. Elle observe attentivement Carter, la peur crispant chacun des muscles de son visage. La colère monte en moi, comme une flèche qui m'aurait transpercé le cœur. Je laisse l'adrénaline envahir chacune de mes veines et de mes artères, passant outre ma douleur à l'estomac et au menton.

Je résiste. Je me relève avec difficulté, avant de faire face à Carter. Je lui cracherais bien à la gueule, mais ça serait s'abaisser au niveau d'un connard. À son niveau. Je n'ai aucune envie qu'on m'associe à lui.

— Bah alors Smith, on a perdu, débite-t-il, comme s'il s'adressait à un môme.

Je serre les poings, me retenant de lui donner un autre uppercut dans le visage. Pourtant, il en aurait bien besoin, pour effacer son sourire ignoble et sa victoire qu'il croit déjà acquise.

Brutalement, Carter se met à rire fièrement. Il arrache la ceinture du gagnant des mains de mon ami. Paul souffle un bon coup, avant de descendre du ring, pendant que moi, je réfléchis à plusieurs idées de meurtres. Et j'en ai pleins. Mon imagination parle d'elle-même.

Carter s'avance vers moi, et la foule devient silencieuse. Il plante un doigt sur mon torse transpirant, désireux de me faire peur. Sauf que j'ai tout sauf peur. La rage brûle en moi.

— Je t'ai épargné pour cette fois, mais au bout des cinq combats, je te tuerais Smith ! crache-t-il. Comme ton vieil ami.

Je serre les poings, une grande envie de le mettre à terre pour avoir dit une telle chose. Grâce à une force surhumaine que je ne me connaissais pas, je reste silencieux, le laissant partir vers son vestiaire. La vengeance me ronge toujours un peu plus. Surtout, quand mes yeux percutent son visage de meurtrier.

Je descends finalement du ring, les muscles tremblants. En passant ma langue sur mes lèvres abîmées, je goûte au goût amer de mon sang. Un frisson coule immédiatement le long de mon dos. Je profite de ce moment, pour jeter un coup d'œil à mon épaule, qui elle aussi, est maculée de sang.

Comme possédé par un vieux réflexe, je passe mon pouce sur mon buste, pour avoir une vue d'ensemble sur mon tatouage. À chaque fin de combat, j'ai l'habitude de le regarder pour me rappeler pourquoi je fais tout ça.

— Tu as besoin que j'appelle Monique ?

Paul m'interroge avec son regard, un sourcil relevé.

— Non, je vais bien.

Je fais demi-tour, lorsque j'entends Lucie souffler derrière moi. Aussitôt, je me retourne d'un coup sec, pour lui envoyer un regard noir. Elle reste impassible et passe devant moi, afin de se réfugier dans les vestiaires. Juste avant que j'y rentre à mon tour, Paul me tape gentiment sur l'épaule.

— Ne sois pas trop dur avec elle, mon pote.

Si elle ne veut pas que je m'emporte, alors mieux vaut ne pas me parler. J'ai une légère tendance à être énervé après mes combats, quel que soit le verdict. De plus, ce soir, je suis consumée et c'est aussi à cause de son regard qui a vrillé vers Carter contre mes indications, mais je préfère ne pas y penser.

Je souffle un bon coup, avant de rentrer dans la salle. Lorsque je referme la porte, je vois Lucie assise sur un des bancs, avec mes affaires à côtés d'elle. Je m'approche doucement, afin de prendre mes habits propres. Sans perdre de temps, je pars prendre une douche pour enlever tout ce sang et cette crasse. Mon ventre me fait un mal de chien à cause de cette grosse coupure que m'a fait Carter, avec son coup de pied. Il ne m'a pas raté, l'enfoiré !

Sous la douche, je pose mes mains à plat devant moi, laissant l'eau couler sur ma chevelure et dans mon dos. Je frotte fort, nettoie mes plaies et m'essuie.

Une fois que j'ai fini, je m'habille sans déranger Lucie. Elle, qui parle tout le temps d'habitude, n'a pas sorti un mot cette fois-ci. J'espère qu'elle n'a pas entendu de rumeur à son sujet, qui va la faire pleurer à chaudes larmes. Je ne suis pas d'humeur à la consoler, ce soir.

Peut-être n'est-elle pas rassurée à l'idée que j'ai perdu ce combat ?

— Je veux partir d'ici, Smith.

Sa voix n'est qu'un murmure, à peine audible.

Je la rejoins à l'instant, pour voir que son regard est vide de toutes émotions et que ses bras qui recouvrent son buste, tremblent comme des feuilles en plein vent. C'est drôle, mais cette fois, je n'ai pas envie de lui crier dessus comme le premier soir de notre rencontre. Elle sait m'attendrir comme personne. J'annule mes précédentes pensées, je n'ai qu'une seule envie en fait : la consoler.

— Je ne veux plus revenir ici, en fait.

Elle a toujours la tête baissée sur ses pieds. Un maigre sourire se dessine sur mes lèvres, tandis que je referme mon sac de sport.

— On s'arrache alors !

Elle reste plantée là, le corps las. J'hésite un instant à m'approcher d'elle pour la soulever. Je me ravise au dernier moment. Tout à l'heure lorsqu'elle a fait sa crise, j'ai cru au pire. Je ne préfère pas tenter le coup une deuxième fois.

Après avoir repris mon souffle, je pose délicatement ma main sur la sienne, puis j'attends quelques secondes pour avoir une réaction de sa part. Mais non, il ne se passe rien. Alors, je glisse mes doigts entre les siens, le froid m'envahissant tout à coup. Gagné. Lucie lève la tête vers moi, et fige son regard au plus profond du mien.

S'ils l'ont choisi par pur désir de la rendre barjo, ça commence déjà. Au fond de ses iris clairs, je vois la peur prendre le dessus.

— Viens avec moi, je murmure.

Elle hoche la tête, en se levant. Je prends mes affaires, et nous quittons enfin cet endroit qui donne la chair de poule. Je vois Paul, au loin, discuter avec le propriétaire de ce bâtiment. Je ne serais pas fier d'avoir ce genre de truc à payer. Surtout que ce qui se passe là-dessous, est illégal. Le jour où les flics débarqueront, le carnage ne sera pas loin et les barreaux non plus.

— Tu vas réussir à conduire ?

Au fond de moi, je rigole.

— N'y pense même pas !

Comment a-t-elle pu penser ça une seconde ? Je ne suis pas inapte à la conduite, je fais ça tous les soirs de combat, quelle que soit la gravité de mes blessures. Lucie me regarde, bouche bée, avant de s'asseoir dans la voiture. Elle doit me prendre pour un sacré macho. Tant pis, je n'ai rien à prouver.

Le silence est à son comble dans l'habitacle. Lorsque je m'arrête à un feu rouge, je me sens mal à l'aise. J'ai envie de lui parler de mon combat, mais en même temps, je veux la préserver. Je me sens bizarre ce soir.

C'est elle qui brise le silence.

— Pourquoi tu n'as pas voulu des soins de cette Monique ?

Sa voix est douce et délicate, mais elle sonne sur le ton des reproches. Je me retourne vers elle, pour essayer de la regarder, mais le feu passe au vert. Je redémarre en soufflant un bon coup. Je n'ai jamais accepté les soins de Monique. Cette femme s'occupe habituellement des combattants après le gong qui sonne la fin. Moi, j'ai l'habitude de ressentir la douleur, et même si c'est glauque de dire une telle chose, j'aime la ressentir au fond de moi.

Quelque part, ça me plaît que Lucie s'inquiète pour moi. Mais il s'agit d'une toute petite part de moi.

— J'en ai pas besoin.

Elle croise les bras, remontant sa poitrine vers le haut.

— Franchement Smith, tu saignes beaucoup, mais tu ne veux pas te faire soigner ! Tu trouves ça logique, toi ?

Je rapplique aussitôt, un tantinet énervé de me faire remettre à ma place.

— Parce que t'es logique toi ?

Les reproches ne font que raviver ma colère d'avoir perdu contre ce salaud de Carter, qui ne cessera jamais de vouloir me ratatiner. Et puis d'ailleurs, pourquoi elle s'occupe de ça ? Ce ne sont pas ses oignons. Je ne lui ai encore jamais rien demandé sur elle, ou presque.

— Occupe-toi de tes affaires, OK ?

Pourquoi elle a enchaîné sur cette conversation, je me sens ronchon maintenant. Je n'ai aucun remords à la blesser dans cette période-là.

— Tu ne crois pas que ce sont mes affaires à moi aussi ?

Elle l'aura cherché. Qu'est-ce qui lui arrive bon sang ? Une minute plus tôt, elle était éteinte, effacée, et maintenant elle veut la jouer emmerdeuse. Si elle continue sur cette voie-là, je vais vraiment péter un câble. Et peu importe les conséquences.

— Je ne crois pas, non. C'est toi qui te bats, pour essayer de sauver une emmerdeuse de première classe ? Non, bon sang ! Non !

Je l'entends soupirer fortement, avant de poser sa tête sur la vitre de la portière. La fin du trajet se fait en silence, laissant une tension entre elle et moi, bien présente. Lorsque j'arrête la voiture devant mon immeuble, Lucie sort précipitamment sans demander son reste, et se dirige vers le hall. Je ne fais pas attention, et laisse la colère m'envahir peu à peu. Je tape même sur mon volant, faisant éclater les cloques que j'ai sur la main, par la même occasion. Merde...

Après quelques secondes de réflexion, je descends de ma bagnole pour rejoindre Lucie, qui m'attend devant l'ascenseur. Elle appuie soudainement sur le bouton, sans dire un mot. Je n'utilise jamais cet ascenseur de malade, ayant toujours cette peur qu'il s'arrête, mais comme Madame Lucie l'Emmerdeuse l'a décidé, j'y suis obligé.

Les portes s'ouvrent, nous laissant l'entrée libre. Mon pouls commence à augmenter la cadence, mais j'essaie de rester calme. Je me tempère en serrant bien la mâchoire. Lucie, elle, a tout fait l'air sereine. Ou alors, elle cache bien son jeu.

— Tu es sûr que tu ne veux pas que je te soigne ? Parce que tu vas dégueulasser tous tes draps.

Elle m'impressionnera toujours, à se mêler des affaires des autres. Mais elle a raison dans un sens, j'aurais plus qu'à jeter mes draps avec tout le sang qui va se répandre dessus, si je me couche dans mon lit sans m'être soigné. Puisque j'ai beau frotter et nettoyer, je pisse toujours autant le sang.

Déjà, ma veste que j'ai enfilée avant de partir, pour éviter de me faire choper, est fichue.

— J'ai pas besoin de ton aide, mais merci pour la petite précision, je lance froidement.

— Tu es toujours comme ça, en fait ?

Je me tourne vers elle, en fronçant les sourcils. Que veut-elle dire par ces mots ? Lucie avale difficilement sa salive, avant de se tourner elle-même vers moi, une grimace sur le visage. Mes yeux doivent lancer des éclairs, parce qu'elle paraît soudainement toute petite.

— Désagréable.

— Et toi, tu ne l'es pas peut-être ?

— Pas plus que toi.

Elle rit à ses mots. La tension redescend d'un cran.

Je l'observe discrètement rigoler. J'adore la façon dont son petit nez se retrousse et la forme que prennent ses yeux. On dirait encore une enfant, alors qu'elle doit avoir à peu près mon âge. Enfin, j'en sais rien après tout. Nous n'avons pas parlé de nos vies privées. Je sais juste qu'elle fait des études de psychologie, c'est tout. Et qu'elle pratiquait l'athlétisme.

— On fait la paix ?

Elle me tend sa main. Je l'observe dans les moindres détails, essayant de comprendre ce brusque changement de situation. Se moque-t-elle encore de moi ou est-elle sérieuse ? Apparemment, elle a l'air sérieux.

Qu'est-ce que je disais déjà ? Elle m'impressionnera toujours.

— C'est d'accord, mais à une condition !

J'avance ma main vers la sienne. Lucie se mord la lèvre inférieure pendant quelques secondes, les yeux vissés aux miens. Jamais je ne l'avais trouvé aussi belle et aussi sexy, dans cette pénombre. Ses yeux brillent et sa peau aussi. J'aurais presque envie de...

Rien. Je ne pense à rien en particulier.

Suis-je devenu fou ? Je sais que je suis un sacré lunatique parfois, mais à ce point ?

— Quoi ?

Elle plisse les yeux, méfiante. Je souris un peu, mais mon expression est grave. Je n'arrive toujours pas à croire que je vais lui demander une telle chose. Mais je me dis que ma mère apprécie la compagnie.

— Je veux bien faire la paix avec toi, si tu m'accompagnes voir ma mère demain.

Je l'ai dit. Mon cœur a parlé avant moi. C'est vrai en vérité, j'ai peur d'aller voir ma mère. Seul. D'affronter la vérité, seul. À chaque visite, on m'enlève un bout de moi-même. Lorsque je vois son visage amaigri et son sourire de plus en plus faible, je disparais.

Lucie reste bouche bée quelques secondes, le temps de digérer ce que je viens de lui demander. Bientôt, elle reprend du poil de la bête et affiche un sourire, presque contagieux.

— C'est à l'hôpital.

Elle sourit encore.

— Pas de souci, Smith. Je viendrais avec toi, mais il faudra que je me trouve quelque chose de propre à me mettre.

Elle désigne ses vêtements.

— Euh, ouais. On ira avant, c'est bon ?

Elle opine de la tête, un sourire sincère étirant ses lèvres. Les portes de l'ascenseur s'ouvrent enfin, pour signer l'arrêt de cette conversation un peu trop intimiste. Nous rentrons enfin dans mon appartement. Lucie s'allonge sur le canapé sans faire attention à moi. N'ayant pas envie de m'engueuler une fois de plus avec elle, je la laisse dormir sur le canapé, sans faire de bruit. Puis je me dirige vers la salle de bain, où je prends des cotons et du désinfectant, afin de soulager mes blessures.

La nuit s'affiche et je tombe de sommeil. Alors que je pars tranquillement me coucher, mon téléphone vibre. Je le prends immédiatement dans mes mains, pour voir qu'il s'agit d'un message de Leah. Je l'ouvre en soupirant. Je n'ai pas pensé à elle de tout l'après-midi, après l'avoir baisé.

Leah : J'ai entendu dire que tu as perdu le combat. Si tu as besoin d'un petit remontant, tu sais où me trouver...

Je souffle un bon coup avant d'éteindre mon téléphone. Leah n'est jamais vidée, elle enchaîne coup sur coup. Elle a beau me répugner — encore plus depuis ses paroles — j'irais sûrement la voir demain, pour me soulager, avant de partir avec Lucie, voir ma mère à l'hôpital. J'ai l'air d'un connard, mais j'en ai besoin. J'en ressens le besoin au fond de mes entrailles. Je ne fais pas exception de ces hommes qui n'ont aucune estime de soi. Je l'ai perdu il y a bien longtemps.

Après m'être installé dans mon lit, et éteins les lumières, je finis par fermer les yeux, diminuant la distance entre mes cauchemars et moi.

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Coucou !! J'espère que vous allez bien ? Alors comment vous avez trouvé ce chapitre ? Lucie et Smith laissent transparaître leurs caractères de plus en plus, à mesure que l'histoire se dépeint ! Et ils ont tous les deux de quoi riposter, malgré leurs fêlures respectives !

Qu'est-ce que vous attendez pour la suite ? Et cette visite à l'hôpital, vous avez hâte ?

Rendez-vous au prochain chapitre.

Bises !

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