Chapitre 12 (*)

Lucie

J'enfile mon haut couleur crème et mon jean que j'ai acheté chez Lorelei Boutique, la tête en vrac. Je n'arrive toujours pas à croire qu'il ait pu s'imaginer que je sois jalouse de la relation — si on peut appeler ça comme ça — qu'il entretient avec cette fille. C'est plus qu'offensant. Cette fille n'est rien de plus qu'un vidoir. Dieu sait que je n'aime pas être méchante avec les autres, mais il n'y a pas d'autres mots, ici.

Je me regarde une dernière fois dans le miroir des toilettes et souffle un bon coup. Sans attendre, je prends l'ascenseur. Avant de me changer, j'ai gentiment demandé à une dame à l'accueil de bien vouloir me préciser la chambre de Madame Smith.

Oui, j'étais ailleurs lorsque Smith a demandé d'indiquer la chambre. Mais, maintenant, grâce à la gentillesse de cette femme, je sais que sa chambre se situe au niveau deux, avec pour numéro 210.

Lorsque j'arrive au deuxième étage, je parcours les lieux, des souvenirs me remontent en mémoire. Ma mère allait tous les mois, dans le centre hospitalier de Phoenix, à cause de ses crises de paniques régulières et violentes. Maintenant, elle va beaucoup mieux, sauf que son degré de sévérité n'a pas diminué, lui. C'est parfois difficile de le supporter, lorsqu'on arrive à un âge mûr.

D'ailleurs, elle n'a pas recherché à m'appeler depuis notre altercation, il y a deux jours. Mon père non plus. Je suis déçue quelque part, mais j'ai toujours su qu'il avait moins son mot à dire, d'une certaine manière.

Quelques minutes plus tard, j'arrive devant la chambre 210. J'ai les mains moites et le cœur qui bat comme un boomerang dans ma petite poitrine. Je n'ai pas pour habitude de me rendre dans les hôpitaux, et encore moins pour rendre visite à des personnes qui me sont inconnues. Alban, lui, ne m'a jamais présenté à sa mère, jugeant que ce n'était pas utile. Moi, j'ai toujours cru qu'il avait honte de moi, mais ce n'était manifestement pas le cas. Et puis heureusement qu'il ne l'a pas fait, dans un sens.

Soudainement, la porte s'ouvre, laissant apparaître Smith, les traits tirés par la fatigue et la tristesse, je dirais. Je lui souris timidement, n'osant pas perturber l'atmosphère en disant quelque chose. En retrait, j'attends qu'il m'accorde la permission de venir avec lui.

Je sais bien qu'il m'a demandé de l'accompagner, mais j'ai bien vu que ça lui demandait un certain effort.

— Que se passe-t-il, Samuel ?

Samuel ? Je pensais qu'il s'appelait Smith, mais ce n'est pas le cas apparemment. Pourtant, tout le monde l'appelle ainsi. Je fronce les sourcils, en l'interrogeant du regard. Mais au lieu de me répondre, il se pousse pour me laisser entrer dans la chambre. Je respire un bon coup, avant de franchir le seuil, à petit pas. J'ai comme l'impression d'être de trop, dans cette pièce.

— Je vais chercher à boire, maman ! Je reviens.

Sa voix est tremblante et ses muscles, tendus.

Elle lui sourit radieusement et lorsque la porte se referme sur lui, celle-ci porte son attention sur moi. Elle m'intime subitement de venir m'asseoir sur la chaise près d'elle. Je n'hésite pas une seconde, malgré le stress qui s'installe en moi, et viens auprès d'elle. Quand ses yeux océans rencontrent les miens, je suis sublimée par sa beauté. Même si elle a perdu la plupart de ses cheveux, ceci ne la rend pas moins belle. Elle a un sourire éclatant et des yeux si clairs, que j'en suis presque jalouse.

— Je suis navrée de vous déranger, madame.

Je suis mal à l'aise et ça doit se voir. Je déglutis.

— Ne me vouvoie pas mon petit ! rit-elle. Et appelle-moi, Pénélope.

Elle me sourit. Je lui souris à mon tour, essayant de me détendre petit à petit. Pénélope a l'air d'une femme, des plus douces qu'il en soit. Malgré son cancer, elle essaie d'être forte. On peut voir la détermination dans son regard, avec une pointe de tristesse, tout de même. Mais qui ne ressent pas la tristesse, un jour ou l'autre ?

Je sais qu'il s'agit là d'un cas particulier, pour Pénélope. Mais tout le monde sur cette Terre, ne peut s'empêcher d'éprouver la tristesse un moment ou un autre. C'est la vie qui est faite de cette façon.

— Et toi, comment t'appelles-tu ma jolie ?

— Lucie.

Ma gorge est sèche. Je suis presque tétanisée sur ma chaise.

Pénélope doit surprendre mes mains crispées sur les accoudoirs de la chaise, puisqu'elle pose aussitôt sa main sur la mienne. Doucement, elle se met à rire, me donnant des frissons un peu partout au corps.

— Tu es donc une amie de mon fils ?

Malgré l'espoir qui brille étrangement dans ses yeux, je me décide à lui dire un peu de la vérité.

— Hum, pas vraiment.

Je suis très mal à l'aise précipitamment, à l'idée de parler de ma relation avec Smith. Enfin, si on peut appeler cela une relation, puisqu'en vérité nous ne sommes pas grand-chose l'un pour l'autre. Juste des colocataires, si on observe bien les choses. Je suis plutôt victime d'un cercle vicieux qui commence juste, et Smith est celui qui me sauvera, peut-être. Je l'espère en tout cas.

— Ah, je vois. Vous êtes peut-être plus proches tous les deux ? Comme des amants, pas vrai ? (Elle frappe dans ses mains, tout à coup.) Tu ne peux pas savoir comme je suis contente Lucie, d'apprendre une telle chose. Tu m'en vois ravie !

Pendant un moment, je tente de rectifier la chose, pour espérer lui dire la vérité, pour ne pas lui mentir, mais Smith m'en empêche, en ouvrant la porte, un verre d'eau dans la main. Quelle belle intention pour sa mère. J'ai déjà pu voir qu'il savait répondre aux désirs des autres, la nuit dernière.

Il s'approche tout doucement de sa mère, et appuie sur un bouton pour faire lever le dossier de son lit. Puis, il lui tend le verre, que Pénélope accepte volontiers. Un sourire irradie sur son visage, représentant tout l'amour qu'elle a pour son fils. Je suis scotchée.

— Je t'ai entendu rire, et dire que tu étais ravie, maman. Pourquoi ça ?

C'est le moment pour moi, de me faire toute petite.

Sa mère se penche un peu plus vers lui, pour saisir ses mains et les serrer par la suite dans les siennes. Ce tableau qui se joue devant mes yeux, me fait sourire et me remplit d'amour. J'espère apercevoir le petit garçon que pouvait être Smith, avant. Mais pour l'instant, il garde toujours cette même mine fermée, que je n'apprécie guère.

— Je sais pour toi et cette charmante demoiselle, mon petit Samuel ! jubile-t-elle.

J'aimerais me cacher, mais hélas, je ne peux pas échapper au regard rempli de curiosité de Smith, vissé sur moi. Je baisse immédiatement les yeux, pour regarder le bout de mes chaussures. J'attends la sentence.

— À propos de quoi ? demande-t-il, d'une voix rocailleuse.

— Ne fais pas l'enfant voyons, mon garçon ! Je suis contente de voir que tu es enfin devenu un homme, qui a su dépasser ses peurs. Je t'aime tellement, Samuel.

Je déglutis. Ses peurs ?

— Maman, je n'ai pas la moindre idée de ce que tu me racontes !

Subitement, dans un mouvement léger, Pénélope tourne la tête vers moi, me fixant avec joie. Smith en profite pour me regarder à son tour. Le rouge m'envahit, me donnant des bouffées de chaleur que je ne peux pas contrôler. Je souffle un bon coup, avant de sourire faussement à Smith, dans l'espoir qu'il comprenne le message. Manifestement, il ne comprend rien à mes signaux.

Je sais que le mensonge est un vilain péché, mais cette femme est sûrement la plus heureuse du monde, aujourd'hui, à l'idée de savoir une telle chose.

— Enfin Samuel, aurais-tu perdu la tête ? (Elle le dévisage pendant une seconde, avant de positionner sa main sur sa bouche, comme si elle avait dit quelque chose de mal.) Tu ne voulais pas me l'avouer, c'est ça ?

— Pour l'amour du ciel, t'avouer quoi maman ?

Il perd patience.

— Que tu avais trouvé ta moitié, la femme qui réussira à guérir chacune de tes cicatrices. Celle capable de supporter ta mauvaise humeur, tous les jours ! rit-elle. Et je sais à quel point, tu peux être grognon.

Smith, perdu, fixe son regard au mien. Celui-ci est vide d'émotion, comme si sa mère avait trouvé comment percer à jour sa carapace, qui protège son cœur et son côté sentimental. Même si parfois, il paraît froid ou désagréable, comme j'ai osé lui dire, je suis sûre que quelque chose se cache là-dessous. Et sa mère a réussi à mettre le doigt dessus.

— Lucie a l'air parfaite, tu sais mon fils ! Tu as superbement choisi.

Elle me sourit chaleureusement. J'ai l'impression qu'elle passe son temps à sourire.

Je lui souris à mon tour, toujours accrochée à ma chaise. Smith, lui, me regarde fixement, les yeux plissés. Il cherche à savoir la vérité face à cette situation, mais je me tais. Si bien, qu'il finit par sourire à sa mère et rentrer dans le jeu.

— Tu as raison. Lucie est parfaite pour moi, maman. Maintenant, nous pouvons changer de sujet ? Je suis venu pour voir si tu allais mieux.

Pendant quelques secondes, mon cœur cesse de battre régulièrement. Je n'ai jamais entendu de mots aussi puissants et sincères si je puis dire, de la part d'un homme. Alban ne m'a jamais dit ce genre de chose, sauf peut-être au début de notre relation, où tout se passait pour le mieux. Mais Smith les a prononcés en me regardant droit dans les yeux, me faisant passer un message par la suite. Peut-être que se sont ses excuses pour tout à l'heure ? Je n'en ai pas la moindre idée, mais le sentiment que j'ai ressenti pendant ces légères secondes, est tellement satisfaisant, qu'il n'est même pas possible de le décrire.

Attention, je n'oublie pas ce qu'il m'a dit tout à l'heure au centre commercial...

D'ailleurs pourquoi continue-t-il à mentir à sa mère ?

— Les médecins m'ont expliqué que l'opération n'était pas sans risques. Je n'ai pas encore donné mon verdict à cette charmante équipe, mais j'ai très peu de temps. Je voulais avoir ton avis, Samuel.

Sa mère parle tellement vite, que j'ai l'impression de ressentir de la peine, ou de la peur dans sa voix. Je peux la comprendre. Si cette opération est placée à risque, c'est un choix difficile à prendre. Un choix à prendre en famille, synonyme que je ne devrais pas me trouver ici, à écouter ce qui ne me regarde pas.

Je me lève de ma chaise, sans un mot, pour toucher la poignée de la porte d'une main tremblante. Pourquoi suis-je dans cet état ? Je me sens si mal vis-à-vis de Pénélope et de Smith, qui n'ont sûrement pas besoin de moi pour discuter de choses aussi sérieuses. Je ne comprends même pas pourquoi Smith m'a emmené. Au début, j'ai cru que c'était pour l'aider à se détendre. Mais en l'observant attentivement, il s'en sort plutôt pas mal.

Cette pièce est remplie d'un amour qui m'émeut. Un amour que je n'ai jamais vraiment reçu de ma mère.

— Où tu vas ?

La voix de Smith résonne dans ma tête, me donnant instantanément la nausée. Il faut que je me sauve d'ici, avant que je ne puisse plus tenir. Je savais que revenir dans un fichu hôpital, quelle que soit la ville ou le lieu, les souvenirs viendraient me hanter, pour ensuite me dévorer.

Alors sans répondre à Smith, j'ouvre la porte pour la refermer sur moi. Dans le couloir, je marche tranquillement, essayant de lutter contre les souvenirs de mon enfance et du jour où j'ai été enlevé. Ma mère s'en voulait vraiment, mais les excuses faites à mon père sonnaient plus vraies, que celles qu'elle m'a faite, ce jour-là.

— Lucie !

J'entends la porte s'ouvrir et se refermer derrière moi. Je ne m'arrête pas, n'ayant pas la moindre envie de parler avec lui de mes problèmes. Ou de quoique ce soit d'ailleurs. Il est bien avec sa mère, alors pourquoi il n'y reste pas, au lieu de me faire chier et de me courir après ? Il perd son temps avec moi et apparemment, il ne l'a pas encore compris.

— Bon sang, arrête-toi et dis-moi ce qui se passe ?

Je me stoppe net, sentant brutalement le torse de Smith entrer en collision avec mon dos. Je ne dis rien, mais par contre je soupire fortement, essayant de lui faire comprendre de me lâcher la grappe. Mais non, visiblement, il est déterminé aujourd'hui.

— Je suis fatiguée, c'est tout.

— Ne me prends pas pour un imbécile, s'il te plaît ! Je sais que tu mens et que tu te conduis de manière bizarre depuis que tu es rentrée dans cet hôpital.

Je garde mes yeux figés sur son visage, que je trouve de plus en plus beau.

Quoi ? Pourquoi je pense ça dans un pareil moment ?

— Je le vois bien. Je suis très observateur.

Je crois que j'avais bien compris qu'il était très observateur et donc une source de soucis pour moi.

— Quand je suis rentré tout à l'heure, tu avais l'air tétanisé, et puis c'est quoi cette histoire ? On est ensemble toi et moi ?

Je ne sais pas quoi répondre, prise au piège. Parfois, c'est mieux de ne rien dire. Face à mon silence, Smith ne tient pas plus d'une minute.

— Laisse tomber ça, tu veux. Tu n'es pas obligée de m'expliquer tout en détail, mais je veux savoir la vraie raison de ton malaise.

Soudain, je retrouve ma voix.

— J'apprécie que tu t'inquiètes pour moi, si je peux utiliser ce mot pour décrire ton intention, mais je n'ai rien à te dire. Je suis fatiguée et j'ai faim.

— Il est clair que tu es fatiguée, comme je le suis. Je te rappelle qu'on a presque fait une nuit blanche, à cause de nos cauchemars respectifs ! C'est normal. Tu as faim ? Très bien, donne-moi deux minutes et je te rejoins en bas.

Il s'apprête à partir vers la chambre de sa mère, lorsque je l'interpelle. Il se tourne vers moi, le regard étrange.

— Pourquoi tu laisses ta mère croire qu'on est ensemble ?

C'est la première phrase qui me vient à l'esprit. Il fronce les sourcils.

— Je ne la laisse pas croire, Lucie, je veux seulement voir son sourire durer un peu plus. Je sais que lui mentir comme je le fais, c'est mal. Mais je n'ai jamais été un bon fils et la faire sourire maintenant me donne l'impression de remplir mon rôle pendant quelques secondes.

Mon souffle se coupe. Smith rebrousse chemin, je l'interpelle encore. Il se retourne, impatient.

— Je...

Puis je me ravise au dernier moment, en voyant ses pupilles remplies de sincérité. Smith m'interroge du regard, avant que je lui fasse un geste de la main. Il entre dans cette chambre, tandis que j'appuie sur le bouton d'appel de l'ascenseur. Lorsque les portes de celui-ci s'ouvrent, je vois un homme vêtu d'un costume bien repassé, la cinquantaine. Je n'y fais pas plus attention, le laissant partir dans les couloirs du deuxième étage, à la recherche de la personne à qui il vient rendre visite.

Une fois au rez-de-chaussée, je m'assois sur l'un de ces sièges moelleux devant l'accueil. Puis je prends un des magazines posés sur la table basse, parlant d'astuce et de mode. Un bon moyen de se divertir, le temps que j'attends Smith.

Les minutes passent, lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrent. Je lève les yeux, croyant voir Smith en sortir, mais ce n'est pas le cas. Il s'agit seulement de l'homme que j'ai croisé plus haut, au deuxième étage. Curieuse et attirée par son visage qui ne me semble pas inconnu, je l'observe discrètement derrière mon magazine, lorsqu'il passe devant moi. Je retiens un cri d'effroi en voyant qu'il saigne légèrement à l'arcade sourcilière et au coin de la bouche.

Je m'interroge. Qui est cet homme brutalisé ? Qui ferait ce genre de chose en plein milieu d'un hôpital ?

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Coucou tout le monde ! J'espère que vous allez bien ?

Un chapitre riche en émotions, entre les ressentis de Lucie, l'interrogation de Smith, et la rencontre avec Pénélope ! Qu'est-ce que vous en avez pensé ? J'espère que ce douzième chapitre vous a plu ! J'attends vos commentaires avec impatience !

Rendez-vous au prochain chapitre.

Bisous.

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