Chapitre I : Doux réveil
Cela faisait maintenant deux bonnes heures qu'il s'était réveillé, en ce lendemain de Halloween, mais qu'il préférait rester cloîtré dans sa chambre, les yeux rivés sur la tablette, les écouteurs du casque vissés aux oreilles afin de poursuivre son avancée dans cette web série. L'expression peinte sur son visage ne laissait que peu de doute sur les frissons qui parcouraient son corps et sur l'étau qui enserrait sa poitrine au fur et à mesure de la progression de l'intrigue. L'atmosphère sombre et oppressante que le réalisateur avait su créer y tenait une grande part.
Un sursaut le prit quand l'écran de la caméra portée par le personnage principal, formidable mise en abyme, eut un raté. Son origine lui était connue, après tant d'épisodes. Il ne s'était pas réfugié dans les commentaires. Ce n'était pas son genre. Il raffolait bien trop des « creepy pastas » pour qu'elles ne l'impressionnent avec tant d'aisance. La peur momentanée retombée, un sourire commença à étirer ses lèvres en un rictus qu'il s'imagina digne du Joker.
Il approchait. Ce personnage était condamné, la traque s'initiait, et il n'en réchapperait pas. Il en savait trop. Ce papier qu'il venait de ramasser sonnait son glas. Ou pas. Les jeux de lumières sur son visage s'interrompirent tandis que l'image se figeait sous ses yeux surpris par ce brusque retour à la réalité. L'épisode venait de s'achever et il devrait patienter au moins une bonne semaine avant d'avoir accès à la suite.
Il grommela tandis qu'il cherchait parmi ses abonnements celui qui lui permettrait de continuer à tuer ce temps libre que lui offraient les vacances de la Toussaint, vacances qu'il considérait comme ses préférées, une fois qu'il aurait un peu avancé dans sa lecture. Sa tâche accomplie, il se redressa, alluma sa lampe de chevet et mit la main sur le Lovecraft qui l'attendait non loin de son lit.
La lumière blafarde et hésitante creusait un peu plus ses fossettes que l'adolescence avaient marquées. Sa pâleur, qui contrastait avec ses cheveux aile de corbeaux dont il s'enorgueillissait, prenait aussi part à l'effet. Ses yeux aciers fixés sur l'ouvrage du père des grands anciens rendaient presque inquiétant l'air sérieux que ce jeune adulte arborait. Tel un littéraire devant Baudelaire, il semblait savourer chaque phrase, chaque mot, assimiler cet ouvrage comme s'il renfermait le secret de l'univers. Sans doute contenait-il la clé de son univers à lui. À moins qu'il ne s'agisse d'une simple lubie passagère, si propre à l'adolescence, capable de stimuler pendant des semaines, des mois, pour finalement ne constituer qu'un lointain souvenir quand les années auraient passé. Quoiqu'il en soit, cet ouvrage captait bien plus facilement son attention que le manuel de mathématiques qui gisait à quelques mètres de là, à même le sol.
Les études ne le passionnaient pas particulièrement. Il se débrouillait, en terminale scientifique, comme l'attestait le devoir surveillé corrigé qui dépassait de son manuel et sur lequel il avait aperçu son nom du coin de l'œil. Adam. Mais quelle idée avaient eu ses parents... Prénom biblique porteur de foi dont aucune ne l'avait jamais convaincu. Cependant, cela ne l'empêchait pas de l'écrire sur chacun des devoirs qu'il rendait avec un flegme et un détachement devenus légendaires. Du moins s'en persuadait-il.
Seulement, il ne faisait tout cela que pour obtenir un métier plus tard. Il rêvait de cinéma et d'écriture, pas de médecine ou d'ingénierie. Il rêvait d'arts, et non de sciences. Mais ses rêves ne rempliraient pas son assiette, ne lui fourniraient pas de foyer et ne ménageraient pas sa santé. Alors il se faisait violence, poursuivait son parcours, conservait un bon niveau bien que cela ne lui demandât pas une charge exagérée de travail. Ainsi, se prenait-il à révéler à ses proches, pourrait-il peut-être un jour accomplir l'un de ses rêves. Et, qui sait, peut-être même plusieurs. Tel était le quotidien de ce jeune homme introverti qui s'était pourtant fait une poignée d'amis qui partageaient peu ou prou ses passions.
C'est alors qu'il s'étira longuement avant de déposer ce livre, qu'il avait parcouru quelques dizaines de minutes, non sans auparavant marquer sa page avec soin et rigueur. Il se leva, ouvrit son lit et sa fenêtre, éteignit sa lampe, et, ses pupilles habituées à la pénombre, marcha vers la porte pour quitter la pièce. Un faible grognement retentit de son ventre, qui indiqua la raison de toute cette agitation qui rompait le calme religieux.
Personne dans l'appartement, ses parents étaient bien loins. Il se dirigea vers la cuisine dans laquelle il s'empara de tout le nécessaire au repas le plus important de la journée, puis vint s'asseoir à la table de la salle à manger, avant de se relever pour saisir sa tablette tactile restée dans sa chambre. Il l'installa en face de sa chaise puis la déverrouilla pour laisser apparaître une série de vignettes accompagnées de titres qui faisaient immédiatement penser à des documentaires. Une voix posée retentit dans la pièce, bientôt accompagnée du bruit de la mastication. La science ainsi récitée aurait suffi à convaincre bien du monde de l'existence de cette vidéo censée pousser au suicide quiconque se risquerait à la visionner. Qui aurait pu imaginer que derrière ces faits ne se cachait que de la pure fiction horrifique qu'une vaste communauté, portée par l'élan d'internet, avait su imaginer et alimenter ?
Le temps passait, Adam continuait d'arpenter cette journée peu variée en contenu. La routine prenait ses aises : se nourrir, se laver, se divertir. Il en vint finalement à rejoindre son ordinateur, unique lueur dans la pénombre artificielle de son antre. Un raccourci en particulier l'obnubilait depuis le lever. Un jeu qu'il se faisait un devoir d'achever dans sa difficulté maximale. Deux clics de souris et l'écran s'assombrit. Pendant que le menu apparaissait, il mettait son casque en place. Immersion totale.
La partie commença, il prit position sur son clavier et fit évoluer son personnage dans la forêt, sobrement armé d'une torche et d'une caméra. La tension montait crescendo tandis qu'il se saisissait des objectifs les uns après les autres. La caméra se brouillait par moment. Cela ne signifiait qu'une chose. Il se rapprochait. Son cœur manqua même quelques battements quand il eut le temps d'apercevoir le Slenderman du coin de l'œil. Il ne lui restait désormais qu'une page à ramasser pour s'en tirer. Y parviendrait-il seulement ? Son corps s'était refroidi, il ne sentait plus que ses doigts qui martelaient les touches et sa main qui déplaçait la souris. Le jeune homme n'osait même plus regarder autour de lui, de peur de voir un reflet ou une lumière qui le ferait bondir ou, du-moins, le distrairait dans sa tâche. Sa caméra eut un raté, puis un second, sa Némésis apparut mais il parvint à s'en détourner in extremis. Un bruit aigu retentit tout à coup dans ses oreilles, qui ne provenait pas du jeu.
Il crut décéder d'un malaise cardiaque jusqu'à ce qu'il réalise qu'il ne s'agissait que d'un appel Skype. Après avoir maudit son ordinateur qui l'y avait automatiquement connecté, il eut le réflexe de mettre le jeu en pause avant de l'accepter.
« Mec, tu m'as fait une de ses peurs ! s'insurgea Adam dont le cœur battait toujours la chamade.
— Tu jouais encore à Slender ? Passes en visio, je veux voir ta gueule ! répondit son ami qui fit fi de son commentaire. Wow, je t'ai jamais vu aussi blanc. Faut dire que t'as pas fait semblant, niveau installation.
— C'est comme ça qu'il faut y jouer, sinon ça sert à rien.
— Si tu le dis... Bon sinon, tu peux passer quand, chez moi, pour qu'on finalise le script ? J'ai regardé la météo, faut absolument qu'on tourne après-demain. Couvert, faible vent, l'atmosphère parfaite, quoi ! s'enthousiasma Baptiste, avec qui Adam avait lancé son premier projet de court métrage.
— T'es chez toi, cet après-midi ? OK, bon ben je viens vers dix-huit heures, reprit-il après un hochement de tête.
— Ça marche. »
Adam fixa alors un point et se figea. L'espace d'un instant, il avait cru apercevoir une ombre derrière son ami. Mais non, ce n'était rien. Un artefact visuel, voilà tout. Le jeune homme cligna des yeux et c'est alors qu'un voile sombre à forme humaine réapparut à sa vision. Il lévitait derrière son camarade dont le visage était peint d'un air interrogateur et inquiet. La connexion Skype se coupa alors. Adam reprit ses esprits et vérifia sa connexion internet. Elle avait sauté. Rien d'anormal de ce côté-là. De ce côté-là, seulement.
Le téléphone qu'il n'avait pour le moment saisit de la journée vibra alors. Il venait de recevoir un message de Baptiste. Il rassura ce dernier puis ferma tous les onglets de son ordinateur, ouvrit sa porte à toute volée et se dirigea vers la salle de bain pour se rafraîchir le visage et par là même, l'esprit. Mais que venait-il donc de se passer ? La fatigue, sûrement. Mais tout cela semblait si réel... Le temps s'était comme arrêté. Il décida de déjeuner. Il réfléchirait mieux l'estomac plein. Il se souvint alors, le brouillard se dissipa quelque peu. Il s'arrêta net dans sa marche. Il avait déjà vu cette ombre. Le jour de l'attentat.
Il en avait été témoin, un peu plus d'un an auparavant, depuis son balcon. Cet homme qui avait sorti sa machette et avait fauché des vies avant de se faire abattre, sous ses yeux horrifiés. Il n'avait pu détacher le regard du drame. Il y avait quelque chose de fascinant dans toute cette horreur. Malgré le haut-le-cœur qui l'avait saisi, la curiosité du morbide l'avait gardé sous sa coupe jusqu'à ce que la menace n'ait disparue aussi rapidement que la folie avait germée dans l'esprit du terroriste. Mais tout cela restait brumeux, confus. La seule chose qu'il parvenait à se remémorer clairement, c'était cette personne étrange, vêtue d'une cape sombre, qui surplombait les corps inanimés et qui soudainement s'était tournée vers lui. Un battement de paupière plus tard, il n'en subsistait rien sinon un souvenir terne. Il avait légitimement cru rêver. Mais cela ne semblait pas être le cas. Il secoua la tête, comme pour chasser ces pensées néfastes. Il alla ensuite à la cuisine afin de se préparer quelque chose à manger. Il oublierait mieux l'estomac plein.
Son repas terminé, sa vaisselle lavée et rangée, il retourna dans sa chambre, mais n'osa rester dans la pénombre. Il ouvrit volets et rideaux et s'assit à son bureau. Il ne parvenait à définitivement enfouir cette réminiscence accompagnée désormais d'un sentiment si étrange. Sa jambe bougeait avec frénésie. Rien de nouveau, toutefois. Cependant, cette fois, tout son corps le démangeait, et plus particulièrement sa main droite. Celle-ci semblait attirée par ce crayon dont il se rendit compte qu'il le fixait depuis maintenant quelques minutes déjà. Il tenta de sortir de sa torpeur mais ne put réellement se détendre qu'une fois qu'il eut ledit crayon en main et qu'il se mit à gribouiller de manière détachée sur une feuille qui passait par là.
Quand il vit apparaître une silhouette sous les marques profondes de l'instrument, il s'horrifia avant de reposer l'ustensile avec frayeur et précipitation. Il froissa ensuite le papier en une boulette qu'il jeta dans sa corbeille. Basique. De la psychologie. Rien de plus. Mais alors, pourquoi revoyait-il cette ombre qu'il croyait avoir oubliée ? Sûrement l'effet du choc. Ce à quoi il avait assisté, ce n'était tout de même pas anodin. Oui, c'était cela. Afin de passer à autre chose, il décida d'aller se coucher après avoir pris quelques somnifères légers, qu'il avait trouvés dans l'armoire à pharmacie, et avoir réglé une alarme pour le réveiller.
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