Chapitre - 22

"Le bonheur, c'est un choix."De David Sandes / La méthode miraculeuse de Félix Bubka


***********************************************************************



Ses pieds nus découvraient l'humidité de l'herbe d'une nuit printanière. Il était sorti de la chambre sans chaussure, sans t-shirt, sans rien de plus que ce qu'il possédait déjà. Il était tellement parti comme une furie sans réfléchir qu'il ne pouvait que se félicité de n'avoir croisé personne jusqu'à lors. 

Parce que comment expliquer d'être juste torse nu dans l'obscurité d'après minuit, avec rien d'autre qu'un vieux jogging grisâtre, les cheveux emmêlés et les yeux rouges parce qu'on a pas pleuré mais presque - à trop se  les frotter encore et encore et encore et encore ? 
Et même si le faible éclairage extérieur pouvait le garder d'avouer par la couleur de ses globes oculaires, pouvait cacher la fracture dans son regard, il était évident que dès lors qu'il essaierait de parler, le ton tremblant de sa voix parlerait pour lui. 

Que personne ne vienne lui parler, que personne ne le croise. Allez l'Univers, on a qu'à faire genre j'existe pas. Genre tu m'oublis, genre je suis plus là. 
Viens que je devienne fantôme, que je devienne grain de sable. J'ai déjà goûté une étoile et elle a ton goût. Et tu sais quoi même en frottant mes lèvres rageusement du dos de main j'arrive pas à le faire partir. 
J'ai le goût d'une étoile partout sur ma peau, sur mes lèvres, dans ma bouche. J'ai testé l'Éternité comme un déshydraté sirote un champagne de luxe. J'ai pas comprends la richesse des saveurs, j'ai pas assez profité de ce que j'avais sur ma langue, et je ressentirais un manque béant avis, d'avoir commis cette hubris, d'avoir oublié que j'étais mortel en embrassant une déesse mais au moins
au moins 
au moins 
                      je peux mourir en paix. 


Il soupirait. Il faisait pas assez froid pour que son souffle puisse devenir fumée mais presque. 
Il était bon le froid, ça lui faisait du bien d'avoir froid. Parce que au moins une chose réelle et tangible qu'il comprenait. 
Un vieil ami qui venait s'accouder à son épaule, ça faisait toujours plaisir de retrouver ses copains d'enfance. C'était pas le genre bavard, bien que Grey non plus ne l'était pas, mais c'était cool d'avoir quelqu'un avec qui discuter sans rien dire. 

... Enfin, lorsque Grey s'était convaincu que le froid serait le seul à pouvoir le comprendre. Il avait rencontré Lucy. 
Lucy, la petite blonde qui le comprenait sans qu'il ait rien à dire. Mais Lucy qui le forçait quand même à parler, tant et tant plus jusqu'à ce qu'il ne se rende même plus compte de combien il parlait, jusqu'à ce qu'il arrête de contrôler ses lèvres, jusqu'à lui brûler presque les cordes vocales. Lucy la fille trop joyeuse, trop douce. Lucy la fille courageuse. 
Lucy la fille trop parfaite. 
Lucy sa fausse fiancée.
Lucy qu'il avait laissé en pleurs dans leur chambre. 
Lucy qui l'avait repoussé sans donner la moindre explication. 

Putain ! 

Il dégela l'arbre du domaine de la famille de Lucy avec un sourire un peu gêné que le pauvre végétal ait subit sa colère. Il replia ensuite son vieux sourire froissé pour le ranger dans ses poches, ses mains aussi d'ailleurs, histoire d'éviter de lancer un autre coup de poing, ou un sort, ou quoi que ce soit. Il les enfonça si loin, si profondément, qu'il se questionna un instant de savoir si il pouvait les perdre derrière les morceaux de tissus. 
Qu'est-ce qu'on en avait à foutre toute façon ? 

C'était drôle. 
Son cerveau faisait des loopings, descendait jusqu'à ses pieds, remontait s'écraser contre sa boîte crânienne. Ça rebondissait, ça se brisait, ça s'explosait en trop de morceaux, genre plus de mille, genre pas assez de colle sur Terre pour tout rafistoler à la va-vite, à la viens-il-faut-que-ça-tienne-le-coup. 
Ou peut-être juste qu'au fond, son cœur qui avait décidé de jouer l'orchestre de toutes les percussions du monde en se déchirant de part en part ne lui laissait même pas la moindre parcelle de silence pour réfléchir. 


Courageux ? Lui ? Quel courage ? 
Parce qu'à l'heure où il déambulait en chancelant, comme un zombie ivre, l'air de rien, Lucy s'effondrait en larmes dans leur chambre comme un chateau de carte. 
Oui. Quel courage ? Dites lui quel courage. Dites lui lequel. Dites lui ou le trouver. Dites lui à quel point il est nul. A quel point il est lâche et faible et méprisable. 
Dites lui. Dites lui. Dites lui qu'il aurait du parler, qu'il n'aurait pas dû se taire. Dites lui combien il avait été con de ne pas plaquer Lucy contre un mur la première fois qu'elle avait conclu que leur baiser d'ivrognes n'était rien de plus que l'erreur de deux amis. Il aurait dut la forcer à le regarder dans les yeux alors qu'il s'éventrait la poitrine pour lui offrir douloureusement tous les mots qu'il lui a toujours retenu. Il aurait dut demander à Erza de le gifler bien plus tôt. 

Ah non mais parce que regarde là, regarde le résultat, Monsieur le couard, Monsieur le poltron, Monsieur le dégonflé. Regarde le joli petit constat qu'on peut faire de ta stupidité. Et de tout ce que tu as cassé avec tes erreurs. 
Et quelles erreurs ! V'là quelles sont magnifiques jeune homme ! Des conneries de première qualité, tu m'en donneras des nouvelles ! Ça casse tout, ça ruine tout, ça vous laisse juste un champ de mines comme après les batailles, échecs cuisants et victoires sans gloire et t'as tout perdu donc il ne reste plus rien du tout. 

Parce qu'il était amoureux de la fille qui était persuadée qu'il jouait avec elle. Qu'il se moquait, qu'il ne l'aimait pas, qu'il la prenait pour un grelot ou un objet sexuel, un truc insignifiant, un outil qu'on peut rejeter, échanger, balancer à la poubelle, le genre de trucs auxquels on accorde pas vraiment d'importance. Comme si elle était même pas une humaine, même pas une amie, juste un écran de fumée à qui on donne vaguement forme matérielle quand on a besoin de caresses. 

La bile lui brûlait la gorge à ces idées. Il n'allait pas vomir, mais les hauts-le-cœur qui le soulevaient lui indiquait qu'il n'en était pas franchement loin. 

Le pire c'est qu'il pouvait même pas être étonné ou outré ou révolté qu'elle pense toute ses horreurs. Parce qu'il avait tout fait pour. 

Et c'était quoi maintenant Grey ? Hein ? T'es fier de toi ? Dis moi au moins que tu l'es ! 
Non parce que, tu l'as bien niqué, votre relation, tu l'as bien détruite la fille que tu aimais. Tu t'es pas raté, tu l'as fait dans les règles de l'art. 

Si il y avait un concours du mec le plus tordu, du plus gros connard, du plus super lâche, t'inquiètes pas que tu raffles tous les trophées haut la main et de loin et sans même avoir à te battre. 

Non parce que si on résume, t'es amoureux fou, amoureux dingue, amoureux genre le genre d'amour qui emmène les gens à l'asile parce que désolé mais les lois universelles du monde interdise d'aimer autant. Parce que vous êtes hors la loi Monsieur vous l'aimez trop c'est pas légal, c'est pas autorisé, c'est pas fair play. Non sérieusement Grey, tu fais peur, t'as vu ton regard quand tu l'observes ? C'est du cannibalisme visuel, à tout moment on croirait  que tu vas te jeter comme un fauve, la plaquer sauvagement contre un mur et l'embrasser à lui faire oublier comment on respire, à lui couper les jambes, à ce qu'elle oublie son prénom. C'est pas normal d'aimer autant, on dirait pas un amoureux, on dirait un sectaire, un religieux extrémiste, un terroriste sentimental, juste elle t'effleures et boum toi t'exploses. 

T'es amoureux autant qu'il est interdit de l'être, t'es amoureux comme les comètes qui s'embrase avant de s'écraser au sol, et elle, elle, elle, elle croit que tu la détestes, que tu ne l'aimes pas, que tu joues. 
Tu voulais qu'elle le croit hein ? Hein tu le voulais ! Et maintenant, maintenant, maintenant qu'elle le croit, c'est bon, tu as ce que tu voulais, tu es content, tu es satisfait, elle a ce qu'il lui fallait et toi tu as ce que tu mérites c'est ça ? 


Et les mots d'Erza qui viennent danser dans sa tête, qui viennent se jouer en boucle et en boucle et se répéter encore, et dévaler les parois de son crâne comme des pierres qui roulent trop vite. 


trop 

trop 

trop 

t r  o   p 

t    r     o            p 

TROP 

T O U T  E S T  T R O P  E N  C E  M O M E N T. 

" Trop " c'est marrant on dirait que c'est le seulement qu'il lui reste encore. Parce que tout est devenu démesuré, parce qu'il n'y comprend plus rien, excessif comme il l'a toujours été mais que maintenant il s'en rend compte, parce que qu'il n'y a plus de sens, parce que SURPRISE tout est sans dessus sans dessous désormais. 

Et les mots de la mage aux armures, les mots de la psychopathe qui adorait menacer de le tabasser pour toutes les raisons du monde ou juste parce qu'il s'était encore frité avec Natsu, les mots de son ami d'enfance qui le connaissait comme personne. 

Qu'est ce qu'il s'en tapait que la vie soit un jeu. Il n'aimait pas le poker, il n'avait jamais aimé ça. Elle pouvait avoir tous les as qu'elle voulait cette barde si lui il avait Lucy. Lucy heureuse, Lucy sans blessure, Lucy qui ne trouverait pas la mort dans d'atroces souffrances par sa seule faute. 

Il pouvait pas lui dire, il pouvait pas l'aimer, il pouvait pas être égoïste et la mettre en danger pour ses sentiments personnels. 

Mais est-ce qu'il ne l'était pas, égoïste, en ne laissant pas Lucy faire ses propres choix par elle-même ? Il aurait put tué Erza de lui avoir insinué une idée aussi sordide dans la tête. 
Pourtant elle était là maintenant la petite voix à lui dire que Lucy avait le droit de savoir, de savoir qu'il jouait pas, mais qu'il avait menti en lui faisant croire que si. De savoir qu'elle n'avait jamais été une conquête de passage ou un vulgaire objet de plaisir. De savoir qu'il aimait et qu'il avait peur. 
Et peut-être qu'elle le détesterait en sachant ses mensonges et ses vérités, et peut-être que ses peurs seraient fondées en fin de compte, et peut-être qu'elle le repousserait sans cérémonies. 

Mais elle devait savoir tout ce qu'il n'avait jamais osé lui dire. 


Il était pas le Prince Charmant, et Grey savait bien qu'il ne le serait jamais. Il n'aurait jamais de cheval blanc, jamais d'épée ou juste une de glace. Il aurai jamais de sourires parfaits à offrir, et peut-être bien qu'il ne la sauverait d'aucun danger si c'était lui lui lui le danger. 
Non, Grey n'était pas le Prince Charmant. 

Lui c'était le dragon. Le dragon qui capturait la princesse pour l'enfermer dans une jolie tour, p'têt bien un peu fissurée, un peu bancale, et puis sublime dans son instabilité latente à attendre sa chute comme le clou du spectacle. Il l'enfermerait tout en haut, le plus haut possible et puis il y resterait avec elle, à l'embrasser dans le cou et l'étouffer de fous-rires, à se nourrir de ses soupirs, de l'odeur de sa peau, et se démener tant bien que mal pour ne pas la brûler. 

D'accord, c'était Natsu la tête-à-flammes qui cramait les gens, pas lui. Mais avec la métaphore du dragon l'image se tenait. Et puis la glace peut brûler par le froid, aussi. 



Il s'arrêta à fixer la porte de leur chambre. Il avait fait le chemin retour sans s'en rendre compte. 
Il 
    avait 
                déjà 
fait 
       son 
                choix. 

Il la déverouilla d'une main tremblante, se glissant comme un fantôme dans la pénombre de la pièce. 

Sa voix s'enfuit sans qu'il n'y prête attention à la retenir. Parce que de toute façon une demi-seconde de plus et il n'aurait plus le courage. 

"- Lucy je t'aime." 

Il ne s'attarda pas à goûter la sensation des mots sur sa langue alors qui prononçait pour la première fois à haute voix les mots qui l'étranglaient de l'intérieur depuis tant d'années. 
Non, il ne s'y attarda pas, parce qu'il n'avait pas de réponse. 

Pas la moindre réponse. 

Juste le silence. 

Il s'approcha du lit prudemment, la peur au ventre, qu'une chose grave ait put arrivé, ou que Lucy pleure, ou que Lucy soit tellement en colère qu'elle ne veuille même pas lui répondre. 

Mais juste un respiration lente, légère, un peu sifflante. 


Lucy Heartfilia dormait. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top