Seungin

~ 29 Juin ~
Gay Pride de Séoul

Trigger warning : émeute, violence, mort

Jeongin ne s'était pas imaginé qu'il pourrait participer à la parade de la gay pride de Séoul. Il avait vu le point de rassemblement sur les sites et s'y était rendu en pensant que ce serait la fin de la parade. Là où il y aurait une scène pour les concerts, des stands de nourriture et de bijoux ou autres dont les bénéfices seraient reversés à une association LGBTQ+.

A la place, quand il avait dit qu'il faisait partie de la communauté LGBTQ+ on lui avait donné un drapeau aux couleurs de l'arc-en-ciel et on l'avait rapidement fait entrer sur la route où s'amassait déjà pas mal de monde.

Il avait erré entre les corps en s'excusant, à la recherche de la partie homosexuel de la parade. Mais il n'y avait pas de char pour séparer, les différentes orientations sexuelles et autres. Seul un camion avec plateforme et enceinte à l'avant diffusait de la musique dans l'attente du départ du groupe.

Le voyant si perdu un groupe de jeune l'avait pris sous leur aile. Jeongin était resté avec eux parce qu'un magnifique noiraud aux lèvres pulpeuse lui faisait de l'œil. Hyunjin, il s'appelait Hyunjin. Jeongin lui sourit timidement à chaque fois qu'il le regardait et resta dans son sillage. Ne s'éloignant jamais de plus de quelques pas.

-C'est ma première parade, lui avoua-t-il en rougissant.

-Félicitation ! Lui répondit Hyunjin en passant un bras autour de ses épaules.

Jeongin était aux anges. Enfin... La parade n'avait pas encore débuté, apparemment une contremanifestation bloquait la voie. Déjà Jeongin comprenait que ce n'était pas comme il l'avait vu en vidéo. Il pensait que toutes les gays prides étaient les mêmes donc il n'en avait pas spécialement regardé de Séoul mais du monde entier. Celles pleines de joies et de couleurs du Brésil et de l'Australie l'avaient littéralement fasciné.

-Où sont les chars ? Demanda-t-il ce qui fit rire ses nouveaux compatriotes.

-Soi déjà heureux qu'on puisse se rassembler, lui dit Changbin en lui donnant une claque dans le dos.

Jeongin regarda par-dessus l'épaule de Hyunjin. Il y avait bien quelques drag-queens et des personnes avec des maquillages extravagants pour célébrer les LGBTQ+ mais le trois-quarts des personnes ressemblait à monsieur et madame tout le monde. Il regarda ses nouveaux amis. Felix et Jisung, le couple du groupe, tenait une pancarte avec marqué « LGBT rights = Humans rights » mais c'était tout. Ils ressemblaient aux hyungs hétéros de son lycée...

Il y eut un murmure comme quoi la parade allait démarrer et cinq minutes plus tard Jeongin faisait ses premiers pas avec ses confrères. Ils s'étaient assez éloignés du camion de tête alors ils n'entendaient pas trop la musique mais ce n'était pas grave, les chansons étaient relayées en chœur par ceux de devant qui chantaient à tue-tête. Son groupe, Minho, Changbin, Hyunjin, Felix, Jisung et lui reprenaient en s'époumonant.

Jeongin agitait son drapeau arc-en-ciel en levant bien haut le bras, blottit contre Hyunjin. Mais il n'était pas tranquille. Ils étaient en bord de foule près des policiers et des barricades. Même s'il essayait de les ignorer, il entendait les protestant de la contremanifestation, crier qu'ils étaient des suppôts de Satan, qu'ils étaient contre-nature et qu'ils pourriraient en enfer.

Ce n'était pas ceux à quoi il s'attendait. Il en attendait peut-être trop de cette journée mais c'était symbolique pour lui. C'était la première fois qu'il pouvait sortir du placard, s'affirmer en tant que lui complet, sans faux-semblant. Il voulait que cette journée lui laisse un impact, qu'elle lui confirme qui il était, qu'elle lui en mette plein les yeux !

Cependant il était à la gay pride de Seoul, il en demandait trop. Les paroles des manifestants résonnaient dans son crâne. Il était entouré de personnes comme lui et Hyunjin ne le lâchait pas d'une semelle mais s'ils avaient tort ? Non. Jeongin et tous les autres gays, lesbiennes, bisexuels, pansexuels, aromantiques, transgenres etc. étaient dans leur bon droit. Ils étaient humains, il avait le droit d'aimer le même sexe ou d'être née dans le mauvais corps. Pourquoi ces connards de l'autre côté ne voulaient pas le comprendre ?

Ses yeux passèrent sur tous ses policiers de leurs côtés qui faisaient barrière de leurs corps pour repousser les protestants. Les policiers n'étaient pas espacés, ils étaient en rang serré, par millier. Membre à part entière de cette parade.

Il y avait entre les policiers et les manifestants qui brandissaient avec virulence leurs pancartes « Revenez dans le droit chemin », « l'homosexualité n'existe pas, c'est l'œuvre du diable », des blocs de bétons comme on en trouve sur les chantiers. Pas des barrières comme Jeongin en avait vu sur les vidéos d'autres pays, car elles auraient trop facilement pu être renversées. Les traits de ceux qui ne les aimaient pas étaient tiré sous la colère et la conviction d'avoir raison.

Jeongin détourna le regard, avec une certaine peur. C'est là qu'il vit Minho se figer alors que le reste de la parade continuait sa marche. Les garçons voulurent s'arrêter avec lui mais furent poussés en avant par cette foule joyeuse. Un regard en arrière, il vit Minho tout pâle. Son visage se crispa et son hyung se mit à pleurer.

Hyunjin le lâcha et les garçons forcèrent le passage pour former un cercle protecteur autour du jeune homme. Minho était accroupi et pleurait en tremblant, il faisait une crise d'angoisse.

-Hyung, qu'est-ce qu'il se passe ? S'enquit Changbin en se mettant à la hauteur de son ami.

Il lui frotta le dos dans des caresses qui se voulaient rassurantes. Minho essaya de se calmer, de reprendre sa respiration pour chevroter :

-Les manife-festant... mmon cousiins...

Jeongin tournait le dos aux policiers et aux protestants, il voulut se retourner pour voir les manifestants. Il n'en eut pas le temps tout comme il n'eut pas le temps de se demander comment sa vie serait bouleversé si un membre de sa famille ou un camarade de classe venait à savoir qu'il était gay... Non il n'en eut pas le temps car il fut projeté au sol sans aucun scrupule.

Son visage râcla douloureusement le bitume mais ce n'était rien comparé aux coups qu'il se prenait dans le dos, l'obligeant à rester au sol. Son instinct de survie le fit se recroqueviller sur lui-même pour protéger le plus de partie de son corps possible.

Hoquetant sous les coups qui l'empêchait de respirer il entrouvrit ses yeux pour voir pourquoi ses nouveaux amis ne venaient pas l'aider. Il ne vit que des chaussures. Des jambes qui couraient dans tous les sens. Ceux qui fuyaient ceux qui pourchassaient. Les anti-LGBT avaient envahi la parade. Les policiers, les barricadent n'avaient pas été assez forts contre la haine qu'ils leur vouaient.

Aux nombres de coups de pieds dans le ventre ils étaient plusieurs à s'acharner sur lui. Il devait sortir de là. Vite. Il sortit un bras de son cocon de protection dérisoire et le plaça le plus loin possible sur le bitume avant d'utiliser sa force de ses biceps pour avancer, s'extraire de là. Le talon d'une basket s'écrasa sur son avant-bras et tourna à gauche et à droite, tordant la peau comme on éteint une cigarette. Jeongin hurla comme tant d'autre avec lui et tenta de se libérer.

La douleur irradiait dans son corps. Il avait l'impression que d'être en feu. Sous ses yeux impuissants il vit une touffe de cheveux orange collé par le sang et des cailloux logés dans ce petit nid. Il mit du temps à reconnaitre que c'était Felix qui était trainé par les cheveux. Le sang sur son visage faisait disparaitre ses taches de rousseur. Les yeux clos, il ne se défendait pas.

C'était l'apocalypse. Jeongin voulut hurler de nouveau. Un coup dans la gorge le rendit muet. Il ferma les yeux et pria pour sa vie. Il n'avait plus la force de ramener son bras le long de son corps. Sa seule pensée était de respirer. On ne devrait pas penser à respirer, cela devrait être naturel, pourtant... Une inspiration après l'autre.

Le cœur au bord des lèvres, son esprit était vide. Que faisait la police ? Qu'on vienne l'aider. Qu'ils en finissent et vite. Il y eu un craquement et une douleur sourde et irradiante lui perfora la cage thoracique. Une côte venait d'être brisé. Chaque respiration se fit plus laborieuse encore.

Comme Felix avant lui il fut soudainement trainé au sol. Le bitume lui brulait la peau et les cailloux se logèrent dans ses plaies mais il ne le sentait même pas, la douleur de son dos était tellement plus forte.

On arrêta de le trainer. Deux mains passèrent sous ses épaules, essayèrent de le redresser. Sa tête partit malgré lui vers l'arrière.

-Debout ! Dépêche !

Il ouvrit les yeux et devant lui un garçon aux lunettes brisé, un œil en sang. Jeongin ne voulait même pas imaginer la douleur que cela devait être. Ses traits étaient déformés par la peur. Son œil valide zigzaguait partout, à l'affut du moindre danger.

-Si tu ne te sauves pas, personne ne le fera pour toi ! Un effort !

Cela fit réagir les derniers neurones qui n'étaient pas obnubilés par la douleur. Jeongin se redressa péniblement à cause de sa côte cassée et son dos en compote. Le garçon n'attendit pas qu'il soit complétement debout pour lui prendre la main et se mettre à courir à en perdre haleine.

Ils couraient entre les assaillants et les corps de leurs amis qui ne se relevaient pas. Jeongin voyait les flashs bleus des uniformes des policiers qui n'arrivaient pas à ramener l'ordre. Il laissait derrière lui Minho, Changbin, Jisung, Hyunjin et... Felix... Il ne pensait plus à eux, il ne se concentrait qu'à mettre un pied devant l'autre. Courir jusqu'à se mettre à l'abris.

Chaque inspiration ? une horreur. Ses poumons ? Des roches en fusion. Jeongin n'en pouvait plus. Il voulait déjà s'arrêter mais s'il le faisait on lui ferait sa peau. Il terminerait comme ces inconnus au corps inerte.

Son sauveur savait-il où le mener ? Pourquoi étaient-ils toujours parmi le danger ? Quand soudain ils changèrent de direction, obliquèrent à droite. Jeongin tomba, s'arracha le jean, reprit sa course. Le garçon lâcha sa main et commença à escalader le bloc de béton.

Jeongin fit de même. Pas question d'être à la traine, de laisser une chance à un manifestant de remettre sa main sur lui. Malgré ses jambes flageolantes, son dos qui lui faisait mal et les points noirs qui dansaient devant ses yeux par manque d'oxygène, il fut de l'autre côté en même temps que le garçon. L'énergie du désespoir.

Ils reprirent leur course effrénée. Ils n'étaient pas à l'abris du danger. Pas encore. Ils coururent dans ses rues vidées par la violence, jusqu'à qu'ils aient mis le plus de distance possible entre eux et la parade sanglante.

Quand ils ralentirent, avant de définitivement s'arrêter, le souffle court. Jeongin tomba à genou.

-Viens on est trop à découvert.

C'était quoi ça ? Jeongin avait l'impression d'être en guerre, qu'on essayait de renverser le gouvernement ou il ne savait quoi. Il était tétanisé, il ne pouvait pas faire un pas de plus.

L'air se bloquait dans sa gorge. Il avait des spasmes, tremblait de tout son être et quand il vit le visage du garçon se mettre à sa hauteur il pleura. De quels droits ils lui avaient pris son œil ? De quel droit ils l'avaient traumatisé ? De quel droit ils avaient pris la vie de Felix ?

Jeongin pleura plus fort même si cela lui faisait mal à cause de sa côte. Son nouvel ami australien qu'il n'apprendrait jamais à connaitre. Jisung dont son amour venait de mourir. Hyunjin qu'il n'aurait pas la chance d'aimer librement. Changbin et Minho eux aussi endeuillés. Tout cela pour quoi ? Parce qu'ils n'aimaient pas le sexe opposé ? Mais ils n'avaient rien fait de mal contrairement à ses monstres qui avaient pris la vie de son ami.

-Tu es en état de choc, constata le garçon un peu comme un robot.

Lui aussi n'était en guère meilleur état mais le pauvre garçon en face de lui paraissait si jeune... Il le prit dans ses bras avec force pour ne pas pleurer lui aussi. A genou dans une rue silencieuse de Séoul, Jeongin pleura dans les bras d'un inconnu. Au loin ils entendaient la sirène des ambulances et les cris de cette bataille qui continuait de faire rage et qu'ils avaient perdu d'avance.

-On doit partir. Trouver un endroit pour se soigner.

Jeongin le suivit tel un automate. Son corps obéissait à l'ordre mais dans son esprit ne résonnait que les cris de cette nouvelle famille qu'il n'avait pas vraiment trouvé en fin de compte et cette image incrustée au fer rouge de Felix en sang de la tête jusqu'au buste, qui se laissait ainsi trainer sur le bitume. Il pleura silencieusement. Qu'est-ce qu'ils lui avaient fait ? Pourquoi lui ? Pourquoi eux ?

Ils furent admis à l'hôpital qui les accueilli comme tous les autres patients. Heureusement car aucun d'eux n'aurait pu supporter un autre acte homophobe aujourd'hui. Les docteurs et infirmières furent très doux avec eux, ils comprenaient d'où ils venaient. Seungmin, Jeongin apprit son nom à l'accueil, fut envoyé en salle d'opération mais les médecins ne parvinrent pas à récupérer son œil.

On soigna les doigts cassés de Jeongin ainsi que ses plaies et sa côte. Sa gorge fut examinée car ont crû d'abord que c'était pour cela que Jeongin ne parlait pas. La gorge se remit mais Jeongin resta dans son mutisme. Il souffrait de stress post-traumatique.

Il resta de longues années incapables de prononcer un mot, malgré ses retrouvailles avec Jisung après que celui-ci eut fait une tentative de suicide. Grâce à l'écureuil sans sourire il revit Hyunjin avec qui il n'eut pas plus qu'une aventure éphémère, Changbin devenu paraplégique et Minho qui étaient maintenant en couple ensemble. Mais le groupe ne resta pas soudé. Chacun avec le poids de sa culpabilité dû faire son bout de chemin.

Jisung partit vivre en Malaisie, Changbin et Minho restèrent en Corée pour lutter activement pour la cause LGBTQ+, et Hyunjin partit vivre avec son nouveau compagnon en Australie. C'est lors du mariage de Chan et de Hyunjin que Jeongin alla pour la première fois en Australie. Ce mariage, ce pays, ce fut une révélation pour lui, il ne le quitta pas. Seungmin, qui était resté à ses côtés toutes ses années, le rejoignit bientôt. Quelques semaines après son arrivé, il entendit pour la première fois la voix de Jeongin.

Enfin leur histoire put commencer. En sécurité dans un pays qui les acceptait.

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Voilà qui conclut le mois de Juin ! Le sommaire a été mit à jour pour le mois de Juillet !

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