Quand j'étais petit, je ne comprenais pas pourquoi les grands nous cachaient. En grandissant, je compris. Ce fut lors d'une belle nuit d'été que j'accomplis le rituel, avec d'autres jeunes de mon âge. Nous avions tous entre 6 et 9 ans. Ça dépendait beaucoup de notre croissance, de si nous étions plus précoce que les autres. C'était rare d'en voir de 10 ou 11 ans, mais ça arrivait. Pour ma part, je me trouvais dans la moyenne, j'aurais pu passer l'année précédente mais il y avait eu un incident qui m'avait empêché d'être présent. J'avais donc 8 ans et demi.

Nous avions été laissés au coeur de la forêt avec une mission à accomplir. Ou plutôt, un rituel que nous devions exécuter nous-même. Nous avions le droit de nous aider les uns, les autres, mais nous savions tous qu'au moment venu, ce serait une épreuve individuelle. Nous nous étions donc séparés en binôme, moi j'étais avec la jolie Nathaëlle. Nous avions tiré les noms au hasard et j'avais été plutôt chanceux. En plus, elle était très intelligente. Nous avions donc cherché notre part des ingrédients nécessaires à tous nos rituels. Elle était agile et disparaissait souvent entre les branches avant de reparaître quelques arbres plus loin. J'étais loin d'être le plus maladroit du groupe mais je peinais tout de même à la suivre dans ses déplacements si fluides.

Après presque une heure de recherche, nous nous étions tous retrouvés à la clairière de départ, partageant nos ressources et préparant nos cercles personnels. Les instructions n'étaient pas toujours claires alors chacun les interpréta à sa manière. Pour ma part, je disposai mes pierres méthodiquement, alternant une grosse puis une plus petite, afin d'harmoniser mon cercle parfait. Je tapissais le centre d'herbe aromatisée auxquelles j'avais brûlé les bouts. Enfin, je m'installai dans mon cercle dans la position adéquate au rituel et je fermai les yeux. J'avais besoin de me concentrer sur ce que je devais faire. C'était l'étape la plus importante, qui déterminerait ma capacité à terminer ou non le rituel.

Me concentrant d'abord sur ma respiration, bientôt, je n'entendis plus aucun son. Les autres devaient être à la même étape que moi. Je pris une grande inspiration et dans un murmure, j'énonçai les mots que j'avais appris par coeur un peu plus tôt. J'en ignorais jusqu'alors parfaitement le sens. Mais tandis que les syllabes s'écoulaient de mes lèvres, je compris les choses. Des images brèves, parfois surréalistes, défilaient dans ma tête. Je savais désormais ce que c'était, je savais pourquoi les adultes nous cachaient depuis toujours. Je savais. Et j'eus peur. En rouvrant les yeux, je sentis que mes joues étaient devenues humides. Dans mon cercle de pierre, je vis que les herbes brûlées avaient repris racine. J'avais réussi. J'étais devenu grand.