Chapitre 22 - Les souterrains
À l'angle d'une rue étroite du quartier des tanneurs, nous contournons des barriques débordant de fientes où bourdonnent des nuées d'insectes. La puanteur est abominable, mais l'utilisation des excréments d'oiseaux permet d'assouplir le cuir des tanneurs. Souvent, ces derniers sont des Adayoshs, insensibles à la fétidité et aux mouches.
Derrière une palissade, nous descendons à la file un long escalier à peine éclairé de torches disparates. Nous passons par un goulet sombre, avant d'emprunter un tunnel froid et humide. Si ce n'est son odeur insoutenable de crottes de rats, il me rappelle celui dans lequel je me suis retrouvée piégée lorsque la serre de l'Exposition Universelle se disloquait. Ce trajet est pour moi un long couloir de souffrances contre lequel je lutte en me remémorant les images méditatives d'Edhelís.
Nous portons tous des capes à capuches et étonnamment, la Commandante, le Lieutenant et le Capitaine parviennent assez bien à se fondre dans l'échantillonnage d'individus que croisés au compte-goutte. Si certains ont des têtes de bandits patibulaires, la plupart paraissent inoffensifs.
Ryön n'a pas tenu à reparler de l'incident d'il y a quelques jours dans la salle commune, mais il a maintenu toute sa confiance en Firouze qu'il ne soumettra à aucun interrogatoire Kovewalt. Après tout, son aïeule était déjà à son service au temps de Charles. À son avis, Firouze est extrêmement fière de suivre son exemple et n'a aucun intérêt à compromettre sa position.
Pourtant à mes yeux, nul doute que Firouze profite de mon absence dans la maison pour faire de la provocation à Ryön. Je l'ai surprise un jour à délacer son corsage. Au passage du Capitaine, elle s'est baissée à ses pieds au prétexte de balayer quelques grains de raisin, tout en rabattant sa main sur sa gorge d'un mouvement pudique. Afin de manifester ma présence, j'ai violemment claqué la porte de la cour.
En dépit de mon apparent agacement, la veille au soir, je l'ai encore vue enrouler ses bras de pêche autour du cou de Ryön qui d'un sourire, l'a gentiment repoussée.
L'attitude et le regard fourbe de Firouze ont suffi à me forger ma propre conviction. Depuis ce jour, je dessine exclusivement au Quatuor, si bien que Chaff a débarrassé pour moi un établi dans son atelier et m'a autorisée à y laisser mon matériel. « Tu es droite et juste, Jehanne. Le briquet était ton idée et tu nous as rétribués, tout comme tu m'indemnises de mon expertise auprès des ateliers et m'a inspiré l'idée de l'éteint-feu. Ce n'est qu'un juste retour des choses. Considère cet endroit comme ton nouveau lieu de travail. »
Malgré ces mesures de précaution, j'ai toujours l'impression que quelqu'un m'observe. Il m'arrive assez fréquemment de jeter des coups d'œil en arrière, sans rien apercevoir. Deviendrais-je paranoïaque ? Pour me tranquilliser, Tirelire a, de lui-même, proposé d'enfermer mes dessins dans un petit coffre-fort de sa confection, dont moi seule détiens la clé. La gentillesse inattendue de l'horloger a achevé de me tranquilliser.
Je commence sincèrement à apprécier ce dernier en dépit de son humeur bougonne. À l'atelier, Tirelire me distrait des frasques de ses sept filles tandis que Tasun et Chaff font les fous à l'étage durant leurs pauses. La bouche fendue jusqu'aux oreilles, l'horloger se plaît jacasser de sa voix fêlée : « Ces deux Humains sont débridés ! Heureusement que je rentre le soir chez ma Philomène ! Je plains cette pauvre Plume de leur boucan ! Elle est leur fille après tout ! s'indigne-t-il. Malédiction ! s'interrompt-il en relisant les notes de sa comptabilité. Les affaires vont mal ! »
Coupant court à mes pensées, j'entends la Commandante jurer entre ses dents :
« Changer d'emplacement à chaque lune, ces chiabrenas sont plus malins qu'on ne le pensait !
Derrière elle, Hroaar répond à mi-voix :
— Les souterrains sont surveillés par les Kovewalts. Y' les connaissent comme leur besace. Le marché noir doit contourner leurs postes de contrôle, mais comment ?
— Il est impossible de circuler sous terre sans transiter par les couloirs Kovewalts. Les pattes de toute la communauté ont dû être graissées sous notre nez !
— Y' suffit d'en graisser une seule, relève le Lieutenant.
— Expliquez-vous.
— Celle du Représentant, lui glisse Ryön en les dépassant rapidement. Les Kovewalts ne se trahissent pas entre eux et s'ils dénigrent constamment les autres races, ils se montrent obéissant vis-à-vis de leurs dirigeants.
Ysma le rattrape en quelques enjambées. Je trottine à leur suite pour suivre la conversation.
— La Garde de la Capitale stationne également quelques soldats... souligne-t-elle, toujours à voix basse. Sont-ils eux aussi corrompus ?
— Nous en aurons vite le cœur net. »
Le tunnel prend fin, mais les odeurs écœurantes persistent. Sur nos gardes, nous débouchons sur une place souterraine, saturée de monde et éclairée par de plus grandes torches. Le bruit est partout. Sont éparpillés des estrades où des créatures sont enchaînées et vendues aux enchères, des échoppes d'où s'échappent des effluves nauséabondes, des étals qui alignent des gemmes et des métaux étranges, des armes prohibées, des tentes où des femelles de toutes les races se tordent dans des postures lascives, y compris des enfants. Ryön vient de repérer un parc d'animaux exotiques aux corps lacérés sous les coups de fouet.
Avec effroi, je réalise que ce qui permet la cohabitation entre les races n'est ni l'ouverture des professions, ni la ferveur pour la modernisation, ni entièrement le commerce, mais la prostitution et les trafics en tous genres.
« D'où viennent toutes ces... Créatures et ces marchandises ? » bredouille Hroaar.
Ryön lui fait signe. Dans des coins, je repère des gardes de la Capitale. Épées dégainées, ils surveillent paresseusement les entrées, appuyés contre les murs.
Alors ce sont eux qui tolèrent et accréditent cette barbarie ! Je cherche une justification : ils supervisent ainsi le lieu et les trafics en empochant des pots de vin. La fameuse paix de Fendôr est illégitime : elle ne repose guère sur une économie de soi-disant commerce et d'échange vertueux entre les peuples, mais sur des dérogations et le crime !
Je songe qu'Ysma est bien calme lorsque je m'aperçois qu'elle n'est plus à côté de nous. Hroaar est déjà après elle.
« Suivons-les ! » chuchote Ryön.
Je me sens gagnée par la nervosité. Le Capitaine pose une main sur mon épaule comme pour me rappeler son plan. En ce moment même, une centaine de soldats arrivent par les différentes entrées, cotes de mailles dissimulées sous leurs longues tuniques. J'aurai à peine assez de temps pour inspecter ces sinistres lieux à la recherche de tout indice d'un portail.
De près, l'offre de biens et de services est plus écœurante encore. Je ne saurai décrire la sensation de révulsion qui me prend à la vue des morceaux de corps mutilés et des odeurs putrides émanant de jarres et de bocaux.
Habillée en homme et le visage maquillé de peintures ethniques, Ysma s'arrête devant un Urhoq colossal arborant les tatouages d'un clan et des scarifications. Il ressemble à Therrar, la chasseuse de prime.
Hroaar nous fait signe de poursuive dans le sens inverse de circulation. La place étant circulaire, Ryön et moi devrions vite les retrouver. En attendant, nous devons faire profil bas. Je suis à des années lumières de l'attitude calme et maîtrisée du Capitaine.
Plus loin, je croise le regard d'un ange égaré. C'est une jeune Humaine, à peine pubère, frêle et chétive, postée à l'entrée d'une tente. Contrastant avec sa peau brune, ses yeux verts clairs comme du lichen sont cernés, inexpressifs. Ses bras et ses jambes, d'une extrême finesse, sont revêtus de quelques voiles transparents, tachés et déchirés par endroits. Une main rabat la toile de la tente. Elle s'ouvre sur un autre Humain complètement nu, la cinquantaine bedonnante. De haut en bas, il avise la fille chétive, aux courbes douces. L'homme pelote un sein à peine formé et satisfait, agrippe une fesse. La bile me monte à la gorge quand je vois la fille disparaître sans résistance sous la toile.
Je ne peux me résigner à ma lâcheté et me faufile vers le campement. Ryön me rattrape en me tirant le bras :
« Des millénaires seront nécessaires avant que les Humains cessent de se conduire comme des animaux.
— Je ne peux pas rester les bras croisés !
— Et que prévois-tu de faire ?
— Je...
— Non ! Pas d'action insensée ni d'entourloupe. C'est à cette condition que tu nous accompagnes » me rabroue-t-il avec compréhension.
Je me souviens surtout de ses propos insultants quand il a déclaré que j'étais la honte des Traverseurs. Mais pour valider cette piqûre de rappel, le Capitaine m'invite d'un mouvement de menton à lever les yeux.
Des spectres longilignes se balancent dans le clair-obscur, en équilibre sur d'étroites corniches rocheuses. Les ombres fantomatiques encerclent silencieusement la place en s'apprêtant à décocher leurs flèches.
Les Elfes possèdent un sens de l'équilibre tout à fait fascinant. Dotés des capteurs au niveau de leur oreille interne, ils perçoivent mieux que toutes autres races la position de leur tête et de chaque partie de leur corps dans l'espace. Je suis prête à parier que si l'un d'eux venait à chuter, il retrouverait appui à d'insoupçonnables prises et se ferait cascadeur invisible.
Nous sommes sur le point de rejoindre Ysma et Hroaar, près d'un périmètre de grosses cordes et de ferronnerie, lorsque Ryön s'immobilise. Livide, la terreur et l'aversion se lisent dans ses yeux fendus. L'ossature de ses mâchoires saille sous sa peau.
Je regarde dans sa direction et comprends alors. Nous faisons face à une sorte de ring où se tient un couple d'Elfes crasseux et couverts de plaies. À califourchon sur un cerf d'une taille monstrueuse aux bois affûtés en pointe et ensanglantés, ils portent des marques de brûlures au cou et aux chevilles. Sans égards pour leur propre chair gonflée et tuméfiée, les Elfes achèvent la bête à mains nues. Poings levés, les spectateurs en délire s'échangent des petits objets et des pièces cliquetantes, en vociférant des beuglements de dépit ou de victoire.
Le couple d'Elfes est tout à fait particulier. Ces êtres ressemblent à des cousins lointains de Ryön. Leur carnation est d'un noir profond et leurs cheveux d'un ébène luisant sont tressés en longues nattes ornées de plumes, de fils et de perles. Ils sont plus petits que le Capitaine et leurs yeux ne possèdent ni iris ni paupière. À la place, une sorte de voile laiteux recouvre leurs orbites, reflétant la lumière des torches. Leurs visages gracieux sont parsemés de points lumineux, scintillants comme des étoiles, mais le bout de leurs oreilles est manquant. Ce n'est pas une caractéristique génétique : elles ont été tranchées !
Le couple d'esclaves s'incline respectueusement devant le cerf aux yeux révulsés. Mains jointes, les orbites en larmes, ils récitent une prière.
Un Adayosh aux cornes dentelées, tatoué comme l'Urhoq avec lequel s'entretient toujours Ysma, enroule une lanière de cuir autour de sa main. L'instant d'après, des sifflements arrachent des cris mortifères aux esclaves. Mugissant, l'Adayosh fait claquer une dernières fois le fouet sur leurs dos, puis lance sur le ring un fléau d'arme et une masse truffés de piques.
Les spectateurs jouent leurs paris. Pour eux, ce combat à mort n'est qu'un divertissement.
« Voyons lequel des deux survivra à l'autre... »
Sous son manteau de fourrure, un robuste Humain à la corpulence redoutable bombe le torse. Les manches retroussées sur les muscles puissants de ses bras, il est appuyé à proximité sur la rampe du ring. Tout son corps velu et grisonnant semble fait d'acier et une large bande rectangulaire de peinture noire lui couvre le regard.
« Les Elfes des Brumes ne devraient pas s'entretuer, murmure Ryön les dents serrés. Ils sont partenaires et ont déjà été déshonorés. Quel crime ont-ils commis pour se voir soumis à un tel traitement ?
Je suis impressionnée par Ryön, par sa constante stabilité. Malgré son physique gracile et ses valeurs ancrées, il demeure un roc dans les pires situations.
— Nul n'est besoin de commettre de crime pour être enchaîné, répond l'Humain en grattant distraitement son cou mal rasé. Mais regardez le beau travail ! On a dû cisailler leurs oreilles à Port Myrrh pour qu'elles soient si bien cicatrisées... Ce sont des professionnels là-bas. Les créatures de la Forêt des Brumes sont difficiles à attraper, autant faire du bon boulot avec ce qu'il en reste !
— Qui parle ?
D'une main, l'Humain rejette en arrière ses cheveux couleur sable, poisseux et striés de gris.
— Norwood Von Eichen, mon gars ! Ancien Dragonnier, désormais Contrebandier pour casser la croûte !
— Les Dragons n'obéissent pas aux Humains. Ni à quiconque d'ailleurs. Seuls les Druides...
Norwood essuie sa main sur ses guêtres serrées au mollet par des lanières de cuir, laissant apercevoir à sa ceinture les larges boucles de son porte-épée. Il considère Ryön par en-dessous, sous ses paupières épaisses et granuleuses. :
— Ah ! C'est que vous ne me connaissez pas ! s'exclame-t-il. Les bestiaux me respectent, vous savez. Le règne animal ploie sous la force et la domination ! D'aucuns disent qu'ils trouvent ces qualités en moi, mais je garde en mémoire de longs trajets sur le dos des écailleux, lance à la main et mines à la ceinture ! Le bon temps, je vous le dis !
Comment démêler le vrai du faux dans cette poisse de sarcasme ? Cet Humain ne m'inspire qu'un profond dégoût.
Sans desserrer les mâchoires, Ryön parle d'un ton grave qui trahit son animosité.
— C'est curieux. Jamais je n'ai entendu parler de vous.
— Mais d'où venez-vous donc ? s'étonne Norwood de sa voix rugueuse à l'accent haché des gens du nord. On m'a attribué de nombreux surnoms, parmi lesquels le Digne Ailé, la Griffe du Nord, l'Ombre des Cimes et j'en passe !
Ponctuant sa tirade, il ouvre son manteau et brandit une chaîne parsemée de dents de toutes tailles. Ce personnage dégage une odeur épouvantable sans parler de son haleine rance et fétide.
— Hélas ! repend-il de son fiel verbeux. Ce temps est révolu et me voilà cloué au sol depuis les derniers traités. Nulle guerre, nul événement à l'horizon, l'ennui nous accable à Fendôr ! Ah ! Argent, belles jambes, panse pleine et boisson suivent la contrebande, mais rien ne remplacera l'excitation ressentie à l'aube de la bataille !
— Ancien Dragonnier, respectez-vous les bêtes ?
— Je vous retourne le commentaire, vous qui venez parier ici !
Ryön lève le menton :
— Votre occupation n'est pas digne d'un ancien soldat.
— Parbleu ! Cela s'appelle de l'honnêteté ! Accepter un gagne-pain pour se nourrir n'est-il pas respectable ? Si vous ne pouvez pas le tolérer, c'est votre problème !
— N'avez-vous pas trouvé d'autre emploi pour mettre vos talents au service de la communauté ?
— Dans quel monde vivez-vous ?
Cette question me fait tressaillir. Norwood l'a vu. Il me détaille telle une pièce de viande.
— Corps tonique, front haut, teint clair, bouche bien modelée... Votre tignasse n'est pas mal. Les ondulations ont du charme. Le regard ? Pénétrant. Oui c'est le mot. Malheureusement, étant donné la taille de vos hanches, vous ne feriez pas une bonne catin.
Ryön s'interpose :
— Surveillez votre langage !
Sa voix monte au son d'un grondement animal. Il a les yeux rivés sur Norwood et sa main a disparu dans sa cape. Il a dû saisir sa dague et s'apprête à frapper au moindre geste pernicieux.
Norwood a compris le message. Je repousse Ryön, consciente de ne pas lui faciliter pas la tâche. Le contrebandier en profite pour me pincer l'épaule de ses gros doigts moites. Sans être féroce, ce geste me broie la clavicule. Toujours camouflé sous sa cape, Ryön se métamorphose et son corps se met à grandir.
— Tiens, tiens. Un Elfe ! Dis-donc, il faut vous pousser pour vous réveiller !
Norwood se tourne vers moi :
— Je vous reconnais maintenant, Traverseuse ! Je pourrai vous dénicher de meilleurs gardes du corps que cette frêle aiguille, dit-il en désignant Ryön du menton.
Sourcils levés, il me sourit de ses dents abîmées. Son ton me donne le frisson, mais je le soutiens du regard.
— Ne le prenez pas mal, se dédouane-t-il, mais pour quelqu'un qui s'est fait attendre sur quatre générations, votre physique est particulièrement banal. Peu de courbes, pâlotte, nez tordu, attributs de la couleur des arbres automnaux. Grande, peut-être... Loin de moi l'idée de vous insulter, mais je m'attendais à une personne plus époustouflante. Si vous cherchez également des parures, je peux...
Ryön se glisse entre nous :
— Tenez votre langue. Sinon, je m'en chargerai !
— Vous vous énervez pour peu.
C'en est trop.
— Eh bien ! dis-je d'un ton sec en bousculant une nouvelle fois Ryön. Votre vulgarité ne vous fait pas défaut ! Mon apparence ordinaire, figurez-vous, me permet de passer partout. Ma présence ici en témoigne.
— Mmmh...
— Rassurez-vous, si mon physique ne vous inspire pas, ma cervelle est bien faite et cet Elfe accomplit un travail remarquable.
— Oh, je n'en doute pas ! Mais alors, vous laisseriez-vous insulter si facilement ?
— Dans la mesure où je n'ai que faire de votre opinion, cela ne me dérange guère.
Les prunelles de Norwood s'embrasent. Je bande mes muscles.
— Vous êtes moins fragile qu'il n'y paraît, reconnaît-il sans se départir de son cynisme. Un conseil, redressez vos épaules, cela vous confèrera plus d'assurance... On ne vous soupçonnerait jamais d'être une Inventrice.
— Je ne le suis pas.
— Ah oui ? Comment expliquez-vous le briquet qui a détruit l'Exposition Universelle ? Quel gâchis ! Il y a des gars qui racontent que vous n'êtes pas très futée... Ou alors, que c'est vous qui avez allumé la bombe.
Je ravale ma salive :
— Portail. Vous en avez entendu parler ?
Norwood part en un rugissement de rire. Il secoue la tête :
— Je vous souhaite bien du courage ! Personne ne s'en préoccupe, c'est une chimère. Je vous le redis : il faut bien manger ! Moi je préfère les bêtes. Dommage qu'il n'y ait plus beaucoup de Wyverns, de Bawas et de Simurghs, ça rapportait gros. Ah ! Ils se sont tous planqués, les bestiaux ! J'ai dû me contenter d'autres créatures. Tenez, il y a peu, j'ai vendu trois...
Ryön plante si brutalement ses yeux polaires dans les siens que le contrebandier a un mouvement de recul.
— Je vous arrête » dit-il d'un timbre maîtrisé.
Norwood pâlit en tirant une épée courte à poignée de bronze.
Un hurlement de rage nous vrille les oreilles. À l'angle, Ysma vient d'embrocher l'Urhoq.
Il n'en faut pas plus à Norwood pour s'enfuir et à Ryön pour me soulever. Dans l'instant, il me projette sur une tente. Consciente du danger et de ma situation, je me recroqueville et m'agrippe fermement à la toile. Du haut de mon fragile observatoire, je regarde les soldats de la Capitale prendre d'assaut la place centrale. La Garde déferle pour sectionner les chaînes et s'accaparer tout l'espace. Combattant en vagues coordonnées, les cuirasses poursuivent sans relâche les esclavagistes et les fuyards en déroute. Je braque les yeux sur deux gardes de Hroaar postés en embuscade. Aussi rusés que costauds, Karl et Reynaud se sont saisi des extrémités d'un long banc en bois et courent dans les allées, renversant des flopées de criminels. Depuis les parois, des salves de flèches clouent les pieds et les capes des déserteurs, anéantissant tout espoir de fuite.
Norwood a disparu de mon champ de vision.
J'aperçois Ryön en train de libérer le couple d'esclaves Elfes. En un revers de main, il a recouvert leur nudité de sa cape, avant de faire volte-face pour embrocher un Adayosh qu'il achève sans pitié. De l'autre côté, Hroaar s'empare des étals pour boucher les sorties et piéger des mercenaires. Ysma, glaive en main, est entrée dans la ronde depuis un bon moment, transperçant tout ennemi qui se présente et hurlant telle une furie.
D'autres Elfes ont sauté de leurs perchoirs et cernent le périmètre d'un filet enflammé, transformant en torche vivante les rares intrépides qui s'y frottent.
Sur un cliquetis d'armes et du tumulte qui s'atténue, les vociférations et les ordres s'achèvent. Tout s'est déroulé selon le plan de Ryön.
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Merci de votre lecture !
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