É P I L O G U E


Je tournais en rond depuis presque trois heures en bagnole, j'avais qu'une envie, rentrer à la maison.

Ce que j'avais fait avait strictement aucun sens, j'avais peur qu'elle parte, et c'était moi qui était parti. Je voulais de tout péter, y avait qu'elle pour me mettre dans des états pareils.

Je voulais juste qu'elle me parle, jusqu'à présent j'avais toujours réussi à la faire parler. Mais ce soir la situation m'avait complètement échappé et j'avais laissé ma colère et ma frustration prendre le dessus. Et putain, j'étais pas assez humble pour y retourner.

Les relations amoureuses étaient supposées se passer comme ça ? J'en avais aucune idée, je savais pas si Idriss et Lucie ou Clem et Ken vivaient ce genre de disputes, ni même si d'autres femmes m'auraient rendu barge à ce point, mais c'était vraiment épuisant à vivre.

« Ne quitte jamais quelqu'un que tu aimes en étant fâché avec lui wouldi, tu sais jamais ce que le Mektoub te réserve. »

PUTAIN ! gueulai-je en donnant un coup dans le volant.

Ma grand-mère avait raison, je le savais bien, la vie tenait qu'à un fil. Mais j'étais tellement vénère contre Maya, toute la soirée elle avait fait dévier le sujet pour pas me parler. Elle m'avait même pas retenu. Peut-être qu'au fond elle voulait que je parte.

Le numéro de mon frère s'afficha sur l'écran du tableau de bord et je décrochai, ça me ferait du bien de me rappeler qui était la personne la plus importante de ma vie.

— Ouais.

— Hakim Akrour ! où tu es ? Que je te réduise en bouillie pour la faire manger à mon fils.

Super. J'avais bien besoin de me faire pourrir par la femme de mon frère.

— Ok, Selem Lucie.

J'allais raccrocher mais la voix de ma belle sœur m'en dissuada.

— Je te jure que si tu raccroches tu vois plus ton neveu pendant six mois.

Ah ouais carrément le chantage, mon frère serait pas d'accord de toutes façons.

— Tu parles, Idriss permettra jamais ça.

— Idriss m'a prêté son portable pour que je t'appelle et que tu décroches, donc crois moi qu'il fera ce que je lui dis.

J'entendis sa voix protester faiblement derrière elle, ce sale traître allait en prendre pour son grade très rapidement.

— Hakim rentre à l'appartement. Je sais que Maya a été trop conne, genre vraiment. Mais je t'en supplie, rentre. Elle a besoin de toi.

— Elle avait pas l'air, répondis-je un peu atteint par les mots de Lucie.

— Je sais, elle est débile, crois moi je l'ai pourrie quand elle m'a appelée. Mais elle croit que c'est finit entre vous cette gourdasse. Elle arrivait pas à parler parce qu'elle est persuadée que t'en a déjà trop fait pour elle et que tu peux pas tout porter. Elle arrive pas à faire son deuil de la danse, Haks. C'est ce qui a rythmé sa vie pendant vingt-six ans. Elle sait rien faire d'autre. Et maintenant que j'ai repris, que Clem s'occupe d'Iris, elle est totalement convaincue de son inutilité.

— Khlass Lucie, c'est pas à toi de me dire tout ça, c'est à elle. C'est trop facile de passer par les autres.

Je l'entendis souffler dans le téléphone.

— Putain mais Hakim, j'avais quelques doute sur l'intellect de ton frère, mais en fait à côté de toi, il est totalement brillant ! Comment tu veux qu'elle te le dise si tu lui laisses une minute pour parler en la menaçant de te barrer ? Évidemment que ça la bloque ! Et maintenant ? Comment tu veux qu'elle te parle si t'es pas là ? Bouge toi le cul avant qu'elle se barre chez vous en pensant que tu l'as quittée pour de bon.

Je soupirai, Lucie avait raison, mais mon orgueil m'empêchait d'agir, revenir c'était admettre mes torts, ramper devant elle, et j'étais pas prêt à ça.

— Hakim, vous êtes fait l'un pour l'autre, tu le sais encore mieux que moi. Je pense même que tu es la personne au monde la plus convaincue que Maya est la femme de ta vie. Alors gâche pas tout pour une question d'ego.

Inconsciemment, ma conduite m'avait reconduit dans le XVe.

— Je vais te laisser Lucie.

— La laisse pas toute seule trop longtemps, quand la tristesse sera passée, elle va être en colère et là mon petit, bon courage pour la récupérer.

Je raccrochai et à peine un instant plus tard « Namira » s'afficha sur l'écran.

Poussant un long soupir, j'acceptai l'appel entrant, restant pourtant silencieux.

— Hakim...

Mes paupières se fermèrent un quart de seconde. Apercevant une place libre sur ma droite, je me garai pour pas prendre le risque de me foutre dans le décor si la discussion dégénérait de nouveau.

— T'es parti pour de vrai.

La voix naturellement cassée que je connaissais par cœur résonnait dans l'habitacle. J'étais à même pas cinq minutes de la maison, elle me manquait. Plus les secondes passaient moins je me souvenais de la raison qui m'avait poussé à partir. Mais tout était toujours si explosif entre nous. On agissait avant de réfléchir.

— T'es loin ? Ça fait presque quatre heures.

Elle avait compté les minutes elle aussi.

— Fais gaffe aux flics, t'as bu trois whiskys, et je sais pas combien t'en avais bu avant de venir.

J'aurais presque pu sourire, elle faisait la conversation toute seule, mais elle savait que je l'entendais.

— Je devrais être furieuse contre toi. Mais j'ai descendu la Zubrowka.

Ah putain. Je comprenais mieux, elle était ivre comme la bonne polak qu'elle était.

— J'pensais que tu partirais pas. Moi j'en ai jamais été capable, elle ricana quelques secondes, Tu te souviens de la fois où j'ai essayé de me barrer de chez toi ? J'ai pas pu aller plus loin que l'escalier. Je crois que je t'aimais trop...

L'alcool lui déliait décidément la langue de façon prodigieuse.

— T'es toujours là ou pas ? Parce que si j'parle dans le vide ça sert peut-être à rien. Ok si t'es là tousse une fois, si t'es pas là tousse deux fois. Ah ben non ça n'a pas de sens ce que je dis. Tu peux pas tousser si t'es pas là. Bon bah, tousse.

Cette fois je ne pus m'empêcher de sourire et d'accéder à sa demande. Je toussai rapidement. Ça m'allait bien comme conversation, j'avais pas ses yeux et son corps pour me perturber, elle parlait et moi j'écoutais.

— Attends t'as toussé une fois ou deux ? Putain ! Bon on va dire que t'es là parce que de toutes façons j'ai pas trop fini de parler. Tu sais où je suis là ? Je suis allongée sur ce putain de canapé, celui qui était chez toi avant, celui sur lequel on a fait l'amour quand t'es rentré de prison. Tu te souviens ? Oui je pense que tu te souviens, tu m'as explosé un soutif Aubade à deux cent balles. Bref, je suis allongée sur ce canapé, et je me rends compte que même si t'es pas là, bah t'es partout. Tu laisses toujours tout traîner. C'est chiant ça. Déjà, y a ton drapeau berbère flashy sur le mur en face de moi, ça va que j'aime bien ton côté chauvin, parce que c'est quand même compliqué d'accorder la déco avec un truc pareil.

Elle s'arrêtait vraiment plus de parler, c'était n'importe quoi. Et dire que quelques heures plus tôt elle était muette comme une carpe.

Hassoul, j'allais pas m'en plaindre et au contraire j'allais totalement profiter de son état d'ébriété.

— Sur le fauteuil en face de moi, y a un vieux maillot du Real floqué « Mékra » qui traîne. Putain Haks, comme si t'avais déjà joué dans cette équipe, tu me désespères. Et puis même, j'ai jamais compris comment tu pouvais être pour deux équipes en même temps ! Et puis y a des trucs Seine Zoo en veux tu-en voilà à peu près partout dans la pièce. Et tes manettes de PlayStation aussi là.... pfff Hakim, jamais tu ranges derrière toi. En plus, je t'avais dit de ranger la bouffe et le plateau, tu parles, y a tout qui est resté en plan sur la table basse.

Je découvrais une facette de ma femme que j'ignorais totalement, c'était la première fois qu'elle parlait de cette voix à la fois calme, cynique et triste.

— Tu sais Hakim, je sais que je suis pas facile à vivre. J'ai un caractère de merde, je m'énerve pour rien. Ces derniers temps, j'ai été encore plus chiante sans doute, je comprends que t'en aies eu ras le bol. Qui me supporterait après tout ? Je veux pas te faire vivre l'enfer que ma mère a fait vivre à mon père. Elle non plus elle avait pas de vie en dehors de lui, pas de boulot, pas d'avenir. Tant que j'avais la danse, ça allait, je me disais que contrairement à elle, j'avais réussi à construire quelque chose de solide professionnellement parlant. Mais maintenant...

Mon Dieu, pourquoi j'y avais pas pensé ? J'avait attendu qu'elle parle alors que j'avais des panneaux lumineux en face des yeux qui m'indiquaient d'où venait sa détresse. Putain mais quel hmar...

— Maintenant que j'ai plus la danse, je sais pas ce que je suis censée faire. Je veux pas vivre à ton crochet, je veux pas que tu sois le seul à ramener de l'argent à la maison. Ma seule entrée d'argent c'est le loyer de mon appartement, c'est déjà pas mal, mais ça suffit pas pour contribuer autant que toi si on fonde une famille. Et qu'est ce que je sais faire moi ? Rien ! Je sais que danser ! Et mon corps veut plus que je danse comme avant. Hakim, j'ai rien, pas de diplôme, pas de connaissances, je vais pas reprendre des études à vingt-six ans. De toutes façons, y a rien qui m'intéresse à part la danse.

Et elle avait tout ça dans le crâne depuis des mois. Et elle disait rien, ne se plaignait jamais. Comme d'habitude. Faire parler Maya était vraiment une des choses les plus compliqué du monde.

— Je sais même pas pourquoi je m'inquiète encore de ça, de toutes façons t'es parti. C'est peut-être plus simple en fait. J'étais clairement pas dans les bonnes dispositions pour t'épouser et avoir des enfants. C'est bête quand même, parce qu'avec toi, j'ai toujours l'impression que je vais tout surmonter. Mais faut croire que je suis vraiment une cause perdue. J'essaie de jamais baisser les bras, de toujours être forte, mais à chaque fois, vraiment à chaque fois qu'il se passe un truc bien, je me mange une claque de la vie en pleine gueule. Je crois que là c'était celle de trop Haks, je suis K.O.

Les yeux clos, j'entendis sa voix se briser sur le dernier mot.

Mais la  foi c'est tout ce qui te reste quand tout est usé.

Je me sentais beaucoup trop con. Il faudrait peut-être des années pour lui faire comprendre que je m'en battais les couilles qu'elle ramène pas de blé. Elle avait un deuil à faire, ça allait prendre du temps, mais elle y arriverait pas seule c'était certain, surtout pas sans un nouveau projet de vie.

Ce qu'elle voyait pas, c'est que moi je voulais la mettre bien, je compterais jamais mon argent quand il s'agissait d'elle. Pas pour en faire une femme entretenue et capricieuse, mais parce qu'elle méritait qu'on prenne soin d'elle.

— Hakim... T'es encore là ? Tousse s'il te plaît.

Poussant un long soupir, j'imaginai ma danseuse allongée dans notre canapé, le téléphone contre l'oreille et les yeux dans le vague. Avec son collant filé, sa jupe à moitié remontée sur ses cuisses, elle devait même pas avoir pris la peine de retirer ses pompes. Peut-être même qu'Hydra était couchée avec elle. Je pouvais me figurer les moindres détails de son visage et de son corps, ses longues jambes musclées, qui la faisaient enrager par leur lenteur, sa taille marquée qui aurait pu rentrer trois fois entre mes bras, la peau fragile de son cou et son parfum doux qui m'apportait tant de réconfort au hebs.

Dans mon esprit s'allumèrent comme deux lanternes glaciales, les prunelles transparentes qui me retournaient le cœur.

— Bon... je vais...

— Maya.

— Ah t'es encore là, au fond j'espérais que tu m'aies pas entendue. Parce que je crois que j'ai dit beaucoup de conneries. Et surtout j'ai l'air pathétique et ça c'est contraire à mes valeurs... Je suis dé...

Je pouvais pas la laisser continuer de parler, elle allait repartir dans un monologue de trois heures.

— Maya...

— Ouais.

— Je t'aime.

Un silence assourdissant emplit la voiture et je démarrai, sachant au fond de moi que c'était la première et la dernière fois que je partais de la maison de cette façon.

Quand j'arrivais quelques minutes plus tard, je la trouvais exactement dans la position dans laquelle je me la figurais. Elle dormait, l'oreille contre son bigo, toujours en communication avec le mien.

Je la saisis sous les épaules et les genoux pour la monter dans notre chambre, toute ma vie j'allais la porter cette schlag.

— Hakim, murmura-t-elle.

Elle s'agrippa à mon sweat alors que j'allais la déposer sur le lit.

— Ouais.

— J'avais peur que tu reviennes jamais.

— Tu t'es trompée. J'partirai jamais.

Un petit sourire naquit sur ses lèvres et je compris qu'elle savait que je ne mentais pas.

-FIN-

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