Chapitre 9 « Wesh t'es sah là ? »
J'étais rentrée chez moi depuis une semaine. Si pendant quelques heures, je m'étais laissée aller à la déprime, j'avais vite rebondi.
Je ne pouvais pas danser mais je pouvais continuer d'entretenir mes muscles et ma souplesse. Je me rendais donc des journées entières à l'Opera pour faire du travail au sol.
Contrairement à ce que je pensais, Solange ne m'avait pas pourrie. Elle s'était contentée de me dire que ma blessure me servirait de leçon et m'enseignerait la patience.
J'avais besoin de digérer, ma déception était si intense. Clémentine avait essayé de m'appeler plusieurs fois mais je n'avais pas décroché. Dans tous les cas ce n'était pas elle la coupable, mais si je pouvais éviter tout contact avec le groupe de rappeurs cela m'arrangerait. La haine que je ressentais à l'encontre d'Hakim n'allait pas en s'améliorant et je me détestais de penser à lui dès que je voyais mon plâtre.
— Maya ! Y'a Daesh qui te cherche !
Je fronçai les sourcils. Benoit venait d'entrer dans la salle de danse.
— Daesh ?
Je ne comprenais pas ce qu'il voulait dire.
— Ouais, un type bizarre, quand je suis passée à l'accueil il s'énervait parce qu'ils voulaient pas le laisser passer. Apparement il voulait te parler.
Nouveau froncement de sourcil pour moi.
— Mais pourquoi tu dis Daesh ?
— Bah il avait pas une tête de terroriste mais presque. Genre Maghrébin barbu quoi.
Ok. Bon Benoit n'était peut être pas si parfait que ça. Je détestais Hakim mais je ne me serais sûrement pas rabaissée à ce genre de raccourcis débile.
Je pinçai les lèvres.
— C'est vraiment limite comme raccourci. Évite ça, j'aime pas. Il est en bas ?
Benoit leva les yeux au ciel.
— Roh ça va on est entre nous ! Oui il est en bas, tu veux que je t'accompagne ?
Je lâchai un soupir d'agacement et récupérant mes béquilles, je tentai de me lever.
— T'as besoin d'aide ?
— Non. C'est bon.
Difficilement je réussis à me mettre debout puis je rejoignis l'ascenseur pour descendre au rez de chaussée, me demandant bien ce que ce crétin des Vosges me voulait.
Il était là, devant l'accueil, mains dans les poches et mine patibulaire.
Terroriste sûrement pas, ours mal léché peut-être bien.
— Qu'est-ce que tu fais là ? demandai-je en claudiquant jusqu'à lui.
Hakim leva les yeux vers moi et détailla ma tenue d'entraînement.
— Faut que j'te parle.
Euh, ok depuis quand on se parlait lui et moi ?
— Sauf que j'en ai pas envie en fait. C'est à cause de toi, ça, répondis-je en désignant mon plâtre.
Le rappeur souffla, clairement il avait l'air de prendre sur lui pour ne pas se barrer. Je ne comprenais pas pourquoi il était venu si c'était un tel effort pour lui.
— C'est important putain, j'suis venu jusqu'ici alors fais pas ta bourgeoise et accorde moi cinq minutes.
Toujours et encore ce mot. Il savait vraiment comment me parler pour que je cède.
— C'est trop d'honneurs que tu me fais. Pourquoi je prendrais sur mon temps pour te parler ? Tu viens et tu m'insultes.
Je le vis serrer les poings, visiblement chacun de nous produisait le même effet sur l'autre.
— Putain tu rends fou ! On fait quoi là ? On parle pas peut être ? Je savais que j'aurais pas dû venir, une galère pire que toi j'ai jamais vu.
À vrai dire, même si j'avais affreusement envie de le planter là, j'étais aussi curieuse de savoir ce qu'il avait à me dire.
— Bon, admis-je à contrecœur, attends moi je vais me changer.
Hakim souffla, mais il ignorait qu'il n'était pas au bout de ses peines. J'avais bien l'intention de le faire poireauter.
Tout était dans la mesure, il fallait qu'il m'attende suffisamment longtemps pour souhaiter ma mort une bonne centaine de fois, mais pas assez pour finir par se barrer en rageant. Vingt minutes devraient faire l'affaire.
Je revins comme une fleur au bout de 21 minutes top chrono.
— Wesh t'es sah là ?
À point.
— Désolée Hakim, comme tu le vois, je suis handicapée. Donc oui, j'suis sah.
Il me regarda comme si j'étais un extraterrestre, surpris de m'entendre prononcer correctement un mot arabe.
— Je suis à moitié égyptienne, tête de con.
Hakim écarquilla les yeux comme si je venais de lui annoncer que j'étais en fait un homme.
Je levai les yeux au ciel. Il y avait tellement de choses qu'il ignorait sur moi.
— T'es pas très typée.
À moitié, trou de balle, ça voulait dire que de l'autre côté je n'étais pas égyptienne.
— Ma mère est polonaise. D'où les yeux bleus.
Sacré mélange hein.
— Attends mais pourtant t'as un nom bien français...
Bon, je commençais à en avoir marre de discuter avec lui comme si nous n'étions pas en froid.
— Je suis pas là pour te raconter ma vie, Hakim.
Il hocha la tête se rappelant sans doute qu'il me détestait.
— J'ai besoin d'un verre, annonçai-je.
Ni une ni deux, je sortis du Palais Garnier en claudiquant sur les mes béquilles. Il me suivit.
Marcher avec des béquilles, c'était l'horreur absolue, j'avais des ampoules aux mains, mes bras étaient courbaturés, pourtant Dieu sait que j'étais musclée.
Hakim me suivait et je faisais exprès d'être encore plus lente que d'habitude, traverser la rue nous prit un temps fou et je le sentais enrager à côté de moi.
Mais il était coincé, s'il me faisait une réflexion, il me suffisait de de lui rappeler qu'il avait qu'à regarder devant lui lorsqu'il conduisait.
Je me laissai tomber sur une chaise. Il fit de même.
— Une Vodka s'il vous plaît, demandai-je au serveur.
— Un Whisky.
Hakim me détailla un instant, lui comme moi étions surpris de nous retrouver à boire un verre ensemble. Mais quitte à supporter sa présence, autant être aidée par l'alcool.
— Bon , t'as quoi à me dire ? demandai-je lorsque mon verre fut en face de moi.
Il but une large gorgée de liquide brun et claqua son verre sur la table.
— Faut que tu voies Clem ou que tu l'appelles.
Je clignai plusieurs fois des paupières. Sérieusement ?
— Attends, tu vas me dire que tu m'as fait tout ce sketch pour me sortir un truc que t'aurais pu me dire en deux secondes en bas de l'Opera.
Il avait l'air embêté.
— Écoute, si j'avais pu m'épargner le voyage je l'aurais fait. Mais Clem je sais pas si t'as remarqué, elle est un peu chelou comme meuf. Qu'elle aille mal, c'est une chose, limite je lui dirais de se démerder. Le problème, c'est que ça déteint sur mon kho.
Je ne voyais pas où il voulait en venir.
— Explique moi en quoi je suis responsable du fait que Clem aille mal, parce que là je saisis pas trop.
Il triturait machinalement sa chevalière, je sentais qu'il essayait de m'expliquer quelque chose mais qu'il ne savait pas comment s'y prendre.
— Elle a un problème avec la bouffe. J'ai jamais vraiment compris, mais en gros elle allait mieux. Et je sais pas je crois qu'y a un bail avec un des gars, c'était son meilleur srab et d'un coup ils se voient plus. Déjà elle avait un peu recommencé les conneries à cause de ça. Hassoul, c'est pas le sujet. Depuis que t'as eu ton truc, je sais pas elle se sent coupable et Nek aussi. Ils ont un souci avec la culpabilité, j'y comprends que dalle mais là elle vrille et lui aussi.
Je compris que Clem avait des troubles du comportement alimentaire, je connaissais bien le sujet, des dizaines de danseuses y étaient confrontées. Je regrettais d'avoir ignoré ses appels, elle devait penser que je lui en voulais à elle. Je bus mon verre d'une traite.
— Je peux avoir la même chose ? demandai-je au serveur qui passait à côté de moi.
Hakim fit signe de le resservir également.
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