Chapitre 71 « Elle me donnait de tes nouvelles »
Oh mon Dieu on a atteint les 100k sur Félins, je n'en reviens pas. Vous êtes incroyables, ce ne sont que des chiffres mais je suis tellement heureuse de voir que ce que j'écris vous plait. Merci infiniment, je sais que j'ai pris du retard dans mes bonus mais je me concentre un peu sur la fin de Félins.
Vous êtes géniaux, j'vous kiffe !
Bonne lecture.
❤️
— Maya !
Mon père se souvenait de mon prénom, c'était déjà un début.
Mes ongles se plantèrent dans la chair de la paume d'Hakim.
— S'il te plaît, allons-nous en.
Mais il ne cilla pas, faisant bloc à côté de moi.
Ma mère se leva à son tour et s'approcha de nous, j'eus un nouveau mouvement de recul.
— T'as peur de personne Namira, chuchota la voix de mon rappeur.
Quelle idiote d'avoir suivi le conseil de Clem.
— Maya, dit ma mère, je ne savais pas que tu viendrais accompagnée.
Ah oui, je n'avais pas mentionné Hakim parce que j'avais peur qu'elle me force à venir seule. En fait, aucun d'eux ne savaient qu'il y avait quelqu'un dans ma vie, ma génitrice était folle et j'avais trop peur qu'elle sème la tempête entre nous.
— Maya, ma fille, repris mon père, Marhaba, tu es devenue une belle jeune femme.
Comment osait-il simplement m'appeler « ma fille » alors que pendant des années il avait simplement oublié mon existence. Son accent arabe prononcé et sa voix douce me rappelaient tant de souvenirs, j'étais perdue entre l'envie de me jeter dans ses bras et celle de le rouer de coups.
Ses yeux se posèrent sur ma main droite, recouverte par celle d'Hakim, puis il le détailla avant de s'arrêter quelques instants sur le diamant qui brillait sur mon annulaire gauche.
— Tu ne nous présente pas ton ami ?
J'eus beaucoup de mal à ouvrir la bouche, et le seul mot qui sortit de celle-ci fut :
— Hakim.
Mon père écarquilla les yeux, je compris qu'il était surpris que sois avec un homme portant un prénom arabe. De toute évidence, sachant que ma grand-mère m'avait élevée, il pensait que je finirais avec un Polonais.
Il salua alors Hakim dans sa langue maternelle, ce dernier répondit avec une froideur assez extrême qui me rassura, il était toujours de mon côté.
— D'où êtes vous ? demanda ma mère.
— De Paris, répondit-il avec une pointe de sarcasme.
Oh mon Dieu, merci d'avoir mis cet homme à mes côtés.
Mon père considéra Haks avec un regard à la fois curieux et inquiet et finit par demander :
— Vous êtes kabyle, n'est-ce pas ?
Facile à deviner, il portait un « yaz » Amazigh autour du cou.
Mon fiancé hocha sobrement la tête, conservant sa mine sombre.
— On est là pour parler des origines d'Hakim ?m'animai-je soudainement, Parce que si c'est ça, il vous file une photocopie de son passeport et on s'arrache.
Ses doigts pressèrent doucement les miens, il sentait que la stupeur laissait place à l'énervement, si une crise de colère me gagnait trop vite, nous aurions fait le trajet pour rien. Mon père resta extrêmement calme, comme toujours.
— Tu as raison, nous sommes juste surpris que tu ne sois pas venue seule. Asseyez-vous, on va parler, benthi.
Son dernier mot eut l'effet d'une décharge électrique sur mon organisme, comme une claque du passé en pleine figure.
« Ta maman nous aime, benthi »
— Appelle moi encore une fois comme ça, et je te jure sur la tête de maman que je me tire et que c'est la dernière fois que tu me vois. J'ai cessé d'être ta fille à l'instant où tu m'as laissée toute seule avec elle.
— Nam... chuchota Haks.
Mon père leva la main en signe d'apaisement et nous invita à nous assoir à table.
La paume d'Hakim délivra mes doigts pour se poser sur mes reins et me pousser doucement vers l'avant.
— Tu boites ? demanda ma mère, Tu t'es blessée en dansant ?
Je ne répondis pas, depuis quelques semaines, le mot danse était tabou. J'avais eu un rendez-vous chez le médecin qui m'avait clairement expliqué que je ne pourrais jamais retrouver le niveau de souplesse et d'équilibre qui était le mien avant l'accident.
Hakim tira ma chaise et je m'assis en même temps que mes deux géniteurs, il s'installa ensuite à ma droite.
— Maya, commença alors mon père, nous voulons simplement prendre le temps de t'expliquer.
Je ne répondis pas, qu'ils parlent et vite, qu'on en finisse une bonne fois pour toutes.
— Ta mère et moi n'avons jamais vraiment rompu le contact... Je suis parti parce que nous ne construisions rien, qu'elle était trop instable. Mais je l'aimais toujours. Nous nous sommes beaucoup écrit. J'ai été marié pendant presque quinze ans avec une autre femme. Mais je gardai le lien avec Elena, elle me donnait de tes nouvelles et quand j'ai divorcé, je l'ai fait venir.
Une sourde colère contracta mes muscles, je sentis que la situation dégénèrerait plus vite que prévu. Je ricanai.
— Elle te donnait de mes nouvelles, interessant. À quel moment ? Quand elle était en prison pendant trois ans ? Quand Babcia est morte à cause de sa négligence et que j'ai failli y passer aussi ? Quand elle était avec Étienne et qu'elle lui faisait vivre un enfer, alors qu'il se saignait pour nous ? Quand elle n'était pas là pour venir voir mes ballets ? Dis moi Youssef, parce que ça m'intéresse vraiment de savoir à quel moment elle a pu te donner des nouvelles de mon existence.
— Maya... calme toi, tu sais très bien que j'ai fait ce que j'ai pu, m'intima ma mère en fuyant mon regard.
Mon Dieu mais quel mensonge ! Elle s'était toujours complu dans sa médiocrité, détruisant la vie des autres et ne revenant que lorsqu'elle avait besoin d'eux.
— J'y crois pas Maman, tu lui donnais de mes nouvelles ? C'est comme ça que c'est censé fonctionner une relation entre parents et enfants ? Mais où étiez-vous quand j'ai appris à lire ? Où étiez-vous quand il fallait payer mes cours de danse ? Où étiez-vous quand j'ai été admise à l'ONP ? Quand Babcia est morte ? Quand j'ai intégré le corps de ballet ? Quand je suis devenue première danseuse ! Un père, c'est censé protéger sa famille, particulièrement sa fille ! T'étais où quand un homme a abusé de moi pendant des semaines ? C'était pas à Haks de me venger, c'était à toi !
T'étais où quand j'ai failli mourir écrasée par une voiture ?
Je m'étranglais presque tellement mon débit de parole était rapide, tout sortait, vingt ans d'abandon resurgissaient avec une violence qui me brûlait la gorge.
— Comment osez-vous simplement m'inviter au restaurant comme si de rien était, alors que pendant des années vous ne vous êtes même pas souciés de savoir si j'étais en vie ! Maman, sais-tu seulement où est Joanna ? Tu sais « papa » l'autre fille de l'amour de ta vie, celle qu'elle t'a fait dans le dos ? Pourquoi c'est moi qui m'en suis occupée ? Pourquoi ai-je dû la recueillir, l'aider à régler les problèmes dont TU es l'origine, Elena.
Je me stoppai un instant pour boire une très longue gorgée d'eau. Mon père allait réagir mais Haks, d'un signe de main, lui intima de me laisser finir. Il la posa ensuite sur ma cuisse pour me rappeler sa présence.
— À cause de vous, j'ai passé des années à penser que l'amour était une vaste arnaque, que je n'y avais pas le droit. J'ai pensé que je ne serai jamais capable d'aimer qui que ce soit et pire encore, que je n'étais pas digne d'être aimée parce que j'avais peur d'être comme toi, maman. Vous êtes étonnés que je ne sois pas venue seule, mais je voulais vous montrer la personne qui a fait infiniment plus pour moi en deux ans que vous en vingt ans. Vous m'avez brisée, il m'a réparée. Pourtant encore aujourd'hui, à cause de vous, je doute d'être capable de fonder une famille. J'ai peur de faire les mêmes erreurs, de faire souffrir Hakim comme tu as fait souffrir papa, d'abandonner mes enfants comme vous l'avez fait, tous les deux. Vous ne pouvez pas savoir à quel point je vous hais, toi maman parce que tu n'as jamais pensé qu'à toi, et toi papa, parce que tu m'as laissée avec elle alors que tu aurais pu m'emmener en Égypte.
J'avais fini, je voyais mon père au bord des larmes et ma mère, les yeux dans le vide, l'air totalement éloignée de la conversation. Elle avait toujours fait ça, dès que quelqu'un la mettait face au mal qu'elle faisait autour d'elle, elle cessait simplement d'écouter. J'évitai soigneusement de regarder Hakim, consciente d'avoir révélé des choses le concernant que je n'avais jamais exprimé à haute voix en sa présence.
— Maya... souffla finalement mon père, J'ai voulu t'emmener. Ta grand-mère a refusé. Elle m'a empêché d'avoir tout contact avec toi. J'ai essayé de te voir quand tu avais dix ans, là encore elle a refusé. J'ai téléphoné plusieurs fois. J'ai voulu te faire venir ici, pour que tu connaisses ton petit frère. Mais elle ne m'a plus jamais laissé m'approcher de toi. Ta mère n'avait pas voulu que je te reconnaisse, je ne pouvais rien faire, légalement je n'avais aucun droit sur toi. Ça aurait été un kidnapping.
Je le croyais sur parole, je voyais très bien Babcia faire cela, mais rien ne changeait.
Un petit frère ?
— Quand on veut vraiment quelque chose, on l'obtient. Babcia est morte quand j'avais seize ans, je t'ai pas vu réapparaître à ce moment là. J'ai Facebook depuis dix ans et un portable depuis tout autant de temps, me fais pas croire que tu ne pouvais pas me contacter par ces biais. Et puis, comme tu l'as dit, tu étais en contact avec maman, elle te « donnait de mes nouvelles ». Tu n'as absolument aucune excuse.
Je réalisai alors que quoi qu'il puisse dire, je ne lui pardonnerais pas. Du moins pas maintenant, et encore moins à ma mère.
— Maya, benthi...
Me levant brutalement, je fis sursauter les trois autres.
— Je pense qu'il n'y a rien de plus à dire, si tu veux un jour que je t'accepte de nouveau dans ma vie, que je connaisse mon petit frère comme tu dis : Quitte-la, sois enfin un putain d'homme libre et arrête de subir sans rien dire, prouve moi que t'as envie d'être mon père. La vie est courte, je suis bien placée pour savoir qu'elle ne tient qu'à un fil, je te souhaite de ne pas mourir avec des regrets. Notre mariage est dans six mois, si t'es là, peut-être que je t'accorderai un peu de temps. Toi, dis-je à ma mère en me tournant vers elle, t'es pas invitée t'as gâché la vie de Joanna et la mienne, tu fais rien pour te racheter, tant que tu reconnaîtras pas tes torts, c'est même pas la peine de chercher à me parler.
Je quittai alors la table et entendit la chaise d'Hakim bouger, mais mon père l'appela et je les entendis échanger quelques mots en arabe pendant que je m'éloignais de la terrasse en boitant.
Une fois dehors, l'air chaud et pollué du Caire ne m'aida pas à me calmer, j'étais profondément bouleversée par cette entrevue, même s'ils n'avaient presque rien dit. J'avais déversé le poids d'années de ressentiments et je ne savais pas dire si je me sentais mieux ou non.
Des bras puissants entourèrent mes épaules et je sentis la barbe d'Hakim me piquer l'oreille quand il me murmura :
— C'est fini.
Mes mains rejoignirent ses poignets et je laissai retomber ma tête contre son cou.
Autour de nous la ville bouillonnait, les bruits des vieilles pétrolettes, des voitures, des vendeurs de rues envahissaient nos tympans. Mes nerfs étaient à vif et toute cette agitation aurait pu amplifier ma fébrilité, mais j'avais contre moi ma plus grande source d'apaisement.
— On décolle ? chuchota-t-il en sentant mon pouls se calmer.
J'acquiesçai et il prit ma main pour m'emmener plus loin.
— J'ai la dalle, sah avec tes discours on a rien mangé.
Nous échangeâmes un sourire, il ne perdait jamais le Nord celui-là.
Dans une petite rue typique, nous trouvâmes de quoi satisfaire son estomac impatient et je pus le questionner sur ce que lui avait dit mon père avant de partir. Hakim plia les lèvres et haussa les épaules.
— Il m'a juste dit de veiller sur toi. Et il m'a remercié d'avoir su faire ce qu'il n'avait jamais fait.
Je hochai la tête et ne pus m'empêcher de rire devant son air satisfait alors qu'il contemplait une brochette d'agneau grillé.
— Pas si mal que ça l'Égypte non ?
Haks m'adressa simplement un sourire, puis après avoir mordu dans sa viande, finit par lâcher :
— Ok, j'avoue, c'est hella.
Mais quel miracle !
J'ignorais s'il voulait parler de ce que nous venions de vivre avec mes parents, ni même si j'en avais moi même envie. À dire vrai, je n'osais pas aborder le sujet, toujours un peu gênée par ce que j'avais laissé échapper sur lui.
— Te tracasse pas Nam, ton père se sent trop con et il culpabilisera à vie. Et ta mère, j'vais pas l'insulter, parce que c'est ta mère, mais putain... Elle a même pas été capable de te regarder dans les yeux. Je te jure que t'es pas comme elle. Physiquement au début ça m'a fait buguer, parce qu'elle fait comme toi avec ses yeux. Ça devrait être interdit ce truc, ça rend barge. Mais sah, t'as rien à voir avec elle, c'est une lâche à qui on a jamais fait comprendre qu'elle était plus que son physique.
Je soupirai, cela me faisait du bien d'entendre ces mots, ma mère avait toujours été une sorte de bête noire à laquelle j'étais terrifiée de ressembler.
— Ce que j'ai dit sur toi... Haks je veux pas que tu crois que je t'utilise pour combler un vide ou...
— Khlass, j'ai jamais pensé ça. C'est hnine c'que t'as dit.
Nous passâmes le reste de la semaine à visiter Le Caire, passage obligé par les grandes pyramides de Gizeh, le Sphynx et une excursion dans le désert qui plut beaucoup a Hakim. Les visites de la Mosquée Mohammed Ali, du Souk et les trésors de civilisation du Musée Égyptien occupèrent le reste de notre emploi du temps. J'avais toujours voyagé uniquement pour mon travail, et c'était la première fois que je prenais vraiment le temps de visiter une capitale mondiale. C'était fascinant, d'autant plus que cette ville faisait partie de mes racines.
Quand nous dûmes rentrer à Paris, je sentis mon cœur se serrer à l'idée de quitter cette cité historique, inégale, trépidante et magnifiquement touchante.
— Oh putain, s'exclama Haks en consultant son téléphone alors que nous venions d'arriver à Roissy.
— Quoi ? m'inquiétai-je.
— On trace à Port-Royal, Clem est en train d'accoucher, je veux pas louper la naissance d'un deuxième neveu.
Ce qu'il y avait de bien avec ma nouvelle famille, c'était qu'elle ne nous laissait jamais le temps de nous ennuyer.
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