Chapitre 65 « T'as l'air mordu d'elle »

——Hakim——

Bénie soit celle qui embellit ton ciel
Même dans l'horreur pénitentiaire.
Quand tes erreurs pénibles t'encerclent
Et quand le mal t'enserre
T'as une femme sincère t'en es maintenant certain...

À chaque fois qu'elle arrivait, j'avais la voix de Nek dans la tête. Je me sentais méga niais d'être aussi soulagé en la voyant chaque mardi. C'était con mais le fait de pas pouvoir être là tout le temps pour la raisonner me faisait un peu baliser. On savait jamais ce qui pouvait passer par la tête de cette grosse folle.

Quand Ken était venu, pour m'annoncer que sa femme était enceinte, il m'avait fait passer une enveloppe de la part de Clem. J'avais halluciné en découvrant dedans des tirages photos. Limite j'étais content qu'il ait une meuf aussi fragile parce que ça faisait vraiment trop du bien d'avoir ces tofs avec moi. Elle m'avait mis une vieille photo du L, une du S-Crew, de Naël, de mes staffs et surtout, une photo de Maya que je connaissais pas. J'avais bugué pendant vingt minutes en la regardant, assis sur une chaise en salle d'activités.

Y'avait pas à dire, ma femme était clairement un cran au dessus de toutes les autres.

— Tu fantasmes sur les danseuses toi ? me demanda Bernard, un codétenu de soixante-cinq balais.

— C'est ma meuf, grognai-je un peu vexé que ça lui soit pas passé par la tête.

Il ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes, et je serrai les dents d'avance, sachant que j'allais souper des commentaires salaces pendant quarante-cinq minutes. Bernard était... particulièrement pervers.

— Bah dis donc tu dois te faire plaisir mon salaud, j't'aurais pas imaginé avec une femme aussi bonne.

Mon regard foudroyant eut pas l'air de le calmer parce qu'il tendit la main vers moi.

— Fais voir de plus près !

Jamais de la vie. Imaginer ses sales doigts sur le corps de Maya, même en photo, me donnait des pulsions meurtrières.

— Allez ça va ! Fais voir, répéta-t-il en riant.

Je me levai brusquement pour lui faire face.

— Cherche pas la merde.

Son sourire s'effaça, il comprit enfin que j'avais pas du tout envie de golri. Il leva les mains en signe d'abandon.

— Ok calme toi, je voulais pas t'énerver.

Je répondis pas et me rassis, j'osais pas plier la photo par peur de l'abimer, mais j'avais pas trop le choix, je voulais pas que l'autre puisse y accéder. Me résignant en soupirant, je rabattis les bords l'un sur l'autre et l'enfouis dans la poche de mon jean.

— T'as l'air mordu d'elle, gamin.

Encore une fois je restai silencieux, c'était l'attitude que j'avais adopté et que je conservais depuis que j'étais au hebs, c'était le plus simple, y avait vite fait deux trois mecs avec lesquels je traînais mais j'étais pas là pour me faire des potes. Je purgeais ma peine, et me barrais pour plus jamais revenir. Je passai mes journées à écrire, à regarder la télé et à attendre.

— Du coup, c'est une danseuse ta femme.

Putain mais il commençait vraiment à me vénère à parler d'elle, là. Je me contentai d'un hochement de tête bien bresson pour lui faire comprendre que j'avais pas l'intention de lui raconter ma vie.

— Vous avez des enfants ?

Je repensai alors à la tête de Maya lorsque, sans vraiment savoir pourquoi, je lui avais parlé de marmots au dernier parloir. Elle était devenue tellement rouge qu'on aurait dit que je lui avais balancé un truc haram. D'ailleurs, si ça avait vraiment été le cas, elle aurait sûrement même pas sourcillé. Mais elle était pas partie en courant, elle avait pas paniqué, juste bafouillé un truc incompréhensible qui m'avait fait rire.

Elle flippait moins, je le sentais. Depuis qu'on avait posé cartes sur table, elle avait compris que j'avais pas l'intention de chercher autre chose alors qu'elle était tout ce que je voulais.

C'était vraiment chelou parce qu'il y'a un an ou deux, on m'aurait dit que je finirais avec une rabsa polak aux yeux transparents, et dont le passe temps favoris serait de danser en justaucorps sur de la musique classique, j'aurais eu du mal à le croire.

Pourtant avant, quand j'imaginais l'avenir, je voyais des gosses mais une femme au visage flou. J'avais des critères bien sûr, zahma une algérienne, Kabyle de préférence, qui se respecte un peu, pas fragile et qui me les brise pas trop.

Mais non, il avait fallut que j'écrase une sorte de déesse casseuse de couilles, issue d'un métissage des plus chelou, blessée par la vie, violente et agressive, elle était détestable et c'était ce qui m'avait donné envie de l'aimer.

Et maintenant le visage n'était plus flou, bien au contraire, il s'imposait à mon esprit avec une force digne de sa propriétaire.

La prison, ça permettait de cogiter, de réfléchir, de réaliser des trucs. Et moi j'avais compris que j'avais trouvé la bonne meuf.

Alors ouais, j'avais parlé de gosses, parce que c'était évident que c'était avec elle que je voulais en faire. Pas forcément tout de suite, mais un jour, quand elle en aurait envie aussi. Et je savais que ça viendrait, parce que je la connaissais mieux qu'elle même. La tigresse était apprivoisée, comprise, apprise mais pas maîtrisée pour autant.

— Et bah, t'es vraiment pas bavard toi.

Perdu dans mes pensées, j'avais complètement zappé la présence de ce casse-couille de Bernard.

— Elle vient te voir ?

Machinalement, je jetai un œil au calendrier sur le mur. On était jeudi, ça allait être long. Mais normalement j'avais parloir l'après-midi même avec Idriss.

Putain j'avais trop hâte de voir mon frère, il était daron... Incroyable, personne aurait pu penser qu'il aurait des mioches avant moi. Et Ken qui était bien parti pour le rattraper, j'allais être le dernier. Merde, moi qui voulait avoir un fils qui serait le boss, c'était mal barré s'il avait cinq ans de moins que tous les autres.

Enfin, le fils de mon frère s'appelait Naël, mon gosse avait encore toutes ses chances de le dominer.

— Pourquoi tu veux pas parler d'elle ? Elle t'a quitté c'est ça ?

Mais mec, si j'ai pas envie de te parler de ma hlel j't'en parle pas c'est tout, commence pas à dire des trucs comme ça tu vas me porter l'œil, pensai-je en le fusillant du regard.

— Roh mais aller quoi, pourquoi tu dis rien !?

Cela faisait dix minutes que ce type me parlait et j'avais déjà envie de l'égorger comme un mouton.

— J'dis rien parce que j'ai pas envie d'te parler, j'suis pas ton shab alors casse pas les couilles.

Mais visiblement, plus je restai mutique et évasif au sujet de Maya, plus ça avait l'air de piquer la curiosité du gars.

— T'énerve pas fiston, j'veux pas te la voler, j'essaie juste de comprendre comment tu t'es dégoté une telle créature divine.

Un petit sourire m'échappa en pensant que ma meuf aurait pas vraiment apprécié ce terme pour la qualifier.

— J'l'ai écrasée en voiture, lâchai-je, et crois pas ce que tu vois, elle ressemble à un ange mais elle a un caractère du sheitan.

Bernard me détailla un instant, surpris par ma soudaine confidence. J'étais le premier étonné d'avoir laissé échapper ces mots.

— C'est à cause d'elle que t'es là, pas vrai ?

Je ne répondis plus, ayant aucune putain d'envie de dire à ce mec que ma femme avait été violée. C'était un des trucs les plus dur, savoir que ce fils de pute était toujours dehors pendant que je crevais d'ennui au hebs.

Bernard sembla se rendre compte que la discussion était terminée et me laissa tranquille.

Plus tard, dans ma cellule, je dégageai la photo de ma poche et la fixai avec les autres sur le mur au dessus de mon lit. Valait mieux pas qu'elle sorte d'ici. Il me restait plus que deux mois à tirer, j'avais vraiment hâte de sortir, rien que pour le rap.

J'avais quand même de la « chance » parce que la prison venait d'être refaite, j'avais une cellule individuelle, plutôt propre, comparé à certains reufs qui avaient été dans des conditions épouvantables, je me mettais plutôt bien.

(...)

Mon frère me checka avant de m'adresser une longue accolade. C'est vraiment bon de le voir.

— Comment ça va ? demanda-t-Il.

Je haussai les épaule et pliai les lèvres pour lui faire comprendre que ça n'allait ni bien ni mal, je me faisais juste chier.

Il me parla de son fils pendant quarante-cinq minutes sur les deux heures de parloir que nous avions. Sah, j'étais content de le voir aussi heureux mais connaître tous les détails de l'accouchement, j'aurais pu m'en passer.

Je lui posai quelques questions sur l'album en préparation, on devait le sortir dès que j'étais dehors. Cette année les gars avaient annulé la tournée des festivals, pour moi, parce que je passai mon mois de juillet ici. Putain vivement fin août quand je serais au bled, peut-être avec ma meuf, cette fois.

— Et Maya ? demandai-je.

Idriss grimaça et je sentis une pointe de panique me piquer le cœur.

— Qu'est-ce qui se passe ?

— Bah euh, hier elle a appelé Lucie, et je crois qu'il s'est passé un quetru avec sa daronne, mais j'ai pas compris quoi. Elles parlaient d'Egypte, c'était vla chelou. Après Lucette a rien voulu me dire.

Mleh, encore des histoires avec sa mif, comme s'ils pouvait pas la laisser tranquille deux secondes.

— Ok, dis lui d'échanger avec Zer2 le parloir de samedi.

Fallait que je la voie pour jauger la gravité de la situation et la calmer si besoin.

Mon frère hocha la tête et j'espérais qu'il saurait se montrer persuasif avec cette tête de mule.

— Mes chiens ? demandai-je.

— Nickel, Hugz gère bien Creed, et Maya récupère Hydra tous les soirs chez Clem et Ken avant de rentrer.

C'était les solutions qu'on avait trouvé pour les chiens depuis le retour de Ken et Clem. Maya était rassurée par la présence d'Hydra la nuit, elle faisait pas trop de cauchemars, mais comme elle bossait toute la journée, Clem s'en occupait ou Ken l'emmenait en studio. Creed lui était avec Hugz à temps plein.

C'était clairement pas le bon bail pour eux, ils avaient besoin de stabilité. Mais bientôt on aurait notre jardin ou notre petite cour où ils seraient plus libres et plus heureux.

(...)

Le samedi suivant, je mis quelques secondes à réaliser que la belle brune qui m'attendait était la mienne. Elle avait reteint ses cheveux.

— Namira, dis-je en l'attirant contre moi.

D'habitude, elle était assez distante pendant nos rencontres carcérales, mais là, ses bras entourèrent ma taille avec force et elle nicha bien vite sa tête dans mon cou.

L'odeur de son parfum imprégnée dans ses cheveux, emplit mes narines et je sentis mon corps se détendre. On allait pas se le cacher, la prison, même refaite à neuf, ça puait. C'était comme les hôpitaux, y avait une sale odeur qui te collait au nez et à la peau toute la journée et que tu finissais par trouver normale.

Alors sentir le parfum de Maya était presque surréaliste.

Je caressai doucement ses cheveux et attendit quelques secondes avant de saisir sa mâchoire pour relever son visage vers moi.

— Qu'est-ce que t'as toi, encore ? murmurai-je.

Elle battit un peu des paupières, l'air grave gêné.

— Embrasse moi s'il te plaît, dit-elle à mi-voix.

J'allais pas me faire prier, même si c'était toujours plus frustrant ensuite. Je fus surpris par la violence avec laquelle sa bouche répondit à la mienne. Elle était vraiment en mode tigresse, et quand nos visages se séparèrent j'avais un goût de sang dans la bouche.

— T'as quoi bordel ?

— Ma mère a pété un câble Haks.

Me laissant tomber sur ma chaise, je l'attirai sur mes genoux pour l'inciter à m'expliquer la situation. Elle cacha de nouveau son visage dans mon sweat et je profitai de son odeur.

— Elle est partie en Égypte, retrouver mon père.

Oh putain. Il manquait plus que ça.

— Sah ? Mais il a pas une femme et des gosses ? demandai-je.

Elle tirait fébrilement sur les cordons de ma capuche, j'avais l'impression d'avoir un gros bébé dans les bras.

— Je sais pas je comprends rien, je te jure c'est le gros bordel, elle veut que je vienne pour le voir.

Je me tendis subitement, elle n'allait quand même pas partir en Égypte maintenant, si ?

Ma meuf perçut aussitôt mon inquiétude et s'empressa de me rassurer.

— Je bouge pas de Paris tant que tu es là, Haks. De toutes façons j'ai un énorme ballet en ce moment, c'est impossible. Et puis devine quoi, apparemment ils pensent sérieusement à me nommer étoile.

Elle avait dit cette dernière phrase sur un ton blasé et je me sentis un peu triste pour elle. Un an plus tôt elle aurait été totalement hystérique, ce fils de pute avait vraiment tout gâché.

— Tu pars pas alors ?

Elle secoua la tête contre moi et je fus un peu soulagé, j'étais clairement pas prêt à être privé de ses visites.

— Mleh, lâchai-je.

— Hakim...

— Ouais.

Elle releva brusquement la tête vers moi et comme chaque fois j'eus l'impression de recevoir un seau d'eau en plein face devant l'intensité de ses yeux glacés.

— Est-ce que tu seras fier de moi si je deviens une étoile ? Ou est-ce que toi aussi tu t'en fous ?

Un petit sourire m'échappa, c'était tellement rare qu'elle ait l'air aussi peu sûre d'elle.

— Oui je serai fier Nejma.

Ses yeux s'écarquillèrent en m'entendant l'appeler ainsi et elle sourit à son tour en me donnant un petit coup dans le bras.

— T'es trop niais Hakim Akrour, souffla-t-elle.

Je levai les yeux au ciel tellement sa remarque était pas crédible pour deux sous.

— Tu vas faire quoi pour tes ieuvs ? demandai-je subitement pour casser cette atmosphère un peu guimauve.

— Euh... je sais pas, ça me pèse un peu je t'avoue, j'ai pas du tout envie de les voir. Je me dis que je vais attendre que tu sortes et peut-être que tu pourras m'aider à prendre une décision.

Parfait, si elle m'attendait c'était qu'elle était pas trop paniquée et surtout que mon avis comptait dans ses décisions.

— Hakim.

— Ouais.

— Tu sais, ça me fait pas mal remettre en cause tout ce que je pensais sur l'amour, enfin c'est dingue quand même, ils s'étaient pas vus depuis vingt ans...

Du très grand Maya, à travers une phrase bien tournée, elle exprimait cent fois plus que les mots qu'elle employait.

— On en parlera dehors, soufflai-je en embrassant sa tempe.

(...)

Une semaine, il me restait une putain de semaine et je quittai cet endroit. J'avais rien dit à Maya sur le jour exact parce que je voulais lui faire la surprise. Les heures étaient beaucoup beaucoup trop longues.

Ce jour là, en salle d'activité, j'eus l'immense plaisir de me coltiner Bernard. Et visiblement, il avait pas oublié de me parler de ma go.

— Dis donc fiston, vous êtes mariés avec ta danseuse ?

Je répondis par la négative en lui adressant mon regard le plus bresson.

— Pourquoi ?

Mais putain, d'où ça le regardait ? Je répondis pas.

— Tu veux pas c'est ça ?

— Si.

Je sursautai de ma propre réponse, elle était sortie sans réfléchir.

— Bah alors, c'est elle qui veut pas ?

En soupirant d'agacement, je hochai la tête.

— Tu lui as posé la question au moins ?

Putain de merde, mais pourquoi je l'avais pas fait taire avant qu'il me foute des idées pareilles dans le crâne.

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